Dossier d’entretiens
Madame Bovary (2016)
Œuvre : Madame Bovary, Flaubert, 1856
Type de sources : Transcriptions d’entretiens semi-dirigées (verbatim)
Projet de recherche : Réceptions de Madame Bovary de Flaubert de 1856 à nos jours (thèse soutenue en 2019 sous le titre Emma entre les lignes : réceptions, lecteurs et lectrices de Madame Bovary de Flaubert)
Chercheur.euse : Anne-Claire Marpeau – Cotutelle ENS, Lyon et UBC, Vancouver
Datation des sources : Entretiens menés en mai 2016
Protocole (déposé au début de l’enquête auprès du Board of Ethics de l’Université de Colombie-Britannique)
Travaux mentionnant ce dossier :
Anne-Claire Marpeau, « Peut-on débattre d’un classique dans le cadre scolaire ? », Fabula-LhT, n°25, janvier 2021 [en ligne]. URL : https://www.fabula.org/lht/25/marpeau.html
Anne-Claire Marpeau, « “Chercher l’amour”. Les relations sentimentales de Madame Bovary lues et interprétées par des lycéennes », Genre en série : cinéma, télévision, médias, n°9, 2019 [en ligne]. URL : http://genreenseries.weebly.com/uploads/1/1/4/4/11440046/9.6_marpeau.pdf
Anne-Claire Marpeau, « Peut-on lire Emma comme une prostituée ? Regard masculin et lectures plurielles de Madame Bovary de Flaubert », Revue Flaubert, n°16, 2018 [en ligne]. URL : https://flaubert-v1.univ-rouen.fr/revue/article.php?id=233
Entretien n°1
Elsa, 17 ans, admise au baccalauréat, mention bien.
Profession du père : vendeur pour une entreprise de peinture pour professionnels. Profession de la mère : au chomâge au moment de l’enquête. Depuis, secrétaire d’une entretreprise d’assurance.
Donc vous avez fait un journal de lecture, vous vouliez venir pour l’entretien. Pourquoi ? Est-ce que vous avez des choses à rajouter ou…
Ben, pas vraiment, mais du coup je me disais que ça pouvait être intéressant d’en parler aussi, c’est vrai que ça permet de… d’avoir une autre approche du livre même sans s’en rendre compte et tout ça. Et puis bon, chaque livre est intéressant à étudier donc pourquoi pas ?
Le livre vous a plu ?
Euh…pas la première fois, mais au fil de l’étude en classe, ouais. Franchement, quand on se rend compte de tout ce qu’il y a de caché en fait sous le premier… sous la première vision qu’il y a du texte ou l’humour en fait qu’il y a …alors que bon, normalement quand on dit à quelqu’un que c’est un livre drôle, la personne y croit pas trop mais… mais, ouais, franchement, le fait plus de l’approfondir que de le lire simplement comme ça, effectivement, c’était pas… c’était pas horrible, je m’attendais à pire vu que y’a plein de gens qui m’ont dit « Oh, la, la, c’est vraiment horrible comme livre et tout… » Mais en fait, ça allait, disons que c’était neutre, c’était pas… mais après oui, ça, ça va. Du coup, je pense que quand je le relirai, ce sera plus un bon souvenir que…
Parce que vous allez le relire ?
Ben, du coup, là, je vais le relire pour le bac, pour l’avoir bien frais en tête. Et puis même peut-être plus tard, à mon avis dans deux-trois ans, je serai contente de la relire, ben peut-être plus pour les souvenirs de terminale que pour le livre en lui-même mais ça va ensemble.
Et quand vous dites qu’« au début, c’était pas terrible », qu’est-ce qui vous a pas trop plu au début ?
Euh…ben, ce qui à mon avis est fait exprès dans le livre, c’est-à-dire le côté toujours pareil de ce qui arrive, l’enfermement, en plus moi je suis pas très campagne à la base, donc euh, ce côté, ouais, enfermement de… de la femme dans son rôle, enfin, en tout cas ce qu’on [incompréhensible], mais euh… et puis surtout, il est long, c’est surtout ça aussi, c’est que… il fait quand même, je sais plus, quatre-cent pages je crois, donc c’est quand même…ouais… mais euh… voilà, donc, comme… il y a des événements qui sont plus intéressants que d’autres, par exemple le bal à la Vaubyessard, ça c’est un truc que j’ai bien aimé lire, parce que voilà, forcément, bon ça a un côté plus romantique donc c’est peut-être plus mon style de lecture… mais euh… mais effectivement, c’est le côté long et surtout plus ou moins toujours pareil de ce qu’il lui arrive, mais bon, ça c’est fait exprès donc… je pense que ça va avec.
Et quand vous dites que vous avez découvert de l’humour dans le texte, vous pouvez donner des exemples ?
Ben, un exemple, bon, ça j’ai pas eu le temps de l’étudier en classe, par exemple, quand c’est… je crois que c’est la remise de prix et puis qu’en même temps on a Rodolphe qui lui fait sa déclaration et puis qu’en même temps, on a le maire qui parle et il dit des trucs comme… enfin bon, il doit parler des animaux, et du coup c’est la confrontation entre les deux qui était plutôt drôle. Mais y’a pas mal de choses comme ça où en fait, on se rend compte de l’auteur qui est… qui se moque un peu de ses personnages, ben, rien que Homais, moi, c’était mon personnage préféré de toutes façons parce que juste… déjà , c’est le seul qui a l’air à peu près heureux dans ce qu’il fait, et puis il est drôle malgré lui, c’est vraiment le personnage ridicule par excellence donc euh… ça c’était, ben c’était intéressant à lire.
Et est-ce que y’a des personnages auxquels vous vous êtes identifiée ou…
Mmm… pas vraiment parce que bon, c’est quand même loin de… d’un univers, voilà. Mais euh… non, pas « identifiée » parce que je me suis jamais sentie comme Emma, heureusement mais euh… ouais, j’aimais bien Homais. Pas, pas… je m’y identifierais pas mais je me disais que au moins lui, bon, voilà, il vivait sa vie plus ou moins comme il l’avait décidé donc c’est le seul.
D’ailleurs, c’est le seul qui s’en sort plutôt bien.
Ben, voilà, du coup, c’est… ben c’est terrible parce que c’est un personnage qui, voilà… on s’en moque parce que je détesterais être comme ça mais au moins, ben, il est heureux quoi, donc finalement, c’est pas si mal.
Et est-ce qu’il y a des personnages qui vous ont choquée ou est-ce qu’il y a des moments, ça vous a…
Mmm, non. Ben, bon, ben Rodolphe, on a le Don Juan par excellence, bon ça, voilà. Mais bon, c’était pas spécialement choquant. M’énerver ? Non, pas plus que ça, je trouve qu’ils ont tous des, des… des caractères assez intéressants euh… mais euh, non pas spécialement.
Et Emma, vous la comprenez ou pas ?
Ouais… ben, oui, parce que en plus, l’univers des livres, c’est vrai que c’est facile de comprendre, qu’on peut s’y perdre un peu et tout ça, et puis à cette époque là, j’aurais détestée être comme ça, c’est sûr. Donc oui, effectivement, ce côté de vouloir s’échapper un peu… comme elle peut, euh, même ça aurait été encore plus intéressant un livre où elle s’échappe vraiment, elle s’en va, mais euh… mais ouais, ben oui, je comprends.
Vous pourriez réécrire ce livre…
Ah je pense… ben forcément, c’est hyper tentant, quand on se dit qu’elle va juste finir comme ça, on préfèrerait qu’elle se… même pas avec Rodolphe, mais qu’elle parte à Paris mais qu’elle y aille toute seule, qu’elle se débrouille, je sais pas, qu’elle… bon, après forcément, c’est difficile… c’est plus facile à dire qu’à faire mais euh… oui, une autre fin où finalement elle a réussi à partir et s’accomplir toute seule, ce serait quand même plus… plus réjouissant.
Et quand vous dites que vous avez redécouvert des choses dans le roman, est-ce qu’il y a des choses que vous n’aviez pas forcément comprises ou… ?
Mmm… pas… non, non, j’avais plus ou moins… j’ai d’exemples précis en tête, forcément, il y a toujours des passages où quand on lit une première fois et tout seul, bon ben, on parcourt un peu, on se dit, bon ben c’est plus les descriptions, les choses comme ça, effectivement, c’est quand on, après on les réétudie en classe que on se rend compte que c’est… ben c’est… ça veut dire plein de choses. Après non, des choses que j’ai pas comprises, non, peut-être effectivement des descriptions où on se rend compte de ce que veut dire l’auteur vraiment. Mais sinon, non, j’avais à peu près…
La scène du fiacre, vous aviez compris dès le début ?
Oui, oui, c’était assez explicite quand même… enfin pas vraiment, mais ça c’est vraiment le genre de scène où effectivement on se doute très bien, c’est ça qui est drôle, de pas montrer ce qui se passe, mais en fait, limite on le voit encore p… enfin moi, j’avais l’impression de le voir encore plus, du fait qu’on parle des endroits où on passe, parce qu’en fait, ça… comme il y a une accumulation de lieux, on se rend compte du temps qui passe et du coup on se rend compte de… du temps qui se passe aussi dans le fiacre et du coup de tout ce qui peut se passer pendant ce temps et du coup, c’est marrant… enfin, j’ai percuté assez vite.
Parce que quelquefois c’est… c’est pas une difficulté de lecture mais pour certaines personnes…
Oui, mais je peux comprendre tout à fait.
Et quelquefois le cours aide.
Oui, oui.
Et j’avais une autre question à vous poser pour rebondir sur ce que vous disiez… Ah oui, vous disiez que vous en aviez entendu parler…
Oui.
Donc, de la part de camarades ou plutôt de profs ?
Euh… un peu de tout le monde en fait… parce que… ben en fait ce qui est marrant c’est que le livre, moi, je l’avais parce que ma tante me l’avait acheté et c’était la même édition d’ailleurs … euh quelques mois plus tôt parce que je lui disais que j’allais le lire… donc, en fait c’est mitigé, ben, par exemple, y avait ma grand-mère, bon ben forcément « oh oui, c’est un classique, machin machin », en même temps , elle adore lire donc euh… voilà, et puis c’est plutôt les gens qui l’avait déjà lu qui étaient de mon âge ou les L, forcément, qui l’avait lu l’année dernière, surtout sur Facebook, y’avait pas mal de trucs sur ça parce que y’a des pages spéciales pour les L sur Facebook et effectivement, y’avait pas mal de trucs l’année dernière sur Madame Bovary parce que personne ne voulait qu’il tombe au bac, tout le monde voulait Les Mains libres, je crois que c’était l’autre, et du coup y’avait pas mal de blagues effectivement sur euh… donc je connaissais pas le livre, mais, même quand on voit aussi la petite vidéo que Jean Rochefort a faite, on se dit « Ouh là, c’est quoi ce livre ». Et donc… donc, effectivement, on se…ben je m’attendais à quelque chose plus ennuyeux, vraiment genre vraiment horrible… effectivement quand je l’ai lu au début, je me suis dit « Ah, non, en fait ça va, il se passe des choses quand même, c’est pas non plus euh… » donc euh…donc euh… non, en fait j’avais beaucoup d’avis donc au final, ça s’annulait un peu, vu que y’en avait… bon y’avait ma grand mère qui me disait que c’était un grand classique et puis à côté, y’avait des gens qui me disaient que c’était très chiant à lire, du coup, tout ça mélangé, du coup, j’avais pas d’avis final du coup, ben j’y suis allé en me disant « ben on verra ce que ça donne », quoi. J’avais pas vraiment d’avis formé de moi, finalement, sur la question, avant.
Et vous connaissiez la fin ?
Oui, ben, oui, ben ça par contre j’me suis fait spolié tout de suite parce que… ben… forcément dès que quelqu’un en parle, ben voilà, pareil sur les pages Facebook… donc euh, donc oui, je connaissais la fin mais c’était pas tellement dérangeant parce que je savais pas exactement comment elle mourrait et puis euh… ce qui est intéressant c’est de voir la progression, et même, même finalement dans des romans où on sait que le personnage meurt, ben c’est pas ça qui est important quoi, c’est l’histoire qui compte.
C’est la même chose dans une série télévisée ?
Non.
Pourquoi ?
Ben parce que… je sais pas. Ben si c’est un peu la même chose des fois parce que si on sait juste que tel personnage va mourir, bon, bon on a quand même un peu de suspense en moins mais… mais euh… Ben je sais pas si ça… ben je pense que ça a changé ma façon de le lire parce que du coup, je savais d’emblée qu’il y avait pas d’issues… du coup, ben du coup je savais également que ses deux histoires d’amour autres, ben du coup ça allait forcément pas marcher parce que je me disais bon, ben, si elle meurt… mais du… ouais, je sais pas, je sais pas si c’était dérangeant ou pas. C’est peut-être pas le plus important. Mais même dans une série en soi, c’est peut-être pas le plus important.
Et donc vous disiez que votre grand-mère disait que c’était un classique, euh, qu’est-ce que c’est pour vous un classique ?
Ben, un classique, on a toujours une liste un peu établie dans la tête, on a Les Misérables, ou un livre de Zola, ou c’est toujours des… ben déjà, c’est des trucs plutôt vieux en général. Ben ceux qui font partie de la liste des choses qu’on lit à l’école donc y’a vraiment… je pense qu’il y’a une liste quand même alors… non exhaustive, c’est pas du tout un truc euh, écrit quelque part, mais de livres où quand on dit le titre, on fait « ah, c’est un classique ! », on a des… je sais pas, des pièces , on a du Molière, du Racine, du… ben voilà, c’est des choses où tout le monde devrait un jour lire au moins l’un des romans… des livres de cet auteur, de cet auteur, voilà c’est des auteurs qui sont un peu des incontournables, quoi. Ouais, c’est un peu ce que j’entend par « classique ».
Et c’est des livres que vous lisez en dehors des cours ou pas ?
Oui. Ben, pas, clairement pas Flaubert parce que, en fait j’avais lu une fois un livre de Flaubert et ça m’avait laissé plutôt une mauvaise impression.
C’était lequel ?
C’était euh… Une vie, je crois. Non, c’était…
Un cœur simple ?
Un cœur simple. Rien à voir. Pourquoi Une vie ?
Une vie, c’est Maupassant.
Ah oui, c’est de Maupassant. Et donc j’ai tout mélangé. Un cœur simple. Et donc c’était plutôt horrible, et pourtant le livre était court, mais je me souviens, c’est l’histoire d’une servante, avec je crois un perroquet et puis au final…j’ai le souvenir qu’il ne se passait presque rien. Non, en fait, je l’avais lu juste après Le Roi Tsongor de… de Gourié [sic]. Et du coup, c’était un livre avec beaucoup beaucoup de choses qui se passaient et du coup, passer de ça à ça et du coup j’étais « Ah ! ». Et , oui et donc oui, « est-ce que je lis des classiques en dehors ? », ben, pas mal oui en fait, j’adore Molière, j’adore Victor Hugo, j’ai lu un ou deux livres de Zola… c’est plus par mes amis aussi parce que comme on est en L et tout, et du coup on prend plus l’initiative que… je pense que si j’avais peut-être été dans une autre filière… non, en fait non, je serais pas allée dans une autre filière parce que j’adore lire depuis toujours mais… euh… je connais plein de gens qui effectivement lisent juste les livres en cours et voilà mais… ouais, non, il y a tellement de livres que si j’attends qu’on les lise tous en cours, je lirai jamais tous ceux que je veux lire donc euh…
Et vous continuerez de lire même si vous quittez l’é…
Oui.
Des classiques aussi ?
R : Ben, non, pas forcément, j’adore mélanger justement, parce que c’est tellement intéressant d’avoir le reflet des différentes époques et tout, du coup… ben du coup, le dernier que j’ai lu c’était un George Sand, c’était Mauprat. Du coup, ce qui est intéressant sur chacun de ces livres, c’est, ben déjà le fait que ce soit des œuvres incontournables, mais aussi ça apprend tellement sur chaque époque, par exemple Madame Bovary, alors bon, c’est, c’est quand même le reflet de toute une époque, de comment ça se passait, même si c’est pas forcément… on sait pas du tout la vision des villes, c’est quand même très restreint sur euh… bon voilà, mais du coup c’est quand même assez intéressant de lire donc euh… donc oui, j’adore lire des classiques en dehors de l’école.
Et vous mélangez donc avec d’autres œuvres ?
Oui, oui, ben des trucs plus contemporains et aussi plus… des fois j’aime bien juste aller dans une librairie et puis voir s’il y a un livre qui me… qui a l’air intéressant juste en prenant au hasard et puis en regardant derrière ce qu’il y a écrit, je me dis « ah, tiens, ça a l’air sympa ». Bon, je le fais pas tout le temps.
C’est quoi par exemple le dernier que vous avez lu par exemple ?
Euh, le dernier je l’ai acheté avec ma grand-mère à la gare, et on était dans une librairie et du coup, je regarde le livre et je fais « ah, il est marrant » en plus c’était une couverture verte avec des poissons rouges dessus, et ça s’appelait Le Liseur du 6h27 de… Jean-Paul Didier Laurent. Et juste… je l’ai lu, c’est juste un homme dans le RER qui lit des extraits de livres le matin, et juste je me suis dit « ah, ça a l’air vraiment sympa comme histoire » et du coup on l’a regardé… c’est pas du tout… non j’essaye de mélanger parce que c’est un peu… je trouve que c’est un peu se restreindre autant de lire que des trucs connus entre guillemets, de lire que des choses qu’on trouve par hasard justement… faut mélanger un peu tout, je trouve que c’est toujours intéressant.
Et… et vous aimez la manière dont on enseigne la littérature ?
Euh, oui, ben après c’est particulier parce que nous on a trois heures d’affilées le vendredi soir donc forcément, c’est plus dur que tous les autres cours mais euh… ben c’est assez intéressant. Après, je pense que les deux vont… par exemple, j’aurais pas aimé commencer à étudier Madame Bovary avant de l’avoir lu parce que je trouve que la première lecture qu’on se fait seule c’est hyper important parce que ça permet de découvrir l’œuvre comme à froid, sans savoir vraiment ce qu’il y’a dedans, mais euh… je sais pas, j’ai toujours aimé les cours de français donc oui, c’est intéressant de…
Et pour vous, c’était pareil au collège ou au lycée ?
Ouais, ouais, je sais depuis très très longtemps que je veux aller en L, c’est très connoté dans ma tête parce que j’ai toujours adoré lire et effectivement en classe, du coup, j’ai toujours adoré les cours de français en général, que ce soit autant l’écriture que la lecture, du coup ben… mais en fait depuis la maternelle, depuis le CP surtout… et euh… ouais, ben c’était mes cours préférés au collège.
Et vous… pour vous, les attentes du baccalauréat par exemple par rapport à l’œuvre de Madame Bovary, elles sont pertinentes ?
Ben oui, après, on a fait quelques sujets de bac blanc, effectivement, c’est intéressant, ben de voir surtout un personnage de Madame Bovary, effectivement c’est toujours intéressant… y’a des personnages qui sont assez spéciaux, Bournisien, Homais, tous, voilà… euh, après, bon c’est vrai que c’est difficile en deux heures. Vraiment, la prof nous l’a beaucoup dit mais effectivement, on s’en rend compte quand on est devant sa feuille et qu’on se dit « ah d’accord, il me faut une heure pour juste faire ça ». Donc, euh… oui, ben je trouve que c’est intéressant effectivement, ça nous fait réfléchir à des choses mêmes auxquelles on n’aurait pas forcément pensé tous seuls. Un peu comme de la philo, je trouve que des fois ils ont un côté un peu philo les sujets où c’est une question et du coup ben, faut qu’on réfléchisse à tout ce qu’on a pu voir dans l’œuvre et les mettre en lien… oui, c’est assez intéressant, c’est sûr.
Et par rapport par exemple à… est-ce que vous regrettez, parce que vous dites que vous aimez bien l’écriture, est-ce que vous regrettez l’époque des expressions écrites ou des sujets d’invention ?
Oui, un peu, mais au collège. Parce que par exemple, l’année dernière, au bac, j’aurais jamais pris l’écriture d’invention en français parce que maintenant c’est très… y’a beaucoup de règles pour les écritures d’invention, c’est pas… on note pas l’imagination de quelqu’un maintenant, c’est très… bon c’est quand même très réglé. Mais au collège effectivement, parce que… ben en fait, justement, c’est hyper lié, c’est que comme je lisais beaucoup, y’a pas mal de tournures de phrase ou de choses comme ça que j’aimais bien replacer dans mes copies, du coup, ça plaisait bien au prof parce que il voyait qu’on savait bien écrire et tout… et puis, en plus j’avais un bon orthographe parce que j’ai une mémoire hyper photographique donc quand je lis un livre, ben ça m’apprend plein de choses sur l’orthographe des mots et du coup, ben je… j’aime bien écrire, parce que en plus, ça va, je fais pas trop de fautes et… ouais, j’aimais beaucoup, ben, ça permet, ouais de mettre en lien soit des choses auxquelles on a pensé soit des trucs qu’on a lus et du coup, rajouter des choses nouveaux et tout mais… ben, je regrette… non, pas tant que ça, j’adorais ça au collège, maintenant, je sais pas si ça me passionnerait toujours autant. J’aime bien le faire pour moi. Ça me dérangerait pas de… par exemple, d’avoir un carnet et puis moi, d’écrire des trucs pour moi, mais maintenant ce serait plus… le faire noter par les profs, ben, c’est pas…
Mais vous imaginiez une autre fin à Madame Bovary, par exemple ?
Ben, j’y ai pas trop pensé sur le coup mais c’est vrai qu’si… ce serait génial… bon alors, je pense pas que je pourrais le faire parce que déjà ça devrait prendre beaucoup de pages pour déjà quelque part changer.
Et la lire, vous aimeriez ?
Oui, ben, les fins alternatives, tout ça, c’est des trucs que j’aime bien parce que je trouve que des fois, ça restreint tellement de… de proposer une fin et tout, et du coup, j’aime bien les livres alternatifs, avec des autres fins parce que, ensuite c’est plus dans les films qu’ils font ça surtout mais euh… donc franchement, si des gens on fait ça, je trouve ça génial, mais après bon ben j’aurais pas la prétention de le faire parce que je pense pas avoir autant de trucs à dire que ça mais juste imaginer effectivement une autre fin possible, c’est toujours… intéressant.
Et vous avez autre chose à rajouter ?
Non, pas spécialement.
J’avais une question à vous poser que je pose à toutes les personnes en entretien parce que je veux écrire un article, et le titre de la revue s’appelle « Flaubert et la prostitution ».
Oui, sur Emma, on m’en a parlé.
« Peut-on lire Emma comme une prostituée ? » C’est pas du tout une question piège, mon idée c’est vraiment d’avoir votre opinion sur la question.
Ben déjà, premier truc qui me vient à l’esprit, déjà, elle se fait pas payer, donc non. C’est le premier truc que me… Après, non, ben après c’est très… on pourrait effectivement… il y a une lecture possible comme ça, oui, elle a des mœurs très très légères pour son époque, enfin si c’est qu’on associe à une prostituée. Ben non, du coup. Bon, dans le sens « travail », non, et même, ben, en fait, elle a pas connu tellement d’hommes dans sa vie, puisque si ma mémoire est bonne, y en a trois, et du coup c’est tout. Et puis, forcément, comme c’est cette époque là, bon, ben, comme c’est choquant pour l’époque, forcément, procès et compagnie… forcément, aller voir ailleurs quand on est marié à cette époque c’est… ben même maintenant, c’est pas terrible à la base, mais voilà. Mais euh… non, moi j’ai vraiment, je me dis juste « elle essaye de s’accrocher à un truc pour essayer de, de, de… voir la vie autrement, essayer d’être heureuse en fait ». C’est même pas… je pense que ça n’a même pas de rapport direct avec le sexe en soi, c’est juste de, je sais pas, d’essayer d’attraper quelque chose du bonheur, quoi, d’être libre quelque part. Ben du coup, c’est terrible parce qu’elle est obligée de passer par des hommes pour essayer d’être libre, mais non, non, pas du tout, enfin en tout cas, non, je l’ai pas vue comme ça.
Entretien n°2
Jeanne, 17 ans, admise au baccalauréat, mention bien.
Profession du père : artiste-peintre ; profession de la mère : professeure d’allemand en lycée.
Alors, est-ce que vous avez des remarques préliminaires à faire sur le livre, sur votre lecture de Madame Bovary ?
Ben je l’ai beaucoup aimé. C’est un livre, tout le monde m’avait parlé plutôt négativement de lui, et en fait du coup, j’ai pas forcément beaucoup accroché dès la première lecture, je me souviens que j’étais en été en fait, j’étais au bord d’un lac. Et c’est vrai que les circonstances se prêtaient plutôt bien à la lecture mais j’ai quand même pas réussi à rentrer dedans tout de suite. Et au fur et à mesure de la lecture en fait, j’ai découvert que le style était juste magnifique, enfin, je trouve que c’est un trésor de la langue française et finalement, je suis assez bien rentrée dedans. Bon, il y a des passages un peu moins intéressants que d’autres, je reconnais mais…
Comme quoi par exemple ?
Des longs passages descriptifs, ou alors quand elle se plaint. J’aime pas trop quand Emma se plaint, je trouve ça… enfin, elle m’agace en fait du coup, je… j’allais un peu plus vite sur ces passages là mais sinon de manière globale, j’ai beaucoup apprécié. C’était une bonne expérience.
Et quand vous dites « le style était magnifique », vous pouvez préciser ? Qu’est ce qui vous a plu ?
C’est… c’est peut-être bête à dire comme ça mais au niveau de… tous les mots qui ont été choisis, je les trouve parfaitement adaptés en fait. Bon, c’était un peu le but, il avait passé des séances et des séances là-dessus, à choisir le mot correct, mais je trouve que c’est tellement bien réussi que moi, ça me touche, en fait. Je… en plus, je me vois absolument pas faire mieux. J’essaye d’écrire un peu à côté et parfois, j’essaye d’emprunter un peu son style mais c’est inimitable… du coup ça m’impressionne d’autant plus.
Et donc c’est plutôt l’aspect… la prouesse technique qui vous paraît…
Oui, c’est souvent comme ça, de toutes façons, de manière générale dans les arts, c’est vraiment ça qui me touche en premier. Au niveau du contenu, après c’est vrai que c’était pas une histoire très palpitante pour moi, mais du coup je me suis plus attachée, oui, à la forme plutôt que au fond. Et ça m’a permis d’apprécier du coup.
Et quand vous dites que c’est ce qui vous plait dans les arts, par exemple ?
Par exemple, quand je vous dis : « je préfère la forme plutôt que le contenu, que le fond », je pense aux œuvres de la Renaissance par exemple des tableaux, je suis pas… j’ai pas de croyance religieuse et j’apprécie pas forcément tout ce qui concerne la religion mais quand je vois, ben, par exemple des oeuvres qui traitent de ça, sur ce sujet, par exemple le Caravage ou même Léonard de Vinci quelquefois, enfin je pourrais vous en citer plein, au niveau de la prouesse technique, de la couleur, de la matière, du format, juste du visuel, je trouve ça juste terrible en fait. C’est pour ça que je suis plus attachée à la technique peut-être que le fond, j’en sais rien.
Et la prose de Flaubert, est-ce qu’elle vous touche au sens où il y a des moments, ça créé une émotion chez vous ?
Oui, euh… je me souviens d’un passage, je pourrais plus vous citer exactement ce dont ça parle mais quand il décrivait Emma en position de séduction totale avec Léon, en fait. Quand ça commençait à devenir lui la maitresse plutôt que elle, enfin, quand elle commence vraiment à jouer son rôle de séductrice à fond, ça m’a touchée, il y’avait une description vous savez avec un lacet qui glisse autour de son corps. Et moi j’ai trouvé ça super bien écrit en fait, j’ai trouvé ça trop cool ou alors quand parfois Flaubert décrit Léon au niveau de ses yeux, des choses comme ça, je trouve ça pas mal du tout (rires).
Et est-ce que…oui, vous disiez « l’histoire, bon, j’ai pas trop accroché », en quel sens ?
Dans le sens où je suis quelqu’un… enfin, en ce moment, j’aime bien quand ça bouge, j’aime bien quand c’est… voilà, quand il se passe plein de choses, je pense qu’on est un peu tous comme ça à dix-sept, dix-huit ans, et c’est vrai que du coup se projeter dans un livre qui pourrait être notre histoire à l’époque de Flaubert, ça… ça donne pas forcément toujours très très envie d’y être, et comme je l’ai dit, Emma c’est un personnage qui m’agace (rires), donc des fois j’ai envie de la booster et ça me frustre en fait.
Et c’est intéressant ce que vous dites. Vous dites « ça pourrait être notre histoire à l’époque de Flaubert », c’est-à-dire ?
Euh, je me dis, à l’époque où il a écrit, y’avait forcément plein de jeunes filles qui ont dû le lire parce que c’était un bouquin un peu interdit à l’époque, mais, oui, je me dis, si j’avais été à cette époque là, je… ça aurait pu être ma vie quoi. Une vie de petite bourgeoise qui s’ennuie, qui rêve de, de, de… enfin d’histoires romantiques quoi, ça aurait pu être moi, surtout que moi, j’adore le romantisme, tout ce qui est vachement fort et tout, c’est bien mon truc, donc j’aurais pu être à la place d’Emma et j’aime pas me dire que j’aurais pu être à sa place (rires).
Ça vous fait peur ?
Oui (rires).
Mais est-ce que vous pensez qu’on pourrait transposer cette situation d’Emma en situation contemporaine ?
Oui, je pense, tout à fait. Je pense que on est toutes, enfin, on a toutes des moments où on est un peu perdues dans des rêveries, du bovarysme complètement, enfin, peut-être un peu moins parce que Emma, vu qu’elle a toutes les restrictions de la femme à cette époque là, du coup c’est plus compliqué pour elle, mais même nous qui avons plus de liberté au XXIe siècle, je pense que y’en a plein qui se perdent dans des rêveries comme ça et qui trouvent pas, je sais pas, le bonhomme ou (rires), je pourrais pas dire, mais oui, je pense que c’est possible,
Oui, et vous pensez que c’est typiquement féminin ?
Non. Enfin, je pensais ça il y a quelques années jusqu’à ce que je rencontre un ami qui soit un peu comme ça, qui rêve de la femme parfaite, et d’histoires pleines de rebondissements et de romantisme. Non, il y a plein de garçons qui sont comme ça (rires), j’en connais deux-trois.
Et vous dites que vous aimez bien quand ça bouge, est-ce que vous lisez d’autres choses qui bougent ou ?
Oui. Je sais pas si vous connaissez Pierre Bottero.
Ça me dit… je connais le peintre Botero mais je connais pas du tout le…
Oui, ben, il y a un écrivain qui est mort il y a quelques années d’un accident de moto et qui a jamais pu terminer ses séries mais j’en ai lu pas mal, j’ai lu La Quête d’Ewilan, j’ai lu Les Mondes d’Ellana [sic], en fait ce sont que des séries qui vont par trois, quatre, cinq, six, et ce sont des romans qui peuvent très bien s’adresser à des enfants, comme à des adolescents, comme à des adultes. À des enfants parce que c’est un peu fantastique, parce que c’est rebondissant, je vous ai dit, il y a beaucoup d’action, il se passe plein de choses ; adolescents parce que ça peut aussi nous correspondre. Et adultes parce qu’il y a une portée également qui est vachement philosophique par moments. C’est, déjà c’est très très bien écrit, au niveau du style, c’est… pareil, ce sont des phrases courtes, simples, mais qui, qui…
percutantes ?
qui percutent, exactement, et qui sont pleines de poésie, et moi je suis sensible à la poésie.
Vous lisez de la poésie ?
Oui, ben, je vais être un peu… un peu basique mais j’adore Baudelaire (rires).
C’est pas basique…
Oui, c’est un peu la référence-phare mais c’est vrai que j’ai Les Fleurs du mal à côté de mon lit et je peux pas m’en lasser.
Vous avez toujours aimé lire comme ça ?
Non, pas toujours, j’ai eu beaucoup de mal quand j’étais petite parce que tous les livres qu’on me demandait de lire c’était…quand je dis « petite », c’était plutôt en primaire…c’était un peu, enfin ça m’intéressait pas. Et rentrée en 6e-5e, j’ai eu des romans un peu fantastiques de la part d’une amie qui m’en avait conseillés, des romans, vous savez, de six-cent pages mais qui sont adressés aux adolescents donc avec des polars, des histoires un peu fantastiques, des vampires, des histoires d’amour comme ça…et c’est à partir de là que j’ai aimé lire et que les gros bouquins m’ont pas fait peur.
Oui. Et est-ce que c’était complémentaire de ce que vous lisiez en cours ?
Oui. Euh, non, non, je dis des bêtises, non. Pas du tout, c’était carrément un autre monde.
Encore maintenant ?
Euh, pffff…ben maintenant, vu que je fait de la philo, parfois il y a des échos avec ce que je lis, par exemple je vous parlais de Pierre Bottero, des fois, y’a des choses qu’il raconte qui peuvent se porter [sic] à certains de mes cours mais sinon, non.
Par exemple ?
J’étais en train de chercher un exemple justement mais là je sais pas. Je les ai lu il y a déjà trois ans et… par exemple, sur la force de survie peut-être. Je pense que ça pourrait se rapporter à certains, certaines de mes notions sur comment appréhender l’autre aussi, au niveau de son regard, oui, il y a pas mal de choses qui font écho. Assez… enfin, il faut chercher un peu loin mais ça peut…
Et les livres qu’on vous donnait à lire en cours, ça vous plaisait ?
Euh, au collège, vous vouliez dire ?
Ben, est-ce que vous repérez une différence entre le collège et le lycée ?
Oui, quand même, ça peut avoir… enfin, je pense qu’ils font attention à pas trop désintéresser les élèves et, j’ai lu pas mal de livres qui m’ont plu je crois, je pourrais pas vous dire les titres mais j’ai pas été traumatisée par ce que j’ai lu. Au lycée, là, je pense aux bouquins qu’on a à lire en philosophie… euh, ils m’intéressent vraiment pas toujours.
Comme quoi par exemple ?
Euh, j’ai essayé de lire…alors c’était L’Œil et l’esprit de… je sais plus.
Merleau-Ponty ?
Oui, Merleau-Ponty, je crois que c’est ça. Et j’ai pas du tout accroché. C’est un tout petit livre, qui se lit très rapidement, mais j’ai pas réussi à rentrer dedans, pour moi, c’était un charabia trop compliqué alors qu’on aurait pu faire bien plus concis, bien plus simple , c’était un blablatin de… de belles phrases, pour faire des belles phrases. Et moi, je crains vachement. J’aime bien quand c’est plus, oui, plus net, plus percutant, plus concis, je trouve ça plus correct en fait. Mais sinon, j’ai lu un livre pendant les vacances là, justement, c’était Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, écrit par Sigmund Freud, et là, par contre j’ai beaucoup apprécié. De Freud, je comprends pas toujours tout ce qu’il dit, par exemple dans le livre Le Malaise dans la culture, il y a beaucoup de choses que j’ai pas comprises, que … où je comprenais pas ce qu’il disait et puis là, dans ce livre-là, le langage était très clair, très bref, j’ai bien apprécié. En plus, ça parlait d’art, du coup c’était encore mieux.
Et est-ce que vous lisez, par exemple là cette année, est-ce que vous lisez, là les livres qu’on vous conseille en philo, plus les livres de lettres, est-ce que vous lisez des choses pour vous ?
Euh…oui, enfin, de moins en moins parce que j’ai moins le temps du coup, mais là récemment j’ai terminé un livre très connu, vous savez c’est The Road de McCarty, je crois que c’est ça, et il est sorti il y a longtemps déjà mais je l’avais jamais lu et j’avais vu quelques extraits du film qui est aussi adapté et j’avais trouvé ça très intéressant de savoir comment ce serait dans un monde post-apocalyptique comme ça, ce que ça donnerait, et je les trouvé sur le bureau de ma mère et du coup, je me suis mise à le lire, je l’ai fini il y’a une semaine et, j’ai adoré (rires). C’était une façon d’écrire très particulière.
C’était en anglais ?
Non, non, par contre j’ai pas le niveau (rires).
Parce que vous avez donné le titre en anglais.
Oui, oui, parce que je le trouve plus stylé en anglais (rires). Mais non, je l’ai lu en français, et c’était… oui, j’ai adoré.
Et votre mère lit beaucoup aussi ?
Oui, plus que moi. C’est une littéraire dans l’âme depuis longtemps. Mais elle lit dans toutes les langues, elle, anglais, français…
D’accord.
C’est son truc !
Et vous disiez : « Au collège, on a quand même l’impression qu’ils essayent de nous intéresser », mais par contre, au lycée, vous trouvez qu’il y a une différence ?
Non, je pense que… ça dépend de quoi on parle. En littérature, oui, il y a carrément possibilité de nous intéresser, Œdipe-Roi, j’ai trouvé ça super intéressant, Madame Bovary, j’ai beaucoup apprécié… euh, toutes les œuvres que j’ai lu en première, j’ai énormément aimé aussi, surtout des extraits qu’on nous donnait pour, vous savez, l’oral de français. Je repense à Oscar Wilde, j’ai adoré découvrir l’œuvre de Salomé, j’ai trop aimé ça mais par contre, oui, si je me penche plus du côté de la philo, j’aurais plus tendance à dire que c’est pas vraiment le côté intéressant qui va prôner, c’est plus la réflexion, l’intellectualisme.
Et est-ce que ça vous…comment dire ? Pour vous, vous considérez que tous les livres qu’on doit lire…quels sont les buts de la lecture en fait pour vous ?
Pour moi ? Ben, là, spontanément, j’aimerais plus vous dire que pour moi, un livre, quand je l’ouvre, pour moi ce sont les premières pages qui comptent, c’est si tu plonges directement dedans ou pas, et généralement, ça reflète vachement comment tu vas te sentir tout au long de ta lecture en fait. Et euh…moi je pense que quand on ouvre un livre, c’est pour se projeter ailleurs en fait, plus que pour rester dans le vif du sujet de la réalité, enfin, moi je réfléchis tout le temps, du coup, j’ai pas forcément besoin d’un livre qui m’éclaire à chaque fois pour me poser des questions (rires). Et , oui, moi j’aurais tendance à dire que un livre, c’est pour se changer les idées, pour entrer dans un nouveau monde en fait. C’est un peu basique, mais c’est un peu comme ça que je le vois.
Non, mais c’est un des buts de la lecture et des livres… Et est-ce que vous avez aimé étudier Madame Bovary de la manière dont vous l’avez étudié ?
Mmmm… oui, je pense. Je trouve ça un peu…des fois c’est un peu lourd parce que du coup, on étudie que deux œuvres dans toute l’année. Euh…j’aurais…je peux penser qu’on peut répéter un peu souvent les mêmes choses, j’ai l’impression qu’on tourne un peu en rond mais je trouve ça très intéressant de décortiquer un livre entier comme ça, de faire des zooms progressifs sur une… juste une citation qui éclaire plein de passages, oui, j’ai beaucoup aimé. Et puis Mme N. est très intéressante en plus donc euh… c’était pas du tout des heures de torture pour moi.
Et si vous, vous étiez prof de français, vous étudieriez Madame Bovary comment ? sous quel angle ? Comment vous construiriez votre cours ?
Euh…là spontanément, j’ai envie de lire avec un film. Parce qu’il y a plein de films qui ont été adaptés avec, et généralement, les élèves ont plus tendance à rentrer dedans. Œdipe-Roi par exemple, vu qu’il y’a le film de Paolo Pasolini à côté, ça permet de mieux s’en rappeler je trouve, on se rappelle mieux l’œuvre, enfin moi je me souviens du film en entier, déjà j’ai une mémoire visuelle mais aussi parce que il y a beaucoup de cinéphiles, de plus en plus, et je me dis que oui, c’est un bon moyen de se souvenir de l’œuvre et en même temps, la lecture, c’est pour avoir un goût du style, un goût de la langue, oui, de la lecture en fait, tout simplement.
Et vous n’êtes jamais déçue face à un film ?
Ah si souvent, ben par exemple, Oedipe-Roi de Pasolini, ça m’a pas forcément plu comme film, je m’en souviens bien parce qu’il y a tellement de scènes qui sont absurdes qu’on s’en souvient forcément mais si, j’ai déjà été déçue par pas mal de films, mais je suis assez bon public donc ça va.
Mais par rapport à un livre ?
Par rapport à un livre, vous voulez parler d’une adaptation ?
Voilà, par exemple.
Euh, non, généralement, non.
Si par exemple vous voyez un film sur Madame Bovary, maintenant ? Vous en avez vu ou pas ?
Euh, j’ai vu quelques extraits seulement. Je sais qu’il y’en a un qui est sorti récemment au cinéma, qui a pas fait un tabac. Je sais pas si vous l’avez vu ?
Si, si je l’ai vu.
Mais du coup, je peux pas vous en parler mais je trouvais que c’était intéressant. Ça m’a donné envie d’aller le voir en tout cas.
Et vous n’avez pas peur d’être déçue ? Que Emma ne ressemble pas à ce que vous aviez imaginé ?
Ah, si, c’est toujours un peu le risque. Quand on lit un livre, on se fait une image d’un personnage, on se l’invente en fait, on se l’approprie un petit peu d’une certaine manière et c’est vrai que de le voir au cinéma avec des vrais acteurs qui jouent, ça décrédibiliser un peu ce qu’on a ressenti sur le moment. C’est vrai, c’est le risque. Mais généralement, je me prête bien au jeu, ça fonctionne quand même.
D’accord. Et j’aimerais revenir sur, vous avez parlé, en première, les extraits, enfin ça vous a beaucoup plus d’étudier des extraits. Ça vous a pas frustrée de lire que des petits bouts comme ça ?
Euh, ça dépend. Oscar Wilde, ça m’a donné envie de le lire en entier, même si je l’ai pas encore fait (rires). Mais non généralement, c’est vrai que ça me… un extrait, ça me suffit, à comprendre un peu comment ça marche, de quoi ça parle, et puis généralement, l’extrait qu’on nous donne, c’est un des plus intéressants du livre, dans la façon dont c’est traité, dans la forme, dans le fond, dans plein de choses et généralement, ça en dit long sur comment est la suite du bouquin, et non, c’est vrai que je suis peut-être pas assez curieuse (rires), c’est possible.
Non, non, c’est pas ça, c’est que ça dépend… il y a différents types de lecteurs, il y a les lecteurs qui aiment beaucoup comme ça, lire plein de choses et puis y’en a qui aiment bien se plonger dans un livre. Ça m’intéressait juste de savoir…
J’aime bien le côté un peu … je sais pas comment on peut appeler ça… ponctuel.
Butiner un peu ?
Oui, exactement, c’est ça. Je trouve ça enrichissant et puis on s’en souvient très bien en fait, toute l’essence du bouquin n’est pas perdue en fait, on a juste un extrait, c’est court, c’est concis, c’est rapide et du coup on s’en souvient mieux je trouve.
Est-ce que les profs, votre prof par exemple, vous racontait la fin du livre ?
Non, je pense qu’ils stimulent un peu l’envie chez les élèves de se plonger dedans donc généralement c’est très rare quand ils dévoilent certaines parties du livre.
Et Madame Bovary, vous en connaissiez la fin avant de lire le livre ?
Euh, oui, on me l’avait dit… c’était des élèves qui me l’avaient dit, mais je m’en doutais un peu de manière générale, ça se sentait dès le début…
Donc ce sont des camarades de classe qui vous l’ont dit ?
Oui, des plus rapides que moi.
Des spoilers ?
(Rires) Oui, c’est ça. Bon je leur en ai pas trop voulu parce que c’était Madame Bovary mais si c’était sur Game of Thrones, ça m’aurait plus… (rires)
Pourquoi vous dites ça ? Vous trouvez ça normal qu’on spoile Madame Bovary ?
Non, pas normal, peut-être un peu moins décevant parce que c’est vrai que, comme je vous ai dit, au niveau du fond c’est moins palpitant, du coup à la fin, on n’est pas « Oh, comment ça va se passer ? », c’est moins comme ça. Même si ça reste dommage parce que moi, j’aime bien découvrir par moi-même ce qui se passe.
Finalement, c’est assez rare de découvrir des classiques par soi-même. On est souvent très spoilié.
Oui, c’est vrai, tout à fait, vous avez raison. Ils sont tellement rabattus et puis les gens ont tous une opinion là-dessus.
Dans les manuels scolaires, on raconte souvent tout le livre, donc on sait déjà comment ça se passe au moment de lire le résumé.
Oui, c’est vrai, vous avez raison.
Et est-ce que vous vouliez rajouter quelque chose ?
Euh, non, là, comme ça, là, ça me vient pas.
J’avais une question à vous poser parce que je la pose à tous les élèves. Je vais écrire un article dans la revue Flaubert sur Flaubert et la prostitution et je pose la question : « Peut-on lire Emma comme une prostituée ? » et j’aimerais avoir votre opinion là-dessus. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Euh, je pense pas.
Pourquoi ?
Euh, alors déjà le mot « prostitution » maintenant, à l’époque actuelle, et dans la bouche de tous les adolescents, c’est quelque chose de vachement courant. N’importe quelle fille est prise pour une prostituée maintenant, quoi qu’elle fasse et j’ai toujours trouvé ça extrêmement dommage, je trouve que c’est une façon de… j’ai rien contre les prostituées mais c’est vrai que c’est quand même pas un compliment… et je trouve ça dévalorisant certaines fois. Et Emma, non, je n’ai pas le sentiment. Alors, pourquoi ? … Je me demandais, enfin, pourquoi d’ailleurs une « prostituée ? »
En fait, la prostitution, c’est le fait d’échanger un rapport sexuel contre de l’argent.
Oui, c’est ça.
Et il y a dans le roman, à certains moments, c’est assez intéressant, surtout dans les regards masculins, il y a soit des commentaires de la part des personnages masculins, soit surtout à la fin, au moment où elle essaye d’avoir de l’argent de la part de tous ces hommes, il y a des moments où ce possible est évoqué, c’est-à-dire que par exemple, le notaire lui dit « bon, ben, donnez-vous à moi et je vous donne de l’argent ». Ce qu’elle refuse mais après coup, elle se dit dans son désespoir, enfin Flaubert écrit : « elle se disait ou elle se surprenait à dire qu’elle aurait peut-être dû dire oui à Monsieur Guillaumin », enfin, quelque chose comme ça. Et puis, il y a une petite scène perdue comme ça juste après le passage avec Guillaumin auprès du percepteur d’impôt, auprès de qui elle se rend aussi, et deux dames, deux commères du village commentent la scène, c’est vraiment quelque chose d’assez cinématographique en fait, on sait pas ce qu’il se passe, mais elles commentent, et c’est des commères donc elles disent : « elle lui propose de coucher avec lui pour de l’argent »… Je ne sais pas si vous vous en souvenez. Et je ne suis pas persuadée qu’on puisse la lire comme une prostituée mais il y a des indices dans le regard des personnages et dans la réception de l’époque… Il y a vraiment des contemporains de Flaubert qui la lisent comme une prostituée. Et donc je pose cette question et ce qui m’intéresse, c’est la réaction des élèves aujourd’hui, qui sont les grands lecteurs de Madame Bovary aujourd’hui. Souvent, c’est non et pourquoi est-ce que souvent, on me répond non ?
Je pourrais pencher un petit peu vers le « oui » dans le sens où je pense qu’on se prostitue quand on est désespéré et Madame Bovary elle est très souvent désespérée, c’est vrai, comme vous l’avez dit, quand elle essaye de soudoyer un peu les gens avec de l’argent, quand elle essaye de recevoir de l’argent, on pourrait prendre ça comme une forme de prostitution, mais seulement une forme, je vois pas ça comme une prostitution en elle-même. Et puis, je sais pas si je peux dire ça, mais je pourrais presque la comprendre et le fait qu’on puisse s’identifier aussi à elle par moments, ça donne pas envie de dire que ce soit [sic] une prostituée. Mais je pourrais pas vraiment vous dire pourquoi, mais pour moi, je peux pas vraiment vous dire pourquoi mais pour moi c’est vraiment « non ».
Et vous dites que vous vous êtes identifiée à elle un peu ?
Oui, quand elle… des fois, j’ai le sentiment qu’elle perd un peu espoir en… dans le masculin en fait, qu’elle perd espoir en l’homme et ça m’est déjà arrivé (rires) donc des fois, je me retrouve un peu là-dedans, oui, j’ai pensé à la même chose. Mais elle me ressemble pas dans le fait où elle s’apitoie vachement sur son sort et, moi, je suis complètement hermétique à ça. Mais oui, son désespoir parfois faisait écho au mien, à certains moments, et c’est pour ça que j’ai réussi à m’identifier à elle de temps en temps, et c’est pour ça, quand on en vient à parler de la prostitution, c’est tout de suite « Non ! Non, non, non, je pense pas ! »
Et est-ce que vous diriez qu’Emma, c’est une femme forte ?
Par moments. Je pense qu’elle a deux visages, Emma. Je la vois vraiment comme… pas quelqu’un de faible, mais quelqu’un, oui, qui peut vite se désespérer. Et en même temps, quelqu’un qui, dès qu’elle sent qu’il y a quelque chose qui peut la retenir, ou qui peut la faire se sentir vivante en fait, où elle prend vachement son pied en fait dans cette histoire, et que du coup, elle prenne confiance en elle et que ça lui donne envie de retenir cette chose à tout prix. Donc cette chose, ça peut être l’amour de Léon, l’admiration de Rodolphe, et quand elle possède quelque chose qui la fait, oui, se sentir vivante, tout simplement, elle s’accroche. Je vois ça comme ça.
Merci, c’est éclairant. Vous vouliez rajouter quelque chose ?
Je ne pense pas.
Entretien n°3
Julie, admise au baccalauréat, mention très bien
Profession du père : ouvrier qualifié ; profession de la mère : secrétaire médicale
Est-ce que quand tu as su qu’il y’avait des entretiens et que tu t’es inscrite, t’avais une idée de ce que tu voulais raconter ici ou… ?
Pas spécialement, non. Enfin, je me suis dit que ça pouvait toujours être intéressant de parler à propos du livre donc euh…
D’accord. Est-ce que… est-ce que ça t’a plu de lire Madame Bovary ?
Ben, oui, contrairement à tous les autres (rires). Ben, au début c’était un peu dur mais au fur et à mesure qu’on l’a travaillé en classe et qu’on regardait un peu tous les petits détails un peu cachés, enfin, ça m’a plu de chercher un peu toutes les petites subtilités de l’écriture de Flaubert. Bon, l’histoire était pas passionnante mais c’était pas une torture non plus.
Et quand tu dis « contrairement aux autres », c’est contrairement à la classe ?
Oui, à la classe.
T’as l’impression que ça leur a pas vraiment plu ?
(rires) Non. Et même par rapport, enfin quand on en parle à l’extérieur quand on a su qu’on allait lire Madame Bovary, c’était pas trop la joie, quoi.
Et…est-ce que tu connaissais déjà la fin quand tu l’as lu pour la première fois ?
Euh, j’me souviens…enfin, je sais qu’on m’a spoiliée, mais si, je crois que si je connaissais la fin.
Et qui t’a spoilée ? Est-ce que c’était des camarades ou est-ce que c’était plutôt des profs ?
J’me souviens plus. Je sais pas.
Et finalement, est-ce que tu t’es… est-ce qu’il y a des personnages auxquels tu t’es identifiée ou… ?
Pas trop. En même temps, y’a pas trop de personnages je trouve qui donnent envie de s’identifier trop mais euh…non.
Et dans les petits détails que t’as remarqués, y’en a que tu as envie de souligner, des choses qui t’ont frappée ?
Par exemple, ben l’ironie de Flaubert par exemple, enfin la façon dont il se moque de ses personnages mais en subtilité, je trouve ça assez drôle.
Oui, c’est vrai que c’est drôle. Et donc tu as ri quand tu as lu Madame Bovary ?
Ben, j’ai pas ri, mais j’ai souri, enfin…
D’accord. Et est-ce que tu lis beaucoup en dehors des cours ?
Ben, j’avais un peu arrêté de lire mais je m’y suis un peu remis et depuis le début de l’année là, je me suis remis un peu à lire.
Quand tu dis que t’as arrêté, c’était à quel moment ?
Par manque de temps, ben là, ces dernières années. Enfin, quand je suis arrivée au lycée, j’ai un peu arrêté.
Tu lisais beaucoup quand t’étais au collège ?
Ben, pas énormément mais j’aimais bien, enfin, je passais quand même du temps à lire, oui.
Et tu choisissais tes livres comment ?
Avec la couverture (rires), si c’était joli et puis je lisais le résumé aussi. Mais comme pas mal de genres m’intéressent…
Tu allais en bibliothèque ou… ?
Oui.
Et au lycée, tu lis encore des livres pour toi, enfin que, tu choisis ?
Oui, ben là depuis je me suis remis un peu à lire, du coup c’est vraiment… enfin, j’ai lu quelques livres pour le lycée mais sinon la plupart c’était pour moi.
Comme quoi par exemple ?
Alors, j’ai lu…pour le lycée, j’ai lu L’Adversaire de Carrère.
Ça c’était les profs qui t’ont demandé de le lire ?
Oui, enfin, on avait le choix entre Le Royaume et L’Adversaire, donc Le Royaume, il est bien gros donc je me suis dit que j’allais lire L’Adversaire. Euh… Dr Jekyll et Mr Hyde, j’aime bien lire en VO, du coup les livres en anglais, si je peux, je les lis en VO. Euh, Zola, parce que j’avais détesté en seconde et je voulais voir si c’était aussi horrible que dans mon souvenir, et j’ai bien aimé.
Lequel ?
Au bonheur des dames. Euh…Qu’est-ce que j’ai lu d’autre ? Ah, Yasmina Khadra. L’Adversaire. Et là, je suis en train de lire Mademoiselle… Madame Chrysanthème.
Et ça c’est pour le lycée ?
Ben, en fait, j’ai un oral à faire dans pas longtemps, et il y a une question qui peut être posée qui est : « Quel est le nom d’un livre que vous avez lu ? », donc j’essaye d’avoir un bon livre…
Et est-ce qu’il y a d’autres livres que t’as lu en dehors ou d’autres choses que t’as lu en dehors qui sont vraiment pas liés au lycée ?
Ben là les livres que j’ai…à part Madame Chrysanthème, c’est des livres que j’ai lu pour moi.
Pour toi. Et t’en avais entendu parler comment ?
Alors, Dr Jekyll et Mr Hyde on en a parlé un moment entre amis et je me suis dit que c’était un peu un classique, enfin que tout le monde connaît, et que je l’avais pas lu.
Et ça t’a plu ?
Ouais, c’était sympa. Enfin, j’aime à peu près tous les livres en général.
C’est vrai ?
J’suis pas trop difficile (rires).
Comme Madame Bovary ? (rires)
…et, je sais plus, c’était quoi.
Euh, L’Attentat de Yasmina Khadra ?
Ah oui, ça c’est … enfin je sais que y’a des gens de la classe qui étaient avec Mme N. en seconde et qui l’avaient lu et donc, j’ai lu ça aussi. En plus, c’était après les attentats et on avait fait une sorte de… enfin, avec la classe, de… liste de livres par rapport aux attentats du coup, et j’en avais parlé et du coup je me suis dit que je pouvais le lire aussi.
Et ça t’a…par rapport à ce qui se passait dans l’actualité, enfin, ça t’a fait réfléchir ou c’était séparé ?
Ben, pas forcément, ça m’a pas fait penser à ce qui se passait en France précisément, mais sur le sujet, comme c’est la Palestine, ça m’a fait penser, enfin j’ai plus pensé pas au… j’ai bien aimé parce qu’il présente pas juste le bon côté et le mauvais côté, mais comme les… ses caractères, ils sont un peu entre les deux, mais qu’il est un peu israélien, un peu palestinien d’un côté, et du coup, on voit un peu pourquoi les uns font ça et les autres font ça quoi. Donc ça présente de manière assez objective, je trouve. C’est intéressant pour comprendre.
Oui, c’est vrai. Ça fait réfléchir, en fait ça nous fait nous positionner dans une autre position que la nôtre.
Oui.
Et tu disais… oui, au lycée tu t’es mis à… c’est vraiment au lycée que t’as moins lu ?
Ben au fur et à mesure que j’ai grandi, moins je lisais.
Et quand tu disais « par manque de temps », c’est parce que tu fais quoi à la place ?
Ben, euh, soit, ben des fois je sors, ou des trucs du lycée, ou des fois je suis sur mon ordi et je pourrais lire mais j’ai la flemme donc …
Et est-ce que c’est important pour toi de lire ?
Oui, quand même. Enfin, c’est toujours enrichissant. Quand je lis pas, ça me manque pas plus que ça mais quand je lis, je me dis : « Mais pourquoi j’ai pas plus lu avant ? »
C’est très courant de lire moins à partir du lycée, c’est pour plein de raisons. C’est aussi souvent parce que c’est le moment où on commence à avoir le droit de sortir, donc voilà, on passe plus de temps avec ses potes que à lire, ce qui est pas forcément négatif mais euh… Et est-ce que tu trouves que dans la manière dont on enseigne, ça change à un moment ?
Notre façon de lire ?
Oui. Est-ce que t’as été influencée ou est-ce que…
Ben, pas vraiment, parce que les livres qu’on lit au lycée, c’est pas du tout le genre de livres que je vais aller lire par moi-même. Donc, enfin, ça, je pense que si on n’aime pas lire les livres qu’on lit au lycée, c’est pas ça qui va nous pousser à lire, parce que c’est pas… enfin, c’est souvent des classiques qui sont un peu durs, enfin, quand on les étudie au collège et que ça nous intéresse pas trop, c’est pas trop approprié à notre âge du coup je trouve que c’est pas super motivant mais à part ça…
Et tu trouves que c’est la même chose au collège et au lycée en fait ?
Ben, au lycée, comme on grandit, ben par exemple Madame Bovary, je pense que, ben, enfin comme Zola plutôt, j’aurais commencé Zola maintenant, j’aurais plus aimé que en seconde. En fait, je suis contente de m’y être replongée pour ne pas détester Zola jusqu’à la fin de mes jours.
C’était important pour toi de ne pas détester Zola ?
Oui, quand même, parce que c’est quand même un auteur culte et comme il est super… enfin, il décrit plein de choses dans ses livres et c’est quand même intéressant donc euh…
Et est-ce que …est-ce que quelquefois, tu disais que quand tu lis des livres en dehors du lycée plus pour toi peut-être que tu t’identifies ou t’arrives à voir les choses différemment, est-ce que ça t’arrive avec des livres que tu dois lire pour la classe, par exemple Madame Bovary ? Est-ce que y’a des moments où tu as ressenti une émotion forte ou est-ce que t’as eu l’impression, oui c’est ça, de t’attacher à des personnages ?
Pas vraiment, parce que pour les livres qu’on a lu, là, Œdipe et Madame Bovary, quand je les ai lus pour la première fois, je me suis plus dit : « Je vais en finir avec ça » sans vraiment chercher à rentrer dans l’histoire. Donc euh… pas plus que ça.
Est-ce qu’il y a des personnes qui t’ont vraiment énervée dans Madame Bovary ?
Ben, y’a pas… personne m’a rendue rage de folle euh, folle de rage, mais… les personnes qui sont énervants, ils sont tellement ridicules que…
Ils font rires ?
Oui, voilà, c’est pas…
Comme Homais par exemple ?
Oui, comme Homais ou, bon Lheureux, c’est autre chose parce qu’il est pas forcément ridicule, il est juste mauvais en soi, mais… je me suis pas trop attardée à ça.
Et t’as bien aimé étudier, enfin ce que vous aviez étudié en classe sur Madame Bovary ? La manière dont le cours était fait ?
Oui, oui.
Et si toi tu devais enseigner Madame Bovary, tu ferais pareil ou… ?
Je pense, oui. Ben, je sais pas trop comment faire autrement. Oui, montrer ce qui est intéressant dans Madame Bovary justement. Pourquoi est-ce qu’on le classe dans un class…enfin dans un livre, dans un chef d’œuvre.
Et tu penses que c’est un chef d’œuvre, toi ?
Euh… je sais pas. Enfin, c’est un monument de la littérature française mais…
Mais est-ce que tu penses que c’est justifié que ce soit un monument ?
Ben, c’est justifié dans le sens où c’est une écriture vraiment recherchée et vraiment… enfin, c’est un beau livre quoi. Après, c’est pas forcément le but de faire une histoire palpitante aussi mais… je pense que c’est un livre vraiment intéressant par rapport à tout le travail qui est derrière.
Et tu penses que c’est un livre qu’on peut avoir du plaisir à lire ? Bon, toi tu dis que t’as eu du plaisir à lire les petits détails mais est-ce que tu penses que c’est un livre où on peut avoir du plaisir à lire juste l’histoire, l’aventure ?
Euh, je pense qu’on peut. Enfin, ça dépend des personnes après, on peut aimer juste comme ça. Enfin moi, c’est pas ce que je préfère mais…
Et si t’avais eu à choisir ce qu’il fallait lire pour le bac, qu’est-ce que t’aurais mis au programme ?
Je sais pas…euh…je sais pas trop, j’ai pas trop d’idée.
Et est-ce que tu trouves ça dommage qu’on vous impose des livres ?
Ben, je pense que c’est bien qu’on découvre des livres qu’on n’aurait pas forcément pu lire mais ce que je trouve dommage, c’est que ce soit un peu toujours le même genre.
C’est-à-dire ?
Ben, je sais pas y’a toujours des classiques. Au collège, enfin au collège, y’a vraiment beaucoup de classiques. Après au lycée ça a un peu changé mais je pense que c’est aussi parce que je suis en L. On a fait des livres plus récents sur d’autres… par exemple on a fait…on a étudié Marguerite Duras. Bon j’ai pas trop aimé non plus mais ça changeait au moins. Et aussi on a lu Camus, ça c’était bien. C’est plus récent aussi, ça parle plus quand même. C’est moins dur à lire que un livre…
Comme Madame Bovary ?
Ben, ça va aussi, mais par exemple un livre vraiment avec une… les vieux livres d’il y a plusieurs siècles où l’écriture est très… enfin, pas comme l’écriture actuelle.
Le XVIIe siècle par exemple ?
Oui, voilà, par exemple. C’est pas la même façon de parler et du coup faut relire trois fois la phrase avant de comprendre le sens et c’est plus difficile de se mettre dedans.
Est-ce que…est-ce que t’as compris pourquoi Madame Bovary, elle agit comme ça, elle vit comme ça ?
Euh, oui. Enfin, dans sa personnalité, ça peut être compréhensible. Elle veut plein de choses et elle a rien et elle est désespérée, du coup elle se jette totalement dans ce qui pourrait la rendre heureuse et à chaque fois ça casse, du coup elle est toujours, elle va toujours de plus en plus au fond du trou. Du coup, oui, c’est compréhensible pour elle.
Tu penses qu’il existe des Madames Bovary contemporaines ?
Je pense oui. Oui, oui. Enfin c’est, comme… elle est malheureuse quoi, ça pourrait arriver pour tout le monde.
Et elle a quel âge pour toi Madame Bovary ?
Euh…je la vois avec une vingtaine d’année.
Elle est jeune…
Oui.
Presque votre âge en fait. Moi personnellement, quand je lis des classiques, j’ai toujours l’impression que les personnages sont plus vieux que moi, même s’ils sont plus jeunes en fait…
Et j’avais une question à te poser, alors que je pose à tout le monde, à tous les étudiants parce que je vais écrire un article pour la revue Flaubert et le thème, c’est « Flaubert et la prostitution » Et je pose la question : « Peut-on lire Emma Bovary comme une prostituée ? » Et j’aimerais avoir ton opinion là-dessus.
Non, moi je pense pas, parce qu’elle aime vraiment ses a… enfin… pour Rodolphe en tout cas, elle l’aime vraiment, et elle cherche pas forcément le profit derrière, quoi. Elle espère, enfin, c’est un peu l’homme de ses rêves, donc elle espère vraiment quelque chose de la relation, elle espère vraiment être heureuse avec lui donc euh… je la vois pas comme ça.
Parce que dans le texte il y a parfois comme des petites fuites imaginaires de Flaubert. Par exemple, à la fin, la visite avec Guillaumin où le notaire lui dit : « Ok, si tu couches avec moi, je te donne de l’argent ». Et elle dit non, très fortement mais après, elle semble s’interroger sur cette décision. Et puis, il y a des remarques dans le texte où on sent que les personnages masculins voient Emma presque comme ça.
Elle les attire, elle fait un peu tourner la tête. Moi, je la vois plus… C’est bizarre parce que je la vois un peu comme innocente alors qu’elle l’est pas forcément mais elle a l’air tellement perdue… Bon d’un côté elle l’est pas parce qu’elle a un côté assez fort où elle domine un peu mais je la vois pas trop comme une manipulatrice, je dirais plus « en proie à ses sentiments », du coup elle contrôle pas trop ce qui lui arrive et elle se laisse porter. Je la vois plus comme ça.
D’accord. Et tu voulais rajouter certaines choses ?
Non, c’est bon.
Et bien, merci.
Entretien n°4
Cécile, 17 ans, pas d’information sur son admission au baccalauréat.
Profession du père : directeur financier d’une entreprise d’investissement ; profession de la mère : cheffe et propriétaire d’un restaurant.
Du coup, alors peut-être que… je peux vous poser cette question-là , quand vous vous êtes inscrite pour faire les entretiens, est-ce que c’était parce que vous aviez envie de parler de quelque chose en particulier ou… ?
Euh…pas forcément. J’aime bien parler (rires), vous allez vous en rendre compte. Mais non, non, j’aime bien, réfléchir avec des gens…
D’accord. Et sur le livre Madame Bovary, vous avez des remarques à faire ?
Alors moi j’ai un peu une relation difficile avec ce livre parce que j’ai commencé à le lire, enfin à essayer de le lire vers la 4e, parce qu’on me l’a mis entre les mains je pense, enfin, je m’en rappelle plus trop. Et j’ai détesté ! (rires). Mais vraiment, hein, j’ai essayé, pourtant je pose pas facilement les livres, j’aime bien lire, j’aime beaucoup ça, et j’ai essayé, j’ai essayé, j’ai essayé, je pense que j’ai dû lire cinq fois les cent premières pages, ça passait pas donc j’ai abandonné, sur deux ans, hein, j’ai essayé et j’ai abandonné ! Et quand j’ai appris qu’on allait étudier Madame Bovary en terminale, j’ai… (serrement de dents)… voilà… je me suis dit : « C’est pas possible, j’ai jamais réussi à le lire ». Et puis en étant obligé de le faire, donc en lecture autonome, j’ai lu pendant l’été en fait, ça allait. Bon après c’était pas forcément des bons souvenirs. Aussi, je pense que forcément, quand on cristallise un truc sur un bouquin, après c’est compliqué de s’en sortir… donc passées les cent premières pages maudites, ça allait mieux ! Et en l’étudiant, au fur et à mesure, bon je dirais pas que c’est mon livre préféré hein, je trouve que c’est toujours un peu lourd… pfff, j’suis pas… pourtant, moi j’adore Zola, le réalisme, etc., ça, j’adore, mais alors Flaubert, et particulièrement Madame Bovary, mmm… Et donc il y a des passages que je trouve vraiment beaux, après y’a d’autres passages… et puis il y a des passages longs surtout…
Est-ce que vous pouvez en citer ou… ?
Euh, alors, j’adore les descriptions, dans tous les bouquins. C’est bizarre parce que du coup, ça va être, comparé aux autres, je pense que ça va pas être la même chose. Donc quand on arrive au deuxième, à la deuxième partie du livre, quand ils arrivent à… J’ai même plus le nom…
À Yonville.
À Yonville, et qu’il décrit, moi j’adore ça, quand on décrit les paysages, même les personnages, à chaque fois qu’il y a des descriptions, j’aime bien… mais dès que c’est… j’trouve que les dialogues sont lourds, que c’est pas assez, enfin, je sais pas, j’trouve pas ça assez léger en fait… je trouve que c’est trop dans les… je sais pas, j’arrive pas à trouver les… j’arrive pas à voir le mouvement dans son livre, en fait. J’arrive pas à voir les gens bouger, j’arrive pas à voir… mais c’est toujours que la description est belle, mais après ça bouge pas quoi. C’est un dessin.
Oui, c’est intéressant…. et quand vous dites, bon c’était quand même des souvenirs un peu douloureux, ce livre, en quel sens ?
Euh, alors, j’ai pas l’habitude d’avoir du mal à lire en fait. Je pense que c’est ça surtout, c’est la frustration. Parce que je lis vite, je lis très très vite, et quand j’arrive pas à aller vite, c’est frustrant, et du coup je me mets encore plus la pression pour lire vite, et ça marche pas, parce que y’a des livres qu’on peut pas lire vite apparemment…parce que y’a pas de mouvement, je pense que ça se rejoint. Mais je pense que c’est ça, c’était le fait de pas y arriver, de pas arriver à être dedans, ça m’arrive très rarement en fait, avec pas, pas beaucoup de livres. Et en général, j’peux dire : « Ah, non, il est pourri ! » et tout le monde dira : « Ah ouais, il est pourri ! » et alors là, on pouvait pas dire qu’il était pourri, c’était Flaubert donc… ah, c’était assez compliqué ! En plus, j’avais un professeur qui m’aimait beaucoup, et j’avais essayé d’en parler parce que je parlais pas mal avec mon professeur de français en troisième, et il avait pas trop compris ce que je voulais dire (rires gênés). J’me sentais seule ! mais voilà, j’pense que c’est ça, c’est de la frustration en fait.
Et ça vous ferait ça avec n’importe quel livre que vous essayeriez de lire et que vous n’arriveriez pas à lire ?
Je pense pas, j’pense que comme Flaubert, c’est vraiment un écrivain qui est connu, reconnu, et qu’on en parle, et qu’on l’étudie, ça donne envie, moi, j’suis bonne élève en fait, donc j’aime bien, bien aimé, enfin, pourtant j’ai un esprit de contradiction mais euh, j’pense que j’ai un peu un côté bonne élève et je pense que ne pas arriver à lire un livre que tout le monde encense…
Est-ce que tout le monde encense Madame Bovary ?
Ben, dans les professeurs, tout ce qui est professeurs, etc., oui. Alors, notre âge, non, mais euh, c’était moins euh, c’était plus l’autorité, etc. Mais non, ouais, c’est quelque chose que, vraiment j’ai du mal, j’aime toujours pas Flaubert, et quand j’en parle, avec un peu plus de recul, parce que je suis quand même un peu plus…grande, un peu plus, ben non, les gens, ils comprennent pas ou alors ils disent :« Oui, mais c’est parce que tu lis mal, oui, c’est parce que tu vois pas la beauté de la chose etc. ». Non, je vois pas.
Et les gens, c’est vos profs ou c’est… ?
C’est, ben là, j’peux plus en parler avec mes camarades parce que bon, tout d’abord ils l’ont lu, et en plus, c’est des littéraires, donc ils lisent, mais à l’époque, moi j’avais pas d’amis qui lisaient en fait, donc je pouvais pas trop en parler avec des gens de mon âge, j’avais pas le même ressenti, enfin, ils lisaient pas, ou ils lisaient pas les mêmes choses. Moi, j’ai commencé à lire des classiques tôt, pas parce qu’on m’a… parce que c’était ce que je trouvais en fait chez mes grands-parents, partout, donc euh… donc je lisais ça, et j’aime beaucoup le dix-neuvième en plus, donc je lisais beaucoup ça, et j’lis toujours beaucoup ça. Et j’avais pas grand monde à qui parler et donc je parlais avec les profs, enfin, ça fait très triste, parler de littérature, avec mes parents, qui sont pas trop classiques d’ailleurs, c’est plus mes grands parents. Et non, j’ai toujours eu une opinion, on m’a toujours dit que « c’était bien », que voilà, que « je comprendrais plus tard », ça aussi, la phrase : « Tu comprendras quand tu seras plus grande », « Ah, tu vas voir, tu vas l’étudier, peut-être que tu vas l’étudier cette année, ça va être génial, tu vas voir » !
Et est-ce que vous aimez la manière dont vous l’étudiez, en dehors du fait que le livre bon voilà… ?
Ouais, mmm, bon déjà, la professeure, moi je la trouve assez… enfin, c’est très agréable de l’entendre en parler. Justement, je trouve qu’elle a un avis plus partagé que le reste des professeurs que j’ai eus sur Flaubert. Après, c’est peut-être moi qui me fais des idées, peut-être que je projette, mais j’ai l’impression que elle fait… enfin, on comprend… j’ai plus l’impression de me retrouver dans ce qu’elle dit que dans ce que mes professeurs me disaient avant… mmm… après, c’est toujours délicat pour moi lire un très grand livre pendant un très long temps. Comme je dis, en fait, j‘suis un peu boulimique, je lis vite et puis je passe à autre chose. Pourtant j’adore relire, c’est assez, ça c’est paradoxal, j’adore relire mais par contre il faut que je lise vite et que je relise vite, et passer six mois sur la même chose, ça me… c’est un peu long.
Et les axes d’étude, ça vous a intéressé ? L’angle d’approche ?
Ben justement, comme on suit pas trop le cours du livre, ça permet de découvrir des passages qui sont en dehors de l’intrigue, ou en dehors vraiment, littérairement parlant. Ça, ça se dit pas, n’est-ce pas ? Si, si ça c’est intéressant. Après… après, vraiment, j’ai l’impression qu’on repasse toujours un peu les mêmes choses, c’est un peu long je trouve.
Et vous lisez en dehors des œuvres au programme ?
Ouais. Ouais, ouais. Là en ce moment, je suis en train de lire un livre qui s’appelle… c’est sur les Etats-Unis… les années trente aux Etats-Unis, et ça s’appelle …euh…Le Cœur est un chasseur solitaire, je crois que c’est ça.
Ça ne me dit rien.
Non, mais en fait, j’ai une manière assez étrange de lire, c’est que j’ai… ma mère et mes grands-parents et mes parents ont des bibliothèques et je pioche, en fait. Et donc j’ai pioché, je sais pas du tout, j’me rappelle jamais de l’auteur, je suis vraiment incapable en général, de parler et de dire : « J’adore ce livre mais je sais pas qui c’est ». Après j’ai, euh, je lis, ben comme je disais, Zola, bon c’est … donc en ce moment , je suis en train de relire, parce que j’ai lu les Rougon-Macquart. Après j’pense qu’il y en a deux ou trois, Le Rêve, je l’ai pas lu mais c’est pas les Rougon-Macquart. Mais euh…si, si, j’aime beaucoup lire, je suis capable, si j’vais dans un endroit, en fait c’est par phases aussi, donc si je vais en vacances et qu’on est dans une maison et qu’l y a des bouquins, j’vais les lire…
Et vous les choisissez comment ? C’est le titre ? La couverture ?
Je sais pas du tout, en fait, je pense que c’est vraiment comme ça, il est devant moi, et donc je vais l’ouvrir. Ou je vois quelqu’un lire aussi, j’aime bien voir les gens lire, donc du coup… et puis, ça se voit, quand quelqu’un lit un livre et qu’il a l’air bien donc je le prends. Euh, voilà je pense que c’est comme ça. Rarement, c’est, euh, je lis rarement ce qu’on me conseille de lire. Enfin, j’vais pas… j’achète rarement des livres d’ailleurs, j’vais pas dans les librairies etc., c’est vraiment ce que je trouve. Donc, en fait, on lit un peu tout et n’importe quoi parce que ça dépend de ce qu’il y a.
Et par rapport à… est-ce que vous avez la même pratique de lecture par rapport aux livres qu’on vous demande de lire en classe ?
Euh, ça dépend des livres.
Oui ?
Ouais, voilà, je pense que ça dépend des livres… euh… l’année dernière, on nous demandé de lire Rabelais, Camus, donc vraiment très différents… alors, Rabelais, euh voilà Gargantua…en fait, en l’étudiant, là justement c’est un livre, en l’étudiant, ç’est plus intéressant. Alors sur le coup, justement, c’est un livre qui demande du temps, et c’est vraiment paradoxal parce que j’suis capable de lire des journées entières mais euh, y’a des bouquins, c’est pas possible. Et par contre Camus, j’ai pris autant de plaisir à lire du Camus, en plus c’était une pièce de théâtre, c’était Caligula, que lire un livre que je… pfff… en fait, oui, en plus y’a des livres que j’aime pas lire même si on me demande pas de les lire en fait mais j’me sens pas obligée de les finir.
Vous vous sentez obligée de finir les livres ?
Ouais, j’me sens obligée de finir les livres, comme ça j’peux dire que c’est nul (rires). Je pense que c’est ça. Comme je lis vite en plus, ça me prend pas trop de temps. Et puis par contre, quand c’est vraiment vraiment nul, quand c’est mal écrit, ça me dérange.
Comme quoi par exemple ?
Comme beaucoup de livres que les gens lisent à mon âge. Enfin, à mon âge, ça va mieux, mais avant. Comme tout ce qui est, tout ce qui est euh… mal traduit, ça me dérange beaucoup. Euh, j’ai mon petit frère qui lit une série qui s’appelle Chérube… je sais pas si ?
Oui, mon petit frère aussi.
Ouais, voilà. Euh, j’ai essayé, comme je dis, ça devait être en vacances, j’ai dû piocher le livre et en vrai, l’intrigue est pas mal mais alors c’est très mal écrit, donc j’ai pas pu finir… euh, les livres comme ça, quand c’est mal traduit, quand vraiment il y a des fautes de style, et puis, quand ils prennent les gens pour des cons aussi, ça m’énerve. Quand c’est des trucs ciblés genre « filles de 14 ans », j’me souviens on m’offrait ça quand j’étais petite, enfin, quand j’étais petite…
Vous voulez dire, quand les gens qui vous offrent des livres vous prennent pour… ?
Ouais, ben, je sais pas s’ils ont lu les livres donc je sais pas s’ils me prennent pour une imbécile, mais le livre me prend pour une imbécile. Genre tu es, tu as cet âge, tu es comme ça, donc du coup tu dois être comme les personnages de ces livres. Enfin quand c’est un peu trop quand on essaye de… enfin, quand le lecteur, enfin le personnage ressemble au lecteur, enfin, je sais pas comment expliquer mais…ouais.
Oui, je comprends ce que vous voulez dire. D’adapter le contenu du livre à la personne qui va le lire.
Ouais, voilà
Comme si vous ne pouviez lire qu’un seul type de livre…
C’est ça, ça, ça m’énerve. Mais vraiment, je le prends très personnellement, c’que je devrais pas mais je peux pas.
Et quand un livre vous plait, qu’est-ce qui vous plait ?
Alors souvent, j’ai une phrase qui me saute aux yeux ou un truc que je vais me souvenir, et puis j’ai un peu l’histoire qui reste… en fait, j’ai été… j’ai grandi, j’avais la collection de l’Ecole des loisirs, j’avais toute la collection, en plus comme je lisais vite… et je les vois encore maintenant, enfin, je les ai, ils sont pas dans ma bibliothèque, quand je les vois, je me rappelle de la période à laquelle je les lisais, etc. Et je pense que, quand l’histoire arrive à rentrer dans ma vie à moi, enfin, vraiment, quand l’histoire, quand le personnage, quand une phrase, en fait voilà, c’est quand ça pénètre ma vie à moi. C’est assez bizarre, c’est soit le personnage qui, j’peux encore y penser maintenant, en voyant quelqu’un, j’me dis : « Ah ben, tiens, il ressemble un peu », soit la phrase qui vient, sans faire exprès, sous ma douche, j’ai une phrase qui revient dans ma tête, et ben, les livres que je préfère c’est les livres vraiment qui sont… j’aime beaucoup comme je disais, les descriptions, mais surtout les descriptions des personnages et je trouve que le regard d’un auteur sur un personnage c’est très important et c’est pour ça que j’aime beaucoup Zola parce que je trouve que ses descriptions sont très poussées sur les personnages… C’est très incohérent ce que je suis en train de dire, je suis désolée.
Non, non si, si, je comprend ce que vous dites. Et quand vous dites « le regard d’un auteur sur un personnage », c’est le regard à la fois physique et moral ?
Oui, à la fois physique et moral. Ben du coup, ça passe souvent par une description physique mais on sait que le physique c’est un peu la description morale aussi. Mais c’est comme un peu la photo, moi, j’ai une amie qui prend des photos, et on sait, moi je reconnais quand c’est une de ses photos, elle a un regard particulier sur quelque chose. Mais je trouve que c’est la même chose. Bon là, c’est des personnages qui sont fictifs donc en plus il y a non seulement le regard du… mais en plus, c’est le personnage qui vient à lui, donc j’imagine que euh, voilà. Mais vraiment ce regard particulier sur les choses qui m’intéresse. Et quand un auteur écrit plusieurs livres, j’aime bien retrouver… retrouver ce regard.
D’accord. Et Flaubert vous diriez qu’il a quel regard sur ses personnages ?
Je trouve que c’est clinique.
Clinique ?
Ouais. Je trouve que c’est clinique, je trouve que c’est… ben pareil, on dirait qu’il écrit un tableau, comme je disais tout à l’heure. Vraiment, y’a pas de relief en fait, j’ai pas l’impression qu’il écrit quelqu’un qui existe. « Qui existe », ben non, pas « qui existe » mais, parce que j’adore les versions très romanesques, hein, j’aime bien, mais pas quelqu’un qui… je sais pas.
Qui vit ?
Voilà, qui vit. J’ai l’impression, ouais, il vit pas, enfin, c’est pas…
Pourtant, il y a des moments où Emma… enfin, il y a aucun moment où Emma vous a touchée ?
Mais j’ai vraiment un problème avec le personnage d’Emma aussi.
Mais c’est intéressant que vous disiez ça parce que je pense que vous avez raison, l’écriture de Flaubert fait qu’on est toujours à distance… donc en fait on a du mal à…
Ben, ça devenait pas ma vie en fait, ouais voilà c’est ça, c’est pas, c’est une femme à livres et je vais pas y penser. Bon, c’est malheureux, je devrais y penser (rires), y’a le bac dans un mois et demi mais…
Vous n’êtes pas obligée d’y penser. Avec le bac, vous pouvez penser à la manière dont Flaubert a écrit son œuvre…
Oui, mais je trouve ça triste, en fait.
Et Emma, elle vous a… quand vous dites que vous avez un problème avec Emma, c’est pourquoi ?
Je trouve qu’elle est… moi elle m’énerve en fait. Je sais pas, c’est un truc qui me… comme j’aime pas certaines personnes, je saurais pas expliquer pourquoi. Je sais pas, y’a un truc qui m’embête. Elle pleurniche. Elle pleurniche beaucoup.
Et vous comprenez pourquoi elle pleurniche ? Est-ce que vous lui donnez des raisons ?
Ben, j’pense que j’aimerais pas avoir sa vie hein, très concrètement. Ça me ferait pas… comme je le disais, le dix-neuvième siècle, j’aime beaucoup mais j’aimerais pas vivre dedans ! Alors, la littérature du XIXe siècle, j’aime bien, pour les femmes, c’est horrible ! C’est horrible. C’est… ça dépend… en plus c’est tellement aléatoire, ça dépend vraiment d’où on tombe, d’ou on est, avec qui on va être mariée. C’est sûr qu’elle a une vie horrible ! Après, l’écouter pleurnicher pendant cinq-cent pages… malheureusement, je pense que je n’ai pas assez d’empathie pour elle ! de… d’ « empathie », si, c’est ça. J’allais dire d’« antipathie », donc comme quoi, le lapsus… ouais, non je sais pas, ça me… et puis je trouve qu’elle fait pas… prend pas les bonnes décisions, ça m’énerve ça aussi. Comme je ferais pas la même chose, ça m’énerve et puis… oui c’est justifié mais… Pourtant, il y a plein de trucs horribles, dans les Zola, c’est horrible ce qui se passe aux personnages, ils pleurnichent aussi, mais parce que… ils meurent, parce que…
Peut-être que Flaubert ne nous donne pas la permission de plaindre Emma. C’est dans l’écriture en fait, c’est pas dans le… si Zola avait écrit un personnage comme Emma, on aurait peut-être plus mal pour elle.
Oui.
Ou au contraire, on l’aurait beaucoup… encore plus jugée peut-être.
Ben, les mal mariées, c’est…ben, Gervaise, mal mariée deux fois en plus. Enfin, vraiment, je trouve que c’est un peu la même histoire, enfin, genre, elle essaye, elle essaye et puis elle y arrive pas quoi, et pourtant moi j’adore ça…
Et pourtant Emma, c’est une lectrice, comme vous ?
Ouais, c’est pas une lectrice… c’est une lectrice, c’est, c’est … je sais pas… ouais, mais j’ai pas forcément… j’aime bien les lecteurs, c’est vrai que quand je vois quelqu’un qui lit dans le métro un livre que j’aime bien, ça j’aime bien… mais sinon… elle m’énerve. C’est physique.
D’accord. Et vous avez toujours aimé lire ?
Oui
Toujours à l’école ?
Ouais, ouais, j’ai toujours… mais je pense que je viens d’une famille où c’est facile aussi, on m’a toujours, on m’a mis des livres dans les mains, même devant moi et puis c’est… apparemment mes frères et sœurs aussi donc, euh… ouais, ouais, non, j’ai toujours aimé lire et puis ça a toujours été, enfin j’ai toujours lu vite, j’ai toujours lu un peu plus… enfin des livres un peu plus… enfin qu’on disait « trop difficiles ». Et puis, je pense que c’est comme ça que j’ai un peu appris à réfléchir. Et puis, je lisais… moi quand j’étais en primaire, j’étais un peu dans la lune, dans mon monde , j’avais pas forcément beaucoup d’amis, j’en avais, hein, mais…donc je pense que, ouais, j’ai toujours été… j’étais la petite fille dans la cours qui avait son livre et qui relevait la tête, il y avait plus personne, parce que tout le monde était rentré, que ça avait sonné et elle avait rien entendu. Mais, euh, non, non, j’ai toujours aimé lire…
Et vous trouvez que la manière dont… ça vous a toujours plu la manière dont on étudie les livres en classe ?
Je trouve que ça dépend des professeurs, vraiment et j’ai eu de la chance de tomber sur des très bons professeurs… euh… ça dépend des années mais… j’ai pas… c’est marrant parce que j’ai pas eu le déclic, je me souviens en histoire, on a commencé l’histoire en CE2, j’avais une professeure géniale et j’adore l’histoire depuis mais je sais que ça vient de là… mais non, la littérature, je pense pas que ce soit l’école ni qui m’ait « rebutée », comme certains mes amis peuvent le dire, ni qui m’ait donné envie. Après, ça accompagnait. Je sais que l’année dernière, j’avais un professeur complétement fou mais génial, enfin, mais vraiment dans son monde, moi, j’adore, vraiment dans son monde, il fallait vraiment suivre, mais c’est génial ! Quand quelqu’un parle d’un livre, je trouve ça génial mais non, ça m’a jamais… euh… je pense pas que ça m’ait donné envie de lire, je pense que je lisais déjà. Et puis j’étais pas forcément, pareil, raccord avec ce qu’on me donnait à lire aussi, jusqu’en troisième, quatrième, où là on a commencé à lire des classiques, des livres un peu plus mais euh…après ça dépend des périodes aussi. Je me souviens la cinquième on a fait le Moyen Age, la littérature médiévale, waouuh , non !
Oui, Yvain et le chevalier au lion…
Ouais, ouais, ben c’est ça, typiquement, je me demande si c’est pas ça qu’on m’avait fait étudier…
Et quand vous dites un « classique », c’est quoi pour vous un classique ?
C’est très restreint, c’est horrible parce que en soi, y’a plein de classiques et puis ça veut rien dire, ça va revenir au XIXe, je suis vraiment monomaniaque, en fait, je sais pas. Mais en plus, je me fais un peu mes propres classiques je pense. Après, un classique, c’est les auteurs dont on parle. Pour moi, Flaubert, c’est un classique… euh, les Brontë, voilà, Balzac…
Est-ce que vous avez des classiques à vous, qui pour vous sont pas des classiques au sens …
Ouais, alors, La Mort du Roi Tsongor de Laurent Gaudé, que j’aime beaucoup. Ensuite, euh, pas forcément en fait. Oui, ben, tous mes Ecole des loisirs, pour moi c’est des classiques, ça s’est sûr
Ça veut dire qu’en fait, c’est des livres que vous allez relire ?
Ben, moi j’ai vraiment un système, c’est que je relis mes livres. Pour moi, ce serait hyper étonnant qu’on relise pas en fait. Enfin, je pense que c’est comme du coup, j’aime beaucoup lire et que c’était pas possible de suivre en terme de rythme, je devais relire mes livres, je pense que ça vient de là. Mais vraiment je pense que mes livres, je les ai, tous ceux-là, entre mes 8 et mes 13 ans, j’les ai relu cinq fois, hein, mes livres, et puis je les connais par cœur du coup. J’adore mes livres, j’adore relire mes livres. Et puis je trouve que c’est beau de relire un livre.
Et vous découvrez de nouvelles choses quand vous relisez ?
Ça dépend en fait, ça dépend si je relis… parce que, moi, je suis capable de relire sur la même semaine donc là, pas forcément. Après, j’adore retrouver des choses. Après, oui, y’a des livres que j’ai lus sur quatre-cinq ans et je suis plus capable de les relire là, mais je suis sûre que je serai capable de les relire, et là, oui, on découvre des choses et on se dit, c’est marrant la manière dont on pensait à cet âge-là et la manière, enfin, peut-être plus de choses sur moi et comment j’ai évolué, que ce qu’il y a dans le livre. Mais ouais, si, si… mais justement, retrouver aussi, c’est bien, j’aime bien.
Et on parlait d’Emma, et j’avais une question à vous poser, en fait je vais écrire un article dans une revue qui s’appelle la Revue Flaubert, le thème, c’est « Flaubert et la prostitution » et donc je vais écrire un article, et le titre c’est « Peut-on lire Emma Bovary comme une prostituée ? » Et je pose la question à tous les élèves que je rencontre, et est-ce que vous pensez qu’on peut lire Emma Bovary comme une prostituée ?
C’est marrant parce que je viens de lire Nana, y’a genre dix jours, donc c’est marrant, ça donne de la nuance. Non, je ne pense pas, je pense que… après ça dépend de ce qu’on appelle une « prostituée ». Je pense pas qu’Emma soit une prostituée, je pense qu’elle est un peu perdue, qu’on ne lui a pas donné les choses que… dont elle a besoin.
Oui, ce que vous voulez dire, c’est que pour vous, une prostituée c’est… bon, ben de toutes façons, c’est la définition à partir de laquelle je pars, c’est que une prostituée, c’est quelqu’un qui échange des faveurs sexuelles contre de l’argent ?
Oui. Ben… justement en ayant lu Nana, et puis, c’est un peu le même siècle, c’est pas forcément contre de l’argent, je pense qu’il y a aussi, c’est une question de statut, une question de… je suis pas sûre qu’elle soit… enfin si Emma change de statut, mais elle a pas pris ce chemin-là, elle s’est mariée déjà, ce qui n’arrive pas aux prostituées, ou alors tard. Elle s’est mariée jeune. Et puis, je ne trouve pas qu’il y ait un renoncement à la foi ou un renoncement… non, enfin, j’ai vu l’exposition, y’avait une exposition au Quai d’Orsay y’a pas longtemps sur la prostitution au XIXe siècle…où on voit les fastes, on voit… ça peut-être il y avait un côté qu’elle avait peut-être pas… enfin, une envie de monter dans la vie sociale mais je trouve que c’est tout le monde, pas forcément les prostituées et je trouve pas qu’elle ait choisi ce chemin.
Alors, je pose cette question là parce qu’il y a dans le texte à un moment une forme d’imaginaire de la prostitution autour du personnage d’Emma mais ça vient souvent des personnages masculins, c’est le regard des personnages masculins sur Emma, et notamment il y a la fameuse scène avec le notaire Guillaumin, qui lui dit très clairement « je vous prête de l’argent si vous venez dans mon lit ». Donc je pense que c’est quelque chose vers lequel pointe de temps en temps le roman mais sans se… peut-être plus en termes de travail de l’imaginaire que de…
Oui
Et c’est assez étonnant parce que c’est vrai que c’est souvent une réaction assez franche des personnes à qui je pose la question : « Non, c’est pas une prostituée ».
Oui, oui, oui où elle est… ben j’allais… en fait c’est peut-être très freudien, je pense que voilà, mais en fait comme Emma elle n’arrive pas à être une mère, peut-être qu’il y a ça aussi, l’image de « si t’es pas mère, t’es forcément…ben Marie Madeleine, Marie…etc. » Y a peut-être ça et puis de toutes façons, c’est le regard masculin sur la femme, au XIXe, c’est assez…
Oui, oui, dans la réception du texte, il y a carrément des… non seulement le réquisitoire qui dit que c’est une femme de mauvaises mœurs mais c’est aussi certains commentateurs, des journalistes, qui disent : « Elle est prostituée » au sens de « courtisane ». Mais je…j’ai envie d’avoir votre point de vue parce que je vais nourrir aussi mon interprétation de ce point de vue-là.
Mais surtout, j’ai jamais vu Emma… je trouve pas qu’elle soit vénale… c’est étonnant, hein ? mais je trouve pas qu’elle soit vénale, j’avais plus l’impression qu’elle est en recherche d’un truc… d’un statut, d’un bonheur, en fait finalement, d’un délice qu’il y a dans ses livres, etc., enfin comme on a pu l’étudier, mais je trouve pas qu’elle soit vénale en fait. L’argent c’est un peu un moyen, c’est pas forcément… et puis, ouais, non.
C’est-à-dire que son bonheur est associé à une certaine forme de statut social donc à partir de ça… mais c’est peut-être en effet pas la… d’ailleurs, elle dilapide son argent.
Oui, c’est vrai. Mais on peut être vénale et dilapider son argent. Mais, je sais, c’est pas une caractéristique que je lui mettrais. Pourtant je suis pas trop gentille avec elle mais je ne la trouve pas vénale.
D’accord. Est-ce que vous avez d’autres choses à rajouter ou ?
Non, c’est bon, je crois qu’on a fait le tour.
Entretien n°5
Léa, 18 ans, pas d’information sur son admission au baccalauréat.
Profession du père : change beaucoup, agent d’entretien des structures publiques dans la période de l’enquête ; profession de la mère : professeure des écoles.
Donc vous n’avez pas fait le journal de lecture mais vous aviez quand même envie de faire l’entretien. Pourquoi ?
Ben, parce que je me suis rendu compte quand même de l’évolution de mon point de vue sur Madame Bovary, euh, la première lecture que j’en ai faite et après les cours qu’on en a fait, et du coup je trouvais ça intéressant quand même parce que j’ai pas fait de journal de lecture par manque de temps mais j’avais quand même des choses à dire.
Donc, par exemple, l’évolution de ce point de vue ?
Euh, ben, du coup je me suis vraiment ennuyée quand j’ai lu le livre la première fois. Y’avait beaucoup de passages où j’accrochais pas du tout et où je voyais pas où il voulait en venir et j’avais l’impression de connaître déjà la fin avant même d’avoir lu le livre, et en fait, avec le… en étudiant vraiment le livre et qui est Flaubert, comment il l’a écrit, pourquoi, tout ça, ça m’a permis de beaucoup plus apprécier à la fois la qualité de l’écriture et de comprendre vraiment la patience qu’il a fallu et vraiment le travail d’écrivain derrière et puis aussi un peu d’apprendre aussi à rire de ce livre comme en riait Flaubert et du coup, ça m’a permis de beaucoup mieux comprendre le contexte dans lequel il a été écrit et qu’est-ce qui était le propos, au final.
Et vous dites, vous avez mieux compris certains détails… vous pouvez donner des exemples ?
Ben, déjà, il y a toutes les scènes avec les amants que sur le coup j’ai trouvé assez ennuyantes et que j’ai trouvé très, ben, « vieillot », un peu, parce que du coup, ça reste quand même, voilà, c’est, c’est quelle date ? mille huit cent…
1857
Ouais, voilà c’est ça, euh, 1857, donc ça date quand même un peu et puis en fait en lisant, en comparant avec les scénarios, on voit beaucoup plus que Flaubert voulait en dire beaucoup plus et justement, riait de cette, cette sorte de pudeur et de… et d’esprit bien pensant, et du coup, c’est vrai que quand on le relit, on voit qu’il a laissé passer des choses qui à l’époque ont fait que justement ce livre va en procès notamment, et ça a été très drôle à redécouvrir en cours et à comprendre comment est-ce qu’il contournait aussi un peu les interdits de l’époque, et voilà.
Et quand vous dites « rire », il y a des personnages qui vous ont fait rire ou des scènes qui vous ont fait rire ?
Ben, y’a des scènes, parce que déjà, on rit d’Emma Bovary, enfin moi en tout cas je ris d’elle, parce que, parce que y’a certaines… quand quand Flaubert se moque de ses élans romantiques tout ça, enfin, c’est très drôle, enfin. Et donc y’a toute cette histoire parce que au final quand on commence le livre, on sait déjà plus ou moins comment ça va se terminer et c’est drôle, d’un côté c’est tragique hein, de, de voir cette descente un peu et ce tourbillon mais en même temps, c’est très drôle parce que c’est… y’a des traits qui sont grossis et puis, à la fois c’est un personnage très fort, assez charismatique mais qui en même temps, paraît très stupide par certains aspects. Donc du coup, y’a le personnage d’Emma Bovary qui me fait rire. Du coup, c’est peut-être plus le personnage de Charles pour lequel j’ai beaucoup plus d’empathie même si il est un peu, voilà, il est un peu maladroit et drôle par certains aspects, j’ai beaucoup plus d’empathie pour Charles que pour Emma. Et après oui, les grossièretés de Rodolphe, la fausse naïveté de Léon et tout ça. Et c’est des personnages qui m’ont fait rire.
Et est-ce qu’il y a des personnages auxquels vous vous êtes identifiée ?
Euh, personnages auxquels je me suis identifiés, pas vraiment. Si ce n’est peut-être Justin, le petit. Mais c’est pas un personnage forcément important, enfin, très très important dans le livre. Mais sinon tous les personnages sont tellement grossis dans leur caractère et justement font tellement une critique aussi notamment de la bourgeoisie et tout que, non, je ne m’identifie pas du tout et c’est aussi ça qui me fait rire, c’est que je me sens distancée d’eux.
Et pourquoi Justin ?
Je sais pas, parce que c’est un des seuls personnages innocents de… totalement innocent de, du livre et que c’est un enfant, et que, et que… c’est…. je sais pas, ouais, c’est vraiment son innocence, et un peu, il est là, c’est pas de sa faute et puis il lui arrive des choses pas drôles parce qu’il croit qu’il a tué Emma alors que non, et du coup, je sais pas, c’est le seul personnage innocent qui m’a vraiment… avec lequel j’ai vraiment un rapport sans, sans, voilà, sans rire, sans rien, c’est juste un personnage.
Et vous jugez moralement… Emma est immorale ?
Non, non elle est pas immorale, mais elle est un peu cruche, enfin (rires). Je vois pas comment le dire autrement, elle est pas immorale, je juge pas sa conduite ni rien, et voilà, mais elle a… non, elle est pas immorale, je pense pas.
Quand vous dites qu’elle est un peu cruche, c’est dans quel sens ?
C’est qu’elle est, elle est… ça aurait pu se passer sa vie si elle était pas aussi dans le bovarysme et tout ça, et si elle attendait pas tant de choses de la vie et si, enfin, je sais pas.
Mais c’est pas le propre de la jeunesse ?
Euh, oui mais y’a une… après, ça, c’est mon rapport personnel à la jeunesse et à tous ces élans-là et tout, mais je pense que y’a aussi une sorte de lucidité, de savoir… de savoir que même si, ben, à la fois c’est la jeunesse et c’est très bien et c’est très beau mais y’a aussi un moment où faut… enfin… où faut profiter de ça tout en sachant que ça a peut-être une fin, tout en sachant que … où on va avec ça et elle, elle sait pas où elle va, elle est pas du tout, elle est pas du tout indépendante, elle dépend des autres et à ce moment-là, ça peut pas bien se passer, et quand on se repose sur les autres…
Est-ce qu’elle pourrait être indépendante ?
Je sais pas, parce que c’est un personnage de son époque, donc ça reste une femme de son époque et Flaubert parle aussi de ça, de la condition des femmes, donc je sais pas du tout si dans un autre temps elle aurait pu être indépendante ou si c’est totalement indénichable [sic] de sa personnalité mais, oui, à la fois elle veut plein de choses, mais en même elle se donne… enfin… elle attend toutes ces choses d’autres personnes, d’autres actions que les siennes.
Et vous aviez entendu parler de Madame Bovary avant de le lire ?
Oui. Ben j’ai voulu le lire en 4e et puis j’me suis arrêtée avant la fin de la première partie… parce que j’m’étais ennuyée… au bal de la Vaubyessard, juste avant l’arrivée à Yonville.
Et pourquoi en 4e ?
Parce que c’est ma mère qui voulait absolument que je lise des classiques. Elle a essayé de me faire lire beaucoup de classiques que j’ai jamais finis et que du coup, j’ai relu sans…au lycée…parce que je devais…
À cause des cours ?
À cause des cours. Mais oui, elle voulait que je lise Madame Bovary et voilà, j’l’ai lu.
Et vous connaissiez la fin quand vous avez… ?
Oui. Enfin, j’avais compris dès la première lecture en 4e qu’ elle allait se suicider à la fin, enfin, vraiment c’est le… y’a des livres de cette époque-là que j’ai beaucoup de mal à lire parce qu’on sent où vont les personnages, enfin une fois qu’il y a des schémas qui sont, qui sont assez… je sais pas si on peut dire que toute cette époque a des sortes de schémas de littérature avec des personnages comme ça qui finissent comme ça mais ça, ça m’étonne pas… enfin, quand on comprend le personnage, quand on voit un peu qui elle est, c’est écrit d’avance, et je pense que Flaubert voulait le montrer aussi d’une certaine manière et c’est ça qui m’a aussi énervée quand j’ai lu le livre, c’est que je connaissais la fin et du coup j’étais : « Mais ça sert à rien de le lire, parce que au final, on sait déjà comment ça va se terminer et puis… »
Et votre mère, elle voulait que vous lisiez des classiques pourquoi ?
Euh…parce que je lisais beaucoup et je lis toujours beaucoup, mais pas des classiques et du coup ça l’énervait parce qu’elle trouvait que j’avais pas une lecture littéraire assez… enfin, que c’est très bien de lire mais qu’il faut aussi lire des classiques, parce que les classiques c’est important.
Vous êtes d’accord avec ça ?
Oui et non. Je pense que c’est bien de lire des classiques mais je pense que c’est bien aussi d’avoir ses propres classiques, et que les livres que j’ai pu lire maintenant seront peut-être des classiques dans quelques dizaines d’années et je l’espère, parce que ça voudrait dire que la… la conception de la littérature aura changée et que y’aura des genres qui seront plus mis de côté parce que trop enfantins, parce que trop…
Par exemple ?
Euh… j’ai… alors ça c’est mon auteur préféré mais c’est Pierre Bottero.
Ah, quelqu’un d’autre m’en a parlé dans votre classe.
Ça m’étonne pas. Parce que j’ai fait un exposé dessus en philo et puis on est beaucoup à l’avoir lu dans la classe, et puis notre époque… enfin, ma génération et mêmes d’autres plus âgées… Pierre Bottero est un auteur que beaucoup de gens connaissent et qui pour moi est vraiment un très très grand auteur mais que je pense que ça pourra jamais être reconnu comme un classique parce que c’est une littérature un peu pour les enfants même si bon, beaucoup de personnes le lisent…
Ça pourrait être un classique de la littérature de jeunesse….
C’est ça.
Le Petit Prince c’est un classique… Harry Potter…
C’est ça. Mais du coup, j’aimerais bien que ça devienne un classique parce que y’a des leçons aussi intéressantes que dans d’autres classiques plus anciens.
Et donc là, par exemple, vous continuez de lire à côté des…
Là, j’ai eu beaucoup de mal cette année. Ça… vraiment, ça a été une année très difficile pour lire parce que j’avais beaucoup de choses enfin, plein d’autres choses à faire… il faut faire des choix et des fois, on préfère se reposer plutôt que de lire. Donc oui, j’ai très très peu lu cette année.
Ça vous manque ?
Oui, totalement. Ben, quand j’ai relu Madame Bovary, quand je me suis remis à lire du coup Madame Bovary, je me rappelle d’avoir eu la réflexion de me dire : « C’est trop agréable de lire mais j’ai pas du tout envie de lire ce livre ». Ce livre m’a redonné envie de lire mais absolument pas lui. Et du coup… du coup, non, j’ai très peu lu cette année.
Et vous aimez la manière dont on étudie le français en classe ?
Ça dépend, y’a des aspects, enfin… j’aime bien le français en général et du coup, je… j’ai jamais de problème avec mes cours de français et de littérature, mais après, la réflexion que je me suis faite et que beaucoup de personnes plus âgées m’ont faites aussi, c’est que y’a certains livres qu’on étudie maintenant et que du coup, ça gâche le plaisir qu’on pourrait avoir si on les lisait quand… si on est plus âgé.e.s. Par exemple, là, en littérature, on lit Œdipe Roi , en lien avec Pasolini, de Sophocle, et je sais que mon père trouvait que c’était totalement débile de nous faire étudier Pasolini parce que en fait on pouvait pas comprendre à notre âge, et ce qui est vrai, et que c’était très désagréable pour nous d’étudier ça parce que c’est un… c’est un cinéma très particulier alors que ça peut être quelque chose qu’on peut redécouvrir plus tard, et qui du coup peut-être peut gâcher un intérêt qu’il pourrait y avoir plus tard.
Quand vous dites que c’est une question d’âge, vous voulez dire que quand on vieillit on lit différemment ou… ?
Je pense. Je pense. Mais c’est surtout qu’on peut peut-être plus apprécier justement certaines choses, et que, quand on lit Madame Bovary en 4e, on s’ennuie, parce que c’est pas de ça qu’on a envie et c’est pas de ça qu’on rêve, alors que, alors que quand on est… après, ça dépend des personnes forcément, mais quand on est adulte, peut-être qu’on est un peu plus posé et on est plus apte à prendre le temps de lire des livres qui nous auraient pas forcément intéressés.
C’est intéressant que vous disiez ça parce que moi j’ai eu une expérience… c’est-à-dire que relire Madame Bovary une troisième fois, ça a été pour moi une expérience de redécouverte justement du plaisir de la lecture de Madame Bovary, c’est-à-dire que je l’ai lu comme un… un roman qu’on lisait enfant, presque avec du suspens… « Que va-t-il se passer ? »… je savais déjà ce qui allait se passer mais… et finalement, je me dis peut-être que plus tard… peut-être qu’on s’identifie plus facilement, peut-être qu’il y a certains thèmes qu’on comprend plus facilement, mais je suis pas sûre. Je sais pas si on abandonne ce désir, ce plaisir, cette envie de lire des livres…
Je pense pas que ça… parce que en étant adulte justement, on apprécie mieux le suspense qui est mis en œuvre dans ces livres-là, un suspense que justement en tant que jeune enfant qui, quand on est bercé dans toute cette action, ce suspense-là, surtout à notre époque maintenant, ce suspense-là, pour nous, il est dérisoire, alors que je pense que quand on est adulte on a plus le recul d’apprécier ça à sa juste valeur alors que, voilà, lire Madame Bovary à 13 ans, enfin je, j’aurais jamais pu apprécier, et puis, euh, voilà quoi, enfin, c’était juste pas… mon époque, je sais pas comment dire mais…
Et vous trouvez ça intéressant l’axe d’étude du bac par rapport à l’œuvre.
Oui, oui, sur le coup ça m’a énervée, j’avais pas du tout envie d’étudier ça.
Pourquoi ?
Parce que justement, c’était Madame Bovary, le livre que j’avais jamais lu et que… et que tout le monde dit que c’est génial et que j’avais trouvé ça extrêmement ennuyant, ennuyeux, quand… quand je l’avais lu quand j’étais plus jeune, et parce que c’est un gros livre et puis… qui vraiment me donnait pas du tout envie, et que je considérais qu’il y’avait des très bons livres du XXe siècle notamment qui pouvait être lus et étudiés, mais d’un côté, je comprend pourquoi ils le mettent et je trouve ça bien et je trouve ça intéressant de pouvoir étudier le processus d’écriture d’un livre et de la publication. Enfin, on voit vraiment tous les aspects de l’écriture et je trouve ça intéressant.
Et vous aimez le style de Flaubert ?
Oui, et non. C’est à dire que en l’étudiant justement j’arrive à l’apprécier et j’arrive, voilà, à interagir avec ce texte et à en rire et à réfléchir, et à admirer aussi ce qu’il écrit, mais d’un côté, c’est pas quelque chose que je prends forcément non plus plaisir à lire [sic]. Je pense, je l’ai pas encore relu, c’est pas bien parce que le bac approche et on est censé relire nos œuvres, je l’ai lu en début d’année et puis je me repose sur ma très bonne mémoire mais c’est pas quelque chose… je déteste relire des livres et surtout pas des classiques. C’est vraiment…. non. Je… je prendrais pas plaisir à le relire.
Et après le bac, vous pensez que vous continuerez à lire ?
Oui, oui, j’espère avoir plus de temps déjà et puis, oui, parce que, oui, totalement. En plus c’est important pour mes études à moi, vu que je veux bosser dans l’art, enfin la littérature ça reste quand même quelque chose d’important. J’attends que ça.
Et est-ce que vous avez repéré par rapport au… vous disiez on nous fait lire plus des classiques, voilà, à l’école… Est-ce que vous avez repéré une différence entre le collège et le lycée ?
Oui. Et oui, oui, oui, mais je saurais pas exactement comment la formuler parce que… déjà on nous fait plus lire des classiques au lycée que au collège…c’est-à-dire qu’au collège, on va parler des classiques, on va lire des extraits ou des petits classiques mais qu’on va quand même nous faire lire des livres à cheval entre les deux… euh… je me rappelle un livre qu’on… qui m’a marqué au collège et que je pensais jamais à lire, surtout au collège, j’ai pas le nom, mais c’est un livre…une sorte de recueil de correspondance entre un prisonnier qui a tué son beau-père et une femme avec qui il échange par lettres, qui est une visiteuse, et je… peut-être que je peux essayer de vous retrouver le nom, et c’est un très petit livre sur l’univers carcéral et j’ai lu ça en 4e ou en 3e et ça m’a, j’ai trouvé ça fou qu’on me fasse lire ça à treize ans, et j’ai trouvé ça génial en fait. Avec le recul, je trouve ça super intelligent parce que d’un côté, ça nous fait parler de l’écriture épistolaire etc., et en même temps, ça parle d’une vérité qui est dure, qui existe et notre époque encore. Et du coup y’a une… je trouve qu’au niveau du collège, y’a une manière de vouloir parler des grands genres mais en trouvant aussi des livres qui peuvent intéresser tout le monde. Et du coup, je trouve ça bien. Mais après, l’enseignement aussi de… au lycée, j’ai beaucoup aimé, de revoir des classiques, et mon année de première en français, ça a été trop intéressant.
Vous avez beaucoup aimé la première ?
Ouais, en plus on avait Gargantua, et c’est pareil, Gargantua, c’est un livre que quand j’ai… quand j’l’ai lu et qu’on l’a tous lu, on était totalement surpris et on comprenait pas pourquoi on lisait ce livre. Enfin, on le lisait mais avec une sorte de… presque de dédain. « Mais c’est quoi ce livre, enfin, c’est ça, un classique ? » Et en fait oui, c’est totalement ça un classique. Et on était avec un prof qui était totalement… enfin, génial, et qui nous a justement appris à comprendre ce livre et à en tirer toutes les… enfin… l’intelligence…
La substantifique moelle ?
Exactement. En plus, il aurait très bien utilisé ce mot. Et du coup c’était des livres qui vraiment nous ont ennuyés au premier abord ou vraiment rebuté, et qu’il a appris quand même à nous faire aimer et qu’il a rendu ça très drôle. Et l’année de première, j’en garde un très très bon souvenir, en plus, vu qu’on étudiait des extraits, on a pu parcourir plein d’époques, plein de… plein de genres, et je trouve que l’année de première en français en L est très très bien, vraiment…
Et ça vous a pas frustrée de lire des extraits, de pas… ?
Ben du coup, ça m’a donné envie de lire des… les livres en fait, en entier. Je pense à La Condition humaine de Malraux, quand je l’ai commencé, j’l’ai pas fini, mais y’a vraiment des extraits qui m’ont marquée plus que d’autres et qui du coup m’ont donné envie… Oscar Wilde aussi, on avait étudié la pièce de Salomé, je sais qu’on est nombreux à l’avoir lue après coup parce que tout le monde l’a… beaucoup aimé ce travail-là donc… euh…
Et…et c’est intéressant ce que vous disiez sur… ce que vous dites sur Gargantua parce que c’est un roman justement qui a été… justement Rabelais, ça été pendant très longtemps évacué des classiques, ça faisait pas partie des manuels scolaires jusque dans les années soixante, donc finalement c’est ce que vous disiez sur la perception de la littérature.
Ça change !
Ça change, ça fluctue, et puis tout à coup, ça devient un livre qu’on enseigne à l’école donc c’est perçu comme un livre… voilà, classique, ennuyeux, mais en fait à un moment c’était perçu comme très subversif.
C’est ça. Je trouve ça génial qu’il nous fasse étudier Gargantua.
Et vous trouvez que Madame Bovary, c’est un…enfin, vous justifiez le fait que Madame Bovary est un classique ?
Oui, je pense. Après, je suis un peu formatée par mon cours parce qu’on a dit : « Pourquoi est-ce que c’est un classique ? » Ouais, pourquoi, grand A, grand B, petit c. Mais oui, oui, c’est un classique parce que déjà la manière dont il est écrit, ça représente un travail d’écrivain qui est… c’est pareil, c’est un peu à la manière dont Zola est un classique avec son œuvre monumentale, et Balzac aussi, tous ces grands auteurs qui ont, qui ont vraiment des projets d’écriture qui en fait, prennent une vie… alors pour Flaubert, ça a pas pris une vie, ça a pris quand même six années, je pense et ça a marqué sa vie donc y’a… cet objet-là d’un auteur qui consacre sa vie ou une grosse partie de sa vie à une œuvre, et puis y’a aussi la manière dont ça parle de son époque que je trouve intéressante et pour moi, c’est ça aussi qui fait les grands classiques, c’est les classiques qui parlent de leur époque et de manière critique et d’un regard dont… on soupçonnerait pas à première vue et qu’on peut pas imaginer que au XIXe siècle quelqu’un ait pu avoir un regard aussi critique sur sa propre époque.
Et par exemple, est-ce que vous avez un… quel est ce regard que porte Flaubert sur son époque ?
Ben, il évoque aussi la condition des femmes, il évoque les bourgeois, ce genre de choses , vraiment, en plus il écrit sur une période et à une période où il y a beaucoup de changements au niveau historique, enfin, du genre Premier Empire, République, Second Empire, et du coup, je trouve que son livre, avec quand vraiment on replonge dedans et qu’on voit les détails, ça dit aussi quelque chose du contexte historique et un peu à la manière des Rougon-Macquart en fait, de…dont Zola pareil, parle aussi de ça, et il forme une critique sur la bourgeoisie, sur vraiment sur tout ça, toute la société du XIXe siècle, et je trouve ça très intéressant, enfin, surtout, il essaye vraiment de faire des portraits-types donc après aussi, il s’en moque, parce qu’il fait des clichés aussi un peu, des bourgeois, à travers Homais, tout ça, mais je trouve qu’il a ce regard-là sur une époque, de critiquer ce qui se passe avec beaucoup de lucidité. Je sais pas si c’est de la lucidité ou juste un esprit critique sur le coup, mais je trouve que ça en dit long.
Et vous aviez des choses à rajouter sur Madame Bovary ?
R : Non, non, mais du coup, voilà, que je sais pas si c’est une bonne idée de le faire étudier au lycée et tout. Moi, en tout cas, ça m’a permis de mieux le connaître, et voilà, moi j’ai apprécié, après je sais pas si c’est le cas de tout le monde mais je trouve ça intéressant qu’ils le lisent cette année et puis, et puis voilà… c’est pas un mauvais livre, c’est pas un coup de cœur non plus, mais c’est intéressant de voir comment…
Et maintenant, je vais vous poser une question que j’ai posée à tous vos camarades qui étaient en entretien : « Peut-on lire Emma comme une prostituée ? » Et du coup je voulais savoir ce que vous en pensez.
Ben, du coup, j’ai envie de poser des questions. À quel degré ? Pourquoi est-ce que c’est une prostituée ? J’aurais tendance à dire non. Parce que pour moi ça, ça …ça rapprochait un peu une… la décadence de la femme qui soit trompe son mari et soit a des amants, et je suis pas d’accord avec cette vision de ma femme, enfin j’ai le regard, le point de vue de mon époque. Et, est-ce qu’on peut lire Emma comme une prostituée ? Prostituée sentimentale peut-être.
C’est-à-dire ?
Ben, elle cherche l’amour, elle cherche des sentiments.
Mais la question de la prostitution, c’est vraiment une question de tractation financière. On est prostituée quand on vend son corps.
Ouais.
Donc je vous expliquerai après pourquoi je pose cette question.
Je sais pas, je pense pas.
En fait, c’est quelque chose qui est présent dans le regard des hommes du roman. A un moment Rodolphe la compare à une prostituée et puis à la fin, Guillaumin, le notaire lui propose carrément…
Mais justement, c’est pour ça que, moi, de mon point de vue de femme, je dis : « non » face à ces hommes qui, qui pour eux, la considèrent comme ça, parce que ça paraît logique que des hommes de cette époque surtout, et même maintenant, la regardent de ce point de vue-là mais du coup, moi de mon point de vue de femme, je dirais non.
C’est comme si y’avait un amalgame entre le fait d’être adultère et le fait d’être prostituée.
Voilà, c’est ça. Et même le fait plus généralement le fait de coucher avec des hommes et pas qu’un seul, et…
Et vous pensez que c’est contemporain ça, encore ?
Oui, totalement. Ah, totalement, je pense que oui, cette question de… c’est avec des mots plus crus que « prostituée », mais oui, c’est encore maintenant, encore et beaucoup trop.
Et c’est intéressant que vous me disiez ça parce que c’est aussi une série des réécritures contemporaines qui justement font d’Emma une prostituée, alors sur le mode de la fiction, mais voilà, qui construisent un personnage d’Emma comme une prostituée. Je crois qu’il y a une histoire où elle quitte son mari et puis elle part à Paris et elle devient prostituée. Effectivement, c’est un possible du roman qui semble être exploité par le regard masculin, plus que par le regard féminin.
Et ça m’intéressait d’avoir votre opinion parce que c’est une tendance aussi de la littérature savante ou de la critique savante d’aller tirer les choses dans tous les sens alors qu’il faut aussi rappeler que dans le roman Madame Bovary n’est pas une prostituée.
C’est ça. Je trouve ça triste que si toutes les réécritures, enfin, beaucoup de réécritures…
Ah, c’est pas toutes…
Oui, mais…
Y’en a deux, je crois…Y’a beaucoup d’autres réécritures. Il doit y avoir, depuis 1930 jusqu’à 2013, au moins quarante romans. Alors y’a des Mademoiselle Bovary, des Monsieur Bovary…
C’est dans ce cas-là aussi que c’est un classique. C’est qu’il y a une, une …
Mais c’est intéressant parce que les Rougon-Macquart par exemple ont pas stimulé tant de réécritures que ça.
Parce que c’était une œuvre tellement complète aussi peut-être…
Mais finalement c’est presque que Madame Bovary parce que L’Éducation sentimentale ou Salammbô, non… Bouvoir et Pécuchet, non… faut que je regarde à nouveau mais Madame Bovary a vraiment stimulé comme ça…
Le personnage, oui.
Oui, peut-être. Et peut-être parce que c’est un livre sur rien, alors on peut tout écrire dessus (rires)
C’est ça.
Est-ce que vous aviez des choses à rajouter ?
Non, je pense pas.
Entretien n°6
Sarah, 18 ans, pas d’information sur son admission au baccalauréat.
Profession du père : éducateur de jeunes enfants ; profession de la mère : conseillère principale d’éducation
Donc vous n’avez pas fait de journal de lecture mais vous aviez quand même envie de faire l’entretien. Pourquoi ?
Euh. En fait, j’ai pas fait le journal de lecture parce que… en fait j’ai eu énormément de mal à lire Madame Bovary, puisque je l’ai même lu après les autres, donc voilà. Et du coup, ben, quand je l’ai lu, j’arrivais pas du tout à m’arrêter et à…
À écrire ?
Voilà, c’était… enfin je voulais que ce soit finalement fait le plus vite possible parce que du coup, j’arrivais pas du tout à prendre le temps de… ben d’écrire ce que je pensais, d’écrire ce que je ressentais à ce moment-là. Mais du coup, je voulais quand même faire un entretien parce que je trouve que finalement, avec le recul, c’est quand même un livre intéressant mais du coup voilà…
Donc, en quoi il est intéressant ?
Ben, en fait, à la première lecture, j’ai pas du tout aimé… mais pas du tout, du tout.
Et vous savez pourquoi ou vous avez réussi à comprendre pourquoi ?
Ben, je pense que c’est l’écriture de Flaubert finalement qui… même si elle est très étudiée, très belle etc., mais du coup, moi, ça me bloquait, enfin, ça arrivait pas, enfin, ça coulait pas tout seul comme ça, donc du coup j’ai eu du mal. Et… et… après, enfin, en fait, en l’étudiant en cours, ben c’est justement en étudiant certains passages, et en étudiant, ben, pourquoi il avait fait ça, pourquoi il avait fait ça, comment il avait voulu écrire ce livre, ben, en fait c’est là où j’ai trouvé finalement l’intérêt euh…du livre, enfin et j’ai vu que c’était quelque chose de super intéressant, où on peut apprendre plein de choses et je trouve que finalement, tout ce qui… tous les procédés par lesquels il est passé pour écrire le livre, c’est presque plus intéressant que le livre en lui-même, enfin…
Donc les brouillons ? les différentes étapes ?
C’est ça, les brouillons, les recherches qu’il a faites pour écrire certains passages, toutes… toutes les précisions qu’il est allé chercher pour les descriptions etc., enfin je trouvais ça plus intéressant…
Que le livre lui-même ?
Oui (rires).
Et pour vous… est-ce que vous avez été surprise en voyant les brouillons par rapport au résultat final. Est-ce que… je me souviens par exemple, votre professeure vous avait donné à lire le passage avec Léon, la première fois, où dans les brouillons, il dit quelque chose comme « peut-être qu’ils s’embrassent mais bon pas plus », c’est assez… c’est un vocabulaire assez prosaïque et puis après on a le résultat dans la langue de Flaubert qui est très travaillée pour le coup. C’est presque vulgaire quelquefois les brouillons de Flaubert.
Oui, mais justement, c’est ça qui est plus… enfin, je pense que pour nous, enfin, sur notre génération et sûrement ben à cause aussi de notre culture, ben du coup, c’est plus… ça nous parle plus en fait. Du coup, enfin, on voit vraiment ça comme un plan où y’a toutes les petites parties qui va… enfin, sur lesquelles il va s’étaler pendant je sais pas combien de pages. Et du coup, je pense que c’est ça aussi, c’est que finalement, les brouillons, des fois ça nous permet même de lire des passages ou des parties du roman plus vite, même s’il nous manque plein de choses mais du coup on arrive vachement, ben, à savoir, à voir comment il va être construit, et quels vont être les passages importants enfin, et du coup c’est beaucoup plus… enfin c’est une lecture plus facile en fait. Donc c’est un peu étonnant après quand on voit le vrai livre et on se dit « Ah ! » (rires). Enfin, c’est bien construit, c’est bien fait mais je pense que ça nous parle beaucoup moins finalement.
Et donc vous c’est le processus d’écriture qui vous a intéressée ?
Oui. C’est ça.
Et c’est parce que vous vous intéressez à l’écriture en général ?
Ben enfin, j’aime bien écrire mais euh… enfin, j’ai souvent eu cette impression-là… enfin, depuis, enfin, on a étudié à l’école des livres depuis longtemps et finalement à chaque fois y’a plein de livres que j’aimais pas au début et que avec le… ben… avec des pistes qu’on me donnait sur comment il avait écrit [sic], et ben ça me paraissait beaucoup plus intéressant, enfin, ça fait un peu comme une enquête finalement sur tout le long et après, ben, ça donne son livre, ça a aussi un petit côté magique qu’il arrive à faire ça avec juste des petites… des petites idées, des expérimentations quoi.
Et est-ce que vous avez été touchée par certains passages, touchée dans un sens ou dans l’autre, c’est-à-dire soit choquée soit touchée, émue… par des passages ou par des personnages ?
Ben… je pense que… enfin, en fait comme tout le reste, je crois que quand je relis des passages , je ressens plus de choses qu’au début parce que moi j’ai l’impression avec l’écriture de Flaubert d’avoir eu une barrière, vraiment, entre lui et le lecteur… enfin, je pense que au final il voulait vraiment pas mettre ça parce qu’un livre, c’est fait pour être lu mais j’arrivais pas à savoir ni ce qu’Emma elle pouvait ressentir ni ce que les personnages pouvaient ressentir parce que au final, enfin, c’est presque contradictoire ce que je vais dire mais y’a tellement de constructions que on a l’impression que ça va pas… enfin, ça va pas tout seul, que y’a pas trop de sentiments, que c’est fait pour que… ben pour qu’Emma se retrouve toute seule parce qu’elle… enfin , à la fin elle doit se suicider et c’est comme ça. Du coup, c’est vrai que c’est assez compliqué de ressentir des émotions sur le livre. Après je pense que… enfin finalement, les passages où on a un petit peu de… je sais pas quelle émotion forcément c’est, mais dans les descriptions qui sont vraiment ben… c’est très appliqué, le passage où elle est dans le… dans la forêt avec Rodolphe après la ballade à cheval, ben, finalement on comprend qu’il se passe quelque chose mais tout est fait par la description et du coup, ça nous rend plus sensible en fait… on voit que à travers la nature et tout ce qu’il y a autour donc euh… c’est presque des passages où il y a plus d’émotions que dans tout le reste.
Et, au niveau de… ce que vous disiez, peut-être que ce qu’il y a dans l’écriture de Flaubert, c’est que c’est difficile d’adhérer au point de vue d’un personnage ou de rentrer dans l’esprit d’un personnage parce que c’est toujours un peu distancié, Flaubert. Il y a une forme d’écriture un peu… comment dire… c’est le discours indirect libre qui fait ça, on a toujours le point de vue du personnage avec quelque part le point de vue du narrateur qui vient se superposer. Est-ce que du coup vous avez compris par exemple pourquoi le procès… pourquoi le roman avait été mis en procès pour immoralité. Est-ce que vous validez ça ou vous comprenez pas ?
Ben quand on s’intéresse à l’époque, oui. Enfin on se dit y’a plein de choses qui ont été censurées donc forcément, enfin, si les gens se mettent à lire entre les lignes, on peut voir plein de choses qui sont pas… qui sont valables [sic] de procès. Après , c’est sûr que quand nous, on nous expose ça aujourd’hui avec tous les medias qu’on a etc., enfin, pour nous, c’est inimaginable on se dit, euh, (rires) c’est rien par rapport à tout ce qu’on voit , donc… je peux comprendre par rapport à l’époque mais si on se remet pas dans l’époque, moi je pense que, pour le coup, on peut pas vraiment comprendre parce que… ben , pour nous il dit rien… enfin y’a rien de précis, il dit pas… il injure [sic] pas quelqu’un, y’a rien… y’a rien de visible en fait donc euh… enfin aujourd’hui, ça viendrait pas à l’idée qu’un livre comme ça soit (rires) soit amené en procès (rires).
C’est vrai, c’est un livre qu’on voit comme très traditionnel.
Oui.
Donc pour vous y’a rien de répréhensible dans ce que fait Emma… ou dans, dans les actions des personnages ? C’est pas immoral, elle ne vous a pas choquée ?
Non, pas du tout.
Et vous la comprenez ?
Non, parce que, en fait, pour moi Emma, enfin même dans tous les autres personnages on a beaucoup de mal à… à s’identifier, et je pense que y’a plein d’autres livres ou de films, ou enfin tout, où on peut s’identifier à des personnages et donc forcément ça nous touchera beaucoup plus, mais par contre chez Emma et chez les autres personnages, ben, pas du… enfin, personnellement j’arrivais pas du tout à m’identifier à un des personnages. Après, Emma, tout ce qu’elle fait, euh, je veux pas dire que, enfin, si, je le cautionne en fait, parce que avec l’image finalement qu’on a genre d’une femme moderne aujourd’hui, de… enfin… déjà, moi ça me choquait plus en fait que Emma soit une femme comme ça, par rapport à l’époque, enfin qu’elle… enfin en même temps elle est très enfermée, enfin elle a toujours des figures assez paternelles finalement à côté d’elle, même quand elle est avec Charles, elle est toujours avec des figures masculines etc., c’est ça qui me choque plus finalement que tout ce qu’elle fait autour.
C’est la condition de la femme ?
Oui, c’est plus ça.
Et donc pour vous, vous comprenez qu’Emma ait été malheureuse ?
Ben oui. Enfin je comprends que… ben, que, qu’elle ait des images de contes de fées dans la tête et puis elle se retrouve avec quelqu’un qui lui correspond pas du tout et… et qu’elle a envie d’aller voir ailleurs… et justement, qu’elle soit totalement enfermée dans son mariage et que, pour elle, ce soit un malheur parce que si elle s’attendait vraiment à quelque chose de passionnel etc., je comprends son désespoir (rires).
Et vous aviez entendu parler du livre avant de le lire ?
Oui.
Par qui ?
C’est un peu… je sais que y’a des gens autour qui l’avaient déjà lu. Après, enfin, moi, j’ai l’impression que ce livre-là, c’est un peu le…le…comment dire ? Enfin, tous les profs nous en parlent un peu comme une référence « Oui, donc Madame Bovary de Flaubert, c’est… » sans même qu’on l’ait lu en fait, vu qu’on sait à peu près comment se passe l’histoire, comment elle se déroule.
Vous connaissiez la fin ?
Oui. Donc du coup, c’est un peu une référence mais en même temps, c’est un peu dommage parce que quand on est amené à le lire, et ben on sait déjà, enfin tout ce qu’il va se passer, donc on n’a pas trop cet intérêt de savoir…
Et quand les profs vous en parlaient, ils vous en parlaient comme d’un roman comment ? Vous vous souvenez un peu des thèmes, ou, je sais pas, pourquoi on parlait de Flaubert et de Madame Bovary ?
Euh… ben peut-être justement pour son procès, il y a certains moments quand on étudie des textes qui sont allés en procès, ben, enfin, on en a sûrement parlé. Après, moi, avant de le lire, je sais pas si c’est parce qu’on me l’a dit ou si c’est parce que je le pensais, moi je voyais vraiment ça comme un roman très classique, qui… enfin, qui dépassait aucune règle, aucune norme, enfin qui était vraiment… après quand on le lit on se dit : « ben en fait non c’est pas ça » mais du coup, je sais pas trop si c’est parce qu’on me disait ça avant ou parce que j’avais juste cette idée-là dans la tête enfin…(rires).
C’est intéressant que vous utilisiez le terme de « classique ». C’est quoi pour vous un classique ?
Parce qu’on nous dit que c’est un classique aussi…
Oui, mais c’est quoi un classique, pour vous ?
Euh… (rires) pour moi, un classique, ça serait… un livre… ben qui… ben déjà, ça appartient à une époque, mais du coup, enfin… c’est vraiment une époque le classique, mais en même temps, pour moi, dans ma tête de fille de dix-sept ans, pour moi, un classique, c’est vraiment… ben, c’est ces livres, ben, qui parlent de… de… euh… de sujets assez, ben, banals et qui durent mille pages pour faire des tonnes et des tonnes de descriptions sur une histoire d’amour… enfin, finalement, ça se rapproche presque du romantique, mais pas totalement (rires). C’est un peu… (rires).
Et ce sont des livres que vous liriez en dehors des cours ?
Euh… Madame Bovary, non (rires). Par contre, oui, y’a d’autres livres dont on parle au lycée enfin que j’aime bien lire en dehors des cours. Par contre, Madame Bovary, je pense que j’aurais peut-être commencé à le lire parce qu’on m’avait dit « Oui, il faut le lire , etc. » mais par contre, je pense que je l’aurais pas fini.
Si vous l’aviez pas lu en classe ?
Oui, non. Enfin, je pense que j’ai tellement pas aimé le début, enfin, j’ai pas réussi à rentrer dedans du tout, je pense que j’aurais jamais fini.
Et vous êtes contente de l’avoir lu ?
Oui. Oui, maintenant je me fait même… enfin, je suis contente de savoir plein de choses sur ce livre, de… ben, de savoir certains passages, qui ont été enlevés, qui ont été remis, qui ont été changés à la dernière minute, enfin, ça je trouve ça enfin, ça nous apporte beaucoup… et puis, même c’est utile.
Oui, et puis pour le bac…
Oui, c’est bien aussi pour le bac (rires).
Et vous lisez en dehors des cours ?
Euh, oui. Oui, je lis.
Donc, vos livres à vous ? Que vous trouvez par vous même, ou qu’on vous conseille, enfin comment ça se passe ?
Ben moi, j’ai eu une grande découverte avec Emile Zola, donc j’en ai lu beaucoup. Parce que… enfin, j’aime sa manière d’écrire en général. Après, j’ai eu mon époque Camus. Après c’est vraiment… enfin, je pense, c’est pas vraiment des romans qu’on m’a conseillé, c’est juste que j’en lis un comme ça par hasard et puis qu’au final ça me plait donc du coup, ben je lis tous les autres de l’auteur… et jusqu’à ce que j’en ai marre ou qu’il y’en ait un qui me plaise pas et là je recommence.
Et vous lisez des livres contemporains, ou des romans plutôt de jeunesse ou de fantaisie ou de science-fiction et des choses comme ça ?
Ben, bizarrement, non, pas du tout. Enfin, bon, cette année on est un peu enfermé dans un cadre totalement scolaire au niveau des lectures. Après, enfin, c’est vrai, c’est bizarre mais je reste vraiment dans des lectures, enfin des choses assez classiques (rires), du Victor Hugo, les Misérables, enfin vraiment c’est… oui, je crois que je préfère ce style d’écriture.
Et c’était déjà le cas quand vous étiez au collège ?
Oui, oui, ça a commencé…non, je pense que j’ai eu… si, j’ai eu une période fantastique mais plus jeune, plus 6e, 5e, que après.
Et vous avez repéré une différence entre le collège et le lycée. Dans la manière dont on vous faisait lire, dans les livres qu’on vous demandait de lire ou pour vous c’est pareil ?
Mmm… pffff… de toutes façons, j’ai jamais du tout aimé comment on nous imposait en fait de lire des livres, que ce soit au collège ou au lycée, que… que pour moi j’avais un peu l’impression que y’avait … que l’enseignement comprenait pas que des fois, ben, ça marche pas, que même si on est obligé de les lire, y’a des livres qui nous sont… qu’on n’arrive pas à lire, qu’on n’aime pas… et, euh… donc c’est vrai que par rapport au lycée j’ai pas trop vu de différence parce qu’on est encore obligé de lire des livres qu’on n’a pas envie de lire, et au final, enfin, bien sûr ça nous fait découvrir ce qui se passe derrière donc ça… aussi je me dis : « heureusement que tu les a lu » parce que sinon j’aurais jamais su que j’aurais aimé ce genre de livres mais y’a certains livres où on comprend pas, qu’on n’aime pas, parce que on est censé beaucoup aimer ça [sic], et pour moi, c’est vraiment la même chose au collège et au lycée. Comment on l’étudie et comment on fonctionne pour apprendre ce qui se passe dans le livre, bien sûr que c’est différent parce que c’est plus poussé au lycée, c’est plus… enfin, on nous en demande beaucoup plus. Par contre, comment on nous présente les choses pour moi, c’est exactement la même chose.
D’accord. Oui, c’est intéressant que vous disiez ça… Est-ce que vous avez des choses à rajouter sur Madame Bovary ?
Non (rires).
Alors, j’ai une question à vous poser que je pose à toutes les personnes en entretien parce que je vais écrire un article dont le thème de la revue est Flaubert et la prostitution et la question que je pose est : « Peut-on lire Emma Bovary comme une prostituée ? ». Comme un personnage de prostituée. J’ai envie d’avoir votre opinion sur la question.
C’est une question difficile parce que… ben parce que, enfin, vraiment oui ce que je pense, c’est vraiment, c’est tout… c’est vraiment à cause de l’époque en fait. Si, bien sûr que quand l’ouvrage est sorti, on aurait posé cette question-là aux femmes et aux jeunes filles qui l’ont lu et qui devaient sûrement pas le lire, ben oui, Emma Bovary, elle passe son temps à tromper son mari, etc., enfin, oui, c’est…une prostituée, mais pour moi, pas du tout, enfin pour moi, c’est juste une femme, c’est pas…
La question que je pose c’est aussi la question de la prostitution au sens où il y aurait un lien entre l’argent et le fait d’avoir des amants pour Emma.
Moi, je dirai non, enfin pour moi, pas du tout, c’est… on a vu ben, que l’argent finalement, ça la menait dans un désespoir aussi, et ses amants aussi, mais je pense pas qu’elle s’est servie de ses amants pour l’argent, et qu’il y ait tout ce processus-là entre les deux. Après, c’est sûr qu’on peut se poser la question mais pour moi, pas du tout. C’est deux causes qui l’ont menée à sa perte mais qui sont pas ensemble, qu’on n’a pas mis ensemble dès le départ en disant : « ben, elle a besoin d’argent donc elle était avec des amants ». Enfin je pense, c’est plutôt sur son idéologie de la vie où elle avait besoin et d’avoir d’une relation très passionnelle, et elle arrivait pas à le trouver, même euh… enfin, elle pouvait pas le trouver sur une longue durée, et à la fois elle avait besoin d’argent parce que vu le type de vie qu’elle voulait mener mais je pense que ça a pas vraiment de rapport entre les deux, dans le sens elle faisait ça pour l’argent.
C’est une question que je pose parce que c’est surtout dans les regards des hommes du roman qu’on a l’impression qu’à certains moments, Emma est traitée comme une prostituée. Par exemple à la fin, Guillaumin, le notaire qui lui dit : « bon, ben, je vous prête de l’argent si je vous mets dans mon lit ». Ou alors il y a ce passage juste après où elle va voir le percepteur Binet, je sais pas si vous vous souvenez, et y’a deux commères du village qui commentent la scène en disant : « ohe elle doit être en train de lui proposer des faveurs sexuelles pour avoir de l’argent », bon , là c’est le regard des commères. Et il y a d’autres passages, par exemple Rodolphe qui la trouve encore plus libertine que les prostituées qu’il va voir. Donc je pose cette question-là mais je pense que c’est un questionnement qui est présent dans le regard des hommes dans le roman et dans certaines réécritures et au moment du procès, le réquisitoire et des articles de journalistes qui voyaient Emma comme une prostituée.
Je sais pas du tout comment est reçu ce… ben, cette thématique là aujourd’hui ben par rapport à un homme et une femme, enfin, si un homme aurait plus tendance à dire que « oui, Emma… », je sais pas, mais c’est vraiment le regard que les hommes du roman posent sur elle, enfin c’est… Et à la fois, on comprend encore plus son désespoir parce que quand euh…parce qu’ils la traient vraiment de manière euh…
Et vous avez raison, en fait à l’époque, la fille de mauvaise vie, c’était presque comme… finalement qu’elle soit adultère ou prostituée…alors que pour nous aujourd’hui, l’adultère c’est une chose, la prostitution c’est autre chose, c’est deux choses vraiment différentes. Mais je pense que à l’époque, euh, le simple fait d’être adultère, on était déjà une femme de mauvaise vie, même si on s’était pas fait payé. Alors qu’aujourd’hui, on condamne peut-être moins l’adultère qu’on ne condamne encore la prostitution. Je pense. Enfin, je sais pas…
Si, si, enfin là-dessus, je suis totalement d’accord, parce que même pour …jusqu’à aujourd’hui, je ne m’étais jamais posée la question que si l’adultère ça pouvait se ramener à de la prostitution. Enfin, pour moi, je m’étais jamais rendu compte que ça pouvait dans certaines époques, évoquer la prostitution. C’est, c’est tellement, je vais pas dire, « c’est courant » mais c’est parce que c’est des… on voit tellement la prostitution comme quelque chose de, ben, de, vraiment mal et condamnable, et ils cherchent toujours à faire des… des lois contre la prostitution, pour essayer d’arrêter la prostitution, alors que finalement, l’adultère, on sait que ça existe, on sait que, enfin, c’est un problème vraiment personnel dans un couple.
Mais à l’époque, c’était un problème légal… c’est-à-dire que si l’homme pouvait prouver que sa femme était adultère, un mari pouvait intenter un procès à sa femme et la femme devait le prouver, elle devait le prendre sur le fait en train de…
Mais moi, j’ai l’impression que l’adultère finalement, ben dans Madame Bovary c’est tellement un sujet public, enfin, tout le monde en parle, on sait tout, et alors qu’aujourd’hui c’est pas du tout ça. C’est un peu déstabilisant de voir comme tout passe.
Les codes moraux changent…
Oui.
Y’a une chose qui reste, en revanche, c’est la condamnation d’Emma comme mauvaise mère. J’ai retrouvé dans certains de vos journaux une vraie critique vis à vis d’Emma parce qu’elle ne s’occupe pas de son enfant, parce qu’elle est mauvaise mère, pas seulement parce qu’elle est adultère… ça c’est une condamnation morale qu’on retrouve de temps en temps et qui reste…
Bizarrement, moi ça m’a pas choquée. Non, vraiment, pas du tout. Enfin, bien sûr, comment elle est avec sa fille, c’est pas….voilà, c’est pas très doux, c’est pas très délicat, c’est pas l’image qu’on a d’une relation mère-fille aujourd’hui, mais c’est pas… enfin, ça m’a pas du tout choquée quand j’ai lu le livre. Pour moi, elle avait tellement de choses à l’intérieur d’elle, elle aimait tellement pas sa vie, elle aimait tellement pas Charles… elle avait tellement envie de voir ailleurs, et de s’enfuir, et de vivre plein de choses encore mieux que, ben du coup, je vais pas dire que je l’ai comprise mais ça m’a pas du tout choquée enfin, qu’elle ait cette attitude-là avec sa fille. À la limite, je me dis que c’est presque de l’inconscient pour elle, que elle rejette Charles, elle rejette tous les gens finalement qui l’aiment parce qu’elle n’aime que ceux qui ne l’aiment pas et, pour moi, sa fille c’était pareil.
Ben merci !
Entretien n°7
Margot, 17 ans, admise au baccalauréat, mention assez bien
Profession du père : directeur informatique ; profession de la mère : femme au foyer. Auparavant, secrétaire médicale.
Donc vous avez fait un journal de lecture, et vous êtes venue faire un entretien. Est-ce que c’est parce que vous avez des choses à rajouter ou… ?
Alors, je me suis dit que c’était toujours plus simple parfois de rajouter des choses à l’oral au cas où on y aurait pas forcément pensé quand on écrit, et puis, ben justement, je m’étais dit qu’en discutant, j’aurais de nouvelles choses qui pourraient être ajoutées donc, euh, voilà, je me suis dit que c’était une bonne occasion.
D’accord. Et vous aviez aimé la lecture du roman ?
Alors, c’est vrai que la première lecture, c’était quand même assez difficile, j’avais du mal à avancer parce que… bon, comme le dit Flaubert, au final, son livre il est un peu sur rien donc euh… pffff… c’était l’histoire d’une femme mal-mariée, bon. C’était un peu difficile d’avancer mais euh, étant donné que je l’avais pour le bac, je me suis dit « bon allez, faut que tu le lises » donc je l’ai fini, et au final, quand on le travaille en cours, donc pour le coup, je relisais des passages que la prof nous demandait de relire, ou même moi de temps en temps, « bon, allez, je vais relire un chapitre ou deux », et avec toutes les thématiques qu’on travaillait en cours, finalement je me disais : « ah ben ouais », finalement y’a plein de trucs, de petits détails auxquels on fait pas forcément attention ou qui, dans l’ensemble du roman, finalement, à la première lecture, ne nous apportent rien, et c’est pour ça, je me suis dit : « ce livre, il est vraiment bien à lire quand on a des explications à côté, quand on a , quand on le travaille, quand on a deux-trois pistes ». Je l’ai trouvé davantage intéressant et pour le coup, j’dis pas que je le relirai des dizaines de fois, mais maintenant j’aime bien aller relire quelques passages.
Et quand vous dites « des petits détails comme ça, tout à coup, qui prennent sens ou qui ressortent », vous en avez des exemples ?
Alors, euh, c’est vrai que la prof nous avait dit : « Vous ferez attention, il y a la présence de la couleur bleu qui revient régulièrement ». Et quand je relisais, ben, ma deuxième partie, le ciel bleu, la robe bleue, et y’avait plein de… c’est vrai que au final, des petits détails, et justement, pour en venir, au final, c’était le bleu pour l’arsenic pour la fin quand elle se suicide et c’est vrai que j’ai trouvé ça assez rigolo au final pendant mon passage de lecture, de refaire attention à certaines choses et puis j’avoue que par contre, j’adore le style d’écriture donc ça pour le coup c’est… c’est le peut-être qui m’ a permis d’avancer rapidement dans ma première lecture du livre.
Donc le style de Flaubert vous a plu, ne vous a pas paru dur à lire ?
Non, pas du tout.
Qu’est-ce qui vous plait en fait dans son style ?
Euh… ben j’ai trouvé ça beau en fait la façon dont il écrivait euh… certains peuvent dire « C’est un peu niais » et moi finalement j’ai bien aimé, j’ai trouvé ça à la fois je peux pas dire « simple » mais si une certaine simplicité finalement quand on le lit, où c’est facile de comprendre ce qu’il écrit, et c’est… j’ai trouvé ça beau.
Si vous deviez comparer son style à une image, un paysage, pour le compareriez avec quoi comme image ?
Euh… peut-être, je me retrouve devant certains tableaux par exemple quand je fais des musées où on a un paysage qui est assez apaisant au final, malgré toute cette histoire, ces, ces amants, tout ça, ben finalement ça reste quelque chose de, je sais pas, moi je le vois comme ça, c’est… devant une peinture assez apaisante finalement, et par ce style justement…
Ce style qui coule ?
Oui, c’est ça.
Proust parlait de « l’éternel imparfait de Flaubert ». C’est vrai qu’à certains moments, il met des imparfaits là où on s’attendrait à un passé simple et du coup, c’est vrai que ça créé un effet comme ça, de fondu et d’enchaînement.
C’est ça.
Et vous parliez de, vous disiez « ça fait partie de ces livres où, quand…qui sont bien à étudier ». Est-ce qu’il y a des livres pour vous qui sont pas bien à étudier, où il n’y a pas besoin de les étudier, ou presque au contraire, les étudier, ça les gâcherait ?
Euh… en fait je pense que d’une certaine façon, quand on lit un livre par nous-même, y’a une certaine forme de pureté du livre où finalement chacun va y voir ce qu’il veut voir, va trouver, va se, se…. se retrouver dans certains personnages, mais par sa propre façon de le voir finalement. Et euh depuis que je fais du français en cours, c’est vrai que j’ai tendance à dire : « ben là finalement, on le travaille mais d’un certain côté, on nous impose une certaine vision du livre ». Donc plus… on a plus tout à fait cette pureté de la première découverte du livre quand on s’attarde sur des passages à retravailler, à aller chercher chaque petit mot, tout ça… et pour le coup, alors, je pense pas qu’il y ait pas de livres à étudier, puisque au final je trouve que c’est toujours intéressant d’aller chercher le, le… oui, d’aller étudier chaque mot, tout ça, je trouve que ça apporte. En revanche, ça fait du bien aussi des fois d’avoir le livre et d’avoir son point de vue sans qu’on… .d’avoir son propre point de vue et de le garder au final. Alors justement en le travaillant souvent on le perd et quand on relit un livre qu’on a étudié, ben, on se rappelle de ce qu’on a dit en cours, tout ça et… pour le coup je pense pas que y’ait de livre qu’on puisse pas…qu’il ne faille pas étudier mais…
On impose un filtre, en fait… de lecture
C’est ça, oui
On peut plus jamais relire de la même manière
Exactement, oui.
Et Madame Bovary, vous avez dit qu’au début vous aviez pas forcément accroché, mais est-ce qu’il y a pour le coup des aspects du livre qui étaient vraiment à vous, ou des choses que vous aviez interprétées, qui ont changé à cause de la lecture, de l’étude ?
Ben pour le coup, pour Madame Bovary, ça a apporté que du positif de le travailler en cours euh… c’est vrai que, et justement c’est un des rares livres où, le fait de le travailler en cours m’a amené que du positif par rapport à cette lecture, c’est vrai que… euh, j’me rappelle du tout premier chapitre, où… sur Charles à l’école, euh, en fait , ce chapitre, la première fois que je l’ai lu, ça m’a paru très bizarre parce que je voyais le titre Madame Bovary et je voyais que ça tournait autour de Charles et au final, euh… j’étais un peu perdue j’avoue, mais ça me faisait rire en fait, dès ma première lecture avec sa casquette, et la description de la casquette, et le travail en cours, et de voir que oui, ben, Flaubert, il faisait exprès d’en rajouter pour ce personnage, finalement, c’est… c’est vrai… oui, pour ce livre, ça m’a apporté une petite compréhension…
Supplémentaire ?
Oui, c’est ça.
Et vous parliez par exemple du motif de la couleur bleu dans le roman qu’on retrouve à la fin dans l’arsenic… vous savez on reproche souvent aux professeurs : « vous dites ça, mais c’est tiré par les cheveux, l’auteur il a jamais pensé à ça ». Et là, vous avez pas l’air de penser ça. Pourquoi ?
Et pourtant, je l’ai pensé pour d’autres livres, enfin, d’extraits qu’on avait travaillés, par exemple, quand on a fait plein d’extraits, euh… peut-être que je l’ai pensé sur certains points qu’on voyait en cours, c’est vrai mais…
Est-ce que les brouillons aident à valider ces interprétations ?
C’est possible. C’est vrai que le fait de travailler sur les brouillons et la genèse de l’œuvre, ça montre bien que, on voit la progression, l’écriture du roman et on a pas l’impression qu’en fait nos profs sortent ça de… on sait pas trop où, même si enfin au final on les croit parce que c’est ce qu’on voit en cours et heureusement qu’on se pose pas la question : « est-ce que c’est vrai ou pas ? » à chaque fois mais euh, mais oui, c’est vrai, quand on voit les brouillons, on voit que ça évolue à chaque fois donc on se dit : « ben oui, il a bien dû arriver à ça », donc on comprend. Mais oui, c’est vrai qu’en plus, j’avais tendance à souvent me faire cette réflexion-là : « il peut pas avoir pensé à tout ça quoi ! »
Je pense qu’il y a une part dans la création qui est, surtout chez Flaubert, très consciente, et puis il y a toujours une part de… ça veut pas dire que c’était pas chez l’écrivain seulement ça s’est fait plutôt qu’un choix, ça s’est fait au moment où il a écrit.
C’est ça. Après, peut-être que, je me dis, c’est possible qu’il y ait certaines choses qu’on nous apprenne mais qui en fait… auxquelles Flaubert n’a pas forcément pensé et je me dis d’un côté on peut penser que c’est tiré par les cheveux mais finalement, je trouve ça beau de… que lui n’y ait pas forcément pensé et que d’autres personnes derrière remarquent ça, enfin, au final, ça montre bien qu’on a… qu’il y a des tas de personnes qui ont travaillé sur ce livre.
Et qu’il y a beaucoup de manières de lire, que le lecteur fait autant le livre que l’écrivain.
C’est ça.
C’est souvent ce que disent les écrivains contemporains, que, quand ils lisent des critiques de leurs livres ou des critiques littéraires, ils disent « oui, c’est bien, c’est intéressant, j’y avais pas forcément pensé mais puisque vous le dites, c’est peut-être ce que j’ai écrit ». C’est-à-dire qu’il y a une part de lecture qui est très personnelle, très… qui est détachée de ce que l’écrivain a voulu ou… consciemment en tout cas.
Oui, oui
Et quand vous avez… vous dites que vous aimez le style de Flaubert, est-ce que vous avez… vous avez pu vous identifier à certains personnages ou ?
Vraiment pas.
Pas du tout ?
Non, pas du tout. Certains passages finalement, où euh… de temps en temps, c’est pas forcément un personnage mais y’a certains passages où par exemple c’est euh, on peut en parler pour se mettre face à moi, par exemple une dépression, ou après des histoires d’amour tout ça… y’a certains passages finalement où il raconte cette …cette nostalgie, oui, là dedans, parfois je me retrouve donc… dans mon livre, j’ai souligné en fait en rose, je mettais… enfin un code couleur, et en rose, c’est toutes les citations que j’aime bien ou tous les passages dans lesquels je me suis retrouvée, et pour le coup, dans ces passages-là , oui, mais sinon, les personnages, vraiment pas, non.
Et certains personnages vous ont… vous avez pitié d’eux ou ?
Euh…Charles (rires). En fait, Charles parfois il m’énerve parce que des fois j’ai envie de lui dire : « Mais ouvre les yeux et vois la réalité ! » Et c’est vrai que parfois, je me suis dit : « Mais le pauvre quoi ! ». Finalement, c’est lui, ça revient toujours sur lui alors qu’en fait il est… c’est simplement, il se rend pas compte, et c’est comme si, pour le coup, il voyait pas la réalité de certaines choses et c’est vrai que certains passages, oui, je… par exemple, ça me l’a vraiment fait, en plus, c’est un passage que j’ai travaillé en cours pour un exposé, sur l’opération du pied-bot, et là je me suis vraiment dit : « Le pauvre, qui avait tout travaillé, qui a… ». Et en plus c’est… finalement c’est Homais et sa femme qui l’ont poussé à le faire et de voir qu’il déçoit encore et qu’il va d’échec en échec, oui le pauvre, quand même…
Il a pas de chance.
(Rires). Oui, c’est ça.
En même temps, il voit pas la réalité mais même quand il la voit, à la fin, il n’arrête pas d’aimer Emma.
C’est dur. Mais, et ça je me dis au final, c’est peut-être tout simplement le fait d’être amoureux, parce qu’au final c’est vrai que… ça peut paraître bête et… mais quand on est amoureux au final ben… quand on aime vraiment quelqu’un, je pense que, ben on accepte et puis, même en restant justement un peu niais…
C’est vrai, c’est un personnage d’amoureux Charles… enfin, je pense.
Je pense qu’il est tout simplement extrêmement amoureux d’elle
Et peut-être que même s’il s’en doutait… on sait pas de toutes façons. Et donc, vous disiez, vous avez surligné en rose certains passages. Est-ce que vous voulez m’en parler ou…?
Euh…c’est vr…par exemple, c’est vrai que avant d’étudier Madame Bovary au lycée, j’avais déjà lu quelques extraits parce que avec une amie, on adore faire des films, et on s’était dit : « Si on reprenait justement cette histoire de… d’Emma, d’une femme mal-mariée qui rêve de toujours plus ? ». Et pour le coup, on avait eu l’idée de justement de reprendre ce personnage, et dans notre film, de mettre une voix-off, où, justement, reprenant des passages qu’on aimait bien, et c’est là les premières fois où je me suis dit : « Ben oui, j’ai déjà pensé ça, j’ai déjà ressenti ça et c’est à partir de là que je me suis dit : « Bon je vais les surligner en rose », justement.
Donc ça c’était avant d’avoir lu Madame Bovary ?
Étudié Madame Bovary, oui.
D’accord.
Et y’en a une justement qui m’a marquée parce que c’est la première dans laquelle je me suis retrouvée et c’est : « Emma cherchait à savoir ce que l’on entendait au juste dans la vie par les mots de félicité, de passion et d’ivresse, qui lui avaient paru si beaux dans les livres. » Et en fait, ça c’est… et c’est une phrase d’ailleurs, une des premières où je me suis dit, justement, c’est là que j’ai ressenti : « C’est beau, tous ces mots finalement… » J’ai trouvé… qui sonnaient vraiment bien, et pour le coup, ben à partir de là, j’ai lu et dans la première lecture de Madame Bovary, je l’ai lu en essayant d’aller chercher ces passages ou ces phrases qui me touchaient.
Donc ça c’était votre première lecture avant de l’avoir pour le bac ?
C’est ça. En fait, pour le coup, avant de l’avoir pour le bac, je l’avais pas lu en entier, je lisais vraiment que des passages et c’est pour ça que, en plus, en arrivant à devoir le lire pour le bac cette année, je… je… j’avais vu qu’il se passait pas grand chose, et je connaissais la fin et donc ça m’avait pas donné spécialement envie de le lire.
Et qu’est-ce qui vous avez donné l’idée de faire un film autour de Madame Bovary ? Si vous aviez pas lu le livre ?
Euh, alors mon amie l’avait travaillé justement et elle m’avait parlé de ses… de son style d’écriture et je sais que là-dessus on se ressemble beaucoup avec cette fille et… pour le coup, en plus, comme on adore faire des films et que c’est toujours des bons moments, je me suis dit « ben, allez » et du coup, quand j’ai ouvert le livre, ma sœur l’avait et donc pour le coup, j’ai regardé aussi de mon côté des phrases, des…
Et vous l’avez fait ce film ?
(Rires). Euh, on l’a fait et il est pas totalement abouti je dirais mais euh… mais oui.
Et vous l’avez pas montré en classe ?
Non (rires).
Et donc, Emma est devenue quoi dans ce film ?
Alors, euh… on a… en fait on a voulu jouer sur le fait de cette femme qui rêve vraiment d’un monde meilleur et d’une vie meilleure et de tout plus beau, plus grand, plus coloré. Et pour le coup, en fait dans le film euh… et c’est peut-être intéressant parce que c’est vraiment notre représentation à nous, on est parti sur la… d’autres figures de cette femme, donc par exemple, moi, je représentais plus Emma telle qu’elle est dans… dans le plus sombre, c’est-à-dire son côté au final où elle voit qu’elle peut pas accéder à des rêves, et mon amie faisait plus euh… comment ? elle se trouvait dans les lieux qui pouvaient représenter le plus grand, le plus beau. Et donc en fait, on a joué avec un parallèle là-dessus, c’est-à-dire qu’on est par exemple habillées exactement de la même manière, sauf que elle, elle a toujours par exemple des chaussures de couleur ou une touche de couleur qui représente un peu cet espoir de quelque chose de plus beau, de plus coloré justement que sa vie où finalement elle tourne en rond, elle s’ennuyait. Donc on se retrouve dans des lieux qui se ressemblent, tout ça pour montrer qu’elle s’aperçoit qu’elle peut pas attendre…qu’il y a comme un voile qui l’empêche d’atteindre ce qu’elle rêvait. C’était un peu notre interprétation.
Et selon vous… d’où il vient selon vous ce voile ? Qu’est-ce qui empêche Emma de… qu’est-ce qui fait qu’Emma ne peut pas atteindre le bonheur qu’elle recherche ?
Mmm. Ben, maintenant, après l’avoir travaillé, je pense que c’est… c’est simplement par rapport à toutes ses lectures qu’elle a eu et qui font que c’est pas la réalité et comme si elle arrivait pas à voir que c’est pas possible d’avoir tout ça. Finalement c’est assez particulier, et ça justement, ça m’a… ça m’a paru bizarre par rapport à ce personnage-là, c’est que pour nous, ça nous paraît totalement… ouais, on se dit, « elle peut pas avoir tout, tous ces… ces… cet homme parfait dont elle rêve », on sait très bien que c’est pas possible et pourtant elle, dans le livre, elle y croit vraiment. Et pour le coup, c’est ça, là-dessus où elle se retrouve un peu avec Charles des fois, où on a l’impression qu’elle arrive pas à voir la réalité des choses et elle est toujours dans sa petite bulle où y’a toujours ce… ce… cet espoir… ce … moi je le vois comme ça.
Est-ce que vous pensez que nous on sait que c’est pas la peine de chercher l’amour, que de toutes façons on l’aura pas ?
Si, si, bien sûr mais… l’homme absolument parfait… on a tous un idéal, l’homme qui serait parfait pour nous mais je pense que plus on grandit et plus on s’aperçoit que c’est difficile voire impossible de trouver vraiment cette perfection qu’on recherche. Et pas forcément que en amour finalement, c’est pour tout dans la vie, je pense que…
Et pour vous, c’est intemporel ça, c’est quelque chose qui est… que ce soit à l’époque d’Emma ou à notre époque … ?
Oui, je pense que justement, c’est quelque chose qui reste… et pourtant, oui, c’est vrai qu’on cherche toujours la perfection, et… et on arrive pas à l’attraper la plupart du temps.
Et vous disiez que quand vous avez découvert le livre, donc c’est une amie qui vous en a parlé, est-ce que des profs vous en avaient déjà parlé ou est-ce que vous en aviez déjà entendu parler ?
Ma sœur, justement, qui l’avait lu et c’est assez drôle parce que je sais pas ce que c’est que ce livre qu’elle avait lu avant Madame Bovary, et, c’était déjà un livre comme ça d’une femme mal mariée et justement, elle se suicide à la fin, et donc en fait, ma sœur en pouvait plus de ces histoires-là, et donc quand elle m’a parlé de Madame Bovary, bien sûr que c’était… c’était nul, qu’elle arrivait pas à avancer. Et pour le coup, moi quand je me suis retrouvée devant le livre, j’étais restée sur cette image du livre que ma sœur m’avait donnée, et donc je me revois, quand j’ai dû l’ouvrir vraiment, parce que je savais qu’il fallait que je le lise, donc cet été… et c’est ce que je dis dans mon journal de lecture, c’est… pourtant j’étais dans un contexte absolument parfait, j’étais en vacances, j’avais la piscine, j’m’étais dit « bon, je vais le lire et ça passera bien » (rires) et en fait je faisais un blocage parce que justement, j’en avais entendu parler que…
Que de manière négative ?
C’est ça, oui.
Et de la part des profs ou des adultes ou des gens qui pouvaient… vous en aviez pas entendu parler de manière positive ?
Euh…je sais même pas si j’en avais vraiment enten… euh… bien sûr je connais le titre, Madame Bovary de Flaubert, oui, on avait dû m’en parler mais je sais même pas si j’avais reçu une vue positive ou négative de ce livre.
Vous saviez que c’était un classique ?
C’est ça, oui, oui.
Et pour vous, c’est quoi un classique ?
Euh… c’est… je pense que c’est… c’est un… c’est une bonne question ! Pour moi c’est un livre où vraiment, comment ? pas forcément justement une histoire, et c’est pour ça, je m’y attendais, qui est… qui est géniale, où on va être embarqué par cette histoire, par toutes les péripéties, tout ça, mais c’est vraiment plus par rapport à la forme, et je pense, au livre dans son contexte historique, à mon avis. Enfin, moi, je le vois comme ça. Et donc par exemple Madame Bovary, qui a été, avec le procès quand il est sorti… c’est que c’est une œuvre qui a marqué à la fois l’époque à laquelle elle a été écrite, donc l’œuvre, et à la fois, euh… peut-être justement qui traverse les époques parce que sans cesse y’a des choses à redire sur ces œuvres qui peuvent paraître simples et qui ne le sont pas… enfin.
Donc c’est forcément un bon livre un classique ?
Ben, pas forcément justement, je pense, pour moi… euh… non, je pense pas que ce soit forcément, on peut pas dire que… non, pour moi, c’est pas forcément un bon livre. C’est… mais que d’une manière ou d’une autre, il faut, il faut s’en souvenir, il faut dire que oui, c’est une œuvre importante, même si euh… si il est pas forcément extraordinaire.
D’accord. Y’a pas de bonne ou de mauvaise réponse, c’est…
J’ai un peu du mal parce qu’on entend souvent parler d’un livre « classique » et au final, c’est vrai, pourquoi, en fait ?
Ben, y’a une part de sens commun en fait, on questionne jamais cette définition. « C’est un classique », en fait c’est une notion qui a une série de connotations, on sait que ça va être plutôt vieux, peut-être un peu difficile à lire…
C’est ça.
…enseigné à l’école.
Exactement, y’a le côté scolaire.
Mais ça m’intéresse de savoir ce que c’est pour vous…Est-ce que vous avez des choses à rajouter par rapport au roman, par rapport à tout ça ?
Pas…pas comme ça.
Et donc j’avais une question à vous poser que je pose à tout le monde depuis le début des entretiens. Je vais écrire un article et le titre du numéro de la revue est Flaubert et la prostitution et je pose la question dans mon article : « Peut-on lire Emma Bovary comme une prostituée ? » Et donc je voulais avoir votre opinion là-dessus.
Euh… (long silence) Comme ça, j’aurais tendance à dire non.
Pourquoi ?
Euh… Je pense qu’elle est vraiment, c’est une femme qui est vraiment justement à la recherche de vivre quelque chose de réel avec un homme, quelque chose qui peut durer, et justement que ce côté de prostitution, je me dis que c’est pas forcément… pour moi, ca sonne comme quelque chose de très court et finalement qui s’enchaine, et je pense que c’st pas le cas pour Emma. C’est-à-dire que à mon avis, oui, elle a un mari, mal-mariée, elle n’est pas heureuse avec Charles et pour le coup, elle va chercher ailleurs mais dans l’idée de construire quelque chose qui peut durer, où elle peut être heureuse toute sa vie justement, avec ces hommes.
Alors en fait je pose la question parce que c’est dans, à certains moments, dans le roman, dans le regard des hommes sur Emma. On a, on a cette idée, notamment c’est Rodolphe ou Léon qui la compare vraiment à une prostituée et puis y’a le moment où Guillaumin la reçoit chez elle [sic] et lui dit : « ben si vous voulez que je rembourse vos dettes, vous n’avez qu’à… je vous mets dans mon lit voilà ». Et Emma réagit très fortement, pour le coup, elle dit non, mais après dans la campagne, elle se dit que peut-être elle aurait dû, enfin voilà, c’est un possible du roman qui n’est pas exploité. C’est à dire que je pose la question du lien, de la transaction financière qui est à l’origine de la relation sexuelle et pour le coup, on n’a pas l’impression qu’Emma euh… se, se vende. Elle est… alors effectivement, elle a une fascination pour l’argent mais c’est vrai qu’elle est, cette fascination elle vient peut-être d’une fascination pour un tout, une vie plus noble, plus riche, plus amoureuse. Mais c’est vrai que c’est une question qui en plus a été posée au moment de la réception donc c’est assez intéressant surtout dans le regard masculin, c’est assez intéressant comme les hommes… le regard masculin peut associer un personnage comme Emma, qui pour le coup dans l’intrigue du roman n’est pas une prostituée, à la prostitution. Donc c’est une des questions que je voulais poser.
C’est sûr. Et puis je pense que moi, pour le coup j’ai le point de vue du côté de la fille et c’est vrai, je pense que c’est pour ça que c’est intéressant parce c’est que à mon avis, les deux points de vue pour le coup divergent vraiment. Et bizarrement, c’est vrai que ces points de vue dans les livres ne m’étonne pas plus que ça, une femme qui va chercher à droite à gauche des hommes, c’est vrai qu’on peut très rapidement avoir cette idée d’une femme qui, oui, qui va chercher différents hommes, et pour le coup mon point de vue, c’est vrai que… il est différent puisque moi je vois plus vraiment le côté de… de la femme qui va aller chercher…
l’amour ?
C’est ça, oui.
Entretien n°8
Claire, 17 ans, admise au baccalauréat, mention bien
Profession du père : chef d’entreprise ; profession de la mère : femme au foyer
Donc, vous n’avez pas fait de journal mais vous vouliez quand même faire l’entretien. Pourquoi est-ce que vous vouliez quand même faire l’entretien ?
Ben, je pense, je trouve que votre thèse peut être intéressante et je culpabilisais de pas avoir fait le journal de lecture donc je me suis dit : « bon, tu pourrais quand même venir ». Voilà (rires).
Donc si vous aviez fait un journal de lecture, est-ce que vous auriez dit certaines choses ou est-ce que… ?
Ben, en même temps, ça faisait y’a très longtemps ma lecture de Madame Bovary, enfin je sais que la première lecture, j’avais moyennement accroché mais en fait, c’est en le travaillant, c’est souvent comme ça, que je remarque que c’est, en fait, c’est plutôt super bien disons, disons comme ça… même si, enfin je… j’appréhende toujours de le relire en fait mais euh…
Parce qu’il est long ou parce que…?
Parce qu’il est long, y’a pas un personnage avec qui s’attacher disons, quand même, enfin… peu de personnes avec qui s’attacher vraiment et s’identifier à madame Bovary… enfin tant mieux, sinon, enfin, tant mieux qu’on s’identifie pas mais euh… qu’est ce que j’aurais écrit ? Je pense que j’aurais fait surtout le lien entre des passages que j’aurais trouvés ennuyants et que après relecture et après en le travaillant, qui sont des épisodes assez.. euh… assez importants.
Par exemple ?
Euh, par exemple, la visite de la cathédrale de Rouen entre Léon et Emma, je trouvais ça très, très… c’est pas non plus un moment vraiment de description, y’a des dialogues mais je me souviens que j’avais pas du tout accroché, enfin, je sais pas.
Et après l’avoir travaillé, ça a changé ?
R : oui, ça change. J’ai trouvé ça plus intéressant, disons.
Est-ce que vous sentez… est-ce que vous avez senti une émotion ou des choses différentes après l’avoir travaillé ou c’est simplement de comprendre comment ça a été écrit ?
Comment… comment ça a été écrit et quelles sont aussi les références, c’est souvent des questions de références critiques. Mais par exemple, j’ai en tête comme autre genre de cette expérience de lecture c’est l’année dernière, on a dû lire Gargantua en français, et j’ai pas du tout accroché et pourtant en le travaillant, c’est beaucoup plus intéressant et on comprend plus de subtilités en l’étudiant et en sachant le truc et il me semble qu’il s’est passé la même chose pour la cathédrale de Rouen parce que y’a toute une descriptio, il me semble de… de, enfin de la cathédrale… Flaubert, je crois que c’est Flaubert qui a demandé à un ami de la décrire pour lui et du coup d’avoir tous les détails, enfin voilà.
Et, donc, c’est intéressant que vous fassiez la comparaison avec Gargantua… et est-ce que vous avez découvert de l’humour dans Madame Bovary, parce que vous avez dû découvrir de l’humour dans Gargantua… après coup (rires).
Oui (rires)… euh, dans Madame Bovary, il me semble que oui quand même, parce que oui, Flaubert, il utilise beaucoup l’ironie quand même, enfin, dans les descriptions. Alors, oui, mais c’est pas non plus un humour comme dans Gargantua disons, c’est un peu plus subtil quand même, je pense, oui (rires).
Et vous disiez, au début vous n’avez pas trop accroché, est-ce que vous aviez déjà entendu parler du livre ?
Madame Bovary ? Oui, mais pas dans de bons termes parce que tout le monde disait que c’était très… chiant à lire, disons.
Donc ça c’était vos camarades et… ?
Oui. Non, avant, oui, si, j’connaissais à peu près la… alors je ne sais pas d’où je sors… je ne sais pas.
Et les profs vous en avaient déjà parlé ou… ?
Euh…je pense mon prof de français avait dû en parler l’année dernière, je sais plus, on avait dû avoir un texte de Flaubert je crois mais c’était pas Madame Bovary, c’était autre chose enfin, je suis même pas sûre. Si, on avait lu les Trois contes en fait, de Flaubert.
D’accord.
Et du coup, oui, mais je pense que je connaissais Madame Bovary avant quand même.
Et donc, vous connaissiez l’histoire ?
Euh… pas… je sais plus, je savais que c’était l’histoire d’une fille qui s’ennuyait mais ça s’arrêtait à ça.
Donc vous ne connaissiez pas la fin ?
Je ne connaissais pas la fin mais bon, ce genre de livre, c’est un peu prévisible des fois la fin, enfin, c’est pas non plus…
Mais est-ce que vos camarades vous avez spoilié ou pas du tout ?
Spoilié ? euh, non je crois pas, je crois que je le savais vraiment (rires) je sais pas d’où mais je le savais.
Vous vous en doutiez quoi.
Non, j’ai pas eu de surprise en apprenant qu’elle s’était suicidée disons. Mais euh… mais voilà. Non mais aussi par rapport à ce suicide quand, parce que quand on apprend comment elle meurt, il dit, enfin dans le texte, elle recrache de la bile noire, quand j’apprend pourquoi il dit de la bile noire à cause de références, c’est plus intéressant.
Et donc quelle est cette référence ?
Ben, au fait qu’elle vomit tous ses romans romantiques, toutes ses lectures. Du coup quand on est juste répugnés quand on voit ça, du coup, je sais pas, mais c’est beaucoup plus intéressant quand on sait, enfin quand on fait le lien avec le reste disons, que la bile noire fait penser à l’encre … bref.
Et vous comprenez ça, le fait de…
Vomir ? (rires)
Non (rires), le fait de se noyer dans des lectures… de…
De bovaryser ?
Voilà, de bovaryser.
Ben, oui, je crois, parce que je lis un peu, alors un peu moins parce que… je ne sais pas. Mais, euh, j’ai dû bovaryser sur quelques… oui par exemple, j’ai bovarysé sur Harry Potter, comme beaucoup de gens en fait, sur Poudlard, bref (rires). Et du coup, mais je crois pas que j’irais non plus me noyer là-dedans en fait, je crois. Je sais pas… alors peut-être si parce que à un moment quand j’étais plus jeune disons, je ne suis pas vieille non plus, mais j’étais, j’aimais beaucoup la lecture ou les histoires fantastiques alors je, du coup je m’imaginais que je vivais des histoires fantastiques mais je sais pas si je me noyais pour autant là-dedans…mais, en tout cas ce sera pas dans le romantisme que je me noierai, peut-être…
Et Emma se noie, et du coup, elle est pas heureuse de la vie qu’elle a.
Oui
Et vous ça vous est déjà arrivé ou pas ? de dire « vraiment le réel, pfff… »
Ben en lisant Harry Potter, oui (rires), par exemple. Non, oui ça a dû m’arriver en fait en lisant des bandes dessinées ou des mangas, peut-être oui, des… quand… des univers parallèles, les personnages vivent dans des aventures extraordinaires, oui, j’ai dû me dire ça : « c’est nul la vie en fait » (rires).
Ça serait mieux dans un livre ?
Voilà
Et vous lisez beaucoup en dehors des livres prescrits par l’école ?
Ben, je lis en dehors des livres prescrits ? Ben, j’aime pas, en fait j’ai un problème aussi, parce que j’aime pas lire des livres qu’on m’oblige à lire, alors c’est pour ça au début j’avais un problème de lire Madame Bovary, parce que j’aime pas qu’on m’oblige à lire quelque chose. C’est débile mais ça fonctionnerait mieux si c’était pas le cas mais c’est pas grave. Non, si, j’aime bien lire mais en fait je lisais assez beaucoup avant mais… parce qu’en fait j’ai un rapport assez… en gros j’ai appris à parler en même temps que lire disons, en fait j’ai appris ça avec les mots, les mots écrits, du coup j’ai un rapport assez particulier sauf qu’après est venue, on va dire, la crise de l’ordinateur, j’appelle ça comme ça, et du coup je lis un peu moins. Mais ça se réaugmente des fois, mais je lis maintenant beaucoup plus de bande-dessinées, j’adore la bande-dessinée, je crois que j’aimerais bien travailler là-dedans plus tard et… mais… sinon j’essaye quand même de relire des romans, c’est juste que des fois je trouve que j’ai pas le temps alors des fois, je les finis pas, j’en commence plein en même temps, là, j’ai, je crois que j’avais… j’ai acheté y’a pas longtemps des nouvelles de Tahar Ben Jelloun et j’ai pas encore terminé, j’avais commencé Les Adieux à la reine mais j’ai pas terminé, enfin, je commence mais je les termine pas parce que… enfin, je les terminerai peut-être un jour, plus tard, mais …
Et ça ne vous dérange pas ?
Ben, ma mère elle dit que c’est pas très bien mais bon, c’est comme ça.
Je sais pas si c’est bien ou pas bien mais vous, ça vous frustre pas ?
Euh…je ne sais pas. Je crois, si, ça me frustre un peu parce que j’aimerais bien du coup lire un chouïa plus vite ou alors prendre plus le temps, si, je crois que ça me frustre un peu quand même. Mais euh bon, en même temps c’est, je sais pas… je ne sais pas (rires).
Vous avez du travail à côté ?
Oui
Et vous parliez de bande-dessinée, vous aviez lu Gemma Bovery
R : alors, j’ai pas arrivé à le lire, je sais pas pourquoi, je crois que j’ai un format aussi bizarre, c’est super… je crois qu’il y a deux formats d’édition, en gros c’est un… il est super grand mais super petit enfin super étroit et en fait du coup c’est écrit super petit et j’ai du mal à rentrer dedans. Et j’ai tenté mais j’ai pas arrivé. Pourtant j’aime bien le style de dessin. Mais je sais pas aussi , c’est pas vraiment une bande-dessinée, c’est plus un roman illustré avec des cases de temps en temps mais c’est vachement écrit aussi , et comme c’est écrit petit…
Oui, c’est plutôt un roman graphique.
Oui, c’est plus un roman graphique, disons. Et du coup j’ai pas arrivé à le lire, je sais pas… c’est dommage.
Peut-être un jour…
Un jour, peut-être bien.
Et vous avez-vu le film ?
Euh, lequel ?
Gemma Bovery, c’est une adaptation de la BD.
Ah oui, c’est vrai… non pas du tout. Mais je sais même pas si je le savais. Mais non, je l’ai pas vu.
Et vous êtes…vous trouvez ça intéressant la manière dont on vous fait étudier Madame Bovary ? …Si vous vous aviez été prof, est-ce que vous auriez fait ça ?
Euh, ben disons, le thème, c’est l’écrivain… enfin je sais plus c’est quoi les thèmes, mais c’est écrire, la publication et le retour, je crois, un truc du style. Ben, si, c’est plutôt intéressant, alors, je trouve ça, euh… enfin oui, si, si, c’est intéressant, ça peut sembler très classique, je vois pas quel autre thème on pourrait faire avec Madame Bovary, disons.
« La Femme au XIXème siècle », « L’adultère »…
Ah oui, ça aurait pu être intéressant.
« La mélancolie », j’en sais rien…
Oui, mais c’est… peut-être la mélancolie mais je sais pas, si, l’adultère ou… je sais pas si… si ça pourrait faire des thèmes de… si, en fait. Mais je sais pas, je trouve pas ça très original parce que ça me semble très évident pour un thème de littérature en fait, faire le lien entre l’auteur, comment il a écrit et l’œuvre au final.
Et donc, vous avez appris des choses à propos de Flaubert ou qui vous ont surprise, qui vous ont…?
Ben oui, je savais pas que, enfin du coup quand je l’ai lu la première fois je savais pas qu’il avait mis autant de temps à… faire chaque phrase par phrase du coup on ne peut être qu’impressionné, surtout que c’est gros, et après on se dit, je pense, ça doit être très frustrant pour le prof parce qu’en fait il peut pas, on peut pas tout apprendre de Madame Bovary parce que c’est un gros bouquin et c’est dense et du coup… on peut pas tout apprendre de Madame Bovary, je pense que ça doit être assez frustrant ça.
Pour le prof ?
Pour le prof. Pour moi aussi mais, oui… mais…
Vous pensez que vous auriez dû par exemple étudier que ce livre-là pendant l’année ou…?
Non, je pense que c’est bien de se souvenir. Œdipe-roi c’est aussi très intéressant. Mais…
Vous voulez dire que c’est bien le fait de se souvenir de tous ces détails ?
Oui aussi, mais je pense qu’on a parlé de plein de détails mais y’a d’autres détails que on en a pas parlé par exemple. Qui pourraient se révéler tout autant intéressants.
Oui. Et est-ce qu’il y a des personnages qui vous ont touchée ou dont vous avez eu pitié dans le roman ?
Mmm… enfin, je déteste pas Emma. Je crois que j’ai dû avoir de la compassion pour Léon mais après au bout d’un moment, dans la troisième partie, il est pas non plus très sympa, Léon.
Pourquoi de la compassion pour lui ?
Ben, c’est un peu le penchant, l’alter-ego de Emma et ils pourraient se retrouver mais finalement non… c’est, il semble moins… le plus gentil de tous, disons. Et aussi c’est le plus jeune, on peut avoir un rapport d’identification. Je crois que c’est le plus jeune et après il grandit et euh… et il a vécu une autre vie et après il est plus, il est un peu plus manipulateur et Emma aussi du coup, mais bref et du coup je le trouve, enfin il est vraiment pas sympa dans cette partie.
Il est faible, il est lâche.
Oui. Et je sais plus ce que j’avais lu en fait, oui, que Léon était plus efféminé que Emma en soi, enfin Emma était plus virile que Léon (rires). Oui.
Y’a une phrase dans le roman qui dit : « il semblait que ce fût lui qui était devenu sa maitresse ».
Oui, c’est vrai, oui. Et… ouais, je sais pas, c’est le premier personnage qui… parce que c’est… je pense que de toute la panoplie des personnages, Léon c’est à peu près le plus sympathique parce que Monsieur Lheureux, enfin, on devine très bien que il est là pour l’intérêt, que Rodolphe c’est juste un… un… je dirais pas trop comment le qualifier … un chercheur de femme, je ne sais pas. Aussi Monsieur Homais… Monsieur Homais, il est drôle quand même en fait. Quand on réapprend, quand… par exemple Monsieur Homais je ne comprenais pas la caractéristique de vraiment ce personnage en le lisant la première fois, par contre c’est en l’étudiant vraiment point sur point, et t’es : « Ah en fait, enfin c’est, c’est pas un personnage sympathique mais il est rigolo, au moins ».
Et Charles ?
Et Charles ? Ah oui, j’ai de la compassion… enfin je sais pas, il est faible aussi, enfin, je sais pas.
Il est un peu mou ?
Un peu mou, oui. Oui c’est… je trouvais ce personnage un peu… même si je trouvais Emma horrible des fois avec Charles. Enfin, si, j’avais de la compassion pour Charles en fait.
Et Emma, est-ce que vous la trouvez immorale ?
Non, je ne pense pas.
Pourquoi ?
Ben, on va pas situer le statut de la femme au XIXe siècle mais c’est pas le meilleur qui soit, disons. Je la trouve pas immorale, elle essaye juste de se libérer un petit peu en fait.
Vous la comprenez ?
Oui, je la comprends en fait.
Est-ce que vous avez des choses à rajouter sur le roman ou des choses que vous vouliez dire.
Mmm, je ne sais pas… je ne sais pas.
Et je voulais vous poser une question, que je pose à tout le monde en fait, je sais pas si vous en avez entendu parler ?
Non.
Je dois écrire un article pour un numéro de revue qui s’appelle Flaubert et la prostitution et le titre de mon article, c’est « Peut-on lire Emma comme une prostituée ? » Et donc j’aimerais avoir votre opinion sur la question.
Non. Enfin, je pense pas.
Alors , pourquoi ?
Euh… je… Non, c’est comme je dis, c’est pas immoral ce qu’elle fait, c’est juste qu’elle essaye juste de se libérer, je préfère, je pense que c’est mieux pour elle qu’elle fasse ça qu’elle reste cloitrée et là…elle est pas heureuse. Enfin, je ne sais pas, je la juge pas immorale, je la juge pas comme une prostituée, non, loin de là.
Alors je vous pose cette question là parce que c’est quelque chose qui dans le roman paraît dans le regard masculin notamment, c’est-à-dire à un moment Rodolphe semble la comparer à une prostituée ou Léon…
Mais aussi, il y a ce rapport, si Emma est une prostituée, alors Rodolphe et Léon ils sont quoi ? Enfin, pourquoi y’aurait pas un rapport d’égalité ? mais c’est notre point de vue de [l’an] deux mille.
Alors, la question de la prostitution c’est aussi est-ce qu’elle échange. Est-ce qu’elle prend de l’argent pour donner des faveurs sexuelles ? a priori dans l’histoire, ça n’existe pas.
Ah ! non, il me semble pas.
Sauf, ça existe dans le regard des hommes, par exemple Rodolphe qui la compare à une prostituée, qui dit qu’elle est encore plus libertine que les prostituées qu’il a connues, mais aussi à la fin, quand Guillaumin dit à Emma : « Si vous couchez avec moi, je vous donne de l’argent. »
Ah oui, mais là, elle refuse.
Donc elle refuse justement, donc vous avez raison, enfin, je pense qu’Emma n’est une prostituée mais c’est quelque chose qui est présent dans le regard des hommes du roman et à l’époque des hommes qui ont lu le roman et au moment du procès, et notamment des journalistes qui ont démontré qu’Emma était une prostituée et puis des romans qui ont été écrits par la suite, des continuations qui font d’Emma une prostituée.
Ben ils ont rien compris alors, je pense.
Mais voilà, je pense que c’est le regard masculin sur Emma qui est présent. Et puis aussi à l’époque, peut-être qu’on faisait une assimilation un peu rapide entre la prostituée et la femme adultère, on les mettait un peu dans le même sac et…
Oui, mais toujours !
Entretien n°9
Marie, 17 ans, pas d’information sur son admission au baccalauréat
Profession du père : architecte ; profession de la mère : architecte
Est-ce que au moment où j’ai proposé l’entretien, tu t’es dit : « Ah, il faudra que je dise ça » ou « Il y’a quelque chose que j’aimerais rajouter ». Est-ce que tu as fait un journal de lecture ?
Oui, mais j’ai pas pensé, j’ai pas eu le temps de le reprendre
Et donc, est-ce qu’il y a des choses que tu voulais rajouter ? Peut-être le fait de retravailler Madame Bovary ?
Euh, ben, en plus, le journal de lecture, j’aurais bien aimé le reprendre, je suis assez perfectionniste et j’aurais voulu vraiment faire un truc vraiment bien, avec des petits dessins et tout, mais j’ai pas… parce qu’en fait quand je lis, surtout Madame Bovary, j’avais aussi un peu envie de le finir et du coup, à chaque fois m’arrêter, pour écrire et tout… et j’avais un peu l’impression que ce que j’écrivais, c’était pas hyper pertinent, je sais pas trop, et du coup, j’aurais voulu faire un truc mieux mais j’ai pas…
Qu’est-ce que ça veut dire « pertinent » pour toi ?
Ben, je sais pas, je trouvais que mes réflexions, elles étaient pas très… je sais pas trop ce que vous recherchez dans les journaux de lecture, mais j’avais pas l’impression que c’était très, très intéressant, que ça disait grand chose, enfin…
Moi, j’ai trouvé les journaux de lecture dans l’ensemble très intéressants. Et, qu’est-ce que tu imaginais de ce que j’attendais en fait ?
Euh… parce que moi, j’ai aussi beaucoup parlé des personnages, je pense, et à un moment, vous nous avez lu un peu des passages de journaux de lecture d’autres personnes je crois au début, et il y’en avait un qui expliquait vraiment dans quel état il était et tout et j’aurais voulu bien voulu détailler plus ça, je trouvais ça intéressant. Parce que j’aime bien lire des livres dans, enfin qui, qui correspondent à l’endroit dans lequel je suis… par exemple, je crois que je l’avais écrit dans les questionnaires, un livre Corniche Kennedy de Maylis de Kerangal, je crois, je l’avais lu à Marseille justement dans les corniches de Marseille, et j’aime bien parce que du coup, je me sens plus dans le livre quoi. Par exemple, Zadig de Voltaire, je l’avais lu sur une terrasse à Tanger, et du coup ça faisait un peu… ben, ça rappelait un peu l’ambiance du livre et j’aime bien faire ça, quand c’est possible.
Et du coup, Madame Bovary, il aurait fallu le lire où pour être dans l’ambiance ?
Euh, chez mes grands-parents (rires). Dans un endroit un peu ennuyeux, je pense. Genre, oui, la campagne. Ben, en Normandie sûrement, mais bon après, je vais pas aller en Normandie juste pour lire Madame Bovary, ça commence à être compliqué.
Et qu’est-ce que ça te fait d’être dans le lieu ? Est-ce que ça te permet de mieux imaginer ?
Oui, oui, d’être dans la même ambiance que le personnage quoi, et oui, je sais pas, j’aime bien ça, genre, ben des trucs tout cons, par exemple, un livre qui se passe dans la forêt et tout, ben, j’aime bien le lire quand je suis en vacances en forêt quoi, c’est des trucs un peu idiots mais ça me permet de plus… je sais pas, j’aime bien.
De t’imprégner peut-être ?
Oui, c’est ça.
Et est-ce que, donc Madame Bovary donc ça fait partie des livres que tu as lu cette année pour les cours, avec Œdipe-Roi, et est-ce que tu as lu d’autres livres à côté ?
Euh, oui, en philosophie, on nous a conseillé pas mal de livres… enfin, quand j’étais plus jeune, je lisais vraiment beaucoup, j’allais à la bibliothèque et je prenais genre vingt livres et j’en lisais le plus possible, et avec justement le lycée, où on demande plus de lire des livres en particulier, ben j’ai perdu un peu le goût de la lecture que j’avais avant, et c’est triste mais sûrement aussi à cause de tout ce qui est portable et tout, on passe un peu à autre chose et c’est un peu triste. Après je pense que quand on aime bien la lecture, ça peut aussi revenir plus tard quoi, mais du coup, les livres de philo, en fait j’ai du mal à me concentrer, j’ai l’impression quand je lis, enfin je passe vite à autre chose et des fois, je lis des pages et je me rends compte qu’en fait je pensais à autre chose et du coup, j’ai pas… j’ai pas vraiment lu quoi. Et … euh, j’ai du mal à finir les livres en fait en ce moment. Du coup, j’en ai un peu plein en chemin mais que j’arrive pas vraiment à reprendre.
Et ça c’est depuis, tu dirais, depuis l’entrée au lycée ?
Oui, je pense, oui.
Parce que au collège par exemple, t’avais pas l’impression que c’était difficile de lire ?
Non, et j’ai eu un portable tard aussi, et du coup, enfin je me souviens des fois je me levais à six heures pour finir un livre ou je marchais dans la rue avec mon livre, ça m’arrive moins.
Et ça te manque ?
Oui, un peu. En ce moment, j’essaye de plus lire parce que ça fait du bien de décrocher un peu.
Et est-ce que tu penses que tu pourrais aimer lire comme tu aimais lire au collège n’importe quel type de livres ou est-ce que c’était parce que c’était certains livres que tu lisais et que maintenant, c’est d’autres types de livres ? Qu’est-ce qui pour toi a changé ?
Euh, ben je pense que mes goûts de lecture, ils ont changé, heureusement d’ailleurs, parce que ce que je lisais au collège, c’était quand même pas… voilà, c’était de la lecture d’adolescents comme ils le classent en bibliothèque mais j’essaye de lire des livres qui m’intéressent, par exemple, j’aime beaucoup le cinéma, et du coup, j’aime bien lire les scénarios des films quand c’est possible, et du coup, j’ai lu Hiroshima mon amour, Le Mépris et À bout de souffle. Et À bout de souffle, je suis en train de le relire encore parce que j’aime trop les dialogues des films de la Nouvelle Vague, et j’aime bien avoir le support papier et après j’ai un cahier où j’écris les citations que j’aime bien, j’aime bien les citations.
Et tu regardes les films après ? En parallèle ?
Oui, oui, je les regarde, ben quand je lis des scénarios, je les regarde plutôt avant à part Hiroshima mon amour, en fait j’avais jamais vu le film, je me suis dit que quand même, il fallait que je le vois et du coup je l’ai vu mais il y’a pas si longtemps que ça après avoir lu le scénario. Et… en ce moment je lis aussi, ben du coup j’ai À bout de souffle que je suis en train de relire, je suis en train aussi de lire aussi On The Road de Jack Kerouak, en anglais du coup. Mais pareil, là j’ai… en fait, c’est des livres que j’aime beaucoup et que je trimballe toujours avec moi mais que j’ai du mal à me remettre dedans, enfin, je sais pas comment … et aussi , j’ai un… un des recueils de poèmes de… James Douglas Morrison, Jim Morrison, ses poèmes, et je les aime bien parce que, je sais pas, je me trimballe toujours avec ce livre sur moi parce que j’aime bien le feuilleter de temps en temps.
Parce que tu trouves que la poésie, c’est plus facile à lire ?
Non, j’aime pas trop la poésie en fait mais… enfin, j’aime pas trop, ça dépend, il y a des poèmes qui sont beaux mais c’est pas trop mon… enfin je lis pas beaucoup de poésie, c’est plus de la prose je dirais Jim Morrison. Bon, à la fois, c’est en anglais donc je comprends pas tout exactement ce qu’il a voulu dire, parce que même si t’es anglais, je pense que tu comprends pas tout ce qu’il a voulu dire mais c’est l’ambiance aussi …
Et est-ce que tu parlais de ce changement entre collège et lycée , est-ce que tu trouves que la manière dont on vous fait lire au lycée a changé, ou pour toi, c’est juste toi qui a changé dans ton rapport aux livres ?
Euh, si je pense qu’au lycée, on demande beaucoup plus d’analyser, de… ben c’est à partir du moment où on commence à faire des compositions, des trucs comme ça, vraiment de rentrer dans le camp[sic], oui, du livre, comme nous disait notre prof de français l’année dernière et du coup, on est moins dans le ressenti, enfin, je sais pas comment dire mais on est un peu tout le temps en train d’essayer d’analyser des trucs, et euh… je pense que ça change quelque chose un peu.
On prend de la distance.
Oui, et puis comme les livres, c’est pas vraiment nous qui les choisissons mais ils nous sont un imposés, y’a des fois on se force un peu à les lire, et du coup, moi je sais Madame Bovary, c’est mon père qui m’a forcée à le lire la première fois, et c’était l’été entre le collège et le lycée et il m’a forcée à le lire et… et du coup, ben j’ai pris aucun plaisir à lire et je l’ai même pas fini, en fait, j’ai lu deux cent cinquante pages à peu près et puis…
Tu lui en as voulu ou pas ?
Euh, oui, un peu.
Ou tu t’es dit qu’il avait raison ?
Ben, il l’a refait, un jour, il m’a forcée aussi à lire L’Etranger de Camus, sur le coup ça m’a un peu saoulée parce que j’aime pas qu’on me force à lire un livre, parce que pour moi je lis si je veux le livre que je veux quoi. Après Camus, oui c’est sûr, c’était peut-être bien de m’avoir forcée à le lire aussi parce que voilà sinon, peut-être que je l’aurais pas lu et c’était… il était bien quoi, mais Madame Bovary, je pense que j’étais peut-être pas assez… c’est pas « mature », mais oui, si, peut-être pas assez mature pour lire, pour comprendre le truc, quoi.
Et là, tu dirais que ça a changé quand t’as relu Madame Bovary ?
Ben, j’ai beaucoup appréhendé. Quand on m’a dit que y’avait Madame Bovary au programme, j’ai cru que j’allais… que j’allais pleurer (rires) et puis, bon, ben on était obligé de le relire et du coup, je l’ai relu et bon, y’a des passages un petit peu longuets, c’est un petit peu pénible mais je l’ai plus aimé que la première fois quand même… j’ai plus pris du plaisir à lire, que la première fois, c’était vraiment un calvaire, quoi.
Et par exemple, t’as des souvenirs de passages que t’a plus aimé ?
Euh… j’aime bien le passage où elle part avec Rodolphe dans les bois. J’aime bien tous les passages où il décrit la nuit, les trucs comme ça. Après je trouve que en l’étudiant, après quand on le relit, c’est marrant parce qu’on se met à rire sur des passages que… quand on les a lus la première fois, ça nous a pas… par exemple Charles, quand on sait, quand on connaît plus le personnage, qu’on l’a étudié, et ben quand on relit les… on voit plein de… enfin, on voit que Flaubert depuis le début il met des sortes de… d’indices pour nous montrer un peu, et des trucs qui sont vraiment marrant en fait, et on se met à lire devant Madame Bovary alors qu’on pensait que c’était que les profs qui pouvaient rire sur Madame Bovary (rires).
Et tu disais, tu parlais du fait qu’on lit peut-être moins au lycée avec la sensation, mais peut-être plus avec l’analyse, si toi tu avais dû enseigner Madame Bovary, comment tu l’aurais enseigné ?
Euh… ben, je sais pas mais la manière dont on me l’a enseigné cette année, ça m’a pas… ça m’a plu parce qu’on le fait aussi par personnages, par épisode, par chapitres, genre le chapitre des Comices qui est plus important , enfin c’est tellement une grande œuvre qu’on peut pas vraiment tout étudier quoi, mais euh… ouais, par personnage, je trouve ça intéressant aussi.
Pourquoi ça te parait intéressant par personnages ?
Parce que y’a beaucoup beaucoup de personnages et y’en a qui évoluent pas mais y’en a qui évoluent et quand on étudie par personnage, on retrace un peu tout le livre alors que quand on fait par épisode, c’est plus par moments.
Et est-ce que tu t’es identifiée ? Est-ce qu’il y a des passages où t’as vraiment senti des émotions par rapport aux personnages, par rapport à ce qui se passe ?
Non, par contre, non, ça paraît un peu… ça paraît assez loin de nous en fait, enfin.
En quel sens ?
Je sais pas si des gens de ma classe se sont identifiés à Madame Bovary mais euh… moi, pas vraiment en tout cas. Même pas du tout.
C’est, cette manière de… cet ennui, ça t’a pas parlé du tout ?
Ben, si, un peu mais après, Madame Bovary elle est un peu dans l’excès aussi quoi, moi, elle m’agace cette femme quand même parce que elle est toujours là, en train de gémir de se plaindre, alors qu’au fond, elle a pas non plus…enfin, elle est jamais contente quoi. Après, oui, c’est aussi intéressant, ça parle d’un état d’âme qui existe et que voilà, qui mérite d’être… qu’on en entende parler, mais après, moi je me suis pas identifiée à elle parce que je crois que je ressens pas vraiment ce genre de choses. Enfin, l’ennui, si, tout le monde ressent l’ennui mais à ce point-là, non.
Et est-ce qu’il y a des personnages que t’as vraiment détestés pour le coup ?
Mmm… ben, Homais en soi, il est assez exécrable mais euh…mais en fait, il est assez rôle parce qu’il est ridicule, du coup il est… je le déteste pas parce qu’au final il est assez marrant par rapport aux autres. Euh, « détestés », non, mais je pense que celle que j’ai le moins aimé au final, c’est peut-être Emma. Et d’un côté, on compatis aussi un peu avec elle parce que… voilà, mais… ah si, Monsieur Lheureux, lui je l’ai détesté Monsieur Lheureux, parce que il est vraiment, il est vraiment dégueulasse comme personnage. On sent que plus il est présent, plus la spirale, elle se referme autour d’Emma et il revient, il revient, il revient, et puis moi en plus je comprenais pas tout à fait les histoires de coupons, de ché-pas-quoi, enfin, je comprenais pas trop, du coup, à chaque fois qu’il était dans le chapitre, je comprenais rien. Enfin…
Quand elle lui emprunte de l’argent, qu’elle signe des billets.
Oui, ça j’ai compris quand on a étudié le personnage mais oui, on sent qu’il est vraiment… qu’il apporte vraiment de mauvais augures, quoi.
Et est-ce que t’es contente d’avoir étudié Madame Bovary ?
Ben, au final, oui, beaucoup plus que Œdipe, en fait. Parce que Œdipe, j’ai du mal… euh, j’étais même triste qu’on passe à Œdipe et qu’on quitte Madame Bovary, parce que je trouve que… oui, c’est un livre qui est vraiment intéressant.
T’as entendu parler des réécritures de Madame Bovary ou tu t’es intéressée un peu à ça ?
Euh, non.
Comme, ben par exemple, y’a un film qui est sorti y’a pas longtemps qui s’appelle Gemma Bovery qui est l’adaptation d’une bande-dessinée par Posy Simmonds. Mais y’a eu énormément énormément de …
De films.
De films et de réécritures, du point de vue d’autres personnages, par exemple du point de Charles, ou de la fille, de Berthe.
Du point de vue de Charles, ça doit être intéressant.
Oui, surtout qu’il y’en a deux. Y’en a deux Monsieur Bovary, deux réécritures.
D’accord.
J’avais une question à poser que je pose à tous les élèves en entretien. En fait je vais écrire un article dans la revue Flaubert et le thème, c’est « Flaubert et la prostitution ». Et la question que je pose, c’est : « Peut-on lire Madame Bovary, Emma comme une prostituée ? » et j’aimerais avoir ton opinion là-dessus.
Moi je dirais que non, parce que pour moi la prostitution c’est vraiment faire un commerce de son corps et il y a la prostitution forcée et non forcée, ça c’est un autre… c’est autre chose, mais moi, je dirais pas qu’Emma c’est une prostituée, c’est juste une femme qui sait pas trop ce qu’elle veut et qui… qui veut vivre quelque chose de fort et du coup qui tâtonne en fait au final, un peu. Enfin, moi, je vois ça plus comme ça. « Prostituée » ca me paraît assez… assez fort. Après c’est vrai que quand des fois j’en parle avec des amis, que je dis que je lis Emma Bovary, on me fait souvent la réflexion « Ah, mais Emma Bovary » — bon c’est un peu grossier mais — « c’est une pute Emma Bovary », ou de trucs comme ça et… parce qu’elle couche un peu, bon, pas… mais en fait au final, elle couche pas… elle couche qu’avec trois hommes différents, enfin. Moi je trouve que ça parle oui, de l’adultère mais pas de la prostitution. Après je vois, oui, qu’avec toute la question de l’argent et tout, je vois qu’on… que la question peut se poser, après moi, je vois pas ça comme ça.
Et au niveau de la sensualité du personnage. Est-ce que tu l’as vue comme un personnage sensuel ?
Ben, à travers les yeux des hommes du roman, c’est quelqu’un d’assez sensuel, comment elle est décrite, surtout le passage avec Justin, quand il la regarde à travers la porte et qu’elle est en train de se coiffer je crois, donc… c’est une description qui est assez sensuelle et je pense que Flaubert voulait la montrer comme une femme qui… qui est assez sensuelle, qui attire les hommes.
Entretien n°10
Yann, 16 ans, admis au baccalauréat, mention très bien
Profession du père : enseignant-chercheur en linguistique ; profession de la mère : enseignante d’arts plastiques au collège-lycée
Est-ce qu’il y a déjà des remarques préliminaires que tu voudrais faire sur Madame Bovary, des choses que tu voudrais … ?
Sur le livre… ou ?
Oui, ou par exemple quand tu imaginais l’entretien, est-ce qu’il y a des choses que tu t’étais déjà dites … « Ah, tiens, il faudra que je dise ça » ?
Euh…Pas plus que ça.
Du coup… Est-ce que ça t’a pris longtemps de lire Madame Bovary ?
Ben, je l’ai lu assez vite en fait parce que c’était l’été… euh… j’étais dans ma maison de campagne, j’avais pas grand chose à faire, et du coup, j’ai été quand même été assez finalement emporté par l’histoire et quand y’avait des passages un peu longs, ben… enfin… je lisais sans… en faisant un peu moins attention, c’est pour ça que j’ai raté pas mal de trucs que j’avais pas compris, quand on a parlé du livre, avec Monsieur Lheureux notamment, que… les histoires que… j’avais pas du tout fait gaffe. Et du coup j’ai… en fait j’ai assez bien aimé parce que j’ai quand même suivi l’action, etc. Et j’ai dû le lire en… peut-être… en moins d’une semaine.
Et t’es un grand lecteur d’habitude ?
Ben, quand je lis un livre, je le… souvent, je le finis assez vite mais je lis pas forcément tout le temps quoi, enfin c’est pas régulier… par exemple, cette année, j’ai… peut-être de décembre à février-mars, là j’ai presque rien lu.
À part les livres de cours ?
C’est ça, oui. Enfin, j’avais lu un livre qui m’a mis vraiment deux mois je crois, c’est ça.
C’était quoi ?
C’était Cromwell de Victor Hugo.
Et ça c’était pour ton plaisir ?
Oui. Ben c’était intéressant, parce que je m’intéresse aussi pas mal à cette époque, au niveau de l’histoire. Du coup, c’était vachement intéressant mais c’était une pièce en alexandrins et du coup, c’est vrai que c’est assez long, enfin je lisais souvent petits bouts par petits bouts , du coup, ça m’a un peu ralenti quoi.
Et c’est toi qui a décidé de le lire ou c’est quelqu’un qui t’a dit : « Tu devrais le lire ».
Oui, c’est quelqu’un… c’est ma… enfin, non, pas « tu devrais le lire » mais… non, je crois que ma mère avait lu L’Homme qui rit de Victor Hugo, parce que ça se passe aussi à la même époque, enfin, un peu après, et elle avait dû confondre avec Cromwell du coup, j’ai lu ça finalement et du coup, c’est plus par rapport à ça, elle m’avait dit que c’était vachement bien et du coup j’avais lu Cromwell mais c’est… c’était bien aussi. Enfin, bon. Même si long, c’était intéressant.
Et t’étais content quand t’as vu que t’avais Madame Bovary au programme ?
Non (rires). Enfin, d’après tout ce que j’en avais entendu parler euh… non, parce que… tout le monde dit « oui », tout le monde dit « oui, c’est terrible, c’est ennuyant, etc. » Et en fait, c’est pour ça que quand je l’ai lu, j’ai été rassuré… enfin, j’ai eu plus une bonne impression par rapport à toutes les… tous les commentaires que j’avais eus avant, et du coup, c’est pas plus mal parce que ça m’a fait… à chaque fois, je cherchais des… des éléments pour me convaincre que c’était bien, en disant « oui, ça c’est bien, ça c’est bien ». Du coup, je pense que c’est ce qui m’a fait plus apprécier le livre aussi.
Et tu trouves que… t’as bien aimé l’étudier en cours ?
Oui, c’est ça aussi… enfin, tout ce qu’on… en fait, on l’a fait en deux sessions. On a fait, je crois, deux mois Madame Bovary, deux mois Œdipe-Roi, et donc le début, les deux premiers mois, c’était vachement intéressant, euh… parce que c’est ça, je découvrais plein de choses que j’avais pas forcément captées, et puis même des… on a appris plein de choses avec Homais, Catherine Leroux, etc., et des passages comme ça. Et après par contre, quand on est revenu deux mois, c’est vrai qu’au bout d’un moment , c’était… on est rentré dans des détails très précis, c’était un peu redondant en fait, enfin, j’avais l’impression de faire un peu toujours la même chose…
Si… si toi t’étais prof de français, est-ce que… comment tu ferais étudier Madame Bovary ?
Mmm… ben… je pense que c’est peut-être important d’avoir d’abord une vision globale, puis vrai c’est vraiment… enfin, ce qui m’a vraiment plu aussi, c’est l’aspect… euh, le contexte et comment l’œuvre a été faite, et tout, je pense que c’est bien d’insister là-dessus, de quoi il s’est inspiré etc. Et… je sais… sinon au niveau de…
Je me dis…enfin, je pense que vous vous en êtes rendu compte en classe, Mme N. a dû vous dire : « Voilà, c’est ce qu’on attend de vous pour le bac, et on va étudier ça, ça et ça ».
Oui.
Et est-ce que… du coup, je pense que, enfin je sais pas, mais est-ce que tu t’es à aucun moment imaginé une autre manière de l’étudier ?
Un autre aspect, oui. Euh, je pense pas plus que ça. Je pense qu’on est… c’est vrai qu’avec ces… on est… enfin, on a un cours en début d’année de présentation de l’objet d’étude, ce sur quoi il faut bien insister, je pense du coup qu’on se focalise et qu’on se formate peut-être un peu dedans. Et oui, j’ai pas… et c’est peut-être pour ça que…
C’est important pour toi d’avoir une bonne note en français au bac ?
Ben, je dirais comme tout le monde, ça m’arrangerait d’avoir une bonne note mais… oui, oui.
T’aimes bien le français, c’est une de tes matières… ?
Oui. Je pense que c’est ce qui m’a… enfin, je préférais quand même, je préférais largement le français en 1ère avec l’étude de plein de textes que de rester… cette épreuve qu’on a cette année.
Ah oui, tu préférais, pourquoi ?
Ben, parce que c’était beaucoup plus global… enfin, on avait vraiment vu plein de choses, moi j’aimais bien, on avait des objets d’étude sur la Renaissance, la découverte de l’homme… enfin, la découverte d’autres populations avec Montaigne, des textes de Montaigne et tout ça, et on avait… Enfin, on a exploré plein de choses, le théâtre et la poésie, mais de manière beaucoup plus… enfin, vraiment différente de ce qu’on faisait avant en français, je trouve, parce qu’en première, on a beaucoup plus de temps , on a beaucoup d’heures, et du coup c’est plus libre, ça permet de faire plus de choses, on avait monté une pièce de théâtre aussi, donc c’est pour ça que c’était plus…
Oui, c’est sûr. C’était quoi la pièce de théâtre ?
C’était en fait une pièce qu’on avait écrite par rapport à un texte de Paul Auster qui s’appelle Brooklyn Follies, et donc là, on avait d’abord étudié le texte en littérature anglaise, on avait étudié des extraits et puis après, on l’avait lu en français, et là on avait une pièce autour de… tu as lu le texte ?
Euh, je crois que je l’ai feuilleté, il y a longtemps mais je ne m’en souviens pas.
Et donc il avait un personnage dans le texte qui s’appelle Harry, qui est très particulier, il a un peu une double face, du coup on avait fait tout… toute la pièce autour de lui, en fait c’était plein de personnages qui parlaient de lui mais lui n’apparaissait jamais en fait. Et … y’avait un intervenant qui venait du théâtre de Célestins et qui nous a fait travailler.
Et c’était avec le ou la prof d’anglais et le ou la prof de français en même temps ?
Ben, finalement, non, la prof d’anglais n’est pas du tout intervenue… elle est venue nous voir à la fin. On avait étudié ça plus dans l’objet… enfin, c’était pas dans … dans le même objectif à chaque fois.
D’accord. Et tu trouvais pas ça frustrant de lire juste des petits extraits comme ça et de ne pas lire tous les livres ?
Ben, pas plus que ça, parce que je sais que y’a des extraits… justement, quand y’a des extraits qui sont vraiment euh… qui donnent envie, enfin, j’ai pu aussi lire… enfin, ça donne envie de lire le texte après donc j’avais lu le livre, je crois que c’était euh… oui, c’était un texte d’André Malraux, La … non c’est pas la comédie humaine. Quelque chose d’humaine, qui se passe en Chine. La Condition humaine. Et puis après, on a fait pas mal d’œuvres complètes, par exemple Gargantua, j’ai vraiment… aimé ça.
Ah, vous avez lu Gargantua ?
Oui, on avait six extraits je crois pour le bac en lecture analytique très précise et tout, mais on avait aussi lu l’œuvre.
Et dans le texte d’origine ou est-ce qu’il y avait une traduction ?
Ben en fait, oui, on avait un texte avec à gauche la version d’origine et à droite, un français plus… actuel.
Et ça, t’as aimé quand même ?
Oui, parce que c’est pareil, c’est vraiment intéressant de l’étudier parce que, quand on le lit comme ça, on comprend pas forcément grand chose et bon, y’a des… enfin, on comprend pas en fait les enjeux qu’il y a derrière, c’est surtout ça l’histoire de… enfin, c’est pareil c’est long, c’est assez long, du coup, on peut facilement se lasser aussi, et donc on voit pas toute la portée humaniste etc. et toute la recherche qu’il y a.
Et est-ce que t’as trouvé ça drôle ?
Oui, oui, j’ai quand même assez ri… enfin, c’est vrai que c’est souvent, enfin, ça peut être peut être lourd, des fois c’est pas très malin mais y’a quand même des passages qui m’ont fait rire.
Et est-ce que t’as été surpris qu’on puisse étudier ça en classe, Gargantua ?
Ben…
Par exemple, par rapport à Madame Bovary, est-ce que tu trouves que…
C’est, c’est, c’est vrai que… ben, pas plus que ça parce que j’avais déjà entendu des gens qui l’avaient étudié, même ma grand-mère l’avait étudié quand elle était en cours de français. Donc, déjà, je m’y attendais plus ou moins. Et puis quand on l’a étudié et qu’on parle du fait que Gargantua joue deux-cent soixante-dix je sais pas combien jeux et du coup, ça montre que l’humanisme veut accentuer le sport et la culture physique etc., à chaque fois qu’on voit les enjeux derrière, on se dit « Ah ben oui, c’est logique, c’est vraiment intéressant ».
Est-ce qu’il y a des livres que t’aimerais bien étudier en classe et tu te dis : « Jamais on les étudiera » ? Est-ce qu’il y a des livres que tu as étudié en classe et que t’aurais vraiment voulu ne pas étudier ?
Ben, je pense que ce serait intéressant peut-être d’étudier des, c’est vrai, des… je sais pas si ça vaut le coup ou pas mais d’étudier des trucs moins classiques, plus contemporains aussi, je…
Par exemple ?
De science-fiction ou de fantasy, je sais pas, Harry Potter, enfin… faut voir ce que ça donne, je sais pas si on peut en donner quelque chose.
Pourquoi tu penses qu’on pourrait pas forcément en donner quelque chose ?
Parce que souvent quand on s’intéresse à une œuvre aussi peut-être qu’on s’intéresse au… au contexte, à la portée de l’œuvre etc., alors qu’ici c’est… je pense que le but quand même c’est plus de divertir et de … et de faire plaisir au lecteur. Mais bon, c’est très important aussi dans la littérature de… qu’il y avant.
Oui, en même temps Gargantua par exemple, c’était fait pour faire rire aussi.
Oui.
Est-ce que tu te souviens de la manière dont tu faisais du français eu collège et est-ce que tu dirais que ça a changé en entrant au lycée ou pas ? Est-ce que t’as l’impression d’avoir… parce qu’au collège, on lit quand même plus des livres quand même plus divertissants, on lit quelquefois même des livres très contemporains, par exemple Odile Weulersse, des romans historiques contemporains.
Oui, ben, au collège, déjà il y avait beaucoup de grammaire, donc déjà ça prenait beaucoup de place, et après on est beaucoup plus… beaucoup plus guidé, on est un peu… on a des questions à chaque fois, enfin c’est très guidé, on sait ce qu’il faut faire et je m’en rappelle que… c’est surtout même que, parce que en fait en seconde on poursuit un peu dans ce rythme là, je me rappelle qu’au début de l’année, la prof avait vu que beaucoup de gens avaient beaucoup de mal avec l’orthographe, on a commencé à faire des dictées toutes les semaines donc c’était pas forcément… enfin on était encore un peu dans l’esprit collège, et c’est plus en première L, enfin, quand on rentre en L, on avait notre prof qui nous lisait un texte et puis qui… on lit le texte et puis il nous dit « bon, ben voilà, qu’est ce que vous pouvez me dire dessus ? » et on part de rien. Et donc je pense que c’est là qu’il y a un changement… Après peut-être que ce serait intéressant d’étudier des BD ou des mangas. Oui parce que quand on voit comme là on étudie Œdipe-Roi avec un film, je pense que on peut très bien étudier l’aspect graphique et tout.
Oui, et d’ailleurs il y a une BD qui a été faite à partir de Madame Bovary, je sais pas si tu connais, Gemma Bovary. Il y a eu un film qui est sorti il y a pas longtemps avec Fabrice Luchini, et c’est un film qui est adapté d’une BD … et c’est vrai que c’est une BD très contemporaine, des dessins très contemporains et l’histoire est remaniée donc c’est aussi intéressant. Et tu lis des mangas toi ?
Oui. Enfin, je m’y suis remis il y a pas très longtemps, j’en avais pas lu depuis… enfin, j’en lisais quand j’étais plus jeune, j’en ai lu plein. Et là oui, j’en ai trouvé deux-trois qui étaient intéressants.
Et pour toi, est-ce qu’il y a une différence entre les livres que tu lis pour toi et les livres de l’école ou est-ce qu’il y a des ponts ? Par exemple, si tu lis un manga, c’est plus pour toi, tu vas pas l’étudier en classe mais en même temps, est-ce qu’il y a des livres que tu vas lire en classe que tu t’appropries, qui te font autant plaisir un lire qu’un manga, ou est-ce que pour toi, c’est bien séparé ?
Non, moi, il y a un peu des deux. Enfin, je pense que… le fait, enfin, je pense que je classe quand même les livres du type BD, mangas dans un autre… enfin, c’est vraiment là dans une autre catégorie parce que c’est vraiment dans un but, pour se divertir, c’est comme regarder une série, enfin, je pense que c’est autre chose. Et, mais après, il y a beaucoup de livres plus classiques, plus anciens qui m’avaient pas mal plu. Et puis aussi, enfin, en tout cas là c’était en philo cette année on a eu des livres à lire, des livres conseillés et qu’on n’a pas étudiés en cours mais juste qui allaient avec le programme, et donc, là, on avait un livre qui s’appelait Le Problème Spinoza, c’était écrit l’année dernière je crois, par quelqu’un qui retraçait comment Spinoza aurait vécu et aussi… et c’était mis en parallèle avec l’histoire d’un dirigeant nazi Rosenberg, Alfred Rosenberg, qui finissait par découvrir la bibliothèque de Spinoza à la fin du livre, donc ça s’entrecroisait, et euh…
Et tu disais que les mangas c’est plus pour se divertir mais tu dirais pas que tu apprends quelque chose ? ou les séries ?
Si, si. Non, mais c’est vrai. En fait je pense que on… on… l’approche qu’on a quand on se dirige vers des mangas ou des séries, c’est que c’est pour se divertir. Et je pense que c’est après qu’on voit que y’a pas que ça et que… bon après je… et puis bon, y’a des mangas plus historiques, des séries plus historiques aussi, je me rappelle j’avais vu une série sur les Tudors sur Arte, c’était vachement bien, c’était très bien fait, et j’ai regardé ensuite… c’est très fidèle à la réalité, parce que je me suis renseignée après. Bon même après quand on regarde Game of Thrones, c’est pareil, il y a beaucoup de points communs avec des… des histoires réelles. Y’a des analyses qui nous montrent que c’est de la philosophie politique qui s’intègre dans la série et donc après peut-être que c’est… y’a à la fois peut-être un clin d’œil du narrateur, du réalisateur qui veut montrer quelque chose mais bon, c’est vrai que on… on apprend des choses aussi.
Est-ce que quand par exemple quand tu as lu Madame Bovary, tu as appliqué des situations qui se passent dans Madame Bovary à ta propre vie ? Enfin est-ce que tu t’es identifié ou est-ce qu’il y a des choses qui t’ont vraiment touché ? Est-ce que voilà… quel était ton rapport au livre de Madame Bovary par rapport à ça. Parce que dans les mangas, les séries, on a tendance à justement s’identifier, voire même quelque fois à se dire « Ah oui, si moi ça m’arrivait, je ferais comme ça, ou je ferais pas comme ça ». Et est-ce que avec Madame Bovary, ça t’a fait ça ?
Ben, déjà, au bout d’un moment euh… c’est ma mère qui l’a lu après et on en a parlé et on s’est dit que Madame Bovary, c’était vraiment le même personnage qu’une ancienne voisine qu’on avait…
Oui, je m’en rappelle dans ton journal.
Oui, c’est ça. Et c’est vraiment exactement ça (rires) elle s’ennuyait à mourir, elle arrêtait pas de faire de la couture et puis… enfin, moi je l’avais connu au début quand j’étais petit, et elle s’occupait de nous et tout, mais après quand j’y repense, c’est vraiment ça. Et sinon pour l’aspect… ben après je me disais, enfin je me dis souvent ça dans les livres, mais pas forcément en me mettant à la place mais je me dis « Ah ! Ah non, c’est vraiment trop con ce qu’ils viennent de faire là ! » Alors que c’est fait exprès pour faire avancer l’histoire parce que si tout allait bien, il n’y aurait pas d’histoire et du coup, ben j’ai pas vraiment d’exemple en tête , mais de… de pouvoir influer sur l’histoire … « Ah non, ils auraient dû faire ça ! »
T’as pas d’exemple pour Madame Bovary ?
Euh…
Est-ce qu’il y a des personnages auxquels tu t’es plus ou moins… que t’as plus ou moins aimés, que t’as plus ou moins détestés ?
Ben c’est sûr que Homais, je le supportais pas. Ah vraiment, à chaque fois qu’il entrait en action et qu’il… il était méprisant, méchant, et en fait, ben, je sentais… enfin, je me… je préférais plus le personnage de… à la fois le personnage de Charles, des fois, je le trouvais vraiment… enfin c’est lui qui joue les… des fois, il à l’occasion de se rattraper, par exemple l’histoire du pied-bot, il a l’occasion, on se dit au début, le début du chapitre est vraiment très optimiste, « oui, il a l’occasion de devenir un super médecin dans la région, quelque chose de vraiment innovant et tout » et puis tout s’écroule. Et encore une fois, alors que… et donc à chaque fois, ce personnage de Charles, j’avais toujours envie d’y croire, de dire « Ah tiens, il pouvait se remonter » à chaque fois et puis finalement…
Oui, c’est vrai que c’est triste, Charles.
Oui. Parce que on sent que c’est possible, enfin je sais pas, et puis finalement il est, il est raté jusqu’au bout, quoi.
Oui, c’est vrai.
Et je voulais te poser une question. En fait je vais la poser à tous tes camarades : Peut-on lire Emma Bovary comme une prostituée ? » Et je voulais savoir si toi, à un moment tu t’es fait cette remarque là ou est-ce que maintenant que je le dis, tu te dis : « oui peut-être » ? Est-ce que pour toi, ça te paraît quelque chose de pertinent ou pas du tout ? et si pas du tout, pourquoi ?
Moi, quand j’ai lu le… quand on voyait les critiques, à chaque fois c’est « oui, l’œuvre qui a choqué son temps etc. » et moi ça m’a plus choqué que ça. Je la voyais plus comme une femme qui faisait ce qu’elle voulait, bon, elle a deux amants, mais pas… C’est pas comme si elle se tapait la terre entière, quoi, ça va (rires). Ben en fait, ça m’avait pas plus choqué que ça, je la trouvais pas plus dévergondée…
La question de la prostitution, c’est aussi est-ce qu’il y a un lien entre l’argent et les faveurs sexuelles, par exemple le passage avec le notaire Guillaumin qui lui propose de la sauver si elle devient son amante.
Oui, c’est vrai que l’histoire du notaire, ça m’aurait pas choqué qu’elle dise « oui », enfin, elle est en désespoir de cause, tout lui échappe, enfin ça m’aurait pas choqué, c’est de la prostitution, mais je veux dire pour le personnage… mais alors que là elle réagit fortement. Après avec Léon, elle a rien à gagner, elle est pas…
C’est même plutôt l’inverse.
Oui, c’est ça, c’est elle qui se ruine.
Entretien n°11
Éva, enseignante de français
On peut commencer par ta lecture de Madame Bovary. Imaginons une sorte de fiction, que tu n’aies pas été professeure de Terminale L sur Madame Bovary. Comment est-ce que tu parlerais du livre ?
Comment je parlerais du livre ?
Oui, est-ce que tu te souviens de ta première lecture par exemple ?
Oui, c’était quand j’étais lycéenne, je crois que je devais être en seconde, ou peut-être en première mais plutôt le début du lycée, et comme ça faisait partie vraiment des grands livres, des classiques, je m’étais lancée mais, vraiment toute seule, dans le livre… euh… je me rappelle pas exactement ce que j’avais ressenti à l’époque mais je ne m’étais pas ennuyée, ça c’est certain, c’était quelque chose qui m’avait quand même plu… euh… même si ensuite, quand on a pu en reparler, que ce soit en prépa ou même à la fac, plus tard, j’avais oublié beaucoup de choses. C’est un ouvrage qui m’avait marquée et plus sur le moment mais je gardais quand même en tête cette idée un peu rebattue de la femme qui s’ennuie, qui est déçue, etc. Mais après, les épisodes qui sont devenus les épisodes un peu incontournables du cours de littérature, que ce soit en prépa ou à la fac, c’est vrai que je les avais pas forcément bien en mémoire. Mais ensuite en les retravaillant, ils sont devenus plus familiers, mais ils demeuraient des épisodes un peu indépendants parce que je n’avais jamais repris véritablement intégralement et de façon approfondie la lecture. Je pense qu’en prépa ou à la fac, j’avais peut-être dû relire certaines parties mais jamais vraiment intégralement donc j’avais une lecture encore assez naïve, ou en tout cas, qui se fondait sur des souvenirs assez anciens…
Une lecture finalement assez scolaire…
Oui, aussi.
Cest-à-dire, le principe de la lecture cursive où tu lis quelques textes en profondeur…
Et je pense aussi que c’était avant le film de Chabrol, que j’avais lu ça, parce que je sais pas s’il date de 95, le film, oui, voilà ça devait coïncider, mais ma lecture avait dû être antérieure au visionnage du film mais elle avait dû coïncider un petit peu avec la sortie de Chabrol…
D’accord. Et quand tu le lisais, est-ce que tu te souviens dans quel cadre, dans quel cours tu as dû le lire ?
Là, c’était vraiment toute seule… c’était pas une lecture imposée.
Mais à la fac ?
Après la fac, je ne me rappelle pas trop, mais peut-être qu’on avait retravaillé, je sais pas, l’attitude du personnage-lecteur et qu’on avait dû retravailler les passages où Emma lisait au couvent ou certains moments peut-être avec Rodolphe, ou la scène du bal, mais plus des topoï…
D’accord, et donc en fait, la première fois où tu l’as relu vraiment intégralement, c’était pour le… l’objectif du bac ?
Oui, et en fait, c’est vrai que jusqu’à l’année où j’ai pris le cours, l’année dernière, des Terminale L, j’avais jamais fait ce cours de littérature en Terminale et c’est vrai que ce qui m’a vraiment motivée et décidée, bon il se trouvait que la place était vacante au lycée pour ce cours-là, mais c’est que justement j’avais jamais travaillé, moi, de façon très approfondie ce roman, qui était un roman que j’avais aimé ou alors certaines relectures très partielles m’avait beaucoup plu et j’avais vraiment envie de m’approprier et de connaître bien mieux ce récit. Pour moi, c’était combler aussi un manque dans ma culture personnelle et de professeure aussi.
Et donc, tu n’avais pas, dans ton travail de professeure, fait étudier des passages du livre ?
Si, l’année qui précédait l’année où j’avais fait le cours, justement, sur Madame Bovary, donc c’était l’année, ça devait être 2014–2015, on avait travaillé La Princesse de Clèves en œuvre intégrale, c’était des premières L, et donc j’avais travaillé une séquence sur le motif des réécritures autour de la scène de bal, dans le roman ou dans des films, et justement, j’vais travaillé un extrait de la scène de bal dans Madame Bovary et donc j’avais relu la première partie du roman à ce moment-là mais j’en avais pas refait une lecture intégrale, donc c’était plus des moments où je piochais dans le roman plus qu’une lecture globale.
Donc tu as été contente en fait quand ça a été mis au programme ?
Ah oui, vraiment, et c’est vraiment un des éléments qui m’a vraiment motivée pour prendre ce cours.
Le cours de Terminale qui est quand même assez intense…
Et où, plus qu’en première… en première même si on étudie des œuvres intégrales, c’est plutôt des arrêts sur lecture, assez ponctuels, même si on travaille aussi des synthèses plus transversales, c’est quand même plus léger que ce qu’on fait en Terminale L, ça c’est certain, parce que en première, il s’agit avant tout de faire acquérir aux élèves des éléments d’une culture commune mais avec différents objets d’étude et un certain nombre de textes, et c’est plus des arrêts sur lecture, plus que des entrées transversales qu’on va approfondir et qui nécessitent aussi que nous-mêmes, en tant que professeurs, on ait apprivoisé bien mieux le récit en tant que tel.
Et donc tu l’as relu et quelle a été ta réaction, qu’est-ce que tu en as pensé ?
Ben donc, ce qui était assez drôle, c’était qu’il y avait des passages que je connaissais très bien, d’autres que j’avais complètement oubliés. J’étais très contente de le relire, ça m’a énormément plu, et encore une fois, pendant ces années de formation, que ce soit universitaires ou quand on avait repris certains extraits pour la bac ou je ne sais quoi, il y avait cette langue de Flaubert à laquelle j’étais sensible, et cette ironie, mais là c’était vraiment toute… enfin, la phrase de Flaubert, elle prenait vraiment beaucoup plus d’épaisseur à ma relecture déjà assez attentive et un peu plus mature aussi, ou distanciée, et c’est vrai que c’était plus une lecture jubilatoire.
Et donc, est-ce que tu peux expliciter, par exemple est-ce que tu peux donner des exemples de ce qui t’a plu, donc tu parles de la langue de Flaubert, donc l’aspect stylistique en fait. Est-ce qu’il y a d’autres choses ou est-ce que c’est vraiment ça ?
Donc l’aspect stylistique, c’est certain. La construction aussi du récit, dans sa globalité, qui est quand même vraiment très… oui… très, très construite, très fine. La pointe de Flaubert, ses personnages aussi, c’est quelque chose que je redécouvrais mais vraiment plus dans son ampleur… enfin, autant je savais qu’elle existait…etc., mais là c’était vraiment plus en avoir conscience en fait du début jusqu’à la fin en tout cas… ou des personnages aussi que j’avais oubliés ou qui étaient pas vraiment consistants pour moi, comme le personnage de Justin par exemple, qui allait prendre beaucoup plus d’épaisseur et par sa discrétion, une force à laquelle j’avais pas été vraiment sensible et que là, je redécouvrais…
Du coup, est-ce que tu t’es identifiée, ou est-ce que tu as lu les choses différemment ?
Tu parles de maturité… moi, bon, je peux te parler de moi, moi, quand je l’ai relu une troisième fois, dans mon souvenir, j’ai déconstruit ça, je l’ai lu une première fois en seconde, bon pareil, parce que c’était censé être un classique, je me souviens que je ne m’étais pas trop osé me l’avouer mais ça avait été difficile, j’avais pas trop trop accroché, après je l’ai relu dans le cadre de la prépa, où là, on rebattait du Barthes ou de la distanciation par rapport à la psychologie des personnages, donc on lisait Flaubert du point de vue stylistique, le discours indirect libre, le cynisme, la bêtise, voilà.. Et puis là quand je l’ai relu l’année dernière, j’ai vraiment, déjà j’ai eu des moments de… alors, c’est ponctuel, tu t’identifies jamais complètement à Emma, mais j’ai eu des moments d’identification très forts à Emma, j’ai eu des moments d’identification très forts à Charles, par exemple, j’ai trouvé le début hyper cruel, quoi, ça a vraiment réveillé chez moi des … c’est marrant parce que pourtant, j’ai pas souvenir d’avoir lu ça comme ça la première fois alors que c’était moins loin quand j’étais en seconde l’époque où j’étais un peu bouc émissaire. Donc il y eu cet aspect-là qui m’a vraiment frappée, et puis il y a eu l’aspect… j’ai fait une lecture beaucoup plus féministe, au sens où je suis beaucoup plus au fait maintenant de ces questions de condition de la femme, de ce que c’est que d’être une femme au XIXe siècle, et encore aujourd’hui, et donc je me le suis beaucoup plus approprié d’un point de vue personnel, c’est une question d’expérience de vie. Est-ce que toi, tu as eu ces moments là, ou… ?
Oui, ben, plus je pense aussi, parce que l’âge faisant, Emma qui est… je pense que quand je l’ai lu pour la première fois, même si j’ai pas tout perçu, j’étais plus cette Emma complètement naïve qui va s’identifier à certaines de ses héroïnes, que ce soit pour moi des héroïnes de films, de romans ou d’images qu’on voit aussi à droite à gauche… et ben là, en ayant vieilli aussi, peut-être cette identification parfois, à une forme de désillusion aussi du personnage sur ce qu’elle vivait dans un quotidien qui ne correspondait pas forcément ou en tout cas, qu’elle souhaiterait beaucoup plus dynamique, etc. Et ça, c’est des choses qu’on constate, ou en tout cas que j’ai pu constater parfois, et même si, heureusement, que c’en était pas au point d’Emma mais oui, ce sont des choses auxquelles j’ai été peut-être plus sensible…
Et Emma pour toi, elle a quel âge ?
Alors, elle est plus jeune, ça c’est certain, mais en même temps, elle est mariée, très jeune aussi, enfin voilà, et donc, enfin moi je ne suis pas mariée mais en couple, en famille, il y a toujours aussi, même si on fait plein de choses et que je suis contente de ma vie, un quotidien qui parfois me rattrape … oui , oilà. Et ça c’est quelque chose… alors, il y a cet aspect aussi par rapport la condition de la femme dont tu parlais, et de cette femme qui a envie de vivre un peu selon ce qu’elle souhaite et qui est brimée finalement, à laquelle, enfin, tout ça, j’y ai été sensible, mais là je parlais vraiment aussi de cette lecture plus… de moi plus vieille, qui a fait que j’ai pu aussi m’identifier, par certains moments, à ce qu’elle pouvait ressentir par rapport à son quotidien.
Et quand tu parlais de lecture jubilatoire, est-ce que tu as des exemples de moments, de phrases, tu vois, de choses qui t’ont vraiment pour le coup touchée ou…
Ben, disons que on pourrait prendre vraiment de très nombreux exemples où avec ces pointes de Flaubert toute en discrétion, mais que ce soit pour le mariage d’Emma, ou lors des Comices, l’épisode même du pied-bot ou vraiment personne n’est épargné, et quelque fois, c’est un tout petit détail… ou la première rencontre de Charles et Emma, avec ces mouches qui sont là, et qui tout d’un coup existent alors que j’y avais pas été attentive, et qui vont faire… ternir… cette rencontre qui est si forte pour les personnages… voilà, ces petits éléments qui…
Oui, c’est ça, on presque le sentiment à un moment d’être en dialogue avec Flaubert, c’est-à-dire que personne n’est épargné et il y a que le lecteur… s’il comprend ce qui est en train de… enfin en tout cas il essaye de comprendre, peut-être qu’on se trompe mais… ce qui est en train de se dire en fait…
Oui, exactement.
Et effectivement, il y a vraiment des moments de complicité, et ça c’est quelque chose que j’ai aussi vécu… par exemple, j’ai lu beaucoup plus facilement que quand j’étais en prépa ou au lycée, c’est-à-dire avec presque quelquefois une forme de… j’avais envie de lire… une forme de précipitation - que va-t-il se passer ? - donc vraiment un plaisir, vraiment, de la lecture, comme ça, suivie et puis aussi, effectivement des moments comme ça de pur plaisir… mais ça, c’est quelque chose, c’est assez étonnant parce que c’est à la fois quelque chose que j’ai pas le sentiment qu’on m’ait appris, du tout, en cours, je sais pas si c’est ton cas… c’est pas quelque chose sur lequel on a insisté, c’est-à-dire le fait d’acquérir une lecture jubilatoire, ou en tout cas de mettre en avant ou de penser à son plaisir de lire, mais en même temps , j’ai l’impression que si j’avais pas fait tout ce détour par les études littéraires, j’y aurais pas accédé. Je sais pas si toi tu as ce rapport-là à tes études ?
Ben alors, ça c’est certain, parce que il y a quand même une lecture plus aiguisée de par la bagage qu’on peut avoir… Mais c’est vrai que par rapport aux élèves, cette dimension et même l’ironie qu’on essaye de leur faire sentir, c’est quelque chose qu’ils n’avaient pas forcément senti à la première lecture, ou même assez peu, et donc, quand on reprenait des passages, même si on ne faisait pas des lectures très fouillées, de chaque épisode ou quoi que ce soit, pas comme en première où on va prendre une trentaine de lignes, on va un petit peu regarder au scalpel… euh… vraiment sur certains épisodes ou sur certains passages, je prenais du temps pour relire le texte, soit moi, ou leur faire relire, et souvent la lecture ou la mise en voix du texte donnaient de l’épaisseur à certaines phrases, ou certaines fins de phrase en particulier, et là, on voyait que… les p’tits sourires en coin naissaient, et qu’ils captaient des choses qu’ils n’avaient peut-être pas… enfin qu’ils avaient raté, eux, quand ils lisaient dans leur tête, ou de façon un petit peu plus naïve justement. Et c’est vrai que ces passages-là, ce qui était assez intéressant, que ce soit l’année dernière… parce que là, le cours, je l’ai expérimenté deux années, pas forcément de la même façon… mais de voir comment, alors parce qu’on insistait aussi davantage, mais, comment quand on prenait des passages, même à la lecture à voix haute, en début d’année, ils n’y étaient pas très sensibles, ensuite, voilà, les sourires en coin commençaient à s’esquisser, et plutôt vers la fin de l’étude du récit, là, il y avait une attente parce que soit ils reconnaissaient, ou tout de suite ils décryptaient, et que là il y avait cette connivence et cette complicité qui s’établissait, comme tu disais, entre l’auteur et le lecteur, mais aussi avec le triangle prof… euh… lecteur-prof, lecteur-élève, et texte …
Oui, oui. Et du coup quand tu as relu le livre, personnellement, ça a été une lecture agréable, après il y a sans doute eu, l’aspect tout de suite, enfin, en tout cas, la question que tu t’es posée : « comment je vais l’enseigner ? ». Et donc, quel a été ton rapport à ça, c’est-à-dire, est-ce que tu étais contente de l’enseigner ? Est-ce que tu as eu de l’appréhension ?
Ben, il y a toujours cette… enfin, moi en plus j’avais peu de distance par rapport à… enfin, comme c’était la première fois que je me lançais dans ce cours de Terminale, et c’est vrai que c’est assez dense, on a très peu d’heures de cours avec les élèves, c’est deux heures en classe entière et puis une troisième qui est dite d’ « accompagnement personnalisé », où on est censé plus faire de la méthodologie, ou là ce qu’on a fait, justement, de travailler sur les brouillons parfois etc., mais qui a tendance parfois en fin d’année à devenir juste une heure de cours parce que les programmes sont tellement intenses… et c’est justement se dire, se sentir complètement débordée presque dès le début en se disant « mais il y a trop de choses à évoquer, à aborder ». Enfin, une œuvre est jamais inépuisable mais on a l’impression que là, c’était vraiment une masse, et comment faire pour… que choisir ? … que choisir ? et comment organiser le travail pour essayer d’appréhender certaines problématiques qui seront attendues, question du réalisme, la question de… justement, dénonciation de la bêtise, enfin, des choses qui sont attendues avec une œuvre comme celle-ci, tout en rattachant ça au travail de brouillons aussi, et faire que les élèves soient potentiellement aptes à répondre au sujet sur lequel ils vont tomber à la fin de l’année.
Et donc, comment tu as entamé ce processus de mise en forme d’un cours, et comment tu as procédé ? comment tu te l’es approprié… je suppose que tu connaissais déjà le programme ?
Oui, alors, déjà les textes officiels, le B.O., les choses comme ça qui donnent quelques indications par rapport à des entrées transversales qui sont vraiment attendues. Après on a eu une formation, je m’en suis beaucoup servi pour le tout début, une formation de Stéphanie Dord-Crouslé, elle travaille à l’ENS de Lyon, en tout cas elle collabore avec l’ENS de Lyon, et c’est elle qui avait aussi travaillé sur la dernière édition Pléiade de certains volumes de Flaubert, elle a travaillé sur la correspondance de Flaubert et qui avait travaillé sur l’édition Pléiade de Madame Bovary, l’appendice…etc. Et cette formation, elle était vraiment très éclairante parce que justement, elle nous montrait comment… euh, elle nous donnait déjà des éléments, elle nous montrait comment travailler avec certains sites de l’Université de Rouen où il y a beaucoup de supports justement pour travailler sur la genèse du texte, et ça, ça avait été déjà une base très solide pour savoir dans quelle direction partir. Ça m’avait beaucoup aidée. Donc j’avais lu justement tout ce qui concernait l’appareil critique de la dernière édition Pléiade. Après fleurissent plein d’ouvrages para-scolaires sur le programme des Terminales, donc avec des choses plus ou moins bonnes, mais qui tendent aussi à donner des pistes pour des travaux un peu attendus, ou en tout cas des pistes sur des questions qui seront forcément abordées avec les élèves, donc avec tout ce matériau. Je travaille aussi avec une collègue d’un autre lycée, et puis, souvent on se passait des sujets, ou autrement on mettait en commun, ben, des pistes de cours, on a travaillé aussi… on s’est fait des échanges de copies aussi pour… voilà… et c’est vrai qu’on a travaillé ensemble sur cette œuvre, et c’était très très utile, d’autant plus qu’elle a été dans la même situation que moi, à savoir qu’elle prenait le cours pour la première fois, donc on naviguait un peu à vue au départ euh, voilà.
Parce que, moi ce qui me frappe quand même… en fait, tu regardes le bulletin officiel, c’est très bien, c’est empreint de rhétorique critique, enfin, c’est inapplicable comme ça.
Bien sûr, ça c’est certain…
Et je suppose que même la conférence de Stéphanie Dord-Crouslé, enfin, je n’en sais rien, elle devait être très intéressante mais pour vous professeur·e·s, et puis après, il y a un peu ce mystère du travail que tu fais en tant que prof pour rendre ça accessible aux élèves…
Alors déjà, contrairement à des conférences qu’on a pu avoir cette année qui pouvaient être très intéressantes pour nous en tant que professeurs mais peu applicables en tant que telles avec les élèves, le parti-pris par Stéphanie Dord-Crouslé, c’était de faire quelque chose d’assez scolaire finalement, et vraiment tout le début de mon cours, c’était presque des éléments que je reprenais tels quels. Elle s’était vraiment mise un petit peu… alors bien sûr tout ne pouvait pas être utilisé comme cela… mais véritablement, et en reparlant après avec des collègues l’année dernière lors des examens, quand on se retrouvait entre profs de littérature de Terminale pour corriger des copies de bac ou quelque chose comme ça, c’est vraiment ce qui revenait, cette conférence nous avait fait gagner du temps, parce qu’elle était à la fois savante, et en même temps exploitable d’un point de vue pédagogique assez facilement.
Et donc qu’est ‑ce que ça veut dire « exploitable pédagogiquement parlant » ? Quels sont les attributs, à quoi on reconnaît… ?
Ben, si tu veux, déjà, elle prenait vraiment les aspects du programme et cette dimension génétique, en nous évoquant les différents états du texte, tout de suite en faisant le lien avec des brouillons précis ou des feuillets précis, sur l’atelier Bovary qu’on pouvait exploiter plus ou moins facilement, mais si tu veux, c’était vraiment très balisé… elle faisait justement le relais entre ces lignes assez générales et très vastes du B.O., et un matériau déjà existant, et elle tendait des ponts, et elle nous construisait presque le pont vers les élèves…
Oui, et c’est un travail que font pas mal les chercheurs de l’Université de Rouen parce qu’on regarde par exemple les petites vidéos d’Yvan Leclerc sur le bovarysme.
Oui, ça c’était très bien aussi
Il y a un vrai travail de mise à disposition du matériel critique pour des élèves, dans des termes compréhensibles… donc voilà, tu as fait ce travail-là…. Mais, j’avais des questions… Qu’est-ce que tu penses, par exemple, de cet objet d’étude qu’est « Lire-écrire-publier » et de la question… bon, ben voilà, t’as Madame Bovary, et puis du coup t’as le B.O. donc il fallu faire des ponts…et qu’est ce que tu penses de ça, de ce programme qui est un programme récurrent ?
Ben déjà, c’est vraiment un programme, je pense, qui a été pensé pour que les élèves comprennent… parce qu’une des questions toujours qui revient, c’est « mais est-ce que vous êtes certain ou certaine que l’auteur il a voulu dire ça ? » Enfin, quand on étudie les textes en analyse littéraire, même si on montre qu’on se fonde sur des indices textuels, etc., il y a toujours un petit peu cette remarque récurrente de la part des élèves qui pensent qu’on voit des choses qui ne sont pas forcément dans les textes, et précisément, et notamment chez Flaubert avec la masse de brouillons, et de notes, ou de scénarios… et même le manuscrit qui devait être envoyé à l’éditeur, le manuscrit du copiste qui était retravaillé par quelqu’un qui avait une écriture plus lisible que Flaubert, pour qu’il soit ensuite imprimé, Flaubert l’a encore annoté, donc il y a vraiment des strates infinies presque. Et donc là, on peut dire, ben oui, c’est ce travail, la modification sur cet extrait montre bien que l’auteur souhaitait ou avait envie d’insister ou au contraire d’effacer tel ou tel élément, et ça, les élèves y sont quand même assez sensibles, et c’est quelque chose qu’ils comprennent. Ils comprennent que ben, oui, Homais était chargé véritablement, parce que Flaubert souhaitait le charger à ce point-là, et c’est pas juste le prof qui va complètement fabuler sur ce personnage ou sur ce passage en particulier.
Ça donne un statut en fait à la parole, enfin au cours de littérature, presque plus, pas scientifique mais… ?
Oui, un petit peu, et je pense qu’au départ, c’était vraiment ce qui a motivé cet objet d’étude.
Et pour l’objet d’étude, est ce qu’il est encadrant, rassurant, agréable, ou est-ce que pour certains textes, par exemple Madame Bovary, tu aurais préféré vraiment qu’il n’y ait pas d’objet d’étude, comme ça l’était il y a encore quelques années, ou que ce soit un autre objet d’étude ?
Euh… pffff… c’est pas forcément rassurant parce que, moi je sais que dans ma formation, je n’ai jamais travaillé sur la dimension génétique, ou vraiment très rarement… oui si, on nous avait montré des brouillons d’écrivains, ou on avait vu certains états du texte mais de façon assez anecdotique finalement, et c’est aussi une critique assez récente finalement, ou en tout cas qui s’est un peu démocratisée plus récemment. Donc au début, c’est un petit peu déstabilisant parce que surtout sur l’atelier Bovary, les premières fois, on est vraiment perdu, quoi, enfin, entre toutes les différentes strates, vue la masse, et on sait pas, pourtant le travail est immense et on voit bien que tout a été balisé, mais , euh, on se dit : « Mais oui, et tel feuillet, et qu’est-ce que je fais de ces différentes couches, comment est-ce que je peux transposer ça pour que… moi déjà qui ai du mal à y voir clair, comment rendre ça lisible aux élèves. Donc on l’a fait de façon assez ponctuelle, par exemple sur la description de la casquette, par exemple, je sais pas si je t’avais envoyé ça, et là il y avait certains arrêts sur le texte où là, ils voyaient un petit peu les états intérieurs du texte. Après on n’a pas le temps de le faire sur chaque épisode essentiel, ou quoi que ce soit, mais en tout cas, les élèves, ils travaillaient, enfin, ils avaient vraiment tout le temps avec eux les deux premiers scénarios, et tu vois, par rapport aux différents personnages on avait fait un repérage de… ben, Emma, comment est-ce qu’elle s’appelle dans le premier scénario ? Est-ce que le pharmacien a un nom ? Est-ce qu’il apparaît ? les amants, quelle est l’évolution, et ça c’est vraiment des choses qu’on a travaillé… mais pour revenir à la question initiale : Est-ce que c’est déstabilisant ? donc oui, par rapport au fait que cette pratique, je ne l’avais pas, déjà, par rapport aussi à la masse de matière pour Flaubert en particulier, déjà avec un texte qui est très riche en tant que tel et en plus avec des strates qui deviennent démesurées tout autour. Après, comme tu disais aussi tout à l’heure, c’est vrai que par rapport à une approche plus traditionnelle des œuvres avec la balisage par personnages ou quoi que ce soit, c’est vrai que ce sont des choses qui reviennent à l’examen mais avec un lien plus ou moins artificiel avec cette dimension génétique : « dans le premier état du texte, Léon ne s’appelait pas Léon mais… Pourquoi à votre avis, Flaubert a‑t-il donné plus d’épaisseur à la figure du clerc de notaire ? ». Des choses comme ça… donc c’est pas juste le personnage dans le roman mais un petit peu voir ce qu’il a voulu en faire. Ça a un petit peu un aspect artificiel quand même, on le sait, après, ça permet de voir, encore une fois, comme on disait tout à l’heure, quel était un peu l’objectif ou ce que Flaubert pouvait avoir derrière la tête en donnant plus d’épaisseur à son personnage…
En étudiant les programmes, ça m’a quand même frappé, que c’était quand même, ce programme en particulier, une manière d’ancrer encore plus l’étude sur le texte, le texte, le sous-texte, le paratexte… le texte, et en fait de continuer d’évacuer ces questions, qu’on pose plus au collège d’ailleurs, d’identification, de lien avec le monde contemporain, en fait d’appropriation plus subjective du texte. Je ne sais pas si toi c’est quelque chose que tu ressens, tu es pas d’accord, tu es d’accord ?
Ça je suis d’accord, c’est certain. Après, c’est vrai que, nous on a aussi le défaut de notre métier, qui est de voir en particulier pour cette épreuve qui est très difficile, déjà au niveau du temps pour les élèves avec deux questions à traiter en deux heures où ils doivent à la fois mobiliser une connaissance assez fine du texte et des états antérieurs du texte avec en plus une distance pour bâtir un raisonnement. Donc essayer de donner une euh… de balayer un certain nombre d’entrées ou de sujets possibles…donc c’est vrai qu’on a un petit peu la tête dans le guidon avec cet objectif du bac, où certaines parties de l’année, c’est quand même une dimension un peu de bachotage, faut pas se leurrer, par rapport à ça, à se dire : « bon ben, ah mince, j’ai pas traité tel personnage qui est pourtant essentiel » ou, euh, « j’ai pas encore abordé telle chose » etc… Et donc finalement, nous-mêmes, en tout cas moi, c’est sûrement un défaut, on met peut-être pas assez de distance par rapport à ça.
Je ne sais pas si c’est un défaut, je pense que c’est une mission, c’est-à-dire que vous êtes pris entre…
Oui
Le professeur est pris entre le désir peut-être aussi lui-même d’enseigner à ses élèves une lecture autre, ou une lecture plus subjective, ou une lecture différente, de faire des choses très différentes avec ce livre et en même temps l’exigence du programme et l’exigence de l’examen qui fait que vous vous devez quelque part de le faire, parce que c’est pas que… c’est pour les élèves aussi
Voilà, c’est pour les élèves. Mais après, de façon plus ponctuelle tu vois, je pense toujours à Homais, mais parce que c’est le plus parlant, ou les élèves, eux ils pouvaient faire le lien avec, quand on parlait de ces personnages qui veulent se mettre en avant, ou ces bourgeois opportunistes, ou la soif du pouvoir etc., là des liens, même si bien sûr c’est plus des allusions un peu masquées quoi, qu’on peut faire, donc une certaine connivence avec ceux qui entendraient des liens avec une actualité plus proche, mais c’est plus des petites pointes comme ça, ou des petites piques, qui sont un peu faites de façon ponctuelle. Ou même par rapport, tu vois, les achats d’Emma …« vous quand vous êtes déprimés, vous êtes pas les premiers à aller dépenser de l’argent en paire de chaussures, ou en habits, ou des choses comme ça ».
On a eu un débat autour de ça avec mes élèves sur la question de « est-ce que c’est un cliché féminin que le shopping d’Emma » et puis en fait non, pour eux, c’était une attitude masculine aussi, les achats compulsifs…
Oui, les achats compulsifs. Et donc là des ponts ont pu être faits, mais c’était plus de façon anecdotique.
Et alors… moi ce qui m’a vraiment frappé quand même dans la lecture des journaux, et paradoxalement tes élèves sont plus à même de poser ces questions-là, d’exprimer ces questions-là dans leur journal, que les étudiants de fac, c’est l’évacuation de la question du corps, de la sensualité, de la sexualité…c’est-à-dire qu’il y a des lycéennes qui disent « au moment où ils font l’amour, j’ai été troublée par le verbe “s’abandonner” », c’est revenu deux fois, alors je sais pas si c’était en cours… ?
On a insisté là-dessus…
Oui voilà, parce qu’elles sont deux ou trois à dire, voilà, cette idée de « mais qu’est-ce que ça veut dire “s’abandonner” ? Est-ce qu’Emma se laisse faire ? Est-ce que c’est du viol ? » Enfin voilà, donc assez quand même, oui, s’exprimant assez librement sur ces questions là, alors que les étudiants de l’université, pas du tout du tout, ils ont vraiment évacué ces questions de sexualité, de sensualité du personnage… n’allons pas jusqu’à la sexualité mais même la sensualité d’Emma. Et j’ai vraiment, je me suis posé la question de comment toi t’avais abordé ça, d’autant plus que dans les brouillons, il y a une présence beaucoup plus crue de la sexualité
Oui, c’est ça, c’est beaucoup plus cru.
Je me souviens, tu leur a montré l’évolution du personnage de Léon (et d’ailleurs ils n’en parlent pas dans leur journal), donc « pas de baise » et…donc voilà, comment toi déjà tu t’es approprié la matériel plus cru ? Qu’est ce que tu penses de l’enseigner et comment on l’enseigne ? Et puis qu’est-ce que tu penses de cette question de l’évacuation quand même assez forte de la sexualité et de la sensualité dans les journaux ?
Alors, c’est vrai que c’est toujours un peu sensible en tant que professeure d’aborder ça en classe avec des élèves, même si on sait que les élèves de première L, ils sont plutôt… ça va pas être des gros ricanements bien lourds. Enfin, il y a certaines classes avec lesquelles tu ne te lancerais pas forcément sur cette pente-là… en même temps, dans le texte, c’est quelque chose qui est très présent, que Flaubert a volontairement gommé aussi, on parlait des brouillons beaucoup plus crus, par exemple pour certains éléments, notamment ces passages très très sensuels quand Emma retrouve Léon à l’hôtel à Rouen, je leur ai lu certains éléments des brouillons, tu vois, un peu des morceaux choisis, je leur ai pas distribué tout quoi, parce qu’il y a toujours aussi, finalement, quelquefois, même si là surtout là, les élèves de Terminale, certains sont majeurs, et tout ça, il y a aussi derrière les parents, et les réactions derrière des parents « comment ça, vous avez parlé de « “il la baise” , de “il se branle avec son gant” », enfin, des choses comme ça, et tu sais jamais dans quelle mesure ça peut être interprété aussi par certains parents et… plus que par des élèves… mais en tout cas, on l’a évoqué, quand il était question aussi de Rodolphe, ou de Léon, pour certains passages. Encore une fois, parfois c’est à la lecture à voix haute ou sur des petits… sur plus des phrases comme « bon, je vais pas vous faire un dessin » ou des incises que je faisais, et comprenaient ceux qui comprenaient, et réagissaient, ou, oui entendaient l’implicite ceux qui l’entendaient… parfois, certains comprenaient pas que d’autres rient ou qu’il y ait des regards un peu entendus par rapport à cela. Par exemple, la scène du fiacre, au départ, ils ne comprennent pas ce qui se passe dans le fiacre, ça c’est évident, et je me rappelle, ben précisément, c’est sur le site aussi de l’Atelier Bovary qu’il y a tout le parcours du fiacre, et on leur montre ça et ils voient bien que c’est pas juste un tour de la ville mais plus des détours et détours et qu’il y a surement autre chose derrière quoi. Mais c’est vrai que je ne l’ai jamais dit de façon très crue, et souvent c’était un petit peu implicite, alors est-ce que c’est aussi par rapport à ça que certains n’osent pas, sachant que aussi toi tu vas le lire, il y a ça aussi, est-ce qu’ils n’osent pas parce qu’ils savent que ça va être lu par une personne tierce. Certains aussi par rapport à la sexualité ont une expérience que d’autres n’ont pas encore ou pas au même point donc vont être plus distants ou distantes par rapport à ça. Il y a une éducation aussi c’est vrai. Je sais qu’il y a des collègues qui travaillent notamment dans des lycées où il y a des jeunes femmes qui portent le, des jeunes filles qui portent le voile, ben, ça a été un peu difficile d’aborder ces éléments-là, ou en tout cas, oui, ben « Emma c’était une salope » quoi, et donc ils sont gênés, c’est certain, par rapport à ça. Quel que soit leur … oui, il, il y a quand même…
C’est pas une indifférence ? Parce que une des hypothèses, ce serait de dire qu’en fait, puisque c’est un roman classique, on se dit d’emblée que de toutes façons, il va pas y avoir de transgressif…
Peut-être c’est ça aussi, oui
Je pense que c’est une hypothèse, mais effectivement, je pense qu’il y a une pudeur certaine. Mais c’est assez étonnant, les lycéennes étaient plus articulées sur ces choses-là que les étudiants de la fac, alors je sais pas, peut-être aussi que c’est parce que vous en avez parlé en cours…
Oui, on en parlé en cours, ça c’est certain.
Est-ce que tu penses que le cours de littérature devrait être un espace où on devrait pouvoir évoquer ces questions-là, comme vous l’avez fait ? Est-ce que tu penses que ça devrait, parce que ça fait partie de leur questions aussi ?
Oui, oui bien sûr. Après, je pense que c’est une question de dosage aussi quoi, enfin, tu vois, parce qu’on a tous aussi en tête des profs qui eux, ne rataient pas une occasion de voir une allusion sexuelle, alors que souvent elles y étaient, mais je me rappelle que moi en tant que lycéenne, ah ben oui, tel prof il était connu pour voir du cul partout. Enfin tu vois, c’était un peu la caricature aussi…
Et puis le texte ne se réduit pas à ça.
Exactement aussi, mais sur des éléments qui sont vraiment bien là, pourquoi ne pas en parler. Mais encore une fois, on sait que c’est délicat, et il s’agit aussi de savoir doser la… doser et d’oser… vraiment les deux choses.
J’entends bien ce que tu dis. Et même aussi au niveau du ressenti par rapport à, alors peut-être qu’effectivement la prise de conscience de la langue de Flaubert à l’oral aide, mais j’ai lu très peu de remarques sur le ressenti physique que peut provoquer une description par exemple… c’est comme si le corps du lecteur était un peu évacué.
Mais c’est vrai que ça, on l’aborde jamais en classe… jamais !
Jamais … on se pose jamais la question.
Non
Et alors, dans les journaux, certaines… une d’entre elles par exemple qui dit : « Je me réveille dans mon lit au moment où je lis cette promenade de Charles dans la campagne » je sais plus « et là , ça me fait quelque chose , ça me fait frissonner, parce que j’ai l’impression d’y être, que ça parle de ce que moi je vis dans mon lit, en train de me réveiller un peu dans le froid », et c’est vrai que c’est une question qui est complétement évacuée.
Oui…alors qu’on l’aborde peut-être plus facilement par rapport à la poésie ou par rapport au théâtre, au texte théâtral quelquefois, tu vois ?
Oui,oui, mais je pense que la représentation théâtrale oblige à…
Forcément. Mais le texte théâtral que tu lis chez toi, bien sûr que tu l’imagines etc. mais tu vois c’est vrai qu’il y aurait plus ce rapport… à tout texte finalement. Mais c’est vrai que ce sont des questions qu’on va peut-être plus susciter ou poser aux élèves sur le texte poétique ou le texte théâtral, et le texte romanesque, bien moins.
Et en fait, pour toi, c’est une question presque générique ?
Ben là, j’ai l’impression. Enfin, en tout cas, pour moi dans la façon dont je les sollicite par rapport à ça et quelque soit le niveau… en seconde…
C’est d’autant plus paradoxal qu’on retrouve dans les journaux une critique d’Emma, une critique morale, mais ça n’est jamais du point de vue de la sexualité et de la sensualité, c’est parce que elle s’ennuie, parce qu’elle se plaint tout le temps enfin voilà… alors que la critique morale très virulente du procureur, c’était parce qu’elle était « lascive » en fait… et c’était à cause… et il a une lecture lui, justement… il est complètement envahi par le texte et c’est ça qu’il ne supporte pas. On sent dans sa manière d’en parler que ça a provoqué chez lui une lecture presque trop érotique.
Et alors, ça, on s’est appuyé sur des extraits du procès justement, et eux ils trouvent que, soit c’est parce qu’il l’ont pas perçu, je te dis, parfois ils l’ont pas perçu en tant que tel, ou autrement que ben justement, les mœurs ont évolué et que cette réaction était une réaction… enfin une réaction qui est maintenant dépassée, alors que, paradoxalement, elle peut ressortir dans certains milieux par rapport à certaines élèves etc.
Oui, j’ai un élève qui a écrit un très beau texte sur la manière dont d’abord il a perçu Emma comme une salope et puis ensuite, comme il s’est rendu compte que c’était une vision qu’il avait en tant que jeune homme venant d’un certain milieu aussi peut-être, et que en fait on posait rarement la question pour les hommes… enfin voilà, c’était assez intéressant ce processus de… mais au delà de ça, il y a une question qui revient, c’est la question de la maternité chez Emma. Alors là, ça s’est vraiment quelque chose… elle est « mauvaise mère », elle n’aime pas sa fille.
Alors c’est présent chez le procureur, il le pointe aussi à un moment
Qu’elle ne l’aime pas, ou alors, qu’elle est mauvaise mère ?
Qu’elle est mauvaise mère.
Oui, elle est mauvaise mère parce qu’elle est adultère en fait…
Il l’évoque, et moi aussi j’ai un souvenir un peu flou, il dit que c’est une mauvaise mère mais est-ce qu’il détaille plus…
Je ne sais plus s’il le justifie au sens où elle est mauvaise épouse, donc elle est bien sûr mauvaise mère, ou est-ce qu’elle est mauvaise mère, parce que là, la critique morale qui revient chez certains élèves c’est « elle est mauvaise mère parce qu’elle n’aime pas sa fille, parce qu’elle n’a pas d’instinct maternel en fait ».
Et là je pense qu’il y a peut-être une identification aussi qui joue, identification de, pas à Berthe, mais en tout cas, peut-être de eux ou elles, leur statut de fille aussi, ça c’est certain.
Est-ce que toi, ça t’a frappé par exemple à la lecture ?
Et ben en le relisant, oui, enfin c’est vrai qu’il y a la scène très violente où elle va heurter sa petite qui va se blesser à la joue, c’est une scène qui est très très forte, et puis, plus effectivement par l’absence, même si à l’époque le fait d’être placée en nourrice, c’était quelque chose qui était très, voilà, très courant, mais la façon dont Flaubert en parle, c’est soit les effusions mais qui apparaissent fausses quand elles sont là, ou autrement le rejet , qui est assez dur, effectivement
Mmm, j’ai une élève qui m’a dit « moi je trouve que c’est vrai, y a pas d’instinct maternel, Flaubert, il dit quelque chose de vrai », tu vois, une identification très forte à cet aspect-là du texte, c’était intéressant parce que je pense que c’est aussi des questions pour le coup qui sont plus contemporaines c’est-à-dire que à l’époque, la bonne épouse était nécessairement la bonne mère, en tant que pilier de la famille, alors qu’aujourd’hui, c’est plus des questions de… en tant que rapport personnel à son enfant… et pour finir du coup, car tu vas devoir partir bientôt, en fait je voulais te poser une question que j’ai posée aussi aux élèves. C’est en vue d’un article. En fait, je vais écrire un article dans la Revue Flaubert et le thème c’est « Flaubert et la prostitution » et le titre de mon article, la question un peu choc, c’est « Peut-on lire Emma comme une prostituée ? », et j’aimerais avoir ton avis.
Mmm, non. Moi, je dirais « non ».
Alors, est-ce que tu pourrais justifier ?
Je dirais « non ». Déjà, elle refuse, avec Guillaumin, il y a un rapport à l’argent finalement, une relation qui est monnayée, et ben elle refuse. Alors que ses relations avec Rodolphe et Léon sont consenties, et c’est plus elle qui paye en quelque sorte avec les cadeaux qu’elle fait. Donc, moi, je dirais que « non », enfin voilà. Après, c’est vrai que certains… la dernière adaptation cinématographique par Sophie Barthes où elle apparaît vraiment comme une salope, Emma.
Toi, tu as trouvé ça ?
Dans le film, hein.
Moi, tu m’as dit ça, mais j’ai pas trouvé. Je trouve qu’au début en tout cas on la voit vraiment comme une fille qui est pas heureuse quoi.
Ça c’est certain mais…alors, bon, j’avoue que le film m’a plus déplu qu’autre chose, donc je l’ai vite évacué de mon esprit donc ça c’était un ressenti que j’avais, et qui me semblait beaucoup plus appuyé que la vision que moi j’en avais à partir de la lecture du texte.
Je peux t’expliquer pourquoi je pose cette question ?
Oui
Parce qu’en fait, effectivement, et c’est d’ailleurs une réaction que les lecteurs ont « ah ben non, parce que la prostitution, c’est l’équivalence entre… enfin, c’est le monnayage des faveurs sexuelles contre de l’argent », mais en fait, il y a dans le texte des pistes, vraiment, dans le regard masculin, c’est-à-dire qu’il y a un moment où Rodolphe la compare a une prostituée et il dit « elle était plus libertine que les prostituées qu’il avait vues » ou quelque chose comme ça donc, euh, dans les regards masculins… et puis il y a cette scène avec Blinet, je sais pas si tu te souviens, c’est juste après Guillaumin, pour moi elle était un peu passée à la trappe, et puis j’ai relu, où il y a deux commères, c’est une vraie scène cinématographique, qui regardent Emma et qui disent « Ooh regarde, elle est train de monnayer… » C’est le regard des autres sur Emma qui en fait une prostituée.
Oui
Et après cette scène-là, Emma sort, et elle est complètement paniquée et elle se dit « elle aurait peut-être dû accepter ». Bon voilà, il y a un moment de doute, enfin les offres de Guillaumin, mais effectivement, le seul moment où Emma fait preuve d’une forme d’action héroïque, c’est le moment où Guillaumin lui propose…c’est le seul moment où elle prend vraiment une parole forte, donc là c’est sûr que il y a quelque chose qui est dit par rapport au personnage, voilà qui contredit complètement l’hypothèse de la prostituée mais en même temps , voilà il y a ce regard masculin, il y a la réception du roman et des articles là-dessus, sur la prostitution…
Et le fait qu’Emma est lue par des hommes aussi…
Et il y a la scène où elle vient voir Rodolphe pour lui demander de l’argent où là il y a quelque chose de…
D’ambigü…
Du minaudage…
C’est une piste qui est intéressante…
C’est une piste intéressante sur le rapport qu’on entretient avec l’image de la femme qui est présent, qui en fait, est à la fois très ancrée dans la réalité du XIXe siècle du roman de Flaubert, c’est vraiment aussi la condition féminine de l’époque et le regard qu’a le procureur, c’est le regard qu’avait les hommes à l’époque sur les femmes mais c’est à la fois intemporel… associer la femme à la putain c’est quelque chose qui se fait encore…
Oui, oui, il n’y a qu’à voir les insultes qui fusent devant le lycée…