Dossier d’en­tre­tiens

Madame Bovary (2016)

Œuvre : Madame Bovary, Flaubert, 1856

Type de sources : Tran­scrip­tions d’en­tre­tiens semi-dirigées (ver­ba­tim)

Pro­jet de recherche : Récep­tions de Madame Bovary de Flaubert de 1856 à nos jours (thèse soutenue en 2019 sous le titre Emma entre les lignes : récep­tions, lecteurs et lec­tri­ces de Madame Bovary de Flaubert)

Chercheur.euse : Anne-Claire Marpeau – Cotutelle ENS, Lyon et UBC, Vancouver

Data­tion des sources : Entre­tiens menés en mai 2016

Pro­to­cole (déposé au début de l’en­quête auprès du Board of Ethics de l’U­ni­ver­sité de Colombie-Britannique)

Travaux men­tion­nant ce dossier :

Anne-Claire Marpeau, « Peut-on débat­tre d’un clas­si­que dans le cadre sco­laire ? », Fab­u­la-LhT, n°25, jan­vier 2021 [en ligne]. URL : https://​www​.fab​u​la​.org/​l​h​t​/​2​5​/​m​a​r​p​e​a​u​.html

Anne-Claire Marpeau, « “Chercher l’amour”. Les rela­tions sen­ti­men­ta­les de Madame Bovary lues et inter­pré­tées par des lycéen­nes », Genre en série : ciné­ma, télé­vi­sion, médias, n°9, 2019 [en ligne]. URL : http://​gen​reenseries​.wee​bly​.com/​u​p​l​o​a​d​s​/​1​/​1​/​4​/​4​/​1​1​4​4​0​0​4​6​/​9​.​6​_​m​a​r​p​e​a​u.pdf

Anne-Claire Marpeau, « Peut-on lire Emma comme une pros­ti­tuée ? Regard mas­cu­lin et lec­tu­res plu­riel­les de Madame Bovary de Flaubert », Revue Flaubert, n°16, 2018 [en ligne]. URL : https://​flaubert​-v1​.univ​-rouen​.fr/​r​e​v​u​e​/​a​r​t​i​c​l​e​.​p​h​p​?​i​d=233

Entretien n°1

    Elsa, 17 ans, admise au bac­calau­réat, men­tion bien. 

Pro­fes­sion du père : vendeur pour une entre­prise de pein­ture pour pro­fes­sion­nels. Pro­fes­sion de la mère : au chomâge au moment de l’en­quête. Depuis, secré­taire d’une entre­treprise d’assurance.

Donc vous avez fait un jour­nal de lec­ture, vous vouliez venir pour l’entretien. Pourquoi ? Est-ce que vous avez des choses à rajouter ou…

Ben, pas vrai­ment, mais du coup je me dis­ais que ça pou­vait être intéres­sant d’en par­ler aus­si, c’est vrai que ça per­met de… d’avoir une autre approche du livre même sans s’en ren­dre compte et tout ça. Et puis bon, chaque livre est intéres­sant à étudi­er donc pourquoi pas ?

Le livre vous a plu ?

Euh…pas la pre­mière fois, mais au fil de l’étude en classe, ouais. Franche­ment, quand on  se rend compte de tout ce qu’il y a de caché en fait sous le pre­mier… sous la pre­mière vision qu’il y a du texte ou l’humour en fait qu’il y a …alors que bon, nor­male­ment quand on dit à quelqu’un que c’est un livre drôle, la per­son­ne y croit pas trop mais… mais, ouais, franche­ment, le fait plus de l’approfondir que de le lire sim­ple­ment comme ça, effec­tive­ment, c’était pas… c’était pas hor­ri­ble, je m’attendais à pire vu que y’a plein de gens qui m’ont dit « Oh, la, la, c’est vrai­ment hor­ri­ble comme livre et tout… » Mais en fait, ça allait, dis­ons que c’était neu­tre, c’était pas… mais après oui, ça, ça va. Du coup, je pense que quand je le reli­rai, ce sera plus un bon sou­venir que…

Parce que vous allez le relire ?

Ben, du coup, là, je vais le relire pour le bac, pour l’avoir bien frais en tête. Et puis même peut-être plus tard, à mon avis dans deux-trois ans, je serai con­tente de la relire, ben peut-être plus pour les sou­venirs de ter­mi­nale que pour le livre en lui-même mais ça va ensemble.

Et quand vous dites qu’« au début, c’était pas ter­ri­ble », qu’est-ce qui vous a pas trop plu au début ?

Euh…ben, ce qui à mon avis est fait exprès dans le livre, c’est-à-dire le côté tou­jours pareil de ce qui arrive, l’enfermement, en plus moi  je suis pas très cam­pagne à la base, donc euh, ce côté, ouais, enfer­me­ment de… de la femme dans son rôle, enfin, en tout cas ce qu’on [incom­préhen­si­ble], mais euh… et puis surtout, il est long, c’est surtout ça aus­si, c’est que… il fait quand même, je sais plus, qua­tre-cent pages je crois, donc c’est quand même…ouais… mais euh… voilà, donc, comme… il y a des événe­ments qui sont plus intéres­sants que d’autres, par exem­ple le bal à la Vaubyessard, ça c’est un truc que j’ai bien aimé lire, parce que voilà, for­cé­ment, bon ça a un côté plus roman­tique donc c’est peut-être plus mon style de lec­ture… mais euh… mais effec­tive­ment, c’est le côté long et surtout plus ou moins tou­jours pareil de ce qu’il lui arrive, mais bon, ça c’est fait exprès donc… je pense que ça va avec.

Et quand vous dites que vous avez décou­vert de l’humour dans le texte, vous pou­vez don­ner des exemples ?

Ben, un exem­ple, bon, ça j’ai pas eu le temps de l’étudier en classe, par exem­ple, quand c’est… je crois que c’est la remise de prix et puis qu’en même temps on a Rodolphe qui lui fait sa déc­la­ra­tion et puis qu’en même temps, on a le maire qui par­le et il dit des trucs comme… enfin bon, il doit par­ler des ani­maux, et du coup c’est la con­fronta­tion entre les deux qui était plutôt drôle. Mais y’a pas mal de choses comme ça où en fait, on se rend compte de l’auteur qui est… qui se moque un peu de ses per­son­nages, ben, rien que Homais, moi, c’était mon per­son­nage préféré de toutes façons parce que juste… déjà , c’est le seul qui a l’air à peu près heureux dans ce qu’il fait, et puis il est drôle mal­gré lui, c’est vrai­ment le per­son­nage ridicule par excel­lence donc euh… ça c’était, ben c’était intéres­sant à lire.

Et est-ce que y’a des per­son­nages aux­quels vous vous êtes iden­ti­fiée ou…

Mmm… pas vrai­ment parce que bon, c’est quand même loin de… d’un univers, voilà. Mais euh… non, pas « iden­ti­fiée » parce que je me suis jamais sen­tie comme Emma, heureuse­ment mais euh… ouais, j’aimais bien Homais. Pas, pas… je m’y iden­ti­fierais pas mais je me dis­ais que au moins lui, bon, voilà, il vivait sa vie plus ou moins comme il l’avait décidé donc c’est le seul.

D’ailleurs, c’est le seul qui s’en sort plutôt bien.

Ben, voilà, du coup, c’est… ben c’est ter­ri­ble parce que c’est un per­son­nage qui, voilà… on s’en moque parce que je détesterais être comme ça mais au moins, ben, il est heureux quoi, donc finale­ment, c’est pas si mal. 

Et est-ce qu’il y a des per­son­nages qui vous ont choquée ou est-ce qu’il y a des moments, ça vous a…

Mmm, non. Ben, bon, ben Rodolphe, on a le Don Juan par excel­lence, bon ça, voilà. Mais bon, c’était pas spé­ciale­ment choquant. M’énerver ? Non, pas plus que ça, je trou­ve qu’ils ont tous des, des… des car­ac­tères assez intéres­sants euh… mais euh, non pas spécialement.

Et Emma, vous la com­prenez ou pas ?

Ouais… ben, oui, parce que en plus, l’univers des livres, c’est vrai que c’est facile de com­pren­dre, qu’on peut s’y per­dre un peu et tout ça, et puis à cette époque là, j’aurais détestée être comme ça, c’est sûr. Donc oui, effec­tive­ment, ce côté de vouloir s’échapper un peu… comme elle peut, euh, même ça aurait été encore plus intéres­sant un livre où elle s’échappe vrai­ment, elle s’en va, mais euh… mais ouais, ben oui, je comprends.

Vous pour­riez réécrire ce livre…

Ah je pense… ben for­cé­ment, c’est hyper ten­tant, quand on se dit qu’elle va juste finir comme ça, on préfèr­erait qu’elle se… même pas avec Rodolphe, mais qu’elle parte à Paris mais qu’elle y aille toute seule, qu’elle se débrouille, je sais pas, qu’elle… bon, après for­cé­ment, c’est dif­fi­cile… c’est plus facile à dire qu’à faire mais euh… oui, une autre fin où finale­ment elle a réus­si à par­tir et s’accomplir toute seule, ce serait quand même plus… plus réjouissant.

Et quand vous dites que vous avez redé­cou­vert des choses dans le roman, est-ce qu’il y a des choses que vous n’aviez pas for­cé­ment com­pris­es ou… ?

Mmm… pas… non, non, j’avais plus ou moins… j’ai d’exemples pré­cis en tête, for­cé­ment, il y a tou­jours des pas­sages où quand on lit une pre­mière fois et tout seul, bon ben, on par­court un peu, on se dit, bon ben c’est plus les descrip­tions, les choses comme ça, effec­tive­ment, c’est quand on, après on les réé­tudie en classe que on se rend compte que c’est… ben c’est… ça veut dire plein de choses. Après non, des choses que j’ai pas com­pris­es, non, peut-être effec­tive­ment des descrip­tions où on se rend compte de ce que veut dire l’auteur vrai­ment. Mais sinon, non, j’avais à peu près…

La scène du fiacre, vous aviez com­pris dès le début ?

Oui, oui, c’était assez explicite quand même… enfin pas vrai­ment, mais ça c’est vrai­ment le genre de scène où effec­tive­ment on se doute très bien, c’est ça qui est drôle, de pas mon­tr­er ce qui se passe, mais en fait, lim­ite on le voit encore p… enfin moi, j’avais l’impression de le voir encore plus, du fait qu’on par­le des endroits où on passe, parce qu’en fait, ça… comme il y a une accu­mu­la­tion de lieux, on se rend compte du temps qui passe et du coup on se rend compte de… du temps qui se passe aus­si dans le fiacre et du coup de tout ce qui peut se pass­er pen­dant ce temps et du coup, c’est mar­rant… enfin, j’ai per­cuté assez vite.

Parce que quelque­fois c’est… c’est pas une dif­fi­culté de lec­ture mais pour cer­taines personnes…

Oui, mais je peux com­pren­dre tout à fait.

Et quelque­fois le cours aide.

Oui, oui.

Et j’avais une autre ques­tion à vous pos­er pour rebondir sur ce que vous disiez… Ah oui, vous disiez que vous en aviez enten­du parler…

Oui.

Donc, de la part de cama­rades ou plutôt de profs ?

Euh… un peu de tout le monde en fait… parce que… ben en fait ce qui est mar­rant c’est que le livre, moi, je l’avais parce que ma tante me l’avait acheté et c’était la même édi­tion d’ailleurs … euh quelques mois plus tôt parce que je lui dis­ais que j’allais le lire… donc, en fait c’est mit­igé, ben, par exem­ple, y avait ma grand-mère, bon ben for­cé­ment « oh oui, c’est un clas­sique, machin machin », en même temps , elle adore lire donc euh… voilà, et puis c’est plutôt les gens qui l’avait déjà lu qui étaient de mon âge ou les L, for­cé­ment, qui l’avait lu l’année dernière, surtout sur Face­book, y’avait pas mal de trucs sur ça parce que y’a des pages spé­ciales pour les L sur Face­book et effec­tive­ment, y’avait pas mal de trucs l’année dernière sur Madame Bovary parce que per­son­ne ne voulait qu’il tombe au bac, tout le monde voulait Les Mains libres, je crois que c’était l’autre, et du coup y’avait pas mal de blagues effec­tive­ment sur euh… donc je con­nais­sais pas le livre, mais, même quand on voit aus­si la petite vidéo que Jean Rochefort a faite, on se dit « Ouh là, c’est quoi ce livre ». Et donc… donc, effec­tive­ment, on se…ben je m’attendais à quelque chose plus ennuyeux, vrai­ment genre vrai­ment hor­ri­ble… effec­tive­ment quand je l’ai lu au début, je me suis dit « Ah, non, en fait ça va, il se passe des choses quand même, c’est pas non plus euh… » donc euh…donc euh… non, en fait j’avais beau­coup d’avis donc au final, ça s’annulait un peu, vu que y’en avait… bon y’avait ma grand mère qui me dis­ait que c’était un grand clas­sique et puis à côté, y’avait des gens qui me dis­aient que c’était très chi­ant à lire, du coup, tout ça mélangé, du coup, j’avais pas d’avis final du coup, ben j’y suis allé en me dis­ant « ben on ver­ra ce que ça donne », quoi. J’avais pas vrai­ment d’avis for­mé de moi, finale­ment, sur la ques­tion, avant.

Et vous con­naissiez la fin ?

Oui, ben, oui, ben ça par con­tre j’me suis fait spolié tout de suite parce que… ben… for­cé­ment dès que quelqu’un en par­le, ben voilà, pareil sur les pages Face­book… donc euh, donc oui, je con­nais­sais la fin mais c’était pas telle­ment dérangeant parce que je savais pas exacte­ment com­ment elle mour­rait et puis euh… ce qui est intéres­sant c’est de voir la pro­gres­sion, et même, même finale­ment dans des romans où on sait que le per­son­nage meurt, ben c’est pas ça qui est impor­tant quoi, c’est l’histoire qui compte.

C’est la même chose dans une série télévisée ?

Non.

Pourquoi ?

Ben parce que… je sais pas. Ben si c’est un peu la même chose des fois parce que si on sait juste que tel per­son­nage va mourir, bon, bon on a quand même un peu de sus­pense en moins mais… mais euh… Ben je sais pas si ça… ben je pense que ça a changé ma façon de le lire parce que du coup, je savais d’emblée qu’il y avait pas d’issues… du coup, ben du coup je savais égale­ment que ses deux his­toires d’amour autres, ben du coup ça allait for­cé­ment pas marcher parce que je me dis­ais bon, ben, si elle meurt… mais du… ouais, je sais pas, je sais pas si c’était dérangeant ou pas. C’est peut-être pas le plus impor­tant. Mais même dans une série en soi, c’est peut-être pas le plus important.

Et donc vous disiez que votre grand-mère dis­ait que c’était un clas­sique, euh, qu’est-ce que c’est pour vous un classique ?

Ben, un clas­sique, on a tou­jours une liste un peu établie dans la tête, on a Les Mis­érables, ou un livre de Zola, ou c’est tou­jours des… ben déjà, c’est des trucs plutôt vieux en général. Ben ceux qui font par­tie de la liste des choses qu’on lit à l’école donc y’a vrai­ment… je pense qu’il y’a une liste quand même alors… non exhaus­tive, c’est pas du tout un truc euh, écrit quelque part, mais de livres où quand on dit le titre, on fait « ah, c’est un clas­sique ! », on a des… je sais pas, des pièces , on a du Molière, du Racine, du… ben voilà, c’est des choses où tout le monde devrait un jour lire au moins l’un des romans… des livres de cet auteur, de cet auteur, voilà c’est des auteurs qui sont un peu des incon­tourn­ables, quoi. Ouais, c’est un peu ce que j’entend par « classique ».

Et c’est des livres que vous lisez en dehors des cours ou pas ?

Oui. Ben, pas, claire­ment pas Flaubert parce que, en fait j’avais lu une fois un livre de Flaubert et ça m’avait lais­sé plutôt une mau­vaise impression.

C’était lequel ?

C’était euh… Une vie, je crois. Non, c’était…

Un cœur simple ?

Un cœur sim­ple. Rien à voir. Pourquoi Une vie ?

Une vie, c’est Mau­pas­sant.

Ah oui, c’est de Mau­pas­sant. Et donc j’ai tout mélangé. Un cœur sim­ple. Et donc c’était plutôt hor­ri­ble, et pour­tant le livre était court, mais je me sou­viens, c’est l’histoire d’une ser­vante, avec je crois un per­ro­quet et puis au final…j’ai le sou­venir qu’il ne se pas­sait presque rien. Non, en fait, je l’avais lu juste après Le Roi Tsongor de… de Gourié [sic]. Et du coup, c’était un livre avec beau­coup beau­coup de choses qui se pas­saient et du coup, pass­er de ça à ça et du coup j’étais « Ah ! ». Et , oui et donc oui, « est-ce que je lis des clas­siques en dehors ? », ben, pas mal oui en fait, j’adore Molière, j’adore Vic­tor Hugo, j’ai lu un ou deux livres de Zola… c’est plus par mes amis aus­si parce que comme on est en L et tout, et du coup on prend plus l’initiative que… je pense que si j’avais peut-être été dans une autre fil­ière… non, en fait non, je serais pas allée dans une autre fil­ière parce que j’adore lire depuis tou­jours mais… euh… je con­nais plein de gens qui effec­tive­ment lisent juste les livres en cours et voilà mais… ouais, non, il y a telle­ment de livres que si j’attends qu’on les lise tous en cours, je lirai jamais tous ceux que je veux lire donc euh…

Et vous con­tin­uerez de lire même si vous quit­tez l’é…

Oui.

Des clas­siques aussi ? 

R : Ben, non, pas for­cé­ment, j’adore mélanger juste­ment, parce que c’est telle­ment intéres­sant d’avoir le reflet des dif­férentes épo­ques et tout, du coup… ben du coup, le dernier que j’ai lu c’était un George Sand, c’était Mauprat. Du coup, ce qui est intéres­sant sur cha­cun de ces livres, c’est, ben déjà le fait que ce soit des œuvres incon­tourn­ables, mais aus­si ça apprend  telle­ment sur chaque époque, par exem­ple Madame Bovary, alors bon, c’est, c’est quand même le reflet de toute une époque, de com­ment ça se pas­sait, même si c’est pas for­cé­ment… on sait pas du tout la vision des villes, c’est quand même très restreint sur euh… bon voilà, mais du coup c’est quand même assez intéres­sant de lire donc euh… donc oui, j’adore lire des clas­siques en dehors de l’école.

Et vous mélangez donc avec d’autres œuvres ?

Oui, oui, ben des trucs plus con­tem­po­rains et aus­si plus… des fois j’aime bien juste aller dans une librairie et puis voir s’il y a un livre qui me… qui a l’air intéres­sant juste en prenant au hasard et puis en regar­dant der­rière ce qu’il y a écrit, je me dis « ah, tiens, ça a l’air sym­pa ». Bon, je le fais pas tout le temps.

C’est quoi par exem­ple le dernier que vous avez lu par exemple ?

Euh, le dernier je l’ai acheté avec ma grand-mère à la gare, et on était dans une librairie et du coup, je regarde le livre et je fais « ah, il est mar­rant » en plus c’était une cou­ver­ture verte avec des pois­sons rouges dessus, et ça s’appelait Le Liseur du 6h27 de… Jean-Paul Didi­er Lau­rent. Et juste… je l’ai lu, c’est juste un homme dans le RER qui lit des extraits de livres le matin, et juste je me suis dit « ah, ça a l’air vrai­ment sym­pa comme his­toire » et du coup on l’a regardé… c’est pas du tout… non j’essaye de mélanger parce que c’est un peu… je trou­ve que c’est un peu se restrein­dre autant de lire que des trucs con­nus entre guillemets, de lire que des choses qu’on trou­ve par hasard juste­ment… faut mélanger un peu tout, je trou­ve que c’est tou­jours intéressant.

Et… et vous aimez la manière dont on enseigne la littérature ?

Euh, oui, ben après c’est par­ti­c­uli­er parce que nous on a trois heures d’affilées le ven­dre­di soir donc for­cé­ment, c’est plus dur que tous les autres cours mais euh… ben c’est assez intéres­sant. Après, je pense que les deux vont… par exem­ple, j’aurais pas aimé com­mencer à étudi­er Madame Bovary avant de l’avoir lu parce que je trou­ve que la pre­mière lec­ture qu’on se fait seule c’est hyper impor­tant parce que ça per­met de décou­vrir l’œuvre comme à froid, sans savoir vrai­ment ce qu’il y’a dedans, mais euh… je sais pas, j’ai tou­jours aimé les cours de français donc oui, c’est intéres­sant de…

Et pour vous, c’était pareil au col­lège ou au lycée ?

Ouais, ouais, je sais depuis très très longtemps que je veux aller en L, c’est très con­noté dans ma tête parce que j’ai tou­jours adoré lire et effec­tive­ment en classe, du coup, j’ai tou­jours adoré les cours de français en général, que ce soit autant l’écriture que la lec­ture, du coup ben… mais en fait depuis la mater­nelle, depuis le CP surtout… et euh… ouais, ben c’était mes cours préférés au collège.

Et vous… pour vous, les attentes du bac­calau­réat par exem­ple par rap­port à l’œuvre de Madame Bovary, elles sont pertinentes ?

Ben oui, après, on a fait quelques sujets de bac blanc, effec­tive­ment, c’est intéres­sant, ben de voir surtout un per­son­nage de Madame Bovary, effec­tive­ment c’est tou­jours intéres­sant… y’a des per­son­nages qui sont assez spé­ci­aux, Bour­nisien, Homais, tous, voilà… euh, après, bon c’est vrai que c’est dif­fi­cile en deux heures. Vrai­ment, la prof nous l’a beau­coup dit mais effec­tive­ment, on s’en rend compte quand on est devant sa feuille et qu’on se dit « ah d’accord, il me faut une heure pour juste faire ça ». Donc, euh… oui, ben je trou­ve que c’est intéres­sant effec­tive­ment, ça nous fait réfléchir à des choses mêmes aux­quelles on n’aurait pas for­cé­ment pen­sé tous seuls. Un peu comme de la phi­lo, je trou­ve que des fois ils ont un côté un peu phi­lo les sujets où c’est une ques­tion et du coup ben, faut qu’on réfléchisse à tout ce qu’on a pu voir dans l’œuvre et les met­tre en lien… oui, c’est assez intéres­sant, c’est sûr. 

Et par rap­port par exem­ple à… est-ce que vous regret­tez, parce que vous dites que vous aimez bien l’écriture, est-ce que vous regret­tez l’époque des expres­sions écrites ou des sujets d’invention ?

Oui, un peu, mais au col­lège. Parce que par exem­ple, l’année dernière, au bac, j’aurais jamais pris l’écriture d’invention en français parce que main­tenant c’est très… y’a beau­coup de règles pour les écri­t­ures d’invention, c’est pas… on note pas l’imagination de quelqu’un main­tenant, c’est très… bon c’est quand même très réglé. Mais au col­lège effec­tive­ment, parce que… ben en fait, juste­ment, c’est hyper lié, c’est que comme je lisais beau­coup, y’a pas mal de tour­nures de phrase ou de choses comme ça que j’aimais bien replac­er dans mes copies, du coup, ça plai­sait bien au prof parce que il voy­ait qu’on savait bien écrire et tout… et puis, en plus j’avais un bon orthographe parce que j’ai une mémoire hyper pho­tographique donc quand je lis un livre, ben ça m’apprend plein de choses sur l’orthographe des mots et du coup, ben je… j’aime bien écrire, parce que en plus, ça va, je fais pas trop de fautes et… ouais, j’aimais beau­coup, ben, ça per­met, ouais de met­tre en lien soit des choses aux­quelles on a pen­sé soit des trucs qu’on a lus et du coup, rajouter des choses nou­veaux et tout mais… ben, je regrette… non, pas tant que ça, j’adorais ça au col­lège, main­tenant, je sais pas si ça me pas­sion­nerait tou­jours autant. J’aime bien le faire pour moi. Ça me dérangerait pas de… par exem­ple, d’avoir un car­net et puis moi, d’écrire des trucs pour moi, mais main­tenant ce serait plus… le faire not­er par les profs, ben, c’est pas…

Mais vous imag­iniez une autre fin à Madame Bovary, par exemple ?

Ben, j’y ai pas trop pen­sé sur le coup mais c’est vrai qu’si… ce serait génial… bon alors, je pense pas que je pour­rais le faire parce que déjà ça devrait pren­dre beau­coup de pages pour déjà quelque part changer.

Et la lire, vous aimeriez ?

Oui, ben, les fins alter­na­tives, tout ça, c’est des trucs que j’aime bien parce que je trou­ve que des fois, ça restreint telle­ment de… de pro­pos­er une fin et tout, et du coup, j’aime bien les livres alter­nat­ifs, avec des autres fins parce que, ensuite c’est plus dans les films qu’ils font ça surtout mais euh… donc franche­ment, si des gens on fait ça, je trou­ve ça génial, mais après bon ben j’aurais pas la pré­ten­tion de le faire parce que je pense pas avoir autant de trucs à dire que ça mais juste imag­in­er effec­tive­ment une autre fin pos­si­ble, c’est tou­jours… intéressant.

Et vous avez autre chose à rajouter ?

Non, pas spécialement.

J’avais une ques­tion à vous pos­er que je pose à toutes les per­son­nes en entre­tien parce que je veux écrire un arti­cle, et le titre de la revue s’appelle « Flaubert et la prostitution ».

Oui, sur Emma, on m’en a parlé.

« Peut-on lire Emma comme une pros­ti­tuée ? » C’est pas du tout une ques­tion piège, mon idée c’est vrai­ment d’avoir votre opin­ion sur la question.

Ben déjà, pre­mier truc qui me vient à l’esprit, déjà, elle se fait pas pay­er, donc non. C’est le pre­mier truc que me… Après, non, ben après c’est très… on pour­rait effec­tive­ment… il y a une lec­ture pos­si­ble comme ça, oui, elle a des mœurs très très légères pour son époque, enfin si c’est qu’on asso­cie à une pros­ti­tuée. Ben non, du coup. Bon, dans le sens « tra­vail », non, et même, ben, en fait, elle a pas con­nu telle­ment d’hommes dans sa vie, puisque si ma mémoire est bonne, y en a trois, et du coup c’est tout. Et puis, for­cé­ment, comme c’est cette époque là, bon, ben, comme c’est choquant pour l’époque, for­cé­ment, procès et com­pag­nie… for­cé­ment, aller voir ailleurs quand on est mar­ié à cette époque c’est… ben même main­tenant, c’est pas ter­ri­ble à la base, mais voilà. Mais euh… non, moi j’ai vrai­ment, je me dis juste « elle essaye de s’accrocher à un truc pour essay­er de, de, de… voir la vie autrement, essay­er d’être heureuse en fait ». C’est même pas… je pense que ça n’a même pas de rap­port direct avec le sexe en soi, c’est juste de, je sais pas, d’essayer d’attraper quelque chose du bon­heur, quoi, d’être libre quelque part. Ben du coup, c’est ter­ri­ble parce qu’elle est oblig­ée de pass­er par des hommes pour essay­er d’être libre, mais non, non, pas du tout, enfin en tout cas, non, je l’ai pas vue comme ça.

Entretien n°2

Jeanne, 17 ans, admise au bac­calau­réat, men­tion bien. 

Pro­fes­sion du père : artiste-pein­tre ; pro­fes­sion de la mère : pro­fesseure d’alle­mand en lycée.

 

Alors, est-ce que vous avez des remar­ques prélim­i­naires à faire sur le livre, sur votre lec­ture de Madame Bovary ?

Ben je l’ai beau­coup aimé. C’est un livre, tout le monde m’avait par­lé plutôt néga­tive­ment  de lui, et en fait du coup, j’ai pas for­cé­ment beau­coup accroché dès la pre­mière lec­ture, je me sou­viens que j’étais en été en fait, j’étais au bord d’un lac. Et c’est vrai que les cir­con­stances se prê­taient plutôt bien à la lec­ture mais j’ai quand même pas réus­si à ren­tr­er dedans tout de suite. Et au fur et à mesure de la lec­ture en fait, j’ai décou­vert que le style était juste mag­nifique, enfin, je trou­ve que c’est un tré­sor de la langue française et finale­ment, je suis assez bien ren­trée dedans. Bon, il y a des pas­sages un peu moins intéres­sants que d’autres, je recon­nais mais…

Comme quoi par exemple ?

Des longs pas­sages descrip­tifs, ou alors quand elle se plaint. J’aime pas trop quand Emma se plaint, je trou­ve ça… enfin, elle m’agace en fait du coup, je… j’allais un peu plus vite sur ces pas­sages là mais sinon de manière glob­ale, j’ai beau­coup appré­cié. C’était une bonne expérience.

Et quand vous dites « le style était mag­nifique », vous pou­vez pré­cis­er ? Qu’est ce qui vous a plu ?

C’est… c’est peut-être bête à dire comme ça mais au niveau de… tous les mots qui ont été choi­sis, je les trou­ve par­faite­ment adap­tés en fait. Bon, c’était un peu le but, il avait passé des séances et des séances là-dessus, à choisir le mot cor­rect, mais je trou­ve que c’est telle­ment bien réus­si que moi, ça me touche, en fait. Je… en plus, je me vois absol­u­ment pas faire mieux. J’essaye d’écrire un peu à côté et par­fois, j’essaye d’emprunter un peu son style mais c’est inim­itable… du coup ça m’impressionne d’autant plus.

Et donc c’est plutôt l’aspect… la prouesse tech­nique qui vous paraît…

Oui, c’est sou­vent comme ça, de toutes façons, de manière générale dans les arts, c’est vrai­ment ça qui me touche en pre­mier. Au niveau du con­tenu, après c’est vrai que c’était pas une his­toire très pal­pi­tante pour moi, mais du coup je me suis plus attachée, oui, à la forme plutôt que au fond. Et ça m’a per­mis d’apprécier du coup.

Et quand vous dites que c’est ce qui vous plait dans les arts, par exemple ?

Par exem­ple, quand je vous dis : « je préfère la forme plutôt que le con­tenu, que le fond », je pense aux œuvres de la Renais­sance par exem­ple des tableaux, je suis pas… j’ai pas de croy­ance religieuse et j’apprécie pas for­cé­ment tout ce qui con­cerne la reli­gion mais quand je vois, ben, par exem­ple des oeu­vres qui trait­ent de ça, sur ce sujet, par exem­ple le Car­avage ou même Léonard de Vin­ci quelque­fois, enfin je pour­rais vous en citer plein, au niveau de la prouesse tech­nique, de la couleur, de la matière, du for­mat, juste du visuel, je trou­ve ça juste ter­ri­ble en fait. C’est pour ça que je suis plus attachée à la tech­nique peut-être que le fond, j’en sais rien.

Et la prose de Flaubert, est-ce qu’elle vous touche au sens où il y a des moments, ça créé une émo­tion chez vous ?

Oui, euh… je me sou­viens d’un pas­sage, je pour­rais plus vous citer exacte­ment ce dont ça par­le mais quand il décrivait Emma en posi­tion de séduc­tion totale avec Léon, en fait. Quand ça com­mençait à devenir lui la maitresse plutôt que elle, enfin, quand elle com­mence vrai­ment à jouer son rôle de séduc­trice à fond, ça m’a touchée, il y’avait une descrip­tion vous savez avec un lacet qui glisse autour de son corps. Et moi j’ai trou­vé ça super bien écrit en fait, j’ai trou­vé ça trop cool ou alors quand par­fois Flaubert décrit Léon au niveau de ses yeux, des choses comme ça, je trou­ve ça pas mal du tout (rires).

Et est-ce que…oui, vous disiez « l’histoire, bon, j’ai pas trop accroché », en quel sens ?

Dans le sens où je suis quelqu’un… enfin, en ce moment, j’aime bien quand ça bouge, j’aime bien quand c’est… voilà, quand il se passe plein de choses, je pense qu’on est un peu tous comme ça à dix-sept, dix-huit ans, et c’est vrai que du coup se pro­jeter dans un livre qui pour­rait être notre his­toire à l’époque de Flaubert, ça… ça donne pas for­cé­ment tou­jours très très envie d’y être, et comme je l’ai dit, Emma c’est un per­son­nage qui m’agace (rires), donc des fois j’ai envie de la boost­er et ça me frus­tre en fait.

Et c’est intéres­sant ce que vous dites. Vous dites «  ça pour­rait être notre his­toire à l’époque de Flaubert », c’est-à-dire ?

Euh, je me dis, à l’époque où il a écrit, y’avait for­cé­ment plein de jeunes filles qui ont dû le lire parce que c’était un bouquin un peu inter­dit à l’époque, mais, oui, je me dis, si j’avais été à cette époque là, je… ça aurait pu être ma vie quoi. Une vie de petite bour­geoise qui s’ennuie, qui rêve de, de, de… enfin d’histoires roman­tiques quoi, ça aurait pu être moi, surtout que moi, j’adore le roman­tisme, tout ce qui est vache­ment fort et tout, c’est bien mon truc, donc j’aurais pu être à la place d’Emma et j’aime pas me dire que j’aurais pu être à sa place (rires).

Ça vous fait peur ?

Oui (rires).

Mais est-ce que vous pensez qu’on pour­rait trans­pos­er cette sit­u­a­tion d’Emma en sit­u­a­tion contemporaine ?

Oui, je pense, tout à fait. Je pense que on est toutes, enfin, on a toutes des moments où on est un peu per­dues dans des rêver­ies, du bovarysme com­plète­ment, enfin, peut-être un peu moins parce que Emma, vu qu’elle a toutes les restric­tions de la femme à cette époque là, du coup c’est plus com­pliqué pour elle, mais même nous qui avons plus de lib­erté au XXIe siè­cle, je pense que y’en a plein qui se per­dent dans des rêver­ies comme ça et qui trou­vent pas, je sais pas, le bon­homme ou (rires), je pour­rais pas dire, mais oui, je pense que c’est possible,

Oui, et vous pensez que c’est typ­ique­ment féminin ?

Non. Enfin, je pen­sais ça il y a quelques années jusqu’à ce que je ren­con­tre un ami qui soit un peu comme ça, qui rêve de la femme par­faite, et d’histoires pleines de rebondisse­ments et de roman­tisme. Non, il y a plein de garçons qui sont comme ça (rires), j’en con­nais deux-trois.

Et vous dites que vous aimez bien quand ça bouge, est-ce que vous lisez d’autres choses qui bougent ou ?

Oui. Je sais pas si vous con­nais­sez Pierre Bottero.

Ça me dit…  je con­nais le pein­tre Botero mais je con­nais pas du tout le…

Oui, ben, il y a un écrivain qui est mort il y a quelques années d’un acci­dent de moto et qui a jamais pu ter­min­er ses séries mais j’en ai lu pas mal, j’ai lu La Quête d’Ewilan, j’ai lu Les Mon­des d’Ellana [sic], en fait ce sont que des séries qui vont par trois, qua­tre, cinq, six, et ce sont des romans qui peu­vent très bien s’adresser à des enfants, comme à des ado­les­cents, comme à des adultes. À des enfants parce que c’est un peu fan­tas­tique, parce que c’est rebondis­sant, je vous ai dit, il y a beau­coup d’action, il se passe plein de choses ; ado­les­cents parce que ça peut aus­si nous cor­re­spon­dre. Et adultes parce qu’il y a une portée égale­ment qui est vache­ment philosophique par moments. C’est, déjà c’est très très bien écrit, au niveau du style, c’est… pareil, ce sont des phras­es cour­tes, sim­ples, mais qui, qui…

per­cu­tantes ?

qui per­cu­tent, exacte­ment, et qui sont pleines de poésie, et moi je suis sen­si­ble à la poésie. 

Vous lisez de la poésie ?

Oui, ben, je vais être un peu… un peu basique mais j’adore Baude­laire (rires).

C’est pas basique…

Oui, c’est un peu la référence-phare mais c’est vrai que j’ai Les Fleurs du mal à côté de mon lit et je peux pas m’en lasser.

Vous avez tou­jours aimé lire comme ça ?

Non, pas tou­jours, j’ai eu beau­coup de mal quand j’étais petite parce que tous les livres qu’on me demandait de lire c’était…quand je dis « petite », c’était plutôt en primaire…c’était un peu, enfin ça m’intéressait pas. Et ren­trée en 6e-5e, j’ai eu des romans un peu fan­tas­tiques de la part d’une amie qui m’en avait con­seil­lés, des romans, vous savez, de six-cent pages mais qui sont adressés aux ado­les­cents donc avec des polars, des his­toires un peu fan­tas­tiques, des vam­pires, des his­toires d’amour comme ça…et c’est à par­tir de là que j’ai aimé lire et que les gros bouquins m’ont pas fait peur.

Oui. Et est-ce que c’était com­plé­men­taire de ce que vous lisiez en cours ?

Oui. Euh, non, non, je dis des bêtis­es, non. Pas du tout, c’était car­ré­ment un autre monde.

Encore main­tenant ?

Euh, pffff…ben main­tenant, vu que je fait de la phi­lo, par­fois il y a des échos avec ce que je lis, par exem­ple je vous par­lais de Pierre Bot­tero, des fois, y’a des choses qu’il racon­te qui peu­vent se porter [sic] à cer­tains de mes cours mais sinon, non.

Par exem­ple ?

J’étais en train de chercher un exem­ple juste­ment mais là je sais pas. Je les ai lu il y a déjà trois ans et… par exem­ple, sur la force de survie peut-être. Je pense que ça pour­rait se rap­porter à cer­tains, cer­taines de mes notions sur com­ment appréhen­der l’autre aus­si, au niveau de son regard, oui, il y a pas mal de choses qui font écho. Assez… enfin, il faut chercher un peu loin mais ça peut…

Et les livres qu’on vous don­nait à lire en cours, ça vous plaisait ?

Euh, au col­lège, vous vouliez dire ?

Ben, est-ce que vous repérez une dif­férence entre le col­lège et le lycée ?

Oui, quand même, ça peut avoir… enfin, je pense qu’ils font atten­tion à pas trop dés­in­téress­er les élèves et, j’ai lu pas mal de livres qui m’ont plu je crois, je pour­rais pas vous dire les titres mais j’ai pas été trau­ma­tisée par ce que j’ai lu. Au lycée, là, je pense aux bouquins qu’on a à lire en philoso­phie… euh, ils m’intéressent vrai­ment pas toujours.

Comme quoi par exemple ?

Euh, j’ai essayé de lire…alors c’était L’Œil et l’esprit de… je sais plus.

Mer­leau-Pon­ty ?

Oui, Mer­leau-Pon­ty, je crois que c’est ça. Et j’ai pas du tout accroché. C’est un tout petit livre, qui se lit très rapi­de­ment, mais j’ai pas réus­si à ren­tr­er dedans, pour moi, c’était un chara­bia trop com­pliqué alors qu’on aurait pu faire bien plus con­cis, bien plus sim­ple , c’était un blab­latin de… de belles phras­es, pour faire des belles phras­es. Et moi, je crains vache­ment. J’aime bien quand c’est plus, oui, plus net, plus per­cu­tant, plus con­cis, je trou­ve ça plus cor­rect en fait. Mais sinon, j’ai lu un livre pen­dant les vacances là, juste­ment, c’était Un sou­venir d’enfance de Léonard de Vin­ci, écrit par Sig­mund Freud, et là, par con­tre  j’ai beau­coup appré­cié. De Freud, je com­prends pas tou­jours tout ce qu’il dit, par exem­ple dans le livre Le Malaise dans la cul­ture, il y a beau­coup de choses que j’ai pas com­pris­es, que … où je com­pre­nais pas ce qu’il dis­ait et puis là, dans ce livre-là, le lan­gage était très clair, très bref, j’ai bien appré­cié. En plus, ça par­lait d’art, du coup c’était encore mieux.

Et est-ce que vous lisez, par exem­ple là cette année, est-ce que vous lisez, là les livres qu’on vous con­seille en phi­lo, plus les livres de let­tres, est-ce que vous lisez des choses pour vous ?

Euh…oui, enfin, de moins en moins parce que j’ai moins le temps du coup, mais là récem­ment j’ai ter­miné un livre très con­nu, vous savez c’est The Road de McCar­ty, je crois que c’est ça, et il est sor­ti il y a longtemps déjà mais je l’avais jamais lu et j’avais vu quelques extraits du film qui est aus­si adap­té et j’avais trou­vé ça très intéres­sant de savoir com­ment ce serait dans un monde post-apoc­a­lyp­tique comme ça, ce que ça don­nerait, et je les trou­vé sur le bureau de ma mère et du coup, je me suis mise à le lire, je l’ai fini  il y’a une semaine et, j’ai adoré (rires). C’était une façon d’écrire très particulière.

C’était en anglais ?

Non, non, par con­tre j’ai pas le niveau (rires).

Parce que vous avez don­né le titre en anglais.

Oui, oui, parce que je le trou­ve plus stylé en anglais (rires). Mais non, je l’ai lu en français, et c’était… oui, j’ai adoré.

Et votre mère lit beau­coup aussi ?

Oui, plus que moi. C’est une lit­téraire dans l’âme depuis longtemps. Mais elle lit dans toutes les langues, elle, anglais, français…

D’accord.

C’est son truc !

Et vous disiez : « Au col­lège, on a quand même l’impression qu’ils essayent de nous intéress­er », mais par con­tre, au lycée, vous trou­vez qu’il y a une différence ?

Non, je pense que… ça dépend de quoi on par­le. En lit­téra­ture, oui, il y a car­ré­ment pos­si­bil­ité de nous intéress­er, Œdipe-Roi, j’ai trou­vé ça super intéres­sant, Madame Bovary, j’ai beau­coup appré­cié… euh, toutes les œuvres que j’ai lu en pre­mière, j’ai énor­mé­ment aimé aus­si, surtout des extraits qu’on nous don­nait pour, vous savez, l’oral de français. Je repense à Oscar Wilde, j’ai adoré décou­vrir l’œuvre de Salomé, j’ai trop aimé ça mais par con­tre, oui, si je me penche plus du côté de la phi­lo, j’aurais plus ten­dance à dire que c’est pas vrai­ment le côté intéres­sant qui va prôn­er, c’est plus la réflex­ion, l’intellectualisme.

Et est-ce que ça vous…comment dire ? Pour vous, vous con­sid­érez que tous les livres qu’on doit lire…quels sont les buts de la lec­ture en fait pour vous ?

Pour moi ? Ben, là, spon­tané­ment, j’aimerais plus vous dire que pour moi, un livre, quand je l’ouvre, pour moi ce sont les pre­mières pages qui comptent, c’est si tu plonges directe­ment dedans ou pas, et générale­ment, ça reflète vache­ment com­ment tu vas te sen­tir tout au long de ta lec­ture en fait. Et euh…moi je pense que quand on ouvre un livre, c’est pour se pro­jeter ailleurs en fait, plus que pour rester dans le vif du sujet de la réal­ité, enfin, moi je réfléchis tout le temps, du coup, j’ai pas for­cé­ment besoin d’un livre qui m’éclaire à chaque fois pour me pos­er des ques­tions (rires). Et , oui, moi j’aurais ten­dance à dire que un livre, c’est pour se chang­er les idées, pour entr­er dans un nou­veau monde en fait. C’est un peu basique, mais c’est un peu comme ça que je le vois.

Non, mais c’est un des buts de la lec­ture et des livres… Et est-ce que vous avez aimé étudi­er Madame Bovary de la manière dont vous l’avez étudié ?

Mmmm… oui, je pense. Je trou­ve ça un peu…des fois c’est un peu lourd parce que du coup, on étudie que deux œuvres dans toute l’année. Euh…j’aurais…je peux penser qu’on peut répéter un peu sou­vent les mêmes choses, j’ai l’impression qu’on tourne un peu en rond mais je trou­ve ça très intéres­sant de décor­ti­quer un livre entier comme ça, de faire des zooms pro­gres­sifs sur une… juste une cita­tion qui éclaire plein de pas­sages, oui, j’ai beau­coup aimé. Et puis Mme N. est très intéres­sante en plus donc euh… c’était pas du tout des heures de tor­ture pour moi. 

Et si vous, vous étiez prof de français, vous étudieriez Madame Bovary com­ment ? sous quel angle ? Com­ment vous con­stru­iriez votre cours ? 

Euh…là spon­tané­ment, j’ai envie de lire avec un film. Parce qu’il y a plein de films qui ont été adap­tés avec, et générale­ment, les élèves ont plus ten­dance à ren­tr­er dedans. Œdipe-Roi par exem­ple, vu qu’il y’a le film de Pao­lo Pasoli­ni à côté, ça per­met de mieux s’en rap­pel­er je trou­ve, on se rap­pelle mieux l’œuvre, enfin moi je me sou­viens du film en entier, déjà j’ai une mémoire visuelle mais aus­si parce que il y a beau­coup de cinéphiles, de plus en plus, et je me dis que oui, c’est un bon moyen de se sou­venir de l’œuvre et en même temps, la lec­ture, c’est pour avoir un goût du style, un goût de la langue, oui, de la lec­ture en fait, tout simplement.

Et vous n’êtes jamais déçue face à un film ?

Ah si sou­vent, ben par exem­ple, Oedipe-Roi de Pasoli­ni, ça m’a pas for­cé­ment plu comme film, je m’en sou­viens bien parce qu’il y a telle­ment de scènes qui sont absur­des qu’on s’en sou­vient for­cé­ment mais si, j’ai déjà été déçue par pas mal de films, mais je suis assez bon pub­lic donc ça va.

Mais par rap­port à un livre ?

Par rap­port à un livre, vous voulez par­ler d’une adaptation ?

Voilà, par exemple.

Euh, non, générale­ment, non.

Si par exem­ple vous voyez un film sur Madame Bovary, main­tenant ? Vous en avez vu ou pas ?

Euh, j’ai vu quelques extraits seule­ment. Je sais qu’il y’en a un qui est sor­ti récem­ment au ciné­ma, qui a pas fait un tabac. Je sais pas si vous l’avez vu ?

Si, si je l’ai vu.

Mais du coup, je peux pas vous en par­ler mais je trou­vais que c’était intéres­sant. Ça m’a don­né envie d’aller le voir en tout cas.

Et vous n’avez pas peur d’être déçue ? Que Emma ne ressem­ble pas à ce que vous aviez imaginé ?

Ah, si, c’est tou­jours un peu le risque. Quand on lit un livre, on se fait une image d’un per­son­nage, on se l’invente en fait, on se l’approprie un petit peu d’une cer­taine manière et c’est vrai que de le voir au ciné­ma avec des vrais acteurs qui jouent, ça décrédi­bilis­er un peu ce qu’on a ressen­ti sur le moment. C’est vrai, c’est le risque. Mais générale­ment, je me prête bien au jeu, ça fonc­tionne quand même.

D’accord. Et j’aimerais revenir sur, vous avez par­lé, en pre­mière, les extraits, enfin ça vous a beau­coup plus d’étudier des extraits. Ça vous a pas frus­trée de lire que des petits bouts comme ça ?

Euh, ça dépend. Oscar Wilde, ça m’a don­né envie de le lire en entier, même si je l’ai pas encore fait (rires). Mais non générale­ment, c’est vrai que ça me… un extrait, ça me suf­fit, à com­pren­dre un peu com­ment ça marche, de quoi ça par­le, et puis générale­ment, l’extrait qu’on nous donne, c’est un des plus intéres­sants du livre, dans la façon dont c’est traité, dans la forme, dans le fond, dans plein de choses et générale­ment, ça en dit long sur com­ment est la suite du bouquin, et non, c’est vrai que je suis peut-être pas assez curieuse (rires), c’est possible.

Non, non, c’est pas ça, c’est que ça dépend… il y a dif­férents types de lecteurs, il y a les lecteurs qui aiment beau­coup comme ça, lire plein de choses et puis y’en a qui aiment bien se plonger dans un livre. Ça m’intéressait juste de savoir…

J’aime bien le côté un peu …  je sais pas com­ment on peut appel­er ça… ponctuel.

Butin­er un peu ?

Oui, exacte­ment, c’est ça. Je trou­ve ça enrichissant et puis on s’en sou­vient très bien en fait, toute l’essence du bouquin n’est pas per­due en fait, on a juste un extrait, c’est court, c’est con­cis, c’est rapi­de et du coup on s’en sou­vient mieux je trouve.

Est-ce que les profs, votre prof par exem­ple, vous racon­tait la fin du livre ?

Non, je pense qu’ils stim­u­lent un peu l’envie chez les élèves de se plonger dedans donc générale­ment c’est très rare quand ils dévoilent cer­taines par­ties du livre.

Et Madame Bovary, vous en con­naissiez la fin avant de lire le livre ?

Euh, oui, on me l’avait dit… c’était des élèves qui me l’avaient dit, mais je m’en doutais un peu de manière générale, ça se sen­tait dès le début…

Donc ce sont des cama­rades de classe qui vous l’ont dit ?

Oui, des plus rapi­des que moi. 

Des spoil­ers ?

(Rires) Oui, c’est ça. Bon je leur en ai pas trop voulu parce que c’était Madame Bovary mais si c’était sur Game of Thrones, ça m’aurait plus… (rires)

Pourquoi vous dites ça ? Vous trou­vez ça nor­mal qu’on spoile Madame Bovary ?

Non, pas nor­mal, peut-être un peu moins déce­vant parce que c’est vrai que, comme je vous ai dit, au niveau du fond c’est moins pal­pi­tant, du coup à la fin, on n’est pas « Oh, com­ment ça va se pass­er ? », c’est moins comme ça. Même si ça reste dom­mage parce que moi, j’aime bien décou­vrir par moi-même ce qui se passe. 

Finale­ment, c’est assez rare de décou­vrir des clas­siques par soi-même. On est sou­vent très spoilié.

Oui, c’est vrai, tout à fait, vous avez rai­son. Ils sont telle­ment rabat­tus et puis les gens ont tous une opin­ion là-dessus.

Dans les manuels sco­laires, on racon­te sou­vent tout le livre, donc on sait déjà com­ment ça se passe au moment de lire le résumé.

Oui, c’est vrai, vous avez raison. 

Et est-ce que vous vouliez rajouter quelque chose ?

Euh, non, là, comme ça, là, ça me vient pas.

J’avais une ques­tion à vous pos­er parce que je la pose à tous les élèves. Je vais écrire un arti­cle dans la revue Flaubert sur Flaubert et la pros­ti­tu­tion et je pose la ques­tion : « Peut-on lire Emma comme une pros­ti­tuée ? » et j’aimerais avoir votre opin­ion là-dessus. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Euh, je pense pas. 

Pourquoi ?

Euh, alors déjà le mot « pros­ti­tu­tion » main­tenant, à l’époque actuelle, et dans la bouche de tous les ado­les­cents, c’est quelque chose de vache­ment courant. N’importe quelle fille est prise pour une pros­ti­tuée main­tenant, quoi qu’elle fasse et j’ai tou­jours trou­vé ça extrême­ment dom­mage, je trou­ve que c’est une façon de… j’ai rien con­tre les pros­ti­tuées mais c’est vrai que c’est quand même pas un com­pli­ment… et je trou­ve ça déval­orisant cer­taines fois. Et Emma, non, je n’ai pas le sen­ti­ment. Alors, pourquoi ? … Je me demandais, enfin, pourquoi d’ailleurs une « prostituée ? »

En fait, la pros­ti­tu­tion, c’est le fait d’échanger un rap­port sex­uel con­tre de l’argent.

Oui, c’est ça.

Et il y a dans le roman, à cer­tains moments, c’est assez intéres­sant, surtout dans les regards mas­culins, il y a soit des com­men­taires de la part des per­son­nages mas­culins, soit surtout à la fin, au moment où elle essaye d’avoir de l’argent de la part de tous ces hommes, il y a des moments où ce pos­si­ble est évo­qué, c’est-à-dire que par exem­ple, le notaire lui dit « bon, ben, don­nez-vous à moi et je vous donne de l’argent ». Ce qu’elle refuse mais après coup, elle se dit dans son dés­espoir, enfin Flaubert écrit : « elle se dis­ait ou elle se sur­pre­nait à dire qu’elle aurait peut-être dû dire oui à Mon­sieur Guil­lau­min », enfin, quelque chose comme ça. Et puis, il y a une petite scène per­due comme ça juste après le pas­sage avec Guil­lau­min auprès du per­cep­teur d’impôt, auprès de qui elle se rend aus­si, et deux dames, deux com­mères du vil­lage com­mentent la scène, c’est vrai­ment quelque chose d’assez ciné­matographique en fait, on sait pas ce qu’il se passe, mais elles com­mentent, et c’est des com­mères donc elles dis­ent : « elle lui pro­pose de couch­er avec lui pour de l’argent »… Je ne sais pas si vous vous en sou­venez.  Et je ne suis pas per­suadée qu’on puisse la lire comme une pros­ti­tuée mais il y a des indices dans le regard des per­son­nages et dans la récep­tion de l’époque… Il y a vrai­ment des con­tem­po­rains de Flaubert qui la lisent comme une pros­ti­tuée. Et donc je pose cette ques­tion et ce qui m’intéresse, c’est la réac­tion des élèves aujourd’hui, qui sont les grands lecteurs de Madame Bovary aujourd’hui. Sou­vent, c’est non et pourquoi est-ce que sou­vent, on me répond non ?

Je pour­rais pencher un petit peu vers le « oui » dans le sens où je pense qu’on se pros­titue quand on est dés­espéré et Madame Bovary elle est très sou­vent dés­espérée, c’est vrai, comme vous l’avez dit, quand elle essaye de soudoy­er un peu les gens avec de l’argent, quand elle essaye de recevoir de l’argent, on pour­rait pren­dre ça comme une forme de pros­ti­tu­tion, mais seule­ment une forme, je vois pas ça comme une pros­ti­tu­tion en elle-même. Et puis, je sais pas si je peux dire ça, mais je pour­rais presque la com­pren­dre et le fait qu’on puisse s’identifier aus­si à elle par moments, ça donne pas envie de dire que ce soit [sic] une pros­ti­tuée. Mais je pour­rais pas vrai­ment vous dire pourquoi, mais pour moi, je peux pas vrai­ment vous dire pourquoi mais pour moi c’est vrai­ment « non ». 

Et vous dites que vous vous êtes iden­ti­fiée à elle un peu ?

Oui, quand elle… des fois, j’ai le sen­ti­ment qu’elle perd un peu espoir en… dans le mas­culin en fait, qu’elle perd espoir en l’homme et ça m’est déjà arrivé (rires) donc des fois, je me retrou­ve un peu là-dedans, oui, j’ai pen­sé à la même chose. Mais elle me ressem­ble pas dans le fait où elle s’apitoie vache­ment sur son sort et, moi, je suis com­plète­ment her­mé­tique à ça. Mais oui, son dés­espoir par­fois fai­sait écho au mien, à cer­tains moments, et c’est pour ça que j’ai réus­si à m’identifier à elle de temps en temps, et c’est pour ça, quand on en vient à par­ler de la pros­ti­tu­tion, c’est tout de suite « Non ! Non, non, non, je pense pas ! »

Et est-ce que vous diriez qu’Emma, c’est une femme forte ?

Par moments. Je pense qu’elle a deux vis­ages, Emma. Je la vois vrai­ment comme… pas quelqu’un de faible, mais quelqu’un, oui, qui peut vite se dés­espér­er. Et en même temps, quelqu’un qui, dès qu’elle sent qu’il y a quelque chose qui peut la retenir, ou qui peut la faire se sen­tir vivante en fait, où elle prend vache­ment son pied en fait dans cette his­toire, et que du coup, elle prenne con­fi­ance en elle et que ça lui donne envie de retenir cette chose à tout prix. Donc cette chose, ça peut être l’amour de Léon, l’admiration de Rodolphe, et quand elle pos­sède quelque chose qui la fait, oui, se sen­tir vivante, tout sim­ple­ment, elle s’accroche. Je vois ça comme ça.

Mer­ci, c’est éclairant. Vous vouliez rajouter quelque chose ?

 Je ne pense pas.

 

 

Entretien n°3

Julie, admise au bac­calau­réat, men­tion très bien

Pro­fes­sion du père : ouvri­er qual­i­fié ; pro­fes­sion de la mère : secré­taire médicale

Est-ce que quand tu as su qu’il y’avait des entre­tiens et que tu t’es inscrite, t’avais une idée de ce que tu voulais racon­ter ici ou… ?

Pas spé­ciale­ment, non. Enfin, je me suis dit que ça pou­vait tou­jours être intéres­sant de par­ler à pro­pos du livre donc euh…

D’accord. Est-ce que… est-ce que ça t’a plu de lire Madame Bovary ?

Ben, oui, con­traire­ment à tous les autres (rires). Ben, au début c’était un peu dur mais au fur et à mesure qu’on l’a tra­vail­lé en classe et qu’on regar­dait un peu tous les petits détails un peu cachés, enfin, ça m’a plu de chercher un peu toutes les petites sub­til­ités de l’écriture de Flaubert. Bon, l’histoire était pas pas­sion­nante mais c’était pas une tor­ture non plus.

Et quand tu dis « con­traire­ment aux autres », c’est con­traire­ment à la classe ?

Oui, à la classe.

T’as l’impression que ça leur a pas vrai­ment plu ?

(rires) Non. Et même par rap­port, enfin quand on en par­le à l’extérieur quand on a su qu’on allait lire Madame Bovary, c’était pas trop la joie, quoi.

Et…est-ce que tu con­nais­sais déjà la fin quand tu l’as lu pour la pre­mière fois ?

Euh, j’me souviens…enfin, je sais qu’on m’a spoil­iée, mais si, je crois que si je con­nais­sais la fin.

Et qui t’a spoilée ? Est-ce que c’était des cama­rades ou est-ce que c’était plutôt des profs ?

J’me sou­viens plus. Je sais pas.

Et finale­ment, est-ce que tu t’es… est-ce qu’il y a des per­son­nages aux­quels tu t’es iden­ti­fiée ou… ?

Pas trop. En même temps, y’a pas trop de per­son­nages je trou­ve qui don­nent envie de s’identifier trop mais euh…non.

Et dans les petits détails que t’as remar­qués, y’en a que tu as envie de soulign­er, des choses qui t’ont frappée ?

Par exem­ple, ben l’ironie de Flaubert par exem­ple, enfin la façon dont il se moque de ses per­son­nages mais en sub­til­ité, je trou­ve ça assez drôle.

Oui, c’est vrai que c’est drôle. Et donc tu as ri quand tu as lu Madame Bovary ?

Ben, j’ai pas ri, mais j’ai souri, enfin…

D’accord. Et est-ce que tu lis beau­coup en dehors des cours ?

Ben, j’avais un peu arrêté de lire mais je m’y suis un peu remis et depuis le début de l’année là, je me suis remis un peu à lire.

Quand tu dis que t’as arrêté, c’était à quel moment ?

Par manque de temps, ben là, ces dernières années. Enfin, quand je suis arrivée au lycée, j’ai un peu arrêté.

Tu lisais beau­coup quand t’étais au collège ?

Ben, pas énor­mé­ment mais j’aimais bien, enfin, je pas­sais quand même du temps à lire, oui.

Et tu choi­sis­sais tes livres comment ?

Avec la cou­ver­ture (rires), si c’était joli et puis je lisais le résumé aus­si. Mais comme pas mal de gen­res m’intéressent…

Tu allais en bib­lio­thèque ou… ?

Oui.

Et au lycée, tu lis encore des livres pour toi, enfin que, tu choisis ?

Oui, ben là depuis je me suis remis un peu à lire, du coup c’est vrai­ment… enfin, j’ai lu quelques livres pour le lycée mais sinon la plu­part c’était pour moi.

Comme quoi par exemple ?

Alors, j’ai lu…pour le lycée, j’ai lu L’Adversaire de Carrère.

Ça c’était les profs qui t’ont demandé de le lire ?

Oui, enfin, on avait le choix entre Le Roy­aume et L’Adversaire, donc Le Roy­aume, il est bien gros donc je me suis dit que j’allais lire L’Adversaire. Euh… Dr Jekyll et Mr Hyde, j’aime bien lire en VO, du coup les livres en anglais, si je peux, je les lis en VO. Euh, Zola, parce que j’avais détesté en sec­onde et je voulais voir si c’était aus­si hor­ri­ble que dans mon sou­venir, et j’ai bien aimé.

Lequel ?

Au bon­heur des dames. Euh…Qu’est-ce que j’ai lu d’autre ? Ah, Yas­mi­na Khadra. L’Adversaire. Et là, je suis en train de lire Made­moi­selle… Madame Chrysan­thème.

Et ça c’est pour le lycée ?

Ben, en fait, j’ai un oral à faire dans pas longtemps, et il y a une ques­tion qui peut être posée qui est : « Quel est le nom d’un livre que vous avez lu ? », donc j’essaye d’avoir un bon livre…

Et est-ce qu’il y a d’autres livres que t’as lu en dehors ou d’autres choses que t’as lu en dehors qui sont vrai­ment pas liés au lycée ?

Ben là les livres que j’ai…à part Madame Chrysan­thème, c’est des livres que j’ai lu pour moi.

Pour toi. Et t’en avais enten­du par­ler comment ?

Alors, Dr Jekyll et Mr Hyde on en a par­lé un moment entre amis et je me suis dit que c’était un peu un clas­sique, enfin que tout le monde con­naît, et que je l’avais pas lu.

Et ça t’a plu ?

Ouais, c’était sym­pa. Enfin, j’aime à peu près tous les livres en général.

C’est vrai ?

J’suis pas trop dif­fi­cile (rires).

Comme Madame Bovary ?  (rires)

…et, je sais plus, c’était quoi.

Euh, L’Attentat de Yas­mi­na Khadra ?

Ah oui, ça c’est … enfin je sais que y’a des gens de la classe qui étaient avec Mme N. en sec­onde et qui l’avaient lu et donc, j’ai lu ça aus­si. En plus, c’était après les atten­tats et on avait fait une sorte de… enfin, avec la classe, de… liste de livres par rap­port aux atten­tats du coup, et j’en avais par­lé et du coup je me suis dit que je pou­vais le lire aussi.

Et ça t’a…par rap­port à ce qui se pas­sait dans l’actualité, enfin, ça t’a fait réfléchir ou c’était séparé ?

Ben, pas for­cé­ment, ça m’a pas fait penser à ce qui se pas­sait en France pré­cisé­ment, mais sur le sujet, comme c’est la Pales­tine, ça m’a fait penser, enfin j’ai plus pen­sé pas au… j’ai bien aimé parce qu’il présente pas juste le bon côté et le mau­vais côté, mais comme les… ses car­ac­tères, ils sont un peu entre les deux, mais qu’il est un peu israélien, un peu pales­tinien d’un côté, et du coup, on voit un peu pourquoi les uns font ça et les autres font ça quoi. Donc ça présente de manière assez objec­tive, je trou­ve. C’est intéres­sant pour comprendre.

Oui, c’est vrai. Ça fait réfléchir, en fait ça nous fait nous posi­tion­ner dans une autre posi­tion que la nôtre. 

Oui.

Et tu dis­ais… oui, au lycée tu t’es mis à… c’est vrai­ment au lycée que t’as moins lu ?

Ben au fur et à mesure que j’ai gran­di, moins je lisais.

Et quand tu dis­ais « par manque de temps », c’est parce que tu fais quoi à la place ?

Ben, euh, soit, ben des fois je sors, ou des trucs du lycée, ou des fois je suis sur mon ordi et je pour­rais lire mais j’ai la flemme donc …

Et est-ce que c’est impor­tant pour toi de lire ?

Oui, quand même. Enfin, c’est tou­jours enrichissant. Quand je lis pas, ça me manque pas plus que ça mais quand je lis, je me dis : « Mais pourquoi j’ai pas plus lu avant ? »

C’est très courant de lire moins à par­tir du lycée, c’est pour plein de raisons. C’est aus­si sou­vent parce que c’est le moment où on com­mence à avoir le droit de sor­tir, donc voilà, on passe plus de temps avec ses potes que à lire, ce qui est pas for­cé­ment négatif mais euh… Et est-ce que tu trou­ves que dans la manière dont on enseigne, ça change à un moment ?

Notre façon de lire ?

Oui. Est-ce que t’as été influ­encée ou est-ce que…

Ben, pas vrai­ment, parce que les livres qu’on lit au lycée, c’est pas du tout le genre de livres que je vais aller lire par moi-même. Donc, enfin, ça, je pense que si on n’aime pas lire les livres qu’on lit au lycée, c’est pas ça qui va nous pouss­er à lire, parce que c’est pas… enfin, c’est sou­vent des clas­siques qui sont un peu durs, enfin, quand on les étudie au col­lège et que ça nous intéresse pas trop, c’est pas trop appro­prié à notre âge du coup je trou­ve que c’est pas super moti­vant mais à part ça…

Et tu trou­ves que c’est la même chose au col­lège et au lycée en fait ?

Ben, au lycée, comme on grandit, ben par exem­ple Madame Bovary, je pense que, ben, enfin comme Zola plutôt, j’aurais com­mencé Zola main­tenant, j’aurais plus aimé que en sec­onde. En fait, je suis con­tente de m’y être rep­longée pour ne pas détester Zola jusqu’à la fin de mes jours.

C’était impor­tant pour toi de ne pas détester Zola ?

Oui, quand même, parce que c’est quand même un auteur culte et comme il est super… enfin, il décrit plein de choses dans ses livres et c’est quand même intéres­sant donc euh…

Et est-ce que …est-ce que quelque­fois, tu dis­ais que quand tu lis des livres en dehors du lycée plus pour toi peut-être que tu t’identifies ou t’arrives à voir les choses dif­férem­ment, est-ce que ça t’arrive avec des livres que tu dois lire pour la classe, par exem­ple Madame Bovary ? Est-ce que y’a des moments où tu as ressen­ti une émo­tion forte ou est-ce que t’as eu l’impression, oui c’est ça, de t’attacher à des personnages ?

Pas vrai­ment, parce que pour les livres qu’on a lu, là, Œdipe et Madame Bovary, quand je les ai lus pour la pre­mière fois, je me suis plus dit : « Je vais en finir avec ça » sans vrai­ment chercher à ren­tr­er dans l’histoire. Donc euh… pas plus que ça.

Est-ce qu’il y a des per­son­nes qui t’ont vrai­ment énervée dans Madame Bovary ?

Ben, y’a pas… per­son­ne m’a ren­due rage de folle euh, folle de rage, mais… les per­son­nes qui sont éner­vants, ils sont telle­ment ridicules que…

Ils font rires ?

Oui, voilà, c’est pas…

Comme Homais par exemple ?

Oui, comme Homais ou, bon Lheureux, c’est autre chose parce qu’il est pas for­cé­ment ridicule, il est juste mau­vais en soi, mais… je me suis pas trop attardée à ça.

Et t’as bien aimé étudi­er, enfin ce que vous aviez étudié en classe sur Madame Bovary ? La manière dont le cours était fait ?

Oui, oui.

Et si toi tu devais enseign­er Madame Bovary, tu ferais pareil ou… ?

Je pense, oui. Ben, je sais pas trop com­ment faire autrement. Oui, mon­tr­er ce qui est intéres­sant dans Madame Bovary juste­ment. Pourquoi est-ce qu’on le classe dans un class…enfin dans un livre, dans un chef d’œuvre.

Et tu pens­es que c’est un chef d’œuvre, toi ?

Euh… je sais pas. Enfin, c’est un mon­u­ment de la lit­téra­ture française mais…

Mais est-ce que tu pens­es que c’est jus­ti­fié que ce soit un monument ?

Ben, c’est jus­ti­fié dans le sens où c’est une écri­t­ure vrai­ment recher­chée et vrai­ment… enfin, c’est un beau livre quoi. Après, c’est pas for­cé­ment le but de faire une his­toire pal­pi­tante aus­si mais… je pense que c’est un livre vrai­ment intéres­sant par rap­port à tout le tra­vail qui est derrière.

Et tu pens­es que c’est un livre qu’on peut avoir du plaisir à lire ? Bon, toi tu dis que t’as eu du plaisir à lire les petits détails mais est-ce que tu pens­es que c’est un livre où on peut avoir du plaisir à lire juste l’histoire, l’aventure ?

Euh, je pense qu’on peut. Enfin, ça dépend des per­son­nes après, on peut aimer juste comme ça. Enfin moi, c’est pas ce que je préfère mais…

Et si t’avais eu à choisir ce qu’il fal­lait lire pour le bac, qu’est-ce que t’aurais mis au programme ?

Je sais pas…euh…je sais pas trop, j’ai pas trop d’idée.

Et est-ce que tu trou­ves ça dom­mage qu’on vous impose des livres ?

Ben, je pense que c’est bien qu’on décou­vre des livres qu’on n’aurait pas for­cé­ment pu lire mais ce que je trou­ve dom­mage, c’est que ce soit un peu tou­jours le même genre.

C’est-à-dire ?

Ben, je sais pas y’a tou­jours des clas­siques. Au col­lège, enfin au col­lège, y’a vrai­ment beau­coup de clas­siques. Après au lycée ça a un peu changé mais je pense que c’est aus­si parce que je suis en L. On a fait des livres plus récents sur d’autres… par exem­ple on a fait…on a étudié Mar­guerite Duras. Bon j’ai pas trop aimé non plus mais ça changeait au moins. Et aus­si on a lu Camus, ça c’était bien. C’est plus récent aus­si, ça par­le plus quand même. C’est moins dur à lire que un livre…

Comme Madame Bovary ?

Ben, ça va aus­si, mais par exem­ple un livre vrai­ment avec une… les vieux livres d’il y a plusieurs siè­cles où l’écriture est très… enfin, pas comme l’écriture actuelle.

Le XVIIe siè­cle par exemple ?

Oui, voilà, par exem­ple. C’est pas la même façon de par­ler et du coup faut relire trois fois la phrase avant de com­pren­dre le sens et c’est plus dif­fi­cile de se met­tre dedans.

Est-ce que…est-ce que t’as com­pris pourquoi Madame Bovary, elle agit comme ça, elle vit comme ça ?

Euh, oui. Enfin, dans sa per­son­nal­ité, ça peut être com­préhen­si­ble. Elle veut plein de choses et elle a rien et elle est dés­espérée, du coup elle se jette totale­ment dans ce qui pour­rait la ren­dre heureuse et à chaque fois ça casse, du coup elle est tou­jours, elle va tou­jours de plus en plus au fond du trou. Du coup, oui, c’est com­préhen­si­ble pour elle.

Tu pens­es qu’il existe des Madames Bovary contemporaines ?

Je pense oui. Oui, oui. Enfin c’est, comme… elle est mal­heureuse quoi, ça pour­rait arriv­er pour tout le monde. 

Et elle a quel âge pour toi Madame Bovary ?

Euh…je la vois avec une ving­taine d’année.

Elle est jeune…

Oui.

Presque votre âge en fait. Moi per­son­nelle­ment, quand je lis des clas­siques, j’ai tou­jours l’impression que les per­son­nages sont plus vieux que moi, même s’ils sont plus jeunes en fait…

Et j’avais une ques­tion à te pos­er, alors que je pose à tout le monde, à tous les étu­di­ants parce que je vais écrire un arti­cle pour la revue Flaubert et le thème, c’est « Flaubert et la pros­ti­tu­tion » Et je pose la ques­tion : « Peut-on lire Emma Bovary comme une pros­ti­tuée ? » Et j’aimerais avoir ton opin­ion là-dessus.

Non, moi je pense pas, parce qu’elle aime vrai­ment ses a… enfin… pour Rodolphe en tout cas, elle l’aime vrai­ment, et elle cherche pas for­cé­ment le prof­it der­rière, quoi. Elle espère, enfin, c’est un peu l’homme de ses rêves, donc elle espère vrai­ment quelque chose de la rela­tion, elle espère vrai­ment être heureuse avec lui donc euh… je la vois pas comme ça.

Parce que dans le texte il y a par­fois comme des petites fuites imag­i­naires de Flaubert. Par exem­ple, à la fin, la vis­ite avec Guil­lau­min où le notaire lui dit : « Ok, si tu couch­es avec moi, je te donne de l’argent ». Et elle dit non, très forte­ment mais après, elle sem­ble s’interroger sur cette déci­sion. Et puis, il y a des remar­ques dans le texte où on sent que les per­son­nages mas­culins voient Emma presque comme ça.

Elle les attire, elle fait un peu tourn­er la tête. Moi, je la vois plus… C’est bizarre parce que je la vois un peu comme inno­cente alors qu’elle l’est pas for­cé­ment mais elle a l’air telle­ment per­due… Bon d’un côté elle l’est pas parce qu’elle a un côté assez fort où elle domine un peu mais je la vois pas trop comme une manip­u­la­trice, je dirais plus « en proie à ses sen­ti­ments », du coup elle con­trôle pas trop ce qui lui arrive et elle se laisse porter. Je la vois plus comme ça.

D’accord. Et tu voulais rajouter cer­taines choses ?

Non, c’est bon. 

Et bien, merci.

Entretien n°4

Cécile, 17 ans, pas d’in­for­ma­tion sur son admis­sion au baccalauréat.

Pro­fes­sion du père : directeur financier d’une entre­prise d’in­vestisse­ment ; pro­fes­sion de la mère : cheffe et pro­prié­taire d’un restaurant.

Du coup, alors peut-être que… je peux vous pos­er cette ques­tion-là , quand vous vous êtes inscrite pour faire les entre­tiens, est-ce que c’était parce que vous aviez envie de par­ler de quelque chose en par­ti­c­uli­er ou… ?

Euh…pas for­cé­ment. J’aime bien par­ler (rires), vous allez vous en ren­dre compte. Mais non, non, j’aime bien, réfléchir avec des gens…

D’accord. Et sur le livre Madame Bovary, vous avez des remar­ques à faire ?

Alors moi j’ai un peu une rela­tion dif­fi­cile avec ce livre parce que j’ai com­mencé à le lire, enfin à essay­er de le lire vers la 4e, parce qu’on me l’a mis entre les mains je pense, enfin, je m’en rap­pelle plus trop. Et j’ai détesté ! (rires). Mais vrai­ment, hein, j’ai essayé, pour­tant je pose pas facile­ment les livres, j’aime bien lire, j’aime beau­coup ça, et j’ai essayé, j’ai essayé, j’ai essayé, je pense que j’ai dû lire cinq fois les cent pre­mières pages, ça pas­sait pas donc j’ai aban­don­né, sur deux ans, hein, j’ai essayé et j’ai aban­don­né ! Et quand j’ai appris qu’on allait étudi­er Madame Bovary en ter­mi­nale, j’ai… (ser­re­ment de dents)… voilà… je me suis dit : « C’est pas pos­si­ble, j’ai jamais réus­si à le lire ». Et puis en étant obligé de le faire, donc en lec­ture autonome, j’ai lu pen­dant l’été en fait, ça allait. Bon après c’était pas for­cé­ment des bons sou­venirs. Aus­si, je pense que for­cé­ment, quand on cristallise un truc sur un bouquin, après c’est com­pliqué de s’en sor­tir… donc passées les cent pre­mières pages mau­dites, ça allait mieux ! Et en l’étudiant, au fur et à mesure, bon je dirais pas que c’est mon livre préféré hein, je trou­ve que c’est tou­jours un peu lourd… pfff, j’suis pas… pour­tant, moi j’adore Zola, le réal­isme, etc., ça, j’adore, mais alors Flaubert, et par­ti­c­ulière­ment Madame Bovary, mmm… Et donc il y a des pas­sages que je trou­ve vrai­ment beaux, après y’a d’autres pas­sages… et puis il y a des pas­sages longs surtout…

Est-ce que vous pou­vez en citer ou… ?

Euh, alors, j’adore les descrip­tions, dans tous les bouquins. C’est bizarre parce que du coup, ça va être, com­paré aux autres, je pense que ça va pas être la même chose. Donc quand on arrive au deux­ième, à la deux­ième par­tie du livre, quand ils arrivent à… J’ai même plus le nom…

À Yonville.

À Yonville, et qu’il décrit, moi j’adore ça, quand on décrit les paysages, même les per­son­nages, à chaque fois qu’il y a des descrip­tions, j’aime bien… mais dès que c’est… j’trouve que les dia­logues sont lourds, que c’est pas assez, enfin, je sais pas, j’trouve pas ça assez léger en fait… je trou­ve que c’est trop dans les… je sais pas, j’arrive pas à trou­ver les… j’arrive pas à voir le mou­ve­ment dans son livre, en fait. J’arrive pas à voir les gens bouger, j’arrive pas à voir… mais c’est tou­jours que la descrip­tion est belle, mais après ça bouge pas quoi. C’est un dessin.

Oui, c’est intéres­sant…. et quand vous dites, bon c’était quand même des sou­venirs un peu douloureux, ce livre, en quel sens ?

Euh, alors, j’ai pas l’habitude d’avoir du mal à lire en fait. Je pense que c’est ça surtout, c’est la frus­tra­tion. Parce que je lis vite, je lis très très vite, et quand j’arrive pas à aller vite, c’est frus­trant, et du coup je me mets encore plus la pres­sion pour lire vite, et ça marche pas, parce que y’a des livres qu’on peut pas lire vite apparemment…parce que y’a pas de mou­ve­ment, je pense que ça se rejoint. Mais je pense que c’est ça, c’était le fait de pas y arriv­er, de pas arriv­er à être dedans, ça m’arrive très rarement en fait, avec pas, pas beau­coup de livres. Et en général, j’peux dire : « Ah, non, il est pour­ri ! » et tout le monde dira : « Ah ouais, il est pour­ri ! » et alors là, on pou­vait pas dire qu’il était pour­ri, c’était Flaubert donc… ah, c’était assez com­pliqué ! En plus, j’avais un pro­fesseur qui m’aimait beau­coup, et j’avais essayé d’en par­ler parce que je par­lais pas mal avec mon pro­fesseur de français en troisième, et il avait pas trop com­pris ce que je voulais dire (rires gênés). J’me sen­tais seule ! mais voilà, j’pense que c’est ça, c’est de la frus­tra­tion en fait.

Et ça vous ferait ça avec n’importe quel livre que vous essay­eriez de lire et que vous n’arriveriez pas à lire ?

Je pense pas, j’pense que comme Flaubert, c’est vrai­ment un écrivain qui est con­nu, recon­nu, et qu’on en par­le, et qu’on l’étudie, ça donne envie, moi, j’suis bonne élève en fait, donc j’aime bien, bien aimé, enfin, pour­tant j’ai un esprit de con­tra­dic­tion mais euh, j’pense que j’ai un peu un côté bonne élève et je pense que ne pas arriv­er à lire un livre que tout le monde encense…

Est-ce que tout le monde encense Madame Bovary ?

Ben, dans les pro­fesseurs, tout ce qui est pro­fesseurs, etc., oui. Alors, notre âge, non, mais euh, c’était moins euh, c’était plus l’autorité, etc. Mais non, ouais, c’est quelque chose que, vrai­ment j’ai du mal, j’aime tou­jours pas Flaubert, et quand j’en par­le, avec un peu plus de recul, parce que je suis quand même un peu plus…grande, un peu plus, ben non, les gens, ils com­pren­nent pas ou alors ils dis­ent :« Oui, mais c’est parce que tu lis mal, oui, c’est parce que tu vois pas la beauté de la chose etc. ». Non, je vois pas.

Et les gens, c’est vos profs ou c’est… ?

C’est, ben là, j’peux plus en par­ler avec mes cama­rades parce que bon, tout d’abord ils l’ont lu, et en plus, c’est des lit­téraires, donc ils lisent, mais à l’époque, moi j’avais pas d’amis qui lisaient en fait, donc je pou­vais pas trop en par­ler avec des gens de mon âge, j’avais pas le même ressen­ti, enfin, ils lisaient pas, ou ils lisaient pas les mêmes choses. Moi, j’ai com­mencé à lire des clas­siques tôt, pas parce qu’on m’a… parce que c’était ce que je trou­vais en fait chez mes grands-par­ents, partout, donc euh… donc je lisais ça, et j’aime beau­coup le dix-neu­vième en plus, donc je lisais beau­coup ça, et j’lis tou­jours beau­coup ça. Et j’avais pas grand monde à qui par­ler et donc je par­lais avec les profs, enfin, ça fait très triste, par­ler de lit­téra­ture, avec mes par­ents, qui sont pas trop clas­siques d’ailleurs, c’est plus mes grands par­ents. Et non, j’ai tou­jours eu une opin­ion, on m’a tou­jours dit que « c’était bien », que voilà, que « je com­prendrais plus tard », ça aus­si, la phrase : « Tu com­pren­dras quand tu seras plus grande », « Ah, tu vas voir, tu vas l’étudier, peut-être que tu vas l’étudier cette année, ça va être génial, tu vas voir » !

Et est-ce que vous aimez la manière dont vous l’étudiez, en dehors du fait que le livre bon voilà… ?

Ouais, mmm, bon déjà, la pro­fesseure, moi je la trou­ve assez… enfin, c’est très agréable de l’entendre en par­ler. Juste­ment, je trou­ve qu’elle a un avis plus partagé que le reste des pro­fesseurs que j’ai eus sur Flaubert. Après, c’est peut-être moi qui me fais des idées, peut-être que je pro­jette, mais j’ai l’impression que elle fait… enfin, on com­prend… j’ai plus l’impression de me retrou­ver dans ce qu’elle dit que dans ce que mes pro­fesseurs me dis­aient avant… mmm… après, c’est tou­jours déli­cat pour moi lire un très grand livre pen­dant un très long temps. Comme je dis, en fait, j‘suis un peu boulim­ique, je lis vite et puis je passe à autre chose. Pour­tant j’adore relire, c’est assez, ça c’est para­dox­al, j’adore relire mais par con­tre il faut que je lise vite et que je relise vite, et pass­er six mois sur la même chose, ça me… c’est un peu long.

Et les axes d’étude, ça vous a intéressé ? L’angle d’approche ?

Ben juste­ment, comme on suit pas trop le cours du livre, ça per­met de décou­vrir des pas­sages qui sont en dehors de l’intrigue, ou en dehors vrai­ment, lit­téraire­ment par­lant. Ça, ça se dit pas, n’est-ce pas ? Si, si ça c’est intéres­sant. Après… après, vrai­ment, j’ai l’impression qu’on repasse tou­jours un peu les mêmes choses, c’est un peu long je trouve.

Et vous lisez en dehors des œuvres au programme ?

Ouais. Ouais, ouais. Là en ce moment, je suis en train de lire un livre qui s’appelle… c’est sur les Etats-Unis… les années trente aux Etats-Unis, et ça s’appelle …euh…Le Cœur est un chas­seur soli­taire, je crois que c’est ça.

Ça ne me dit rien.

Non, mais en fait, j’ai une manière assez étrange de lire, c’est que j’ai… ma mère et mes grands-par­ents et mes par­ents ont des bib­lio­thèques et je pioche, en fait. Et donc j’ai pioché, je sais pas du tout, j’me rap­pelle jamais de l’auteur, je suis vrai­ment inca­pable en général, de par­ler et de dire : « J’adore ce livre mais je sais pas qui c’est ». Après j’ai, euh, je lis, ben comme je dis­ais, Zola, bon c’est … donc en ce moment , je suis en train de relire, parce que j’ai lu les Rougon-Mac­quart. Après j’pense qu’il y en a deux ou trois, Le Rêve, je l’ai pas lu mais c’est pas les Rougon-Mac­quart. Mais euh…si, si, j’aime beau­coup lire, je suis capa­ble, si j’vais dans un endroit, en fait c’est par phas­es aus­si, donc si je vais en vacances et qu’on est dans une mai­son et qu’l y a des bouquins, j’vais les lire…

Et vous les choi­sis­sez com­ment ? C’est le titre ? La couverture ?

Je sais pas du tout, en fait, je pense que c’est vrai­ment comme ça, il est devant moi, et donc je vais l’ouvrir. Ou je vois quelqu’un lire aus­si, j’aime bien voir les gens lire, donc du coup… et puis, ça se voit, quand quelqu’un lit un livre et qu’il a l’air bien donc je le prends. Euh, voilà je pense que c’est comme ça. Rarement, c’est, euh, je lis rarement ce qu’on me con­seille de lire. Enfin, j’vais pas… j’achète rarement des livres d’ailleurs, j’vais pas dans les librairies etc., c’est vrai­ment ce que je trou­ve. Donc, en fait, on lit un peu tout et n’importe quoi parce que ça dépend de ce qu’il y a.

Et par rap­port à… est-ce que vous avez la même pra­tique de lec­ture par rap­port aux livres qu’on vous demande de lire en classe ?

Euh, ça dépend des livres.

Oui ?

Ouais, voilà, je pense que ça dépend des livres… euh… l’année dernière, on nous demandé de lire Rabelais, Camus, donc vrai­ment très dif­férents… alors, Rabelais, euh voilà Gar­gan­tua…en fait, en l’étudiant, là juste­ment c’est un livre, en l’étudiant, ç’est plus intéres­sant. Alors sur le coup, juste­ment, c’est un livre qui demande du temps, et c’est vrai­ment para­dox­al parce que j’suis capa­ble de lire des journées entières mais euh, y’a des bouquins, c’est pas pos­si­ble. Et par con­tre Camus, j’ai pris autant de plaisir à lire du Camus, en plus c’était une pièce de théâtre, c’était Caligu­la, que lire un livre que je… pfff… en fait, oui, en plus y’a des livres que j’aime pas lire même si on me demande pas de les lire en fait mais j’me sens pas oblig­ée de les finir. 

Vous vous sen­tez oblig­ée de finir les livres ?

Ouais, j’me sens oblig­ée de finir les livres, comme ça j’peux dire que c’est nul (rires). Je pense que c’est ça. Comme je lis vite en plus, ça me prend pas trop de temps. Et puis par con­tre, quand c’est vrai­ment vrai­ment nul, quand c’est mal écrit, ça me dérange.

Comme quoi par exemple ?

Comme beau­coup de livres que les gens lisent à mon âge. Enfin, à mon âge, ça va mieux, mais avant. Comme tout ce qui est, tout ce qui est euh… mal traduit, ça me dérange beau­coup. Euh, j’ai mon petit frère qui lit une série qui s’appelle Chérube… je sais pas si ?

Oui, mon petit frère aussi.

Ouais, voilà. Euh, j’ai essayé, comme je dis, ça devait être en vacances, j’ai dû piocher le livre et en vrai, l’intrigue est pas mal mais alors c’est très mal écrit, donc j’ai pas pu finir… euh, les livres comme ça, quand c’est mal traduit, quand vrai­ment il y a des fautes de style, et puis, quand ils pren­nent les gens pour des cons aus­si, ça m’énerve. Quand c’est des trucs ciblés genre « filles de 14 ans », j’me sou­viens on m’offrait ça quand j’étais petite, enfin, quand j’étais petite…

Vous voulez dire, quand les gens qui vous offrent des livres vous pren­nent pour… ?

Ouais, ben, je sais pas s’ils ont lu les livres donc je sais pas s’ils me pren­nent pour une imbé­cile, mais le livre me prend pour une imbé­cile. Genre tu es, tu as cet âge, tu es comme ça, donc du coup tu dois être comme les per­son­nages de ces livres. Enfin quand c’est un peu trop quand on essaye de… enfin, quand le lecteur, enfin le per­son­nage ressem­ble au lecteur, enfin, je sais pas com­ment expli­quer mais…ouais.

Oui, je com­prends ce que vous voulez dire. D’adapter le con­tenu du livre à la per­son­ne qui va le lire.

Ouais, voilà

Comme si vous ne pou­viez lire qu’un seul type de livre…

C’est ça, ça, ça m’énerve. Mais vrai­ment, je le prends très per­son­nelle­ment, c’que je devrais pas mais je peux pas.

Et quand un livre vous plait, qu’est-ce qui vous plait ?

Alors sou­vent, j’ai une phrase qui me saute aux yeux ou un truc que je vais me sou­venir, et puis j’ai un peu l’histoire qui reste… en fait, j’ai été… j’ai gran­di, j’avais la col­lec­tion de l’Ecole des loisirs, j’avais toute la col­lec­tion, en plus comme je lisais vite… et je les vois encore main­tenant, enfin, je les ai, ils sont pas dans ma bib­lio­thèque, quand je les vois, je me rap­pelle de la péri­ode à laque­lle je les lisais, etc. Et je pense que, quand l’histoire arrive à ren­tr­er dans ma vie à moi, enfin, vrai­ment, quand l’histoire, quand le per­son­nage, quand une phrase, en fait voilà, c’est quand ça pénètre ma vie à moi. C’est assez bizarre, c’est soit le per­son­nage qui, j’peux encore y penser main­tenant, en voy­ant quelqu’un, j’me dis : « Ah ben, tiens, il ressem­ble un peu », soit la phrase qui vient, sans faire exprès, sous ma douche, j’ai une phrase qui revient dans ma tête, et ben, les livres que je préfère c’est les livres vrai­ment qui sont… j’aime beau­coup comme je dis­ais, les descrip­tions, mais surtout les descrip­tions des per­son­nages et je trou­ve que le regard d’un auteur sur un per­son­nage c’est très impor­tant et c’est pour ça que j’aime beau­coup Zola parce que je trou­ve que ses descrip­tions sont très poussées sur les per­son­nages… C’est très inco­hérent ce que je suis en train de dire, je suis désolée.

Non, non si, si, je com­prend ce que vous dites. Et quand vous dites « le regard d’un auteur sur un per­son­nage », c’est le regard à la fois physique et moral ?

Oui, à la fois physique et moral. Ben du coup, ça passe sou­vent par une descrip­tion physique mais on sait que le physique c’est un peu la descrip­tion morale aus­si. Mais c’est comme un peu la pho­to, moi, j’ai une amie qui prend des pho­tos, et on sait, moi je recon­nais quand c’est une de ses pho­tos, elle a un regard par­ti­c­uli­er sur quelque chose. Mais je trou­ve que c’est la même chose. Bon là, c’est des per­son­nages qui sont fic­tifs donc en plus il y a non seule­ment le regard du… mais en plus, c’est le per­son­nage qui vient à lui, donc j’imagine que euh, voilà. Mais vrai­ment ce regard par­ti­c­uli­er sur les choses qui m’intéresse. Et quand un auteur écrit plusieurs livres, j’aime bien retrou­ver… retrou­ver ce regard.

D’accord. Et Flaubert vous diriez qu’il a quel regard sur ses personnages ?

Je trou­ve que c’est clinique.

Clin­ique ?

Ouais. Je trou­ve que c’est clin­ique, je trou­ve que c’est… ben pareil, on dirait qu’il écrit un tableau, comme je dis­ais tout à l’heure. Vrai­ment, y’a pas de relief en fait, j’ai pas l’impression qu’il écrit quelqu’un qui existe. « Qui existe », ben non, pas « qui existe » mais, parce que j’adore les ver­sions très romanesques, hein, j’aime bien, mais pas quelqu’un qui… je sais pas.

Qui vit ?

Voilà, qui vit. J’ai l’impression, ouais, il vit pas, enfin, c’est pas…

Pour­tant, il y a des moments où Emma… enfin, il y a aucun moment où Emma vous a touchée ?

Mais j’ai vrai­ment un prob­lème avec le per­son­nage d’Emma aussi. 

Mais c’est intéres­sant que vous disiez ça parce que je pense que vous avez rai­son, l’écriture de Flaubert fait qu’on est tou­jours à dis­tance… donc en fait on a du mal à…

Ben, ça deve­nait pas ma vie en fait, ouais voilà c’est ça, c’est pas, c’est une femme à livres et je vais pas y penser. Bon, c’est mal­heureux, je devrais y penser (rires), y’a le bac dans un mois et demi mais…

Vous n’êtes pas oblig­ée d’y penser. Avec le bac, vous pou­vez penser à la manière dont Flaubert a écrit son œuvre…

Oui, mais je trou­ve ça triste, en fait.

Et Emma, elle vous a… quand vous dites que vous avez un prob­lème avec Emma, c’est pourquoi ?

Je trou­ve qu’elle est… moi elle m’énerve en fait. Je sais pas, c’est un truc qui me… comme j’aime pas cer­taines per­son­nes, je saurais pas expli­quer pourquoi. Je sais pas, y’a un truc qui m’embête. Elle pleur­niche. Elle pleur­niche beaucoup.

Et vous com­prenez pourquoi elle pleur­niche ? Est-ce que vous lui don­nez des raisons ?

Ben, j’pense que j’aimerais pas avoir sa vie hein, très con­crète­ment. Ça me ferait pas… comme je le dis­ais, le dix-neu­vième siè­cle, j’aime beau­coup mais j’aimerais pas vivre dedans ! Alors, la lit­téra­ture du XIXe siè­cle, j’aime bien, pour les femmes, c’est hor­ri­ble ! C’est hor­ri­ble. C’est… ça dépend… en plus c’est telle­ment aléa­toire, ça dépend vrai­ment d’où on tombe, d’ou on est, avec qui on va être mar­iée. C’est sûr qu’elle a une vie hor­ri­ble ! Après, l’écouter pleur­nich­er pen­dant cinq-cent pages… mal­heureuse­ment, je pense que je n’ai pas assez d’empathie pour elle ! de… d’ « empathie », si, c’est ça. J’allais dire d’« antipathie », donc comme quoi, le lap­sus… ouais, non je sais pas, ça me… et puis je trou­ve qu’elle fait pas… prend pas les bonnes déci­sions, ça m’énerve ça aus­si. Comme je ferais pas la même chose, ça m’énerve et puis… oui c’est jus­ti­fié mais… Pour­tant, il y a plein de trucs hor­ri­bles, dans les Zola, c’est hor­ri­ble ce qui se passe aux per­son­nages, ils pleur­nichent aus­si, mais parce que… ils meurent, parce que…

Peut-être que Flaubert ne nous donne pas la per­mis­sion de plain­dre Emma. C’est dans l’écriture en fait, c’est pas dans le… si Zola avait écrit un per­son­nage comme Emma, on aurait peut-être plus mal pour elle.

Oui.

Ou au con­traire, on l’aurait beau­coup… encore plus jugée peut-être.

Ben, les mal mar­iées, c’est…ben, Ger­vaise, mal mar­iée deux fois en plus. Enfin, vrai­ment, je trou­ve que c’est un peu la même his­toire, enfin, genre, elle essaye, elle essaye et puis elle y arrive pas quoi, et pour­tant moi j’adore ça…

Et pour­tant Emma, c’est une lec­trice, comme vous ?

Ouais, c’est pas une lec­trice… c’est une lec­trice, c’est, c’est … je sais pas… ouais, mais j’ai pas for­cé­ment… j’aime bien les lecteurs, c’est vrai que quand je vois quelqu’un qui lit dans le métro un livre que j’aime bien, ça j’aime bien… mais sinon… elle m’énerve. C’est physique.

D’accord. Et vous avez tou­jours aimé lire ?

Oui

Tou­jours à l’école ?

Ouais, ouais, j’ai tou­jours… mais je pense que je viens d’une famille où c’est facile aus­si, on m’a tou­jours, on m’a mis des livres dans les mains, même devant moi et puis c’est… apparem­ment mes frères et sœurs aus­si donc, euh… ouais, ouais, non, j’ai tou­jours aimé lire et puis ça a tou­jours été, enfin j’ai tou­jours lu vite, j’ai tou­jours lu un peu plus… enfin des livres un peu plus… enfin qu’on dis­ait « trop dif­fi­ciles ». Et puis, je pense que c’est comme ça que j’ai un peu appris à réfléchir. Et puis, je lisais… moi quand j’étais en pri­maire, j’étais un peu dans la lune, dans mon monde , j’avais pas for­cé­ment beau­coup d’amis, j’en avais, hein, mais…donc je pense que, ouais, j’ai tou­jours été… j’étais la petite fille dans la cours qui avait son livre et qui rel­e­vait la tête, il y avait plus per­son­ne, parce que tout le monde était ren­tré, que ça avait son­né et elle avait rien enten­du. Mais, euh, non, non, j’ai tou­jours aimé lire…

Et vous trou­vez que la manière dont… ça vous a tou­jours plu la manière dont on étudie les livres en classe ?

Je trou­ve que ça dépend des pro­fesseurs, vrai­ment et j’ai eu de la chance de tomber sur des très bons pro­fesseurs… euh… ça dépend des années mais… j’ai pas… c’est mar­rant parce que j’ai pas eu le déclic, je me sou­viens en his­toire, on a com­mencé l’histoire en CE2, j’avais une pro­fesseure géniale et j’adore l’histoire depuis mais je sais que ça vient de là… mais non, la lit­téra­ture, je pense pas que ce soit l’école ni qui m’ait « rebutée », comme cer­tains mes amis peu­vent le dire, ni qui m’ait don­né envie. Après, ça accom­pa­g­nait. Je sais que l’année dernière, j’avais un pro­fesseur com­pléte­ment fou mais génial, enfin, mais vrai­ment dans son monde, moi, j’adore, vrai­ment dans son monde, il fal­lait vrai­ment suiv­re, mais c’est génial ! Quand quelqu’un par­le d’un livre, je trou­ve ça génial mais non, ça m’a jamais… euh… je pense pas que ça m’ait don­né envie de lire, je pense que je lisais déjà. Et puis j’étais pas for­cé­ment, pareil, rac­cord avec ce qu’on me don­nait à lire aus­si, jusqu’en troisième, qua­trième, où là on a com­mencé à lire des clas­siques, des livres un peu plus mais euh…après ça dépend des péri­odes aus­si. Je me sou­viens la cinquième on a fait le Moyen Age, la lit­téra­ture médié­vale, waou­uh , non !

Oui, Yvain et le cheva­lier au lion

Ouais, ouais, ben c’est ça, typ­ique­ment, je me demande si c’est pas ça qu’on m’avait fait étudier…

Et quand vous dites un « clas­sique », c’est quoi pour vous un classique ?

C’est très restreint, c’est hor­ri­ble parce que en soi, y’a plein de clas­siques et puis ça veut rien dire, ça va revenir au XIXe, je suis vrai­ment mono­ma­ni­aque, en fait, je sais pas. Mais en plus, je me fais un peu mes pro­pres clas­siques je pense. Après, un clas­sique, c’est les auteurs dont on par­le. Pour moi, Flaubert, c’est un clas­sique… euh, les Bron­të, voilà, Balzac…

Est-ce que vous avez des clas­siques à vous, qui pour vous sont pas des clas­siques au sens …

Ouais, alors, La Mort du Roi Tsongor de Lau­rent Gaudé, que j’aime beau­coup. Ensuite, euh, pas for­cé­ment en fait. Oui, ben, tous mes Ecole des loisirs, pour moi c’est des clas­siques, ça s’est sûr

Ça veut dire qu’en fait, c’est des livres que vous allez relire ?

Ben, moi j’ai vrai­ment un sys­tème, c’est que je relis mes livres. Pour moi, ce serait hyper éton­nant qu’on relise pas en fait. Enfin, je pense que c’est comme du coup, j’aime beau­coup lire et que c’était pas pos­si­ble de suiv­re en terme de rythme, je devais relire mes livres, je pense que ça vient de là. Mais vrai­ment je pense que mes livres, je les ai, tous ceux-là, entre mes 8 et mes 13 ans, j’les ai relu cinq fois, hein, mes livres, et puis je les con­nais par cœur du coup. J’adore mes livres, j’adore relire mes livres. Et puis je trou­ve que c’est beau de relire un livre.

Et vous décou­vrez de nou­velles choses quand vous relisez ?

Ça dépend en fait, ça dépend si je relis… parce que, moi, je suis capa­ble de relire sur la même semaine donc là, pas for­cé­ment. Après, j’adore retrou­ver des choses. Après, oui, y’a des livres que j’ai lus sur qua­tre-cinq ans et je suis plus capa­ble de les relire là, mais je suis sûre que je serai capa­ble de les relire, et là, oui, on décou­vre des choses et on se dit, c’est mar­rant la manière dont on pen­sait à cet âge-là et la manière, enfin, peut-être plus de choses sur moi et com­ment j’ai évolué, que ce qu’il y a dans le livre. Mais ouais, si, si… mais juste­ment, retrou­ver aus­si, c’est bien, j’aime bien.

Et on par­lait d’Emma, et j’avais une ques­tion à vous pos­er, en fait je vais écrire un arti­cle dans une revue qui s’appelle la Revue Flaubert, le thème, c’est « Flaubert et la pros­ti­tu­tion » et donc je vais écrire un arti­cle, et le titre c’est « Peut-on lire Emma Bovary comme une pros­ti­tuée ? » Et je pose la ques­tion à tous les élèves que je ren­con­tre, et est-ce que vous pensez qu’on peut lire Emma Bovary comme une prostituée ?

C’est mar­rant parce que je viens de lire Nana, y’a genre dix jours, donc c’est mar­rant, ça donne de la nuance. Non, je ne pense pas, je pense que… après ça dépend de ce qu’on appelle une « pros­ti­tuée ». Je pense pas qu’Emma soit une pros­ti­tuée, je pense qu’elle est un peu per­due, qu’on ne lui a pas don­né les choses que… dont elle a besoin.

Oui, ce que vous voulez dire, c’est que pour vous, une pros­ti­tuée c’est… bon, ben de toutes façons, c’est la déf­i­ni­tion à par­tir de laque­lle je pars, c’est que une pros­ti­tuée, c’est quelqu’un qui échange des faveurs sex­uelles con­tre de l’argent ?

Oui. Ben… juste­ment en ayant lu Nana, et puis, c’est un peu le même siè­cle, c’est pas for­cé­ment con­tre de l’argent, je pense qu’il y a aus­si, c’est une ques­tion de statut, une ques­tion de… je suis pas sûre qu’elle soit… enfin si Emma change de statut, mais elle a pas pris ce chemin-là, elle s’est mar­iée déjà, ce qui n’arrive pas aux pros­ti­tuées, ou alors tard. Elle s’est mar­iée jeune. Et puis, je ne trou­ve pas qu’il y ait un renon­ce­ment à la foi ou un renon­ce­ment… non, enfin, j’ai vu l’exposition, y’avait une expo­si­tion au Quai d’Orsay y’a pas longtemps sur la pros­ti­tu­tion au XIXe siècle…où on voit les fastes,  on voit… ça peut-être il y avait un côté qu’elle avait peut-être pas… enfin, une envie de mon­ter dans la vie sociale mais je trou­ve que c’est tout le monde, pas for­cé­ment les pros­ti­tuées et je trou­ve pas qu’elle ait choisi ce chemin.

Alors, je pose cette ques­tion là parce qu’il y a dans le texte à un moment une forme d’imaginaire de la pros­ti­tu­tion autour du per­son­nage d’Emma mais ça vient sou­vent des per­son­nages mas­culins, c’est le regard des per­son­nages mas­culins sur Emma, et notam­ment il y a la fameuse scène avec le notaire Guil­lau­min, qui lui dit très claire­ment « je vous prête de l’argent si vous venez dans mon lit ». Donc je pense que c’est quelque chose vers lequel pointe de temps en temps le roman mais sans se… peut-être plus en ter­mes de tra­vail de l’imaginaire que de…

Oui

Et c’est assez éton­nant parce que c’est vrai que c’est sou­vent une réac­tion assez franche des per­son­nes à qui je pose la ques­tion : « Non, c’est pas une prostituée ».

Oui, oui, oui où elle est… ben j’allais… en fait c’est peut-être très freu­di­en, je pense que voilà, mais en fait comme Emma elle n’arrive pas à être une mère, peut-être qu’il y a ça aus­si, l’image de « si t’es pas mère, t’es forcément…ben Marie Madeleine, Marie…etc. » Y a peut-être ça et puis de toutes façons, c’est le regard mas­culin sur la femme, au XIXe, c’est assez…

Oui, oui, dans la récep­tion du texte, il y a car­ré­ment des… non seule­ment le réquisi­toire qui dit que c’est une femme de mau­vais­es mœurs mais c’est aus­si cer­tains com­men­ta­teurs, des jour­nal­istes, qui dis­ent : « Elle est pros­ti­tuée » au sens de « cour­tisane ». Mais je…j’ai envie d’avoir votre point de vue parce que je vais nour­rir aus­si mon inter­pré­ta­tion de ce point de vue-là.

Mais surtout, j’ai jamais vu Emma… je trou­ve pas qu’elle soit vénale… c’est éton­nant, hein ? mais je trou­ve pas qu’elle soit vénale, j’avais plus l’impression qu’elle est en recherche d’un truc… d’un statut, d’un bon­heur, en fait finale­ment, d’un délice qu’il y a dans ses livres, etc., enfin comme on a pu l’étudier, mais je trou­ve pas qu’elle soit vénale en fait. L’argent c’est un peu un moyen, c’est pas for­cé­ment… et puis, ouais, non.

C’est-à-dire que son bon­heur est asso­cié à une cer­taine forme de statut social donc à par­tir de ça… mais c’est peut-être en effet pas la… d’ailleurs, elle dilapi­de son argent.

Oui, c’est vrai.  Mais on peut être vénale et dilapi­der son argent. Mais, je sais, c’est pas une car­ac­téris­tique que je lui met­trais. Pour­tant je suis pas trop gen­tille avec elle mais je ne la trou­ve pas vénale. 

D’accord. Est-ce que vous avez d’autres choses à rajouter ou ?

Non, c’est bon, je crois qu’on a fait le tour.

 

Entretien n°5

Léa, 18 ans, pas d’in­for­ma­tion sur son admis­sion au baccalauréat.

Pro­fes­sion du père : change beau­coup, agent d’en­tre­tien des struc­tures publiques dans la péri­ode de l’en­quête ; pro­fes­sion de la mère : pro­fesseure des écoles.

Donc vous n’avez pas fait le jour­nal de lec­ture mais vous aviez quand même envie de faire l’entretien. Pourquoi ?

Ben, parce que je me suis ren­du compte quand même de l’évolution de mon point de vue sur Madame Bovary, euh, la pre­mière lec­ture que j’en ai faite et après les cours qu’on en a fait, et du coup je trou­vais ça intéres­sant quand même parce que j’ai pas fait de jour­nal de lec­ture par manque de temps mais j’avais quand même des choses à dire.

Donc, par exem­ple, l’évolution de ce point de vue ?

Euh, ben, du coup je me suis vrai­ment ennuyée quand j’ai lu le livre la pre­mière fois. Y’avait beau­coup de pas­sages où j’accrochais pas du tout et où je voy­ais pas où il voulait en venir et j’avais l’impression de con­naître déjà la fin avant même d’avoir lu le livre, et en fait, avec le… en étu­di­ant vrai­ment le livre et qui est Flaubert, com­ment il l’a écrit, pourquoi, tout ça, ça m’a per­mis de beau­coup plus appréci­er à la fois la qual­ité de l’écriture et de com­pren­dre vrai­ment la patience qu’il a fal­lu et vrai­ment le tra­vail d’écrivain der­rière et puis aus­si un peu d’apprendre aus­si à rire de ce livre comme en riait Flaubert et du coup, ça m’a per­mis de beau­coup mieux com­pren­dre le con­texte dans lequel il a été écrit et qu’est-ce qui était le pro­pos, au final.

Et vous dites, vous avez mieux com­pris cer­tains détails… vous pou­vez don­ner des exemples ?

Ben, déjà, il y a toutes les scènes avec les amants que sur le coup j’ai trou­vé assez ennuyantes et que j’ai trou­vé très, ben, « vieil­lot », un peu, parce que du coup, ça reste quand même, voilà, c’est, c’est quelle date ? mille huit cent…

1857

Ouais, voilà c’est ça, euh, 1857, donc ça date quand même un peu et puis en fait en lisant, en com­para­nt avec les scé­nar­ios, on voit beau­coup plus que Flaubert voulait en dire beau­coup plus et juste­ment, riait de cette, cette sorte de pudeur et de… et d’esprit bien pen­sant, et du coup, c’est vrai que quand on le relit, on voit qu’il a lais­sé pass­er des choses qui à l’époque ont fait que juste­ment ce livre va en procès notam­ment, et ça a été très drôle à redé­cou­vrir en cours et à com­pren­dre com­ment est-ce qu’il con­tour­nait aus­si un peu les inter­dits de l’époque, et voilà.

Et quand vous dites « rire », il y a des per­son­nages qui vous ont fait rire ou des scènes qui vous ont fait rire ?

Ben, y’a des scènes, parce que déjà, on rit d’Emma Bovary, enfin moi en tout cas je ris d’elle, parce que, parce que y’a cer­taines… quand quand Flaubert se moque de ses élans roman­tiques tout ça, enfin, c’est très drôle, enfin. Et donc y’a toute cette his­toire parce que au final quand on com­mence le livre, on sait déjà plus ou moins com­ment ça va se ter­min­er et c’est drôle, d’un côté c’est trag­ique hein, de, de voir cette descente un peu et ce tour­bil­lon mais en même temps, c’est très drôle parce que c’est… y’a des traits qui sont grossis et puis, à la fois c’est un per­son­nage très fort, assez charis­ma­tique mais qui en même temps, paraît très stu­pide par cer­tains aspects. Donc du coup, y’a le per­son­nage d’Emma Bovary qui me fait rire. Du coup, c’est peut-être plus le per­son­nage de Charles pour lequel j’ai beau­coup plus d’empathie même si il est un peu, voilà, il est un peu mal­adroit et drôle par cer­tains aspects, j’ai beau­coup plus d’empathie pour Charles que pour Emma. Et après oui, les grossièretés de Rodolphe, la fausse naïveté de Léon et tout ça. Et c’est des per­son­nages qui m’ont fait rire.

Et est-ce qu’il y a des per­son­nages aux­quels vous vous êtes identifiée ?

Euh, per­son­nages aux­quels je me suis iden­ti­fiés, pas vrai­ment. Si ce n’est peut-être Justin, le petit. Mais c’est pas un per­son­nage for­cé­ment impor­tant, enfin, très très impor­tant dans le livre. Mais sinon tous les per­son­nages sont telle­ment grossis dans leur car­ac­tère et juste­ment font telle­ment une cri­tique aus­si notam­ment de la bour­geoisie et tout que, non, je ne m’identifie pas du tout et c’est aus­si ça qui me fait rire, c’est que je me sens dis­tancée d’eux.

Et pourquoi Justin ?

Je sais pas, parce que c’est un des seuls per­son­nages inno­cents de… totale­ment inno­cent de, du livre et que c’est un enfant, et que, et que… c’est…. je sais pas, ouais, c’est vrai­ment son inno­cence, et un peu, il est là, c’est pas de sa faute et puis il lui arrive des choses pas drôles parce qu’il croit qu’il a  tué Emma alors que non, et du coup, je sais pas, c’est le seul per­son­nage inno­cent qui m’a vrai­ment… avec lequel j’ai vrai­ment un rap­port sans, sans, voilà, sans rire, sans rien, c’est juste un personnage.

Et vous jugez morale­ment… Emma est immorale ?

Non, non elle est pas immorale, mais elle est un peu cruche, enfin (rires). Je vois pas com­ment le dire autrement, elle est pas immorale, je juge pas sa con­duite ni rien, et voilà, mais elle a… non, elle est pas immorale, je pense pas.

Quand vous dites qu’elle est un peu cruche, c’est dans quel sens ?

C’est qu’elle est, elle est… ça aurait pu se pass­er sa vie si elle était pas aus­si dans le bovarysme et tout ça, et si elle attendait pas tant de choses de la vie et si, enfin, je sais pas.

Mais c’est pas le pro­pre de la jeunesse ?

Euh, oui mais y’a une… après, ça, c’est mon rap­port per­son­nel à la jeunesse et à tous ces élans-là et tout, mais je pense que y’a aus­si une sorte de lucid­ité, de savoir… de  savoir que même si, ben, à la fois c’est la jeunesse et c’est très bien et c’est très beau mais y’a aus­si un moment où faut… enfin… où faut prof­iter de ça tout en sachant que ça a peut-être une fin, tout en sachant que … où on va avec ça et elle, elle sait pas où elle va, elle est pas du tout, elle est pas du tout indépen­dante, elle dépend des autres et à ce moment-là, ça peut pas bien se pass­er, et quand on se repose sur les autres… 

Est-ce qu’elle pour­rait être indépendante ?

Je sais pas, parce que c’est un per­son­nage de son époque, donc ça reste une femme de son époque et Flaubert par­le aus­si de ça, de la con­di­tion des femmes, donc je sais pas du tout si dans un autre temps elle aurait pu être indépen­dante ou si c’est totale­ment indénich­able [sic] de sa per­son­nal­ité mais, oui, à la fois elle veut plein de choses, mais en même elle se donne… enfin… elle attend toutes ces choses d’autres per­son­nes, d’autres actions que les siennes.

Et vous aviez enten­du par­ler de Madame Bovary avant de le lire ?

Oui. Ben j’ai voulu le lire en 4e et puis j’me suis arrêtée avant la fin de la pre­mière par­tie… parce que j’m’étais ennuyée… au bal de la Vaubyessard, juste avant l’arrivée à Yonville.

Et pourquoi en 4?

Parce que c’est ma mère qui voulait absol­u­ment que je lise des clas­siques. Elle a essayé de me faire lire beau­coup de clas­siques que j’ai jamais finis et que du coup, j’ai relu sans…au lycée…parce que je devais…

À cause des cours ?

À cause des cours. Mais oui, elle voulait que je lise Madame Bovary et voilà, j’l’ai lu.

Et vous con­naissiez la fin quand vous avez… ?

Oui. Enfin, j’avais com­pris dès la pre­mière lec­ture en 4e qu’ elle allait se sui­cider à la fin, enfin, vrai­ment c’est le… y’a des livres de cette époque-là que j’ai beau­coup de mal à lire parce qu’on sent où vont les per­son­nages, enfin une fois qu’il y a des sché­mas qui sont, qui sont assez… je sais pas si on peut dire que toute cette époque a des sortes de sché­mas de lit­téra­ture avec des per­son­nages comme ça qui finis­sent comme ça mais ça, ça m’étonne pas… enfin, quand on com­prend le per­son­nage, quand on voit un peu qui elle est, c’est écrit d’avance, et je pense que Flaubert voulait le mon­tr­er aus­si d’une cer­taine manière et c’est ça qui m’a aus­si énervée quand j’ai lu le livre, c’est que je con­nais­sais la fin et du coup j’étais : « Mais ça sert à rien de le lire, parce que au final, on sait déjà com­ment ça va se ter­min­er et puis… » 

Et votre mère, elle voulait que vous lisiez des clas­siques pourquoi ?

Euh…parce que je lisais beau­coup et je lis tou­jours beau­coup, mais pas des clas­siques et du coup ça l’énervait parce qu’elle trou­vait que j’avais pas une lec­ture lit­téraire assez… enfin, que c’est très bien de lire mais qu’il faut aus­si lire des clas­siques, parce que les clas­siques c’est important.

Vous êtes d’accord avec ça ?

Oui et non. Je pense que c’est bien de lire des clas­siques mais je pense que c’est bien aus­si d’avoir ses pro­pres clas­siques, et que les livres que j’ai pu lire main­tenant seront peut-être des clas­siques dans quelques dizaines d’années et je l’espère, parce que ça voudrait dire que la… la con­cep­tion de la lit­téra­ture aura changée et que y’aura des gen­res qui seront plus mis de côté parce que trop enfan­tins, parce que trop…

Par exem­ple ?

Euh… j’ai… alors ça c’est mon auteur préféré mais c’est Pierre Bottero.

Ah, quelqu’un d’autre m’en a par­lé dans votre classe.

Ça m’étonne pas. Parce que j’ai fait un exposé dessus en phi­lo et puis on est beau­coup à l’avoir lu dans la classe, et puis notre époque… enfin, ma généra­tion et mêmes d’autres plus âgées… Pierre Bot­tero est un auteur que beau­coup de gens con­nais­sent et qui pour moi est vrai­ment un très très grand auteur mais que je pense que ça pour­ra jamais être recon­nu comme un clas­sique parce que c’est une lit­téra­ture un peu pour les enfants même si bon, beau­coup de per­son­nes le lisent…

Ça pour­rait être un clas­sique de la lit­téra­ture de jeunesse….

C’est ça.

Le Petit Prince c’est un clas­sique… Har­ry Potter…

C’est ça. Mais du coup, j’aimerais bien que ça devi­enne un clas­sique parce que y’a des leçons aus­si intéres­santes que dans d’autres clas­siques plus anciens.

Et donc là, par exem­ple, vous con­tin­uez de lire à côté des…

Là, j’ai eu beau­coup de mal cette année. Ça… vrai­ment, ça a été une année très dif­fi­cile pour lire parce que j’avais beau­coup de choses enfin, plein d’autres choses à faire… il faut faire des choix et des fois, on préfère se repos­er plutôt que de lire. Donc oui, j’ai très très peu lu cette année.

Ça vous manque ?

Oui, totale­ment. Ben, quand j’ai relu Madame Bovary, quand je me suis remis à lire du coup Madame Bovary, je me rap­pelle d’avoir eu la réflex­ion de me dire : « C’est trop agréable de lire mais j’ai pas du tout envie de lire ce livre ». Ce livre m’a redonné envie de lire mais absol­u­ment pas lui. Et du coup… du coup, non, j’ai très peu lu cette année.

Et vous aimez la manière dont on étudie le français en classe ?

Ça dépend, y’a des aspects, enfin… j’aime bien le français en général et du coup, je… j’ai jamais de prob­lème avec mes cours de français et de lit­téra­ture, mais après, la réflex­ion que je me suis faite et que beau­coup de per­son­nes plus âgées m’ont faites aus­si, c’est que y’a cer­tains livres qu’on étudie main­tenant et que du coup, ça gâche le plaisir qu’on pour­rait avoir si on les lisait quand… si on est plus âgé.e.s. Par exem­ple, là, en lit­téra­ture, on lit Œdipe Roi , en lien avec Pasoli­ni, de Sopho­cle, et je sais que mon père trou­vait que c’était totale­ment débile de nous faire étudi­er Pasoli­ni parce que en fait on pou­vait pas com­pren­dre à notre âge, et ce qui est vrai, et que c’était très désagréable pour nous d’étudier ça parce que c’est un… c’est un ciné­ma très par­ti­c­uli­er alors que ça peut être quelque chose qu’on peut redé­cou­vrir plus tard, et qui du coup peut-être peut gâch­er un intérêt qu’il pour­rait y avoir plus tard.

Quand vous dites que c’est une ques­tion d’âge, vous voulez dire que quand on vieil­lit on lit dif­férem­ment ou… ?

Je pense. Je pense. Mais c’est surtout qu’on peut peut-être plus appréci­er juste­ment cer­taines choses, et que, quand on lit Madame Bovary en 4e, on s’ennuie, parce que c’est pas de ça qu’on a envie et c’est pas de ça qu’on rêve, alors que, alors que quand on est… après, ça dépend des per­son­nes for­cé­ment, mais quand on est adulte, peut-être qu’on est un peu plus posé et on est plus apte à pren­dre le temps de lire des livres qui nous auraient pas for­cé­ment intéressés. 

C’est intéres­sant que vous disiez ça parce que moi j’ai eu une expéri­ence… c’est-à-dire que relire Madame Bovary une troisième fois, ça a été pour moi une expéri­ence de redé­cou­verte juste­ment du plaisir de la lec­ture de Madame Bovary, c’est-à-dire que je l’ai lu comme un… un roman qu’on lisait enfant, presque avec du sus­pens… « Que va-t-il se pass­er ? »… je savais déjà ce qui allait se pass­er mais… et finale­ment, je me dis peut-être que plus tard… peut-être qu’on s’identifie plus facile­ment, peut-être qu’il y a cer­tains thèmes qu’on com­prend plus facile­ment, mais je suis pas sûre. Je sais pas si on aban­donne ce désir, ce plaisir, cette envie de lire des livres…

Je pense pas que ça… parce que en étant adulte juste­ment, on appré­cie mieux le sus­pense qui est mis en œuvre dans ces livres-là, un sus­pense que juste­ment en tant que jeune enfant qui, quand on est bercé dans toute cette action, ce sus­pense-là, surtout à notre époque main­tenant, ce sus­pense-là, pour nous, il est dérisoire, alors que je pense que quand on est adulte on a plus le recul d’apprécier ça à sa juste valeur alors que, voilà, lire Madame Bovary à 13 ans, enfin je, j’aurais jamais pu appréci­er, et puis, euh, voilà quoi, enfin, c’était juste pas… mon époque, je sais pas com­ment dire mais…

Et vous trou­vez ça intéres­sant l’axe d’étude du bac par rap­port à l’œuvre.

Oui, oui, sur le coup ça m’a énervée, j’avais pas du tout envie d’étudier ça.

Pourquoi ?

Parce que juste­ment, c’était Madame Bovary, le livre que j’avais jamais lu et que… et que tout le monde dit que c’est génial et que j’avais trou­vé ça extrême­ment ennuyant, ennuyeux, quand… quand je l’avais lu quand j’étais plus jeune, et parce que c’est un gros livre et puis… qui vrai­ment me don­nait pas du tout envie, et que je con­sid­érais qu’il y’avait des très bons livres du XXe siè­cle notam­ment qui pou­vait être lus et étudiés, mais d’un côté, je com­prend pourquoi ils le met­tent et je trou­ve ça bien et je trou­ve ça intéres­sant de pou­voir étudi­er le proces­sus d’écriture d’un livre et de la pub­li­ca­tion. Enfin, on voit vrai­ment tous les aspects de l’écriture et je trou­ve ça intéressant.

Et vous aimez le style de Flaubert ?

Oui, et non. C’est à dire que en l’étudiant juste­ment j’arrive à l’apprécier et j’arrive, voilà, à inter­a­gir avec ce texte et à en rire et à réfléchir, et à admir­er aus­si ce qu’il écrit, mais d’un côté, c’est pas quelque chose que je prends for­cé­ment non plus plaisir à lire [sic]. Je pense, je l’ai pas encore relu, c’est pas bien parce que le bac approche et on est cen­sé relire nos œuvres, je l’ai lu en début d’année et puis je me repose sur ma très bonne mémoire mais c’est pas quelque chose… je déteste relire des livres et surtout pas des clas­siques. C’est vrai­ment…. non. Je… je prendrais pas plaisir à le relire.

Et après le bac, vous pensez que vous con­tin­uerez à lire ?

Oui, oui, j’espère avoir plus de temps déjà et puis, oui, parce que, oui, totale­ment. En plus c’est impor­tant pour mes études à moi, vu que je veux boss­er dans l’art, enfin la lit­téra­ture ça reste quand même quelque chose d’important. J’attends que ça.

Et est-ce que vous avez repéré par rap­port au… vous disiez on nous fait lire plus des clas­siques, voilà, à l’école… Est-ce que vous avez repéré une dif­férence entre le col­lège et le lycée ?

Oui. Et oui, oui, oui, mais je saurais pas exacte­ment com­ment la for­muler parce que… déjà on nous fait plus lire des clas­siques au lycée que au collège…c’est-à-dire qu’au col­lège, on va par­ler des clas­siques, on va lire des extraits ou des petits clas­siques mais qu’on va quand même nous faire lire des livres à cheval entre les deux… euh… je me rap­pelle un livre qu’on… qui m’a mar­qué au col­lège et que je pen­sais jamais à lire, surtout au col­lège, j’ai pas le nom, mais c’est un livre…une sorte de recueil de cor­re­spon­dance entre un pris­on­nier qui a tué son beau-père et une femme avec qui il échange par let­tres, qui est une vis­i­teuse, et je… peut-être que je peux essay­er de vous retrou­ver le nom, et c’est un très petit livre sur l’univers car­céral et j’ai lu ça en 4e ou en 3e et ça m’a, j’ai trou­vé ça fou qu’on me fasse lire ça à treize ans, et j’ai trou­vé ça génial en fait. Avec le recul, je trou­ve ça super intel­li­gent parce que d’un côté, ça nous fait par­ler de l’écriture épis­to­laire etc., et en même temps, ça par­le d’une vérité qui est dure, qui existe et notre époque encore. Et du coup y’a une… je trou­ve qu’au niveau du col­lège, y’a une manière de vouloir par­ler des grands gen­res mais en trou­vant aus­si des livres qui peu­vent intéress­er tout le monde. Et du coup, je trou­ve ça bien. Mais après, l’enseignement aus­si de… au lycée, j’ai beau­coup aimé, de revoir des clas­siques, et mon année de pre­mière en français, ça a été trop intéressant.

Vous avez beau­coup aimé la première ?

Ouais, en plus on avait Gar­gan­tua, et c’est pareil, Gar­gan­tua, c’est un livre que quand j’ai… quand j’l’ai lu et qu’on l’a tous lu, on était totale­ment sur­pris et on com­pre­nait pas pourquoi on lisait ce livre. Enfin, on le lisait mais avec une sorte de… presque de dédain. « Mais c’est quoi ce livre, enfin, c’est ça, un clas­sique ? » Et en fait oui, c’est totale­ment ça un clas­sique. Et on était avec un prof qui était totale­ment… enfin, génial, et qui nous a juste­ment appris à com­pren­dre ce livre et à en tir­er toutes les… enfin… l’intelligence…

La sub­stan­tifique moelle ?

Exacte­ment. En plus, il aurait très bien util­isé ce mot. Et du coup c’était des livres qui vrai­ment nous ont ennuyés au pre­mier abord ou vrai­ment rebuté, et qu’il a appris quand même à nous faire aimer et qu’il a ren­du ça très drôle. Et l’année de pre­mière, j’en garde un très très bon sou­venir, en plus, vu qu’on étu­di­ait des extraits, on a pu par­courir plein d’époques, plein de… plein de gen­res, et je trou­ve que l’année de pre­mière en français en L est très très bien, vraiment…

Et ça vous a pas frus­trée de lire des extraits, de pas… ?

Ben du coup, ça m’a don­né envie de lire des… les livres en fait, en entier. Je pense à La Con­di­tion humaine de Mal­raux, quand je l’ai com­mencé, j’l’ai pas fini, mais y’a vrai­ment des extraits qui m’ont mar­quée plus que d’autres et qui du coup m’ont don­né envie… Oscar Wilde aus­si, on avait étudié la pièce de Salomé, je sais qu’on est nom­breux à l’avoir lue après coup parce que tout le monde l’a…  beau­coup aimé ce tra­vail-là donc… euh…

Et…et c’est intéres­sant ce que vous disiez sur… ce que vous dites sur Gar­gan­tua parce que c’est un roman juste­ment qui a été… juste­ment Rabelais, ça été pen­dant très longtemps évac­ué des clas­siques, ça fai­sait pas par­tie des manuels sco­laires jusque dans les années soix­ante, donc finale­ment c’est ce que vous disiez sur la per­cep­tion de la littérature.

Ça change !

Ça change, ça fluctue, et puis tout à coup, ça devient un livre qu’on enseigne à l’école donc c’est perçu comme un livre… voilà, clas­sique, ennuyeux, mais en fait à un moment c’était perçu comme très subversif.

C’est ça. Je trou­ve ça génial qu’il nous fasse étudi­er Gar­gan­tua.

Et vous trou­vez que Madame Bovary, c’est un…enfin, vous jus­ti­fiez le fait que Madame Bovary est un classique ?

Oui, je pense. Après, je suis un peu for­matée par mon cours parce qu’on a dit : « Pourquoi est-ce que c’est un clas­sique ? » Ouais, pourquoi, grand A, grand B, petit c. Mais oui, oui, c’est un clas­sique parce que déjà la manière dont il est écrit, ça représente un tra­vail d’écrivain qui est… c’est pareil, c’est un peu à la manière dont Zola est un clas­sique avec son œuvre mon­u­men­tale, et Balzac aus­si, tous ces grands auteurs qui ont, qui ont vrai­ment des pro­jets d’écriture qui en fait, pren­nent une vie… alors pour Flaubert, ça a pas pris une vie, ça a pris quand même six années, je pense et ça a mar­qué sa vie donc y’a… cet objet-là d’un auteur qui con­sacre sa vie ou une grosse par­tie de sa vie à une œuvre, et puis y’a aus­si la manière dont ça par­le de son époque que je trou­ve intéres­sante et pour moi, c’est ça aus­si qui fait les grands clas­siques, c’est les clas­siques qui par­lent de leur époque et de manière cri­tique et d’un regard dont… on soupçon­nerait pas à pre­mière vue et qu’on peut pas imag­in­er que au XIXe siè­cle quelqu’un ait pu avoir un regard aus­si cri­tique sur sa pro­pre époque.

Et par exem­ple, est-ce que vous avez un… quel est ce regard que porte Flaubert sur son époque ?

Ben, il évoque aus­si la con­di­tion des femmes, il évoque les bour­geois, ce genre de choses , vrai­ment, en plus il écrit sur une péri­ode et à une péri­ode où il y a beau­coup de change­ments au niveau his­torique, enfin, du genre Pre­mier Empire, République, Sec­ond Empire, et du coup, je trou­ve que son livre, avec quand vrai­ment on rep­longe dedans et qu’on voit les détails, ça dit aus­si quelque chose du con­texte his­torique et un peu à la manière des Rougon-Mac­quart en fait, de…dont Zola pareil, par­le aus­si de ça, et il forme une cri­tique sur la bour­geoisie, sur vrai­ment sur tout ça, toute la société du XIXe siè­cle, et je trou­ve ça très intéres­sant, enfin, surtout, il essaye vrai­ment de faire des por­traits-types donc après aus­si, il s’en moque, parce qu’il fait des clichés aus­si un peu, des bour­geois, à tra­vers Homais, tout ça, mais je trou­ve qu’il a ce regard-là sur une époque, de cri­ti­quer ce qui se passe avec beau­coup de lucid­ité. Je sais pas si c’est de la lucid­ité ou juste un esprit cri­tique sur le coup, mais je trou­ve que ça en dit long.

Et vous aviez des choses à rajouter sur Madame Bovary ?

R : Non, non, mais du coup, voilà, que je sais pas si c’est une bonne idée de le faire étudi­er au lycée et tout. Moi, en tout cas, ça m’a per­mis de mieux le con­naître, et voilà, moi j’ai appré­cié, après je sais pas si c’est le cas de tout le monde mais je trou­ve ça intéres­sant qu’ils le lisent cette année et puis, et puis voilà… c’est pas un mau­vais livre, c’est pas un coup de cœur non plus, mais c’est intéres­sant de voir comment…

Et main­tenant, je vais vous pos­er une ques­tion que j’ai posée à tous vos cama­rades qui étaient en entre­tien : « Peut-on lire Emma comme une pros­ti­tuée ? » Et du coup je voulais savoir ce que vous en pensez.

Ben, du coup, j’ai envie de pos­er des ques­tions. À quel degré ? Pourquoi est-ce que c’est une pros­ti­tuée ? J’aurais ten­dance à dire non. Parce que pour moi ça, ça …ça rap­prochait un peu une… la déca­dence de la femme qui soit trompe son mari et soit a des amants, et je suis pas d’accord avec cette vision de ma femme, enfin j’ai le regard, le point de vue de mon époque. Et, est-ce qu’on peut lire Emma comme une pros­ti­tuée ? Pros­ti­tuée sen­ti­men­tale peut-être.

C’est-à-dire ?

Ben, elle cherche l’amour, elle cherche des sentiments.

Mais la ques­tion de la pros­ti­tu­tion, c’est vrai­ment une ques­tion de trac­ta­tion finan­cière. On est pros­ti­tuée quand on vend son corps. 

Ouais.

Donc je vous expli­querai après pourquoi je pose cette question.

Je sais pas, je pense pas. 

En fait, c’est quelque chose qui est présent dans le regard des hommes du roman. A un moment Rodolphe la com­pare à une pros­ti­tuée et puis à la fin, Guil­lau­min, le notaire lui pro­pose carrément…

Mais juste­ment, c’est pour ça que, moi, de mon point de vue de femme, je dis : « non » face à ces hommes qui, qui pour eux, la con­sid­èrent comme ça, parce que ça paraît logique que des hommes de cette époque surtout, et même main­tenant, la regar­dent de ce point de vue-là mais du coup, moi de mon point de vue de femme, je dirais non.

C’est comme si y’avait un amal­game entre le fait d’être adultère et le fait d’être prostituée.

Voilà, c’est ça. Et même le fait plus générale­ment le fait de couch­er avec des hommes et pas qu’un seul, et…

Et vous pensez que c’est con­tem­po­rain ça, encore ?

Oui, totale­ment. Ah, totale­ment, je pense que oui, cette ques­tion de… c’est avec des mots plus crus que « pros­ti­tuée », mais oui, c’est encore main­tenant, encore et beau­coup trop.

Et c’est intéres­sant que vous me disiez ça parce que c’est aus­si une série des réécri­t­ures con­tem­po­raines qui juste­ment font d’Emma une pros­ti­tuée, alors sur le mode de la fic­tion, mais voilà, qui con­stru­isent un per­son­nage d’Emma comme une pros­ti­tuée. Je crois qu’il y a une his­toire où elle quitte son mari et puis elle part à Paris et elle devient pros­ti­tuée. Effec­tive­ment, c’est un pos­si­ble du roman qui sem­ble être exploité par le regard mas­culin, plus que par le regard féminin.

Et ça m’intéressait d’avoir votre opin­ion parce que c’est une ten­dance aus­si de la lit­téra­ture savante ou de la cri­tique savante d’aller tir­er les choses dans tous les sens alors qu’il faut aus­si rap­pel­er que dans le roman Madame Bovary n’est pas une prostituée.

C’est ça. Je trou­ve ça triste que si toutes les réécri­t­ures, enfin, beau­coup de réécritures…

Ah, c’est pas toutes…

Oui, mais…

Y’en a deux, je crois…Y’a beau­coup d’autres réécri­t­ures. Il doit y avoir, depuis 1930 jusqu’à 2013, au moins quar­ante romans. Alors y’a des Made­moi­selle Bovary, des Mon­sieur Bovary…

C’est dans ce cas-là aus­si que c’est un clas­sique. C’est qu’il y a une, une …

Mais c’est intéres­sant parce que les Rougon-Mac­quart par exem­ple ont pas stim­ulé tant de réécri­t­ures que ça.

Parce que c’était une œuvre telle­ment com­plète aus­si peut-être

Mais finale­ment c’est presque que Madame Bovary parce que L’Éducation sen­ti­men­tale ou Salamm­bô, non… Bou­voir et Pécuchet, non… faut que je regarde à nou­veau mais Madame Bovary a vrai­ment stim­ulé comme ça…

Le per­son­nage, oui.

Oui, peut-être. Et peut-être parce que c’est un livre sur rien, alors on peut tout écrire dessus (rires)

C’est ça.

Est-ce que vous aviez des choses à rajouter ?

Non, je pense pas.

Entretien n°6

Sarah, 18 ans, pas d’in­for­ma­tion sur son admis­sion au baccalauréat.

Pro­fes­sion du père : édu­ca­teur de jeunes enfants  ; pro­fes­sion de la mère : con­seil­lère prin­ci­pale d’éducation

Donc vous n’avez pas fait de jour­nal de lec­ture mais vous aviez quand même envie de faire l’entretien. Pourquoi ?

Euh. En fait, j’ai pas fait le jour­nal de lec­ture parce que… en fait j’ai eu énor­mé­ment de mal à lire Madame Bovary, puisque je l’ai même lu après les autres, donc voilà. Et du coup, ben, quand je l’ai lu, j’arrivais pas du tout à m’arrêter et à…

À écrire ?

Voilà, c’était… enfin je voulais que ce soit finale­ment fait le plus vite pos­si­ble parce que du coup, j’arrivais pas du tout à pren­dre le temps de… ben d’écrire ce que je pen­sais, d’écrire ce que je ressen­tais à ce moment-là. Mais du coup, je voulais quand même faire un entre­tien parce que je trou­ve que finale­ment, avec le recul, c’est quand même un livre intéres­sant mais du coup voilà…

Donc, en quoi il est intéressant ?

Ben, en fait, à la pre­mière lec­ture, j’ai pas du tout aimé… mais pas du tout, du tout.

Et vous savez pourquoi ou vous avez réus­si à com­pren­dre pourquoi ?

Ben, je pense que c’est l’écriture de Flaubert finale­ment qui… même si elle est très étudiée, très belle etc., mais du coup, moi, ça me blo­quait, enfin, ça arrivait pas, enfin, ça coulait pas tout seul comme ça, donc du coup j’ai eu du mal. Et… et… après, enfin, en fait, en l’étudiant en cours, ben c’est juste­ment en étu­di­ant cer­tains pas­sages, et en étu­di­ant, ben, pourquoi il avait fait ça, pourquoi il avait fait ça, com­ment il avait voulu écrire ce livre, ben, en fait c’est là où j’ai trou­vé finale­ment l’intérêt euh…du livre, enfin et j’ai vu que c’était quelque chose de super intéres­sant, où on peut appren­dre plein de choses et je trou­ve que finale­ment, tout ce qui… tous les procédés par lesquels il est passé pour écrire le livre, c’est presque plus intéres­sant que le livre en lui-même, enfin…

Donc les brouil­lons ? les dif­férentes étapes ?

C’est ça, les brouil­lons, les recherch­es qu’il a faites pour écrire cer­tains pas­sages, toutes… toutes les pré­ci­sions qu’il est allé chercher pour les descrip­tions etc., enfin je trou­vais ça plus intéressant…

Que le livre lui-même ?

Oui (rires).

Et pour vous… est-ce que vous avez été sur­prise en voy­ant les brouil­lons par rap­port au résul­tat final. Est-ce que… je me sou­viens par exem­ple, votre pro­fesseure vous avait don­né à lire le pas­sage avec Léon, la pre­mière fois, où dans les brouil­lons, il dit quelque chose comme « peut-être qu’ils s’embrassent mais bon pas plus », c’est assez… c’est un vocab­u­laire assez prosaïque et puis après on a le résul­tat dans la langue de Flaubert qui est très tra­vail­lée pour le coup. C’est presque vul­gaire quelque­fois les brouil­lons de Flaubert.

Oui, mais juste­ment, c’est ça qui est plus… enfin, je pense que pour nous, enfin, sur notre généra­tion et sûre­ment ben à cause aus­si de notre cul­ture, ben du coup, c’est plus… ça nous par­le plus en fait. Du coup, enfin, on voit vrai­ment ça comme un plan où y’a toutes les petites par­ties qui va… enfin, sur lesquelles il va s’étaler pen­dant je sais pas com­bi­en de pages. Et du coup, je pense que c’est ça aus­si, c’est que finale­ment, les brouil­lons, des fois ça nous per­met même de lire des pas­sages ou des par­ties du roman plus vite, même s’il nous manque plein de choses mais du coup on arrive vache­ment, ben, à savoir, à voir com­ment il va être con­stru­it, et quels vont être les pas­sages impor­tants enfin, et du coup c’est beau­coup plus… enfin c’est une lec­ture plus facile en fait. Donc c’est un peu éton­nant après quand on voit le vrai livre et on se dit « Ah ! » (rires). Enfin, c’est bien con­stru­it, c’est bien fait mais je pense que ça nous par­le beau­coup moins finalement. 

Et donc vous c’est le proces­sus d’écriture qui vous a intéressée ?

Oui. C’est ça.

Et c’est parce que vous vous intéressez à l’écriture en général ?

Ben enfin, j’aime bien écrire mais euh… enfin, j’ai sou­vent eu cette impres­sion-là… enfin, depuis, enfin, on a étudié à l’école des livres depuis longtemps et finale­ment à chaque fois y’a plein de livres que j’aimais pas au début et que avec le… ben… avec des pistes qu’on me don­nait sur com­ment il avait écrit [sic], et ben ça me parais­sait beau­coup plus intéres­sant, enfin, ça fait un peu comme une enquête finale­ment sur tout le long et après, ben, ça donne son livre, ça a aus­si un petit côté mag­ique qu’il arrive à faire ça avec juste des petites… des petites idées, des expéri­men­ta­tions quoi.

Et est-ce que vous avez été touchée par cer­tains pas­sages, touchée dans un sens ou dans l’autre, c’est-à-dire soit choquée soit touchée, émue… par des pas­sages ou par des personnages ?

Ben… je pense que… enfin, en fait comme tout le reste, je crois que quand je relis des pas­sages , je ressens plus de choses qu’au début parce que moi j’ai l’impression avec l’écriture de Flaubert d’avoir eu une bar­rière, vrai­ment, entre lui et le lecteur… enfin, je pense que au final il voulait vrai­ment pas met­tre ça parce qu’un livre, c’est fait pour être lu mais j’arrivais pas à savoir ni ce qu’Emma elle pou­vait ressen­tir ni ce que les per­son­nages pou­vaient ressen­tir parce que au final, enfin, c’est presque con­tra­dic­toire ce que je vais dire mais y’a telle­ment de con­struc­tions que on a l’impression que ça va pas… enfin, ça va pas tout seul, que y’a pas trop de sen­ti­ments, que c’est fait pour que… ben pour qu’Emma se retrou­ve toute seule parce qu’elle… enfin , à la fin elle doit se sui­cider et c’est comme ça. Du coup, c’est vrai que c’est assez com­pliqué de ressen­tir des émo­tions sur le livre. Après je pense que… enfin finale­ment, les pas­sages où on a un petit peu de… je sais pas quelle émo­tion for­cé­ment c’est, mais dans les descrip­tions qui sont vrai­ment ben… c’est très appliqué, le pas­sage où elle est dans le… dans la forêt avec Rodolphe après la bal­lade à cheval, ben, finale­ment on com­prend qu’il se passe quelque chose mais tout est fait par la descrip­tion et du coup, ça nous rend plus sen­si­ble en fait… on voit que à tra­vers la nature et tout ce qu’il y a autour donc euh… c’est presque des pas­sages où il y a plus d’émotions que dans tout le reste.

Et, au niveau de… ce que vous disiez, peut-être que ce qu’il y a dans l’écriture de Flaubert, c’est que c’est dif­fi­cile d’adhérer au point de vue d’un per­son­nage ou de ren­tr­er dans l’esprit d’un per­son­nage parce que c’est tou­jours un peu dis­tan­cié, Flaubert. Il y a une forme d’écriture un peu… com­ment dire… c’est le dis­cours indi­rect libre qui fait ça, on a tou­jours le point de vue du per­son­nage avec quelque part le point de vue du nar­ra­teur qui vient se super­pos­er. Est-ce que du coup vous avez com­pris par exem­ple pourquoi le procès… pourquoi le roman avait été mis en procès pour immoral­ité. Est-ce que vous validez ça ou vous com­prenez pas ?

Ben quand on s’intéresse à l’époque, oui. Enfin on se dit y’a plein de choses qui ont été cen­surées donc for­cé­ment, enfin, si les gens se met­tent à lire entre les lignes, on peut voir plein de choses qui sont pas… qui sont val­ables [sic] de procès. Après , c’est sûr que quand nous, on nous expose ça aujourd’hui avec tous les medias qu’on a etc., enfin, pour nous, c’est inimag­in­able on se dit, euh, (rires) c’est rien par rap­port à tout ce qu’on voit , donc… je peux com­pren­dre par rap­port à l’époque mais si on se remet pas dans l’époque, moi je pense que, pour le coup, on peut pas vrai­ment com­pren­dre parce que… ben , pour nous il dit rien… enfin y’a rien de pré­cis, il dit pas… il injure [sic] pas quelqu’un, y’a rien… y’a rien de vis­i­ble en fait donc euh… enfin aujourd’hui, ça viendrait pas à l’idée qu’un livre comme ça soit (rires) soit amené en procès (rires).

C’est vrai, c’est un livre qu’on voit comme très traditionnel.

Oui.

Donc pour vous y’a rien de répréhen­si­ble dans ce que fait Emma… ou dans, dans les actions des per­son­nages ? C’est pas immoral, elle ne vous a pas choquée ?

Non, pas du tout.

Et vous la comprenez ?

Non, parce que, en fait, pour moi Emma, enfin même dans tous les autres per­son­nages on a beau­coup de mal à… à s’identifier, et je pense que y’a plein d’autres livres ou de films, ou enfin tout, où on peut s’identifier à des per­son­nages et donc for­cé­ment ça nous touchera beau­coup plus, mais par con­tre chez Emma et chez les autres per­son­nages, ben, pas du… enfin, per­son­nelle­ment j’arrivais pas du tout à m’identifier à un des per­son­nages. Après, Emma, tout ce qu’elle fait, euh, je veux pas dire que, enfin, si, je le cau­tionne en fait, parce que avec l’image finale­ment qu’on a genre d’une femme mod­erne aujourd’hui, de… enfin… déjà, moi ça me choquait plus en fait que Emma soit une femme comme ça, par rap­port à l’époque, enfin qu’elle… enfin en même temps elle est très enfer­mée, enfin elle a tou­jours des fig­ures assez pater­nelles finale­ment à côté d’elle, même quand elle est avec Charles, elle est tou­jours avec des fig­ures mas­cu­lines etc., c’est ça qui me choque plus finale­ment que tout ce qu’elle fait autour.

C’est la con­di­tion de la femme ?

Oui, c’est plus ça.

Et donc pour vous, vous com­prenez qu’Emma ait été malheureuse ? 

Ben oui. Enfin je com­prends que… ben, que, qu’elle ait des images de con­tes de fées dans la tête et puis elle se retrou­ve avec quelqu’un qui lui cor­re­spond pas du tout et… et qu’elle a envie d’aller voir ailleurs… et juste­ment, qu’elle soit totale­ment enfer­mée dans son mariage et que, pour elle, ce soit un mal­heur parce que si elle s’attendait vrai­ment à quelque chose de pas­sion­nel etc., je com­prends son dés­espoir (rires).

Et vous aviez enten­du par­ler du livre avant de le lire ?

Oui.

Par qui ?

C’est un peu… je sais que y’a des gens autour qui l’avaient déjà lu. Après, enfin, moi, j’ai l’impression que ce livre-là, c’est un peu le…le…comment dire ? Enfin, tous les profs nous en par­lent un peu comme une référence « Oui, donc Madame Bovary de Flaubert, c’est… » sans même qu’on l’ait lu en fait, vu qu’on sait à peu près com­ment se passe l’histoire, com­ment elle se déroule.

Vous con­naissiez la fin ?

Oui. Donc du coup, c’est un peu une référence mais en même temps, c’est un peu dom­mage parce que quand on est amené à le lire, et ben on sait déjà, enfin tout ce qu’il va se pass­er, donc on n’a pas trop cet intérêt de savoir…

Et quand les profs vous en par­laient, ils vous en par­laient comme d’un roman com­ment ? Vous vous sou­venez un peu des thèmes, ou, je sais pas, pourquoi on par­lait de Flaubert et de Madame Bovary ?

Euh… ben peut-être juste­ment pour son procès, il y a cer­tains moments quand on étudie des textes qui sont allés en procès, ben, enfin, on en a sûre­ment par­lé. Après, moi, avant de le lire, je sais pas si c’est parce qu’on me l’a dit ou si c’est parce que je le pen­sais, moi je voy­ais vrai­ment ça comme un roman très clas­sique, qui… enfin, qui dépas­sait aucune règle, aucune norme, enfin qui était vrai­ment… après quand on le lit on se dit : « ben en fait non c’est pas ça » mais du coup, je sais pas trop si c’est parce qu’on me dis­ait ça avant ou parce que j’avais juste cette idée-là dans la tête enfin…(rires).

C’est intéres­sant que vous util­isiez le terme de « clas­sique ». C’est quoi pour vous un classique ? 

Parce qu’on nous dit que c’est un clas­sique aussi…

Oui, mais c’est quoi un clas­sique, pour vous ?

Euh… (rires) pour moi, un clas­sique, ça serait… un livre… ben qui… ben déjà, ça appar­tient à une époque, mais du coup, enfin… c’est vrai­ment une époque le clas­sique, mais en même temps, pour moi, dans ma tête de fille de dix-sept ans, pour moi, un clas­sique, c’est vrai­ment… ben, c’est ces livres, ben, qui par­lent de… de… euh… de sujets assez, ben, banals et qui durent mille pages pour faire des tonnes et des tonnes de descrip­tions sur une his­toire d’amour… enfin, finale­ment, ça se rap­proche presque du roman­tique, mais pas totale­ment (rires). C’est un peu… (rires).

Et ce sont des livres que vous liriez en dehors des cours ?

Euh… Madame Bovary, non (rires). Par con­tre, oui, y’a d’autres livres dont on par­le au lycée enfin que j’aime bien lire en dehors des cours. Par con­tre, Madame Bovary, je pense que j’aurais peut-être com­mencé à le lire parce qu’on m’avait dit « Oui, il faut le lire , etc. » mais par con­tre, je pense que je l’aurais pas fini.

Si vous l’aviez pas lu en classe ?

Oui, non. Enfin, je pense que j’ai telle­ment pas aimé le début, enfin, j’ai pas réus­si à ren­tr­er dedans du tout, je pense que j’aurais jamais fini.

Et vous êtes con­tente de l’avoir lu ?

Oui. Oui, main­tenant je me fait même… enfin, je suis con­tente de savoir plein de choses sur ce livre, de… ben, de savoir cer­tains pas­sages, qui ont été enlevés, qui ont été remis, qui ont été changés à la dernière minute, enfin, ça je trou­ve ça enfin, ça nous apporte beau­coup… et puis, même c’est utile.

Oui, et puis pour le bac…

Oui, c’est bien aus­si pour le bac (rires).

Et vous lisez en dehors des cours ?

Euh, oui. Oui, je lis.

Donc, vos livres à vous ? Que vous trou­vez par vous même, ou qu’on vous con­seille, enfin com­ment ça se passe ?

Ben moi, j’ai eu une grande décou­verte avec Emile Zola, donc j’en ai lu beau­coup. Parce que… enfin, j’aime sa manière d’écrire en général. Après, j’ai eu mon époque Camus. Après c’est vrai­ment… enfin, je pense, c’est pas vrai­ment des romans qu’on m’a con­seil­lé, c’est juste que j’en lis un comme ça par hasard et puis qu’au final ça me plait donc du coup, ben je lis tous les autres de l’auteur… et jusqu’à ce que j’en ai marre ou qu’il y’en ait un qui me plaise pas et là je recommence.

Et vous lisez des livres con­tem­po­rains, ou des romans plutôt de jeunesse ou de fan­taisie ou de sci­ence-fic­tion et des choses comme ça ?

Ben, bizarrement, non, pas du tout. Enfin, bon, cette année on est un peu enfer­mé dans un cadre totale­ment sco­laire au niveau des lec­tures. Après, enfin, c’est vrai, c’est bizarre mais je reste vrai­ment dans des lec­tures, enfin des choses assez clas­siques (rires), du Vic­tor Hugo, les Mis­érables, enfin vrai­ment c’est… oui, je crois que je préfère ce style d’écriture.

Et c’était déjà le cas quand vous étiez au collège ?

Oui, oui, ça a commencé…non, je pense que j’ai eu… si, j’ai eu une péri­ode fan­tas­tique mais plus jeune, plus 6e, 5e, que après.

Et vous avez repéré une dif­férence entre le col­lège et le lycée. Dans la manière dont on vous fai­sait lire, dans les livres qu’on vous demandait de lire ou pour vous c’est pareil ?

Mmm… pffff… de toutes façons, j’ai jamais du tout aimé com­ment on nous impo­sait en fait de lire des livres, que ce soit au col­lège ou au lycée, que… que pour moi j’avais un peu l’impression que y’avait … que l’enseignement com­pre­nait pas que des fois, ben, ça marche pas, que même si on est obligé de les lire, y’a des livres qui nous sont… qu’on n’arrive pas à lire, qu’on n’aime pas… et, euh… donc c’est vrai que par rap­port au lycée j’ai pas trop vu de dif­férence parce qu’on est encore obligé de lire des livres qu’on n’a pas envie de lire, et au final, enfin, bien sûr ça nous fait décou­vrir ce qui se passe der­rière donc ça… aus­si je me dis : « heureuse­ment que tu les a lu » parce que sinon j’aurais jamais su que j’aurais aimé ce genre de livres mais y’a cer­tains livres où on com­prend pas, qu’on n’aime pas, parce que on est cen­sé beau­coup aimer ça [sic], et pour moi, c’est vrai­ment la même chose au col­lège et au lycée. Com­ment on l’étudie et com­ment on fonc­tionne pour appren­dre ce qui se passe dans le livre, bien sûr que c’est dif­férent parce que c’est plus poussé au lycée, c’est plus… enfin, on nous en demande beau­coup plus. Par con­tre, com­ment on nous présente les choses pour moi, c’est exacte­ment la même chose.

D’accord. Oui, c’est intéres­sant que vous disiez ça… Est-ce que vous avez des choses à rajouter sur Madame Bovary ?

Non (rires).

Alors, j’ai une ques­tion à vous pos­er que je pose à toutes les per­son­nes en entre­tien parce que je vais écrire un arti­cle dont le thème de la revue est Flaubert et la pros­ti­tu­tion et la ques­tion que je pose est : « Peut-on lire Emma Bovary comme une pros­ti­tuée ? ». Comme un per­son­nage de pros­ti­tuée. J’ai envie d’avoir votre opin­ion sur la question.

C’est une ques­tion dif­fi­cile parce que… ben parce que, enfin, vrai­ment oui ce que je pense, c’est vrai­ment, c’est tout… c’est vrai­ment à cause de l’époque en fait. Si, bien sûr que quand l’ouvrage est sor­ti, on aurait posé cette ques­tion-là aux femmes et aux jeunes filles qui l’ont lu et qui devaient sûre­ment pas le lire, ben oui, Emma Bovary, elle passe son temps à tromper son mari, etc., enfin, oui, c’est…une pros­ti­tuée, mais pour moi, pas du tout, enfin pour moi, c’est juste une femme, c’est pas…

La ques­tion que je pose c’est aus­si la ques­tion de la pros­ti­tu­tion au sens où il y aurait un lien entre l’argent et le fait d’avoir des amants pour Emma.

Moi, je dirai non, enfin pour moi, pas du tout, c’est… on a vu ben, que l’argent finale­ment, ça la menait dans un dés­espoir aus­si, et ses amants aus­si, mais je pense pas qu’elle s’est servie de ses amants pour l’argent, et qu’il y ait tout ce proces­sus-là entre les deux. Après, c’est sûr qu’on peut se pos­er la ques­tion mais pour moi, pas du tout. C’est deux caus­es qui l’ont menée à sa perte mais qui sont pas ensem­ble, qu’on n’a pas mis ensem­ble dès le départ en dis­ant : « ben, elle a besoin d’argent donc elle était avec des amants ». Enfin je pense, c’est plutôt sur son idéolo­gie de la vie où elle avait besoin et d’avoir d’une rela­tion très pas­sion­nelle, et elle arrivait pas à le trou­ver, même euh… enfin, elle pou­vait pas le trou­ver sur une longue durée, et à la fois elle avait besoin d’argent parce que vu le type de vie qu’elle voulait men­er mais je pense que ça a pas vrai­ment de rap­port entre les deux, dans le sens elle fai­sait ça pour l’argent. 

C’est une ques­tion que je pose parce que c’est surtout dans les regards des hommes du roman qu’on a l’impression qu’à cer­tains moments, Emma est traitée comme une pros­ti­tuée. Par exem­ple à la fin, Guil­lau­min, le notaire qui lui dit : « bon, ben, je vous prête de l’argent si je vous mets dans mon lit ». Ou alors il y a ce pas­sage juste après où elle va voir le per­cep­teur Binet, je sais pas si vous vous sou­venez, et y’a deux com­mères du vil­lage qui com­mentent la scène en dis­ant : « ohe elle doit être en train de lui pro­pos­er des faveurs sex­uelles pour avoir de l’argent », bon , là c’est le regard des com­mères. Et il y a d’autres pas­sages, par exem­ple Rodolphe qui la trou­ve encore plus lib­er­tine que les pros­ti­tuées qu’il va voir. Donc je pose cette ques­tion-là mais je pense que c’est un ques­tion­nement qui est présent dans le regard des hommes dans le roman et dans cer­taines réécri­t­ures et au moment du procès, le réquisi­toire et des arti­cles de jour­nal­istes qui voy­aient Emma comme une prostituée. 

Je sais pas du tout com­ment est reçu ce… ben, cette thé­ma­tique là aujourd’hui ben par rap­port à un homme et une femme, enfin, si un homme aurait plus ten­dance à dire que « oui, Emma… », je sais pas, mais c’est vrai­ment le regard que les hommes du roman posent sur elle, enfin c’est… Et à la fois, on com­prend encore plus son dés­espoir parce que quand euh…parce qu’ils la traient vrai­ment de manière euh…

Et vous avez rai­son, en fait à l’époque, la fille de mau­vaise vie, c’était presque comme… finale­ment qu’elle soit adultère ou prostituée…alors que pour nous aujourd’hui, l’adultère c’est une chose, la pros­ti­tu­tion c’est autre chose, c’est deux choses vrai­ment dif­férentes. Mais je pense que à l’époque, euh, le sim­ple fait d’être adultère, on était déjà une femme de mau­vaise vie, même si on s’était pas fait payé. Alors qu’aujourd’hui, on con­damne peut-être moins l’adultère qu’on ne con­damne encore la pros­ti­tu­tion. Je pense. Enfin, je sais pas… 

Si, si, enfin là-dessus, je suis totale­ment d’accord, parce que même pour …jusqu’à aujourd’hui, je ne m’étais jamais posée la ques­tion que si l’adultère ça pou­vait se ramen­er à de la pros­ti­tu­tion. Enfin, pour moi, je m’étais jamais ren­du compte que ça pou­vait dans cer­taines épo­ques, évo­quer la pros­ti­tu­tion. C’est, c’est telle­ment, je vais pas dire, « c’est courant » mais c’est parce que c’est des… on voit telle­ment la pros­ti­tu­tion comme quelque chose de, ben, de, vrai­ment mal et con­damnable, et ils cherchent tou­jours à faire des… des lois con­tre la pros­ti­tu­tion, pour essay­er d’arrêter la pros­ti­tu­tion, alors que finale­ment, l’adultère, on sait que ça existe, on sait que, enfin, c’est un prob­lème vrai­ment per­son­nel dans un couple.

Mais à l’époque, c’était un prob­lème légal… c’est-à-dire que si l’homme pou­vait prou­ver que sa femme était adultère, un mari pou­vait inten­ter un procès à sa femme et la femme devait le prou­ver, elle devait le pren­dre sur le fait en train de…

Mais moi, j’ai l’impression que l’adultère finale­ment, ben dans Madame Bovary c’est telle­ment un sujet pub­lic, enfin, tout le monde en par­le, on sait tout, et alors qu’aujourd’hui c’est pas du tout ça. C’est un peu désta­bil­isant de voir comme tout passe. 

Les codes moraux changent…

Oui.

Y’a une chose qui reste, en revanche, c’est la con­damna­tion d’Emma comme mau­vaise mère. J’ai retrou­vé dans cer­tains de vos jour­naux une vraie cri­tique vis à vis d’Emma parce qu’elle ne s’occupe pas de son enfant, parce qu’elle est mau­vaise mère, pas seule­ment parce qu’elle est adultère… ça c’est une con­damna­tion morale qu’on retrou­ve de temps en temps et qui reste…

Bizarrement, moi ça m’a pas choquée. Non, vrai­ment, pas du tout. Enfin, bien sûr, com­ment elle est avec sa fille, c’est pas….voilà, c’est pas très doux, c’est pas très déli­cat, c’est pas l’image qu’on a d’une rela­tion mère-fille aujourd’hui, mais c’est pas… enfin, ça m’a pas du tout choquée quand j’ai lu le livre. Pour moi, elle avait telle­ment de choses à l’intérieur d’elle, elle aimait telle­ment pas sa vie, elle aimait telle­ment pas Charles… elle avait telle­ment envie de voir ailleurs, et de s’enfuir, et de vivre plein de choses encore mieux que, ben du coup, je vais pas dire que je l’ai com­prise mais ça m’a pas du tout choquée enfin, qu’elle ait cette atti­tude-là avec sa fille. À la lim­ite, je me dis que c’est presque de l’inconscient pour elle, que elle rejette Charles, elle rejette tous les gens finale­ment qui l’aiment parce qu’elle n’aime que ceux qui ne l’aiment pas et, pour moi, sa fille c’était pareil.

Ben mer­ci !

Entretien n°7

Mar­got, 17 ans,  admise au bac­calau­réat, men­tion assez bien

Pro­fes­sion du père : directeur infor­ma­tique ; pro­fes­sion de la mère : femme au foy­er. Aupar­a­vant, secré­taire médicale.

Donc vous avez fait un jour­nal de lec­ture, et vous êtes venue faire un entre­tien. Est-ce que c’est parce que vous avez des choses à rajouter ou… ?

Alors, je me suis dit que c’était tou­jours plus sim­ple par­fois de rajouter des choses à l’oral au cas où on y aurait pas for­cé­ment pen­sé quand on écrit, et puis, ben juste­ment, je m’étais dit qu’en dis­cu­tant, j’aurais de nou­velles choses qui pour­raient être ajoutées donc, euh, voilà, je me suis dit que c’était une bonne occasion.

D’accord. Et vous aviez aimé la lec­ture du roman ?

Alors, c’est vrai que la pre­mière lec­ture, c’était quand même assez dif­fi­cile, j’avais du mal à avancer parce que… bon, comme le dit Flaubert, au final, son livre il est un peu sur rien donc euh… pffff… c’était l’histoire d’une femme mal-mar­iée, bon. C’était un peu dif­fi­cile d’avancer mais euh, étant don­né que je l’avais pour le bac, je me suis dit « bon allez, faut que tu le lis­es » donc je l’ai fini, et au final, quand on le tra­vaille en cours, donc pour le coup, je reli­sais des pas­sages que la prof nous demandait de relire, ou même moi de temps en temps, « bon, allez, je vais relire un chapitre ou deux », et avec toutes les thé­ma­tiques qu’on tra­vail­lait en cours, finale­ment je me dis­ais : « ah ben ouais », finale­ment y’a plein de trucs, de petits détails aux­quels on fait pas for­cé­ment atten­tion ou qui, dans l’ensemble du roman, finale­ment, à la pre­mière lec­ture, ne nous appor­tent rien, et c’est pour ça, je me suis dit : « ce livre, il est vrai­ment bien à lire quand on a des expli­ca­tions à côté, quand on a , quand on le tra­vaille, quand on a deux-trois pistes ». Je l’ai trou­vé davan­tage intéres­sant et pour le coup, j’dis pas que je le reli­rai des dizaines de fois, mais main­tenant j’aime bien aller relire quelques passages.

Et quand vous dites « des petits détails comme ça, tout à coup, qui pren­nent sens ou qui ressor­tent », vous en avez des exemples ?

Alors, euh, c’est vrai que la prof nous avait dit : « Vous fer­ez atten­tion, il y a la présence de la couleur bleu qui revient régulière­ment ». Et quand je reli­sais, ben, ma deux­ième par­tie, le ciel bleu, la robe bleue, et y’avait plein de… c’est vrai que au final, des petits détails, et juste­ment, pour en venir, au final, c’était le bleu pour l’arsenic pour la fin quand elle se sui­cide et c’est vrai que j’ai trou­vé ça assez rigo­lo au final pen­dant mon pas­sage de lec­ture, de refaire atten­tion à cer­taines choses et puis j’avoue que par con­tre, j’adore le style d’écriture donc ça pour le coup c’est… c’est le peut-être qui m’ a per­mis d’avancer rapi­de­ment dans ma pre­mière lec­ture du livre.

Donc le style de Flaubert vous a plu, ne vous a pas paru dur à lire ?

Non, pas du tout.

Qu’est-ce qui vous plait en fait dans son style ?

Euh… ben j’ai trou­vé ça beau en fait la façon dont il écrivait euh… cer­tains peu­vent dire « C’est un peu niais » et moi finale­ment j’ai bien aimé, j’ai trou­vé ça à la fois je peux pas dire « sim­ple » mais si une cer­taine sim­plic­ité finale­ment quand on le lit, où c’est facile de com­pren­dre ce qu’il écrit, et c’est… j’ai trou­vé ça beau.

Si vous deviez com­par­er son style à une image, un paysage, pour le com­pareriez avec quoi comme image ?

Euh… peut-être, je me retrou­ve devant cer­tains tableaux par exem­ple quand je fais des musées où on a un paysage qui est assez apaisant au final, mal­gré toute cette his­toire, ces, ces amants, tout ça, ben finale­ment ça reste quelque chose de, je sais pas, moi je le vois comme ça, c’est… devant une pein­ture assez apaisante finale­ment, et par ce style justement…

Ce style qui coule ?

Oui, c’est ça.

Proust par­lait de « l’éternel impar­fait de Flaubert ». C’est vrai qu’à cer­tains moments, il met des impar­faits là où on s’attendrait à un passé sim­ple et du coup, c’est vrai que ça créé un effet comme ça, de fon­du et d’enchaînement.

C’est ça.

Et vous par­liez de, vous disiez « ça fait par­tie de ces livres où, quand…qui sont bien à étudi­er ». Est-ce qu’il y a des livres pour vous qui sont pas bien à étudi­er, où il n’y a pas besoin de les étudi­er, ou presque au con­traire, les étudi­er, ça les gâcherait ?

Euh… en fait je pense que d’une cer­taine façon, quand on lit un livre par nous-même, y’a une cer­taine forme de pureté du livre où finale­ment cha­cun va y voir ce qu’il veut voir, va trou­ver, va se, se…. se retrou­ver dans cer­tains per­son­nages, mais par sa pro­pre façon de le voir finale­ment. Et euh depuis que je fais du français en cours, c’est vrai que j’ai ten­dance à dire : « ben là finale­ment, on le tra­vaille mais d’un cer­tain côté, on nous impose une cer­taine vision du livre ». Donc plus… on a plus tout à fait cette pureté de la pre­mière décou­verte du livre quand on s’attarde sur des pas­sages à retra­vailler, à aller chercher chaque petit mot, tout ça… et pour le coup, alors, je pense pas qu’il y ait pas de livres à étudi­er, puisque au final je trou­ve que c’est tou­jours intéres­sant d’aller chercher le, le… oui, d’aller étudi­er chaque mot, tout ça, je trou­ve que ça apporte. En revanche, ça fait du bien aus­si des fois d’avoir le livre et d’avoir son point de vue sans qu’on… .d’avoir son pro­pre point de vue et de le garder au final. Alors juste­ment en le tra­vail­lant sou­vent on le perd et quand on relit un livre qu’on a étudié, ben, on se rap­pelle de ce qu’on a dit en cours, tout ça et… pour le coup je pense pas que y’ait de livre qu’on puisse pas…qu’il ne faille pas étudi­er mais…

On impose un fil­tre, en fait… de lecture

C’est ça, oui

On peut plus jamais relire de la même manière

Exacte­ment, oui.

Et Madame Bovary, vous avez dit qu’au début vous aviez pas for­cé­ment accroché, mais est-ce qu’il y a pour le coup des aspects du livre qui étaient vrai­ment à vous, ou des choses que vous aviez inter­prétées, qui ont changé à cause de la lec­ture, de l’étude ?

Ben pour le coup, pour Madame Bovary, ça a apporté que du posi­tif de le tra­vailler en cours euh… c’est vrai que, et juste­ment c’est un des rares livres où, le fait de le tra­vailler en cours m’a amené que du posi­tif par rap­port à cette lec­ture, c’est vrai que… euh, j’me rap­pelle du tout pre­mier chapitre, où… sur Charles à l’école, euh, en fait , ce chapitre, la pre­mière fois que je l’ai lu, ça m’a paru très bizarre parce que je voy­ais le titre Madame Bovary et je voy­ais que ça tour­nait autour de Charles et au final, euh… j’étais un peu per­due j’avoue, mais ça me fai­sait rire en fait, dès ma pre­mière lec­ture avec sa cas­quette, et la descrip­tion de la cas­quette, et le tra­vail en cours, et de voir que oui, ben, Flaubert, il fai­sait exprès d’en rajouter pour ce per­son­nage, finale­ment, c’est… c’est vrai… oui, pour ce livre, ça m’a apporté une petite com­préhen­sion…
Sup­plé­men­taire ?

Oui, c’est ça.

Et vous par­liez par exem­ple du motif de la couleur bleu dans le roman qu’on retrou­ve à la fin dans l’arsenic… vous savez on reproche sou­vent aux pro­fesseurs : « vous dites ça, mais c’est tiré par les cheveux, l’auteur il a jamais pen­sé à ça ». Et là, vous avez pas l’air de penser ça. Pourquoi ?

Et pour­tant, je l’ai pen­sé pour d’autres livres, enfin, d’extraits qu’on avait tra­vail­lés, par exem­ple, quand on a fait plein d’extraits, euh… peut-être que je l’ai pen­sé sur cer­tains points qu’on voy­ait en cours, c’est vrai mais…

Est-ce que les brouil­lons aident à valid­er ces interprétations ?

C’est pos­si­ble. C’est vrai que le fait de tra­vailler sur les brouil­lons et la genèse de l’œuvre, ça mon­tre bien que, on voit la pro­gres­sion, l’écriture du roman et on a pas l’impression qu’en fait nos profs sor­tent ça de… on sait pas trop où, même si enfin au final on les croit parce que c’est ce qu’on voit en cours et heureuse­ment qu’on se pose pas la ques­tion : « est-ce que c’est vrai ou pas ? » à chaque fois mais euh, mais oui, c’est vrai, quand on voit les brouil­lons, on voit que ça évolue à chaque fois donc on se dit : « ben oui, il a bien dû arriv­er à ça », donc on com­prend. Mais oui, c’est vrai qu’en plus, j’avais ten­dance à sou­vent me faire cette réflex­ion-là : « il peut pas avoir pen­sé à tout ça quoi ! »

Je pense qu’il y a une part dans la créa­tion qui est, surtout chez Flaubert, très con­sciente, et puis il y a tou­jours une part de… ça veut pas dire que c’était pas chez l’écrivain seule­ment ça s’est fait plutôt qu’un choix, ça s’est fait au moment où il a écrit.

C’est ça. Après, peut-être que, je me dis, c’est pos­si­ble qu’il y ait cer­taines choses qu’on nous apprenne mais qui en fait… aux­quelles Flaubert n’a pas for­cé­ment pen­sé et je me dis d’un côté on peut penser que c’est tiré par les cheveux mais finale­ment, je trou­ve ça beau de… que lui n’y ait pas for­cé­ment pen­sé et que d’autres per­son­nes der­rière remar­quent ça, enfin, au final, ça mon­tre bien qu’on a… qu’il y a des tas de per­son­nes qui ont tra­vail­lé sur ce livre.

Et qu’il y a beau­coup de manières de lire, que le lecteur fait autant le livre que l’écrivain.

C’est ça.

C’est sou­vent ce que dis­ent les écrivains con­tem­po­rains, que, quand ils lisent des cri­tiques de leurs livres ou des cri­tiques lit­téraires, ils dis­ent « oui, c’est bien, c’est intéres­sant, j’y avais pas for­cé­ment pen­sé mais puisque vous le dites, c’est peut-être ce que j’ai écrit ». C’est-à-dire qu’il y a une part de lec­ture qui est très per­son­nelle, très… qui est détachée de ce que l’écrivain a voulu ou… con­sciem­ment en tout cas.

Oui, oui

Et quand vous avez… vous dites que vous aimez le style de Flaubert, est-ce que vous avez… vous avez pu vous iden­ti­fi­er à cer­tains per­son­nages ou ?

Vrai­ment pas.

Pas du tout ?

Non, pas du tout.  Cer­tains pas­sages finale­ment, où euh… de temps en temps, c’est pas for­cé­ment un per­son­nage mais y’a cer­tains pas­sages où par exem­ple c’est euh, on peut en par­ler pour se met­tre face à moi, par exem­ple une dépres­sion, ou après des his­toires d’amour tout ça… y’a cer­tains pas­sages finale­ment où il racon­te cette …cette nos­tal­gie, oui, là dedans, par­fois je me retrou­ve donc… dans mon livre, j’ai souligné en fait en rose, je met­tais… enfin un code couleur, et en rose, c’est toutes les cita­tions que j’aime bien ou tous les pas­sages dans lesquels je me suis retrou­vée, et pour le coup, dans ces pas­sages-là , oui, mais sinon, les per­son­nages, vrai­ment pas, non.

Et cer­tains per­son­nages vous ont… vous avez pitié d’eux ou ?

Euh…Charles (rires). En fait, Charles par­fois il m’énerve parce que des fois j’ai envie de lui dire : « Mais ouvre les yeux et vois la réal­ité ! » Et c’est vrai que par­fois, je me suis dit : « Mais le pau­vre quoi ! ». Finale­ment, c’est lui, ça revient tou­jours sur lui alors qu’en fait il est… c’est sim­ple­ment, il se rend pas compte, et c’est comme si, pour le coup, il voy­ait pas la réal­ité de cer­taines choses et c’est vrai que cer­tains pas­sages, oui, je… par exem­ple, ça me l’a vrai­ment fait, en plus, c’est un pas­sage que j’ai tra­vail­lé en cours pour un exposé, sur l’opération du pied-bot, et là je me suis vrai­ment dit : « Le pau­vre, qui avait tout tra­vail­lé, qui a… ». Et en plus c’est… finale­ment c’est Homais et sa femme qui l’ont poussé à le faire et de voir qu’il déçoit encore et qu’il va d’échec en échec, oui le pau­vre, quand même…

Il a pas de chance.

(Rires). Oui, c’est ça.

En même temps, il voit pas la réal­ité mais même quand il la voit, à la fin, il n’arrête pas d’aimer Emma.

C’est dur. Mais, et ça je me dis au final, c’est peut-être tout sim­ple­ment le fait d’être amoureux, parce qu’au final c’est vrai que… ça peut paraître bête et… mais quand on est amoureux au final ben… quand on aime vrai­ment quelqu’un, je pense que, ben on accepte et puis, même en restant juste­ment un peu niais…

C’est vrai, c’est un per­son­nage d’amoureux Charles… enfin, je pense.

Je pense qu’il est tout sim­ple­ment extrême­ment amoureux d’elle

Et peut-être que même s’il s’en doutait… on sait pas de toutes façons. Et donc, vous disiez, vous avez surligné en rose cer­tains pas­sages. Est-ce que vous voulez m’en par­ler ou…?

Euh…c’est vr…par exem­ple, c’est vrai que avant d’étudier Madame Bovary au lycée, j’avais déjà lu quelques extraits parce que avec une amie, on adore faire des films, et on s’était dit : « Si on repre­nait juste­ment cette his­toire de… d’Emma, d’une femme mal-mar­iée qui rêve de tou­jours plus ? ». Et pour le coup, on avait eu l’idée de juste­ment de repren­dre ce per­son­nage, et dans notre film, de met­tre une voix-off, où, juste­ment, reprenant des pas­sages qu’on aimait bien, et c’est là les pre­mières fois où je me suis dit : « Ben oui, j’ai déjà pen­sé ça, j’ai déjà ressen­ti ça et c’est à par­tir de là que je me suis dit : « Bon je vais les surlign­er en rose », justement.

Donc ça c’était avant d’avoir lu Madame Bovary ?

Étudié Madame Bovary, oui.

D’accord.

Et y’en a une juste­ment qui m’a mar­quée parce que c’est la pre­mière dans laque­lle je me suis retrou­vée et c’est : « Emma cher­chait à savoir ce que l’on entendait au juste dans la vie par les mots de félic­ité, de pas­sion et d’ivresse, qui lui avaient paru si beaux dans les livres. » Et en fait, ça c’est… et c’est une phrase d’ailleurs, une des pre­mières où je me suis dit, juste­ment, c’est là que j’ai ressen­ti : « C’est beau, tous ces mots finale­ment… » J’ai trou­vé… qui son­naient vrai­ment bien, et pour le coup, ben à par­tir de là, j’ai lu et dans la pre­mière lec­ture de Madame Bovary, je l’ai lu en essayant d’aller chercher ces pas­sages ou ces phras­es qui me touchaient. 

Donc ça c’était votre pre­mière lec­ture avant de l’avoir pour le bac ?

C’est ça. En fait, pour le coup, avant de l’avoir pour le bac, je l’avais pas lu en entier, je lisais vrai­ment que des pas­sages et c’est pour ça que, en plus, en arrivant à devoir le lire pour le bac cette année, je… je… j’avais vu qu’il se pas­sait pas grand chose, et je con­nais­sais la fin et donc ça m’avait pas don­né spé­ciale­ment envie de le lire.

Et qu’est-ce qui vous avez don­né l’idée de faire un film autour de Madame Bovary ? Si vous aviez pas lu le livre ?

Euh, alors mon amie l’avait tra­vail­lé juste­ment et elle m’avait par­lé de ses… de son style d’écriture et je sais que là-dessus on se ressem­ble beau­coup avec cette fille et… pour le coup, en plus, comme on adore faire des films et que c’est tou­jours des bons moments, je me suis dit « ben, allez » et du coup, quand j’ai ouvert le livre, ma sœur l’avait et donc pour le coup, j’ai regardé aus­si de mon côté des phras­es, des…

Et vous l’avez fait ce film ?

(Rires). Euh, on l’a fait et il est pas totale­ment abouti je dirais mais euh… mais oui.

Et vous l’avez pas mon­tré en classe ?

Non (rires).

Et donc, Emma est dev­enue quoi dans ce film ?

Alors, euh… on a… en fait on a voulu jouer sur le fait de cette femme qui rêve vrai­ment d’un monde meilleur et d’une vie meilleure et de tout plus beau, plus grand, plus col­oré. Et pour le coup, en fait dans le film euh… et c’est peut-être intéres­sant parce que c’est vrai­ment notre représen­ta­tion à nous, on est par­ti sur la… d’autres fig­ures de cette femme, donc par exem­ple, moi, je représen­tais plus Emma telle qu’elle est dans… dans le plus som­bre, c’est-à-dire son côté au final où elle voit qu’elle peut pas accéder à des rêves, et mon amie fai­sait plus euh… com­ment ? elle se trou­vait dans les lieux qui pou­vaient représen­ter le plus grand, le plus beau. Et donc en fait, on a joué avec un par­al­lèle là-dessus, c’est-à-dire qu’on est par exem­ple habil­lées exacte­ment de la même manière, sauf que elle, elle a tou­jours par exem­ple des chaus­sures de couleur ou une touche de couleur qui représente un peu cet espoir de quelque chose de plus beau, de plus col­oré juste­ment que sa vie où finale­ment elle tourne en rond, elle s’ennuyait. Donc on se retrou­ve dans des lieux qui se ressem­blent, tout ça pour mon­tr­er qu’elle s’aperçoit qu’elle peut pas attendre…qu’il y a comme un voile qui l’empêche d’atteindre ce qu’elle rêvait. C’était un peu notre interprétation.

Et selon vous… d’où il vient selon vous ce voile ? Qu’est-ce qui empêche Emma de… qu’est-ce qui fait qu’Emma ne peut pas attein­dre le bon­heur qu’elle recherche ?

Mmm. Ben, main­tenant, après l’avoir tra­vail­lé, je pense que c’est… c’est sim­ple­ment par rap­port à toutes ses lec­tures qu’elle a eu et qui font que c’est pas la réal­ité et comme si elle arrivait pas à voir que c’est pas pos­si­ble d’avoir tout ça. Finale­ment c’est assez par­ti­c­uli­er, et ça juste­ment, ça m’a… ça m’a paru bizarre par rap­port à ce per­son­nage-là, c’est que pour nous, ça nous paraît totale­ment… ouais, on se dit, « elle peut pas avoir tout, tous ces… ces… cet homme par­fait dont elle rêve », on sait très bien que c’est pas pos­si­ble et pour­tant elle, dans le livre, elle y croit vrai­ment. Et pour le coup, c’est ça, là-dessus où elle se retrou­ve un peu avec Charles des fois, où on a l’impression qu’elle arrive pas à voir la réal­ité des choses et elle est tou­jours dans sa petite bulle où y’a tou­jours ce… ce… cet espoir… ce … moi je le vois comme ça.

Est-ce que vous pensez que nous on sait que c’est pas la peine de chercher l’amour, que de toutes façons on l’aura pas ?

Si, si, bien sûr mais… l’homme absol­u­ment par­fait… on a tous un idéal, l’homme qui serait par­fait pour nous mais je pense que plus on grandit et plus on s’aperçoit que c’est dif­fi­cile voire impos­si­ble de trou­ver vrai­ment cette per­fec­tion qu’on recherche. Et pas for­cé­ment que en amour finale­ment, c’est pour tout dans la vie, je pense que…

Et pour vous, c’est intem­porel ça, c’est quelque chose qui est… que ce soit à l’époque d’Emma ou à notre époque … ?

Oui, je pense que juste­ment, c’est quelque chose qui reste… et pour­tant, oui, c’est vrai qu’on cherche tou­jours la per­fec­tion, et… et on arrive pas à l’attraper la plu­part du temps.

Et vous disiez que quand vous avez décou­vert le livre, donc c’est une amie qui vous en a par­lé, est-ce que des profs vous en avaient déjà par­lé ou est-ce que vous en aviez déjà enten­du parler ?

Ma sœur, juste­ment, qui l’avait lu et c’est assez drôle parce que je sais pas ce que c’est que ce livre qu’elle avait lu avant Madame Bovary, et, c’était déjà un livre comme ça d’une femme mal mar­iée et juste­ment, elle se sui­cide à la fin, et donc en fait, ma sœur en pou­vait plus de ces his­toires-là, et donc quand elle m’a par­lé de Madame Bovary, bien sûr que c’était… c’était nul, qu’elle arrivait pas à avancer. Et pour le coup, moi quand je me suis retrou­vée devant le livre, j’étais restée sur cette image du livre que ma sœur m’avait don­née, et donc je me revois, quand j’ai dû l’ouvrir vrai­ment, parce que je savais qu’il fal­lait que je le lise, donc cet été… et c’est ce que je dis dans mon jour­nal de lec­ture, c’est… pour­tant j’étais dans un con­texte absol­u­ment par­fait, j’étais en vacances, j’avais la piscine, j’m’étais dit « bon, je vais le lire et ça passera bien » (rires) et en fait je fai­sais un blocage parce que juste­ment, j’en avais enten­du par­ler que…

Que de manière négative ?

C’est ça, oui.

Et de la part des profs ou des adultes ou des gens qui pou­vaient… vous en aviez pas enten­du par­ler de manière positive ? 

Euh…je sais même pas si j’en avais vrai­ment enten… euh… bien sûr je con­nais le titre, Madame Bovary de Flaubert, oui, on avait dû m’en par­ler mais je sais même pas si j’avais reçu une vue pos­i­tive ou néga­tive de ce livre.

Vous saviez que c’était un classique ?

C’est ça, oui, oui.

Et pour vous, c’est quoi un classique ?

Euh… c’est… je pense que c’est… c’est un… c’est une bonne ques­tion ! Pour moi c’est un livre où vrai­ment, com­ment ? pas for­cé­ment juste­ment une his­toire, et c’est pour ça, je m’y attendais, qui est… qui est géniale, où on va être embar­qué par cette his­toire, par toutes les péripéties, tout ça, mais c’est vrai­ment plus par rap­port à la forme, et je pense, au livre dans son con­texte his­torique, à mon avis. Enfin, moi, je le vois comme ça. Et donc par exem­ple Madame Bovary, qui a été, avec le procès quand il est sor­ti… c’est que c’est une œuvre qui a mar­qué à la fois l’époque à laque­lle elle a été écrite, donc l’œuvre, et à la fois, euh… peut-être juste­ment qui tra­verse les épo­ques parce que sans cesse y’a des choses à redire sur ces œuvres qui peu­vent paraître sim­ples et qui ne le sont pas… enfin.

Donc c’est for­cé­ment un bon livre un classique ?

Ben, pas for­cé­ment juste­ment, je pense, pour moi… euh… non, je pense pas que ce soit for­cé­ment, on peut pas dire que… non, pour moi, c’est pas for­cé­ment un bon livre. C’est… mais que d’une manière ou d’une autre, il faut, il faut s’en sou­venir, il faut dire que oui, c’est une œuvre impor­tante, même si euh… si il est pas for­cé­ment extraordinaire.

D’accord. Y’a pas de bonne ou de mau­vaise réponse, c’est…

J’ai un peu du mal parce qu’on entend sou­vent par­ler d’un livre « clas­sique » et au final, c’est vrai, pourquoi, en fait ?

Ben, y’a une part de sens com­mun en fait, on ques­tionne jamais cette déf­i­ni­tion. « C’est un clas­sique », en fait c’est une notion qui a une série de con­no­ta­tions, on sait que ça va être plutôt vieux, peut-être un peu dif­fi­cile à lire…

C’est ça.

…enseigné à l’école.

Exacte­ment, y’a le côté scolaire.

Mais ça m’intéresse de savoir ce que c’est pour vous…Est-ce que vous avez des choses à rajouter par rap­port au roman, par rap­port à tout ça ?

Pas…pas comme ça.

Et donc j’avais une ques­tion à vous pos­er que je pose à tout le monde depuis le début des entre­tiens. Je vais écrire un arti­cle et le titre du numéro de la revue est Flaubert et la pros­ti­tu­tion et je pose la ques­tion dans mon arti­cle : « Peut-on lire Emma Bovary comme une pros­ti­tuée ? » Et donc je voulais avoir votre opin­ion là-dessus.

Euh… (long silence) Comme ça, j’aurais ten­dance à dire non.

Pourquoi ?

Euh… Je pense qu’elle est vrai­ment, c’est une femme qui est vrai­ment juste­ment à la recherche de vivre quelque chose de réel avec un homme, quelque chose qui peut dur­er, et juste­ment que ce côté de pros­ti­tu­tion, je me dis que c’est pas for­cé­ment… pour moi, ca sonne comme quelque chose de très court et finale­ment qui s’enchaine, et je pense que c’st pas le cas pour Emma. C’est-à-dire que à mon avis, oui, elle a un mari, mal-mar­iée, elle n’est pas heureuse avec Charles et pour le coup, elle va chercher ailleurs mais dans l’idée de con­stru­ire quelque chose qui peut dur­er, où elle peut être heureuse toute sa vie juste­ment, avec ces hommes.

Alors en fait je pose la ques­tion parce que c’est dans, à cer­tains moments, dans le roman, dans le regard des hommes sur Emma. On a, on a cette idée, notam­ment c’est Rodolphe ou Léon qui la com­pare vrai­ment à une pros­ti­tuée et puis y’a le moment où Guil­lau­min la reçoit chez elle [sic] et lui dit : « ben si vous voulez que je rem­bourse vos dettes, vous n’avez qu’à… je vous mets dans mon lit voilà ». Et Emma réag­it très forte­ment, pour le coup, elle dit non, mais après dans la cam­pagne, elle se dit que peut-être elle aurait dû, enfin voilà, c’est un pos­si­ble du roman qui n’est pas exploité. C’est à dire que je pose la ques­tion du lien, de la trans­ac­tion finan­cière qui est à l’origine de la rela­tion sex­uelle et pour le coup, on n’a pas l’impression qu’Emma euh… se, se vende. Elle est… alors effec­tive­ment, elle a une fas­ci­na­tion pour l’argent mais c’est vrai qu’elle est, cette fas­ci­na­tion elle vient peut-être d’une fas­ci­na­tion pour un tout, une vie plus noble, plus riche, plus amoureuse. Mais c’est vrai que c’est une ques­tion qui en plus a été posée au moment de la récep­tion donc c’est assez intéres­sant surtout dans le regard mas­culin, c’est assez intéres­sant comme les hommes… le regard mas­culin peut associ­er un per­son­nage comme Emma, qui pour le coup dans l’intrigue du roman n’est pas une pros­ti­tuée, à la pros­ti­tu­tion. Donc c’est une des ques­tions que je voulais poser.

C’est sûr. Et puis je pense que moi, pour le coup j’ai le point de vue du côté de la fille et c’est vrai, je pense que c’est pour ça que c’est intéres­sant parce c’est que à mon avis, les deux points de vue pour le coup diver­gent vrai­ment. Et bizarrement, c’est vrai que ces points de vue dans les livres ne m’étonne pas plus que ça, une femme qui va chercher à droite à gauche des hommes, c’est vrai qu’on peut très rapi­de­ment avoir cette idée d’une femme qui, oui, qui va chercher dif­férents hommes, et pour le coup mon point de vue, c’est vrai que… il est dif­férent puisque moi je vois plus vrai­ment le côté de… de la femme qui va aller chercher…

l’amour ?

C’est ça, oui.

 

Entretien n°8

Claire, 17 ans,  admise au bac­calau­réat, men­tion bien

Pro­fes­sion du père : chef d’en­tre­prise ; pro­fes­sion de la mère : femme au foyer

Donc, vous n’avez pas fait de jour­nal mais vous vouliez quand même faire l’entretien. Pourquoi est-ce que vous vouliez quand même faire l’entretien ?

Ben, je pense, je trou­ve que votre thèse peut être intéres­sante et je cul­pa­bil­i­sais de pas avoir fait le jour­nal de lec­ture donc je me suis dit : « bon, tu pour­rais quand même venir ». Voilà (rires).

Donc si vous aviez fait un jour­nal de lec­ture, est-ce que vous auriez dit cer­taines choses ou est-ce que… ?

Ben, en même temps, ça fai­sait y’a très longtemps ma lec­ture de Madame Bovary, enfin je sais que la pre­mière lec­ture, j’avais moyen­nement accroché mais en fait, c’est en le tra­vail­lant, c’est sou­vent comme ça, que je remar­que que c’est, en fait, c’est plutôt super bien dis­ons, dis­ons comme ça… même si, enfin je… j’appréhende tou­jours de le relire en fait mais euh…

Parce qu’il est long ou parce que…?

Parce qu’il est long, y’a pas un per­son­nage avec qui s’attacher dis­ons, quand même, enfin… peu de per­son­nes avec qui s’attacher vrai­ment et s’identifier à madame Bovary… enfin tant mieux, sinon, enfin, tant mieux qu’on s’identifie pas mais euh… qu’est ce que j’aurais écrit ? Je pense que j’aurais fait surtout le lien entre des pas­sages que j’aurais trou­vés ennuyants et que après relec­ture et après en le tra­vail­lant, qui sont des épisodes assez.. euh… assez importants.

Par exem­ple ?

Euh, par exem­ple, la vis­ite de la cathé­drale de Rouen entre Léon et Emma, je trou­vais ça très, très… c’est pas non plus un moment vrai­ment de descrip­tion, y’a des dia­logues mais je me sou­viens que j’avais pas du tout accroché, enfin, je sais pas.

Et après l’avoir tra­vail­lé, ça a changé ?

R : oui, ça change. J’ai trou­vé ça plus intéres­sant, disons.

Est-ce que vous sen­tez… est-ce que vous avez sen­ti une émo­tion ou des choses dif­férentes après l’avoir tra­vail­lé ou c’est sim­ple­ment de com­pren­dre com­ment ça a été écrit ?

Com­ment… com­ment ça a été écrit et quelles sont aus­si les références, c’est sou­vent des ques­tions de références cri­tiques. Mais par exem­ple, j’ai en tête comme autre genre de cette expéri­ence de lec­ture c’est l’année dernière, on a dû lire Gar­gan­tua en français, et j’ai pas du tout accroché et pour­tant en le tra­vail­lant, c’est beau­coup plus intéres­sant et on com­prend plus de sub­til­ités en l’étudiant et en sachant le truc et il me sem­ble qu’il s’est passé la même chose pour la cathé­drale de Rouen parce que y’a toute une descrip­tio,  il me sem­ble de… de, enfin de la cathé­drale… Flaubert, je crois que c’est Flaubert qui a demandé à un ami de la décrire pour lui et du coup d’avoir tous les détails, enfin voilà.

Et, donc, c’est intéres­sant que vous fassiez la com­para­i­son avec Gar­gan­tua… et est-ce que vous avez décou­vert de l’humour dans Madame Bovary, parce que vous avez dû décou­vrir de l’humour dans Gar­gan­tua… après coup (rires).

Oui (rires)… euh, dans Madame Bovary, il me sem­ble que oui quand même, parce que oui,  Flaubert, il utilise beau­coup l’ironie quand même, enfin, dans les descrip­tions. Alors, oui, mais c’est pas non plus un humour comme dans Gar­gan­tua dis­ons, c’est un peu plus sub­til quand même, je pense, oui (rires).

Et vous disiez, au début vous n’avez pas trop accroché, est-ce que vous aviez déjà enten­du par­ler du livre ?

Madame Bovary ? Oui, mais pas dans de bons ter­mes parce que tout le monde dis­ait que c’était très… chi­ant à lire, disons. 

Donc ça c’était vos cama­rades et… ?

Oui. Non, avant, oui, si, j’connaissais à peu près la… alors je ne sais pas d’où je sors… je ne sais pas.

Et les profs vous en avaient déjà par­lé ou… ?

Euh…je pense mon prof de français avait dû en par­ler l’année dernière, je sais plus, on avait dû avoir un texte de Flaubert je crois mais c’était pas Madame Bovary, c’était autre chose enfin, je suis même pas sûre. Si, on avait lu les Trois con­tes en fait, de Flaubert.

D’accord.

Et du coup, oui, mais je pense que je con­nais­sais Madame Bovary avant quand même.

Et donc, vous con­naissiez l’histoire ?

Euh… pas… je sais plus, je savais que c’était l’histoire d’une fille qui s’ennuyait mais ça s’arrêtait à ça. 

Donc vous ne con­naissiez pas la fin ?

Je ne con­nais­sais pas la fin mais bon, ce genre de livre, c’est un peu prévis­i­ble des fois la fin, enfin, c’est pas non plus…

Mais est-ce que vos cama­rades vous avez spoil­ié ou pas du tout ?

Spoil­ié ? euh, non je crois pas, je crois que je le savais vrai­ment (rires) je sais pas d’où mais je le savais.

Vous vous en doutiez quoi.

Non, j’ai pas eu de sur­prise en apprenant qu’elle s’était sui­cidée dis­ons. Mais euh… mais voilà. Non mais aus­si par rap­port à ce sui­cide quand, parce que quand on apprend com­ment elle meurt, il dit, enfin dans le texte, elle recrache de la bile noire, quand j’apprend pourquoi il dit de la bile noire à cause de références, c’est plus intéressant.

Et donc quelle est cette référence ?

Ben, au fait qu’elle vom­it tous ses romans roman­tiques, toutes ses lec­tures. Du coup quand on est juste répugnés quand on voit ça, du coup, je sais pas, mais c’est beau­coup plus intéres­sant quand on sait, enfin quand on fait le lien avec le reste dis­ons, que la bile noire fait penser à l’encre … bref. 

Et vous com­prenez ça, le fait de…

Vom­ir ? (rires)

Non (rires), le fait de se noy­er dans des lec­tures… de…

De bovaryser ?

Voilà, de bovaryser.

Ben, oui, je crois, parce que je lis un peu, alors un peu moins parce que… je ne sais pas. Mais, euh, j’ai dû bovaryser sur quelques… oui par exem­ple, j’ai bovarysé sur Har­ry Pot­ter, comme beau­coup de gens en fait, sur Poud­lard, bref (rires). Et du coup, mais je crois pas que j’irais non plus me noy­er là-dedans en fait, je crois. Je sais pas… alors peut-être si parce que à un moment quand j’étais plus jeune dis­ons, je ne suis pas vieille non plus, mais j’étais, j’aimais beau­coup la lec­ture ou les his­toires fan­tas­tiques alors je, du coup je m’imaginais que je vivais des his­toires fan­tas­tiques mais je sais pas si je me noy­ais pour autant là-dedans…mais, en tout cas ce sera pas dans le roman­tisme que je me noierai, peut-être…

Et Emma se noie, et du coup, elle est pas heureuse de la vie qu’elle a.

Oui

Et vous ça vous est déjà arrivé ou pas ? de dire « vrai­ment le réel, pfff… »

Ben en lisant Har­ry Pot­ter, oui (rires), par exem­ple. Non, oui ça a dû m’arriver en fait en lisant des ban­des dess­inées ou des man­gas, peut-être oui, des… quand… des univers par­al­lèles, les per­son­nages vivent dans des aven­tures extra­or­di­naires, oui, j’ai dû me dire ça : « c’est nul la vie en fait » (rires).

Ça serait mieux dans un livre ?

Voilà

Et vous lisez beau­coup en dehors des livres pre­scrits par l’école ?

Ben, je lis en dehors des livres pre­scrits ? Ben, j’aime pas, en fait j’ai un prob­lème aus­si, parce que j’aime pas lire des livres qu’on m’oblige à lire, alors c’est pour ça au début j’avais un prob­lème de lire Madame Bovary, parce que j’aime pas qu’on m’oblige à lire quelque chose. C’est débile mais ça fonc­tion­nerait mieux si c’était pas le cas mais c’est pas grave. Non, si, j’aime bien lire mais en fait je lisais assez beau­coup avant mais… parce qu’en fait j’ai un rap­port assez… en gros j’ai appris à par­ler en même temps que lire dis­ons, en fait j’ai appris ça avec les mots, les mots écrits, du coup j’ai un rap­port assez par­ti­c­uli­er sauf qu’après est venue, on va dire, la crise de l’ordinateur, j’appelle ça comme ça, et du coup je lis un peu moins. Mais ça se réaug­mente des fois, mais je lis main­tenant beau­coup plus de bande-dess­inées, j’adore la bande-dess­inée, je crois que j’aimerais bien tra­vailler là-dedans plus tard et… mais… sinon j’essaye quand même de relire des romans, c’est juste que des fois je trou­ve que j’ai pas le temps alors des fois, je les finis pas, j’en com­mence plein en même temps, là, j’ai, je crois que j’avais… j’ai acheté y’a pas longtemps des nou­velles de Tahar Ben Jel­loun et j’ai pas encore ter­miné, j’avais com­mencé Les Adieux à la reine mais j’ai pas ter­miné, enfin, je com­mence mais je les ter­mine pas parce que… enfin, je les ter­min­erai peut-être un jour, plus tard, mais …

Et ça ne vous dérange pas ?

Ben, ma mère elle dit que c’est pas très bien mais bon, c’est comme ça.

Je sais pas si c’est bien ou pas bien mais vous, ça vous frus­tre pas ?

Euh…je ne sais pas. Je crois, si, ça me frus­tre un peu parce que j’aimerais bien du coup lire un chouïa plus vite ou alors pren­dre plus le temps, si, je crois que ça me frus­tre un peu quand même. Mais euh bon, en même temps c’est, je sais pas… je ne sais pas (rires).

Vous avez du tra­vail à côté ?

Oui

Et vous par­liez de bande-dess­inée, vous aviez lu Gem­ma Bovery

R : alors, j’ai pas arrivé à le lire, je sais pas pourquoi, je crois que j’ai un for­mat aus­si bizarre, c’est super… je crois qu’il y a deux for­mats d’édition, en gros c’est un… il est super grand mais super petit enfin super étroit et en fait du coup c’est écrit super petit et j’ai du mal à ren­tr­er dedans. Et j’ai ten­té mais j’ai pas arrivé. Pour­tant j’aime bien le style de dessin. Mais je sais pas aus­si , c’est pas vrai­ment une bande-dess­inée, c’est plus un roman illus­tré avec des cas­es de temps en temps mais c’est vache­ment écrit aus­si , et comme c’est écrit petit…

Oui, c’est plutôt un roman graphique.

Oui, c’est plus un roman graphique, dis­ons. Et du coup j’ai pas arrivé à le lire, je sais pas… c’est dommage.

Peut-être un jour…

Un jour, peut-être bien.

Et vous avez-vu le film ?

Euh, lequel ?

Gem­ma Bovery, c’est une adap­ta­tion de la BD.

Ah oui, c’est vrai… non pas du tout. Mais je sais même pas si je le savais. Mais non, je l’ai pas vu.

Et vous êtes…vous trou­vez ça intéres­sant la manière dont on vous fait étudi­er Madame Bovary ? …Si vous vous aviez été prof, est-ce que vous auriez fait ça ?

Euh, ben dis­ons, le thème, c’est l’écrivain… enfin je sais plus c’est quoi les thèmes, mais c’est écrire, la pub­li­ca­tion et le retour, je crois, un truc du style. Ben, si, c’est plutôt intéres­sant, alors, je trou­ve ça, euh… enfin oui, si, si, c’est intéres­sant, ça peut sem­bler très clas­sique, je vois pas quel autre thème on pour­rait faire avec Madame Bovary, dis­ons.

« La Femme au XIXème siè­cle », « L’adultère »…

Ah oui, ça aurait pu être intéressant.

« La mélan­col­ie », j’en sais rien…

Oui, mais c’est… peut-être la mélan­col­ie mais je sais pas, si, l’adultère ou… je sais pas si… si ça pour­rait faire des thèmes de… si, en fait. Mais je sais pas, je trou­ve pas ça très orig­i­nal parce que ça me sem­ble très évi­dent pour un thème de lit­téra­ture en fait, faire le lien entre l’auteur, com­ment il a écrit et l’œuvre au final.

Et donc, vous avez appris des choses à pro­pos de Flaubert ou qui vous ont sur­prise, qui vous ont…?

Ben oui, je savais pas que, enfin du coup quand je l’ai lu la pre­mière fois je savais pas qu’il avait mis autant de temps à… faire chaque phrase par phrase du coup on ne peut être qu’impressionné, surtout que c’est gros, et après on se dit, je pense, ça doit être très frus­trant pour le prof parce qu’en fait il peut pas, on peut pas tout appren­dre de Madame Bovary parce que c’est un gros bouquin et c’est dense et du coup… on peut pas tout appren­dre de Madame Bovary, je pense que ça doit être assez frus­trant ça.

Pour le prof ?

Pour le prof. Pour moi aus­si mais, oui… mais…

Vous pensez que vous auriez dû par exem­ple étudi­er que ce livre-là pen­dant l’année ou…?

Non, je pense que c’est bien de se sou­venir. Œdipe-roi c’est aus­si très intéres­sant. Mais… 

Vous voulez dire que c’est bien le fait de se sou­venir de tous ces détails ?

Oui aus­si, mais je pense qu’on a par­lé de plein de détails mais y’a d’autres détails que on en a pas par­lé par exem­ple. Qui pour­raient se révéler tout autant intéressants.

Oui. Et est-ce qu’il y a des per­son­nages qui vous ont touchée ou dont vous avez eu pitié dans le roman ?

Mmm… enfin, je déteste pas Emma. Je crois que j’ai dû avoir de la com­pas­sion pour Léon mais après au bout d’un moment, dans la troisième par­tie, il est pas non plus très sym­pa, Léon.

Pourquoi de la com­pas­sion pour lui ?

Ben, c’est un peu le pen­chant, l’alter-ego de Emma et ils pour­raient se retrou­ver mais finale­ment non… c’est, il sem­ble moins… le plus gen­til de tous, dis­ons. Et aus­si c’est le plus jeune, on peut avoir un rap­port d’identification. Je crois que c’est le plus jeune et après il grandit et euh… et il a vécu une autre vie et après il est plus, il est un peu plus manip­u­la­teur et Emma aus­si du coup, mais bref et du coup je le trou­ve, enfin il est vrai­ment pas sym­pa dans cette partie. 

Il est faible, il est lâche.

Oui. Et je sais plus ce que j’avais lu en fait, oui, que Léon était plus efféminé que Emma en soi, enfin Emma était plus vir­ile que Léon (rires). Oui.

Y’a une phrase dans le roman qui dit : « il sem­blait que ce fût lui qui était devenu sa maitresse ».

Oui, c’est vrai, oui. Et… ouais, je sais pas, c’est le pre­mier per­son­nage qui… parce que c’est… je pense que de toute la panoplie des per­son­nages, Léon c’est à peu près le plus sym­pa­thique parce que Mon­sieur Lheureux, enfin, on devine très bien que il est là pour l’intérêt, que Rodolphe c’est juste un… un… je dirais pas trop com­ment le qual­i­fi­er … un chercheur de femme, je ne sais pas. Aus­si Mon­sieur Homais… Mon­sieur Homais, il est drôle quand même en fait. Quand on réap­prend, quand… par exem­ple Mon­sieur Homais je ne com­pre­nais pas la car­ac­téris­tique de vrai­ment ce per­son­nage en le lisant la pre­mière fois, par con­tre c’est en l’étudiant vrai­ment point sur point, et t’es : « Ah en fait, enfin c’est, c’est pas un per­son­nage sym­pa­thique mais il est rigo­lo, au moins ».

Et Charles ?

Et Charles ? Ah oui, j’ai de la com­pas­sion… enfin je sais pas, il est faible aus­si, enfin, je sais pas.

Il est un peu mou ?

Un peu mou, oui. Oui c’est… je trou­vais ce per­son­nage un peu… même si je trou­vais Emma hor­ri­ble des fois avec Charles. Enfin, si, j’avais de la com­pas­sion pour Charles en fait.

Et Emma, est-ce que vous la trou­vez immorale ?

Non, je ne pense pas. 

Pourquoi ?

Ben, on va pas situer le statut de la femme au XIXe siè­cle mais c’est pas le meilleur qui soit, dis­ons. Je la trou­ve pas immorale, elle essaye juste de se libér­er un petit peu en fait.

Vous la comprenez ?

Oui, je la com­prends en fait.

Est-ce que vous avez des choses à rajouter sur le roman ou des choses que vous vouliez dire.

Mmm, je ne sais pas… je ne sais pas.

Et je voulais vous pos­er une ques­tion, que je pose à tout le monde en fait, je sais pas si vous en avez enten­du parler ?

Non.

Je dois écrire un arti­cle pour un numéro de revue qui s’appelle Flaubert et la pros­ti­tu­tion et le titre de mon arti­cle, c’est « Peut-on lire Emma comme une pros­ti­tuée ? » Et donc j’aimerais avoir votre opin­ion sur la question.

Non. Enfin, je pense pas.

Alors , pourquoi ?

Euh… je… Non, c’est comme je dis, c’est pas immoral ce qu’elle fait, c’est juste qu’elle essaye juste de se libér­er, je préfère, je pense que c’est mieux pour elle qu’elle fasse ça qu’elle reste cloitrée et là…elle est pas heureuse. Enfin, je ne sais pas, je la juge pas immorale, je la juge pas comme une pros­ti­tuée, non, loin de là.

Alors je vous pose cette ques­tion là parce que c’est quelque chose qui dans le roman paraît dans le regard mas­culin notam­ment, c’est-à-dire à un moment Rodolphe sem­ble la com­par­er à une pros­ti­tuée ou Léon…

Mais aus­si, il y a ce rap­port, si Emma est une pros­ti­tuée, alors Rodolphe et Léon ils sont quoi ? Enfin, pourquoi y’aurait pas un rap­port d’égalité ? mais c’est notre point de vue de [l’an] deux mille.

Alors, la ques­tion de la pros­ti­tu­tion c’est aus­si est-ce qu’elle échange. Est-ce qu’elle prend de l’argent pour don­ner des faveurs sex­uelles ? a pri­ori dans l’histoire, ça n’existe pas.

Ah ! non, il me sem­ble pas.

Sauf, ça existe dans le regard des hommes, par exem­ple Rodolphe qui la com­pare à une pros­ti­tuée, qui dit qu’elle est encore plus lib­er­tine que les pros­ti­tuées qu’il a con­nues, mais aus­si à la fin, quand Guil­lau­min dit à Emma : « Si vous couchez avec moi, je vous donne de l’argent. »

Ah oui, mais là, elle refuse.

Donc elle refuse juste­ment, donc vous avez rai­son, enfin, je pense qu’Emma n’est une pros­ti­tuée mais c’est quelque chose qui est présent dans le regard des hommes du roman et à l’époque des hommes qui ont lu le roman et au moment du procès, et notam­ment des jour­nal­istes qui ont démon­tré qu’Emma était une pros­ti­tuée et puis des romans qui ont été écrits par la suite, des con­tin­u­a­tions qui font d’Emma une prostituée.

Ben ils ont rien com­pris alors, je pense.

Mais voilà, je pense que c’est le regard mas­culin sur Emma qui est présent. Et puis aus­si à l’époque, peut-être qu’on fai­sait une assim­i­la­tion un peu rapi­de entre la pros­ti­tuée et la femme adultère, on les met­tait un peu dans le même sac et…

Oui, mais toujours !

 

Entretien n°9

Marie, 17 ans,  pas d’in­for­ma­tion sur son admis­sion au baccalauréat

Pro­fes­sion du père : archi­tecte ; pro­fes­sion de la mère : architecte

Est-ce que au moment où j’ai pro­posé l’entretien, tu t’es dit : « Ah, il fau­dra que je dise ça »  ou « Il y’a quelque chose que j’aimerais rajouter ». Est-ce que tu as fait un jour­nal de lecture ?

Oui, mais j’ai pas pen­sé, j’ai pas eu le temps de le reprendre 

Et donc, est-ce qu’il y a des choses que tu voulais rajouter ? Peut-être le fait de retra­vailler Madame Bovary ?

Euh, ben, en plus, le jour­nal de lec­ture, j’aurais bien aimé le repren­dre, je suis assez per­fec­tion­niste et j’aurais voulu vrai­ment faire un truc vrai­ment bien, avec des petits dessins et tout, mais j’ai pas… parce qu’en fait quand je lis, surtout Madame Bovary, j’avais aus­si un peu envie de le finir et du coup, à chaque fois m’arrêter, pour écrire et tout… et j’avais un peu l’impression que ce que j’écrivais, c’était pas hyper per­ti­nent, je sais pas trop, et du coup, j’aurais voulu faire un truc mieux mais j’ai pas…

Qu’est-ce que ça veut dire « per­ti­nent » pour toi ?

Ben, je sais pas, je trou­vais que mes réflex­ions, elles étaient pas très… je sais pas trop ce que vous recherchez dans les jour­naux de lec­ture, mais j’avais pas l’impression que c’était très, très intéres­sant, que ça dis­ait grand chose, enfin…

Moi, j’ai trou­vé les jour­naux de lec­ture dans l’ensemble très intéres­sants. Et, qu’est-ce que tu imag­i­nais de ce que j’attendais en fait ?

Euh… parce que moi, j’ai aus­si beau­coup par­lé des per­son­nages, je pense, et à un moment, vous nous avez lu un peu des pas­sages de jour­naux de lec­ture d’autres per­son­nes je crois au début, et il y’en avait un qui expli­quait vrai­ment dans quel état il était et tout et j’aurais voulu bien voulu détailler plus ça, je trou­vais ça intéres­sant. Parce que j’aime bien lire des livres dans, enfin qui, qui cor­re­spon­dent à l’endroit dans lequel je suis… par exem­ple, je crois que je l’avais écrit dans les ques­tion­naires, un livre Cor­niche Kennedy de Maylis de Keran­gal, je crois, je l’avais lu à Mar­seille juste­ment dans les cor­nich­es de Mar­seille, et j’aime bien parce que du coup, je me sens plus dans le livre quoi. Par exem­ple, Zadig de Voltaire, je l’avais lu sur une ter­rasse à Tanger, et du coup ça fai­sait un peu… ben, ça rap­pelait un peu l’ambiance du livre et j’aime bien faire ça, quand c’est possible.

Et du coup, Madame Bovary, il aurait fal­lu le lire où pour être dans l’ambiance ?

Euh, chez mes grands-par­ents (rires). Dans un endroit un peu ennuyeux, je pense. Genre, oui, la cam­pagne. Ben, en Nor­mandie sûre­ment, mais bon après, je vais pas aller en Nor­mandie juste pour lire Madame Bovary, ça com­mence à être compliqué.

Et qu’est-ce que ça te fait d’être dans le lieu ? Est-ce que ça te per­met de mieux imaginer ?

Oui, oui, d’être dans la même ambiance que le per­son­nage quoi, et oui, je sais pas, j’aime bien ça, genre, ben des trucs tout cons, par exem­ple, un livre qui se passe dans la forêt et tout, ben, j’aime bien le lire quand je suis en vacances en forêt quoi, c’est des trucs un peu idiots mais ça me per­met de plus… je sais pas, j’aime bien.

De t’imprégner peut-être ?

Oui, c’est ça.

Et est-ce que, donc Madame Bovary donc ça fait par­tie des livres que tu as lu cette année pour les cours, avec Œdipe-Roi, et est-ce que tu as lu d’autres livres à côté ?

Euh, oui, en philoso­phie, on nous a con­seil­lé pas mal de livres… enfin, quand j’étais plus jeune, je lisais vrai­ment beau­coup, j’allais à la bib­lio­thèque et je pre­nais genre vingt livres et j’en lisais le plus pos­si­ble, et avec juste­ment le lycée, où on demande plus de lire des livres en par­ti­c­uli­er, ben j’ai per­du un peu le goût de la lec­ture que j’avais avant, et c’est triste mais sûre­ment aus­si à cause de tout ce qui est portable et tout, on passe un peu à autre chose et c’est un peu triste. Après je pense que quand on aime bien la lec­ture, ça peut aus­si revenir plus tard quoi, mais du coup, les livres de phi­lo, en fait j’ai du mal à me con­cen­tr­er, j’ai l’impression quand je lis, enfin je passe vite à autre chose et des fois, je lis des pages et je me rends compte qu’en fait je pen­sais à autre chose et du coup, j’ai pas… j’ai pas vrai­ment lu quoi. Et … euh, j’ai du mal à finir les livres en fait en ce moment. Du coup, j’en ai un peu plein en chemin mais que j’arrive pas vrai­ment à reprendre. 

Et ça c’est depuis, tu dirais, depuis l’entrée au lycée ?

Oui, je pense, oui.

Parce que au col­lège par exem­ple, t’avais pas l’impression que c’était dif­fi­cile de lire ?

Non, et j’ai eu un portable tard aus­si, et du coup, enfin je me sou­viens des fois je me lev­ais à six heures pour finir un livre ou je mar­chais dans la rue avec mon livre, ça m’arrive moins.

Et ça te manque ?

Oui, un peu. En ce moment, j’essaye de plus lire parce que ça fait du bien de décrocher un peu. 

Et est-ce que tu pens­es que tu pour­rais aimer lire comme tu aimais lire au col­lège n’importe quel type de livres ou est-ce que c’était parce que c’était cer­tains livres que tu lisais et que main­tenant, c’est d’autres types de livres ? Qu’est-ce qui pour toi a changé ?

Euh, ben je pense que mes goûts de lec­ture, ils ont changé, heureuse­ment d’ailleurs, parce que ce que je lisais au col­lège, c’était quand même pas… voilà, c’était de la lec­ture d’adolescents comme ils le classent en bib­lio­thèque mais j’essaye de lire des livres qui m’intéressent, par exem­ple, j’aime beau­coup le ciné­ma, et du coup, j’aime bien lire les scé­nar­ios des films quand c’est pos­si­ble, et du coup, j’ai lu Hiroshi­ma mon amour, Le Mépris et À bout de souf­fle. Et À bout de souf­fle, je suis en train de le relire encore parce que j’aime trop les dia­logues des films de la Nou­velle Vague, et j’aime bien avoir le sup­port papi­er et après j’ai un cahi­er où j’écris les cita­tions que j’aime bien, j’aime bien les citations.

Et tu regardes les films après ? En parallèle ?

Oui, oui, je les regarde, ben quand je lis des scé­nar­ios, je les regarde plutôt avant à part Hiroshi­ma mon amour, en fait j’avais jamais vu le film, je me suis dit que quand même, il fal­lait que je le vois et du coup je l’ai vu mais il y’a pas si longtemps que ça après avoir lu le scé­nario. Et… en ce moment  je lis aus­si, ben du coup j’ai À bout de souf­fle que je suis en train de relire, je suis en train aus­si de lire aus­si On The Road de Jack Ker­ouak, en anglais du coup. Mais pareil, là j’ai… en fait, c’est des livres que j’aime beau­coup et que je trim­balle tou­jours avec moi mais que j’ai du mal à me remet­tre dedans, enfin, je sais pas com­ment … et aus­si , j’ai un… un des recueils de poèmes de… James Dou­glas Mor­ri­son, Jim Mor­ri­son, ses poèmes, et je les aime bien parce que, je sais pas, je me trim­balle tou­jours avec ce livre sur moi parce que j’aime bien le feuil­leter de temps en temps.

Parce que tu trou­ves que la poésie, c’est plus facile à lire ?

Non, j’aime pas trop la poésie en fait mais… enfin, j’aime pas trop, ça dépend, il y a des poèmes qui sont beaux mais c’est pas trop mon… enfin je lis pas beau­coup de poésie, c’est plus de la prose je dirais Jim Mor­ri­son. Bon, à la fois, c’est en anglais donc je com­prends pas tout exacte­ment ce qu’il a voulu dire, parce que même si t’es anglais, je pense que tu com­prends pas tout ce qu’il a voulu dire mais c’est l’ambiance aussi …

Et est-ce que tu par­lais de ce change­ment entre col­lège et lycée , est-ce que tu trou­ves que la manière dont on vous fait lire au lycée a changé, ou pour toi, c’est juste toi qui a changé dans ton rap­port aux livres ?

Euh, si je pense qu’au lycée, on demande beau­coup plus d’analyser, de… ben c’est à par­tir du moment où on com­mence à faire des com­po­si­tions, des trucs comme ça, vrai­ment de ren­tr­er dans le camp[sic], oui, du livre, comme nous dis­ait notre prof de français l’année dernière et du coup, on est moins dans le ressen­ti, enfin, je sais pas com­ment dire mais on est un peu tout le temps en train d’essayer d’analyser des trucs, et euh… je pense que ça change quelque chose un peu.

On prend de la distance.

Oui, et puis comme les livres, c’est pas vrai­ment nous qui les choi­sis­sons mais ils nous sont un imposés, y’a des fois on se force un peu à les lire, et du coup, moi je sais Madame Bovary, c’est mon père qui m’a for­cée à le lire la pre­mière fois, et c’était l’été entre le col­lège et le lycée et il m’a for­cée à le lire et… et du coup, ben j’ai pris aucun plaisir à lire et je l’ai même pas fini, en fait, j’ai lu deux cent cinquante pages à peu près et puis…

Tu lui en as voulu ou pas ?

Euh, oui, un peu. 

Ou tu t’es dit qu’il avait raison ?

Ben, il l’a refait, un jour, il m’a for­cée aus­si à lire L’Etranger de Camus, sur le coup ça m’a un peu saoulée parce que j’aime pas qu’on me force à lire un livre, parce que pour moi je lis si je veux le livre que je veux quoi. Après Camus, oui c’est sûr, c’était peut-être bien de m’avoir for­cée à le lire aus­si parce que voilà sinon, peut-être que je l’aurais pas lu et c’était… il était bien quoi, mais Madame Bovary, je pense que j’étais peut-être pas assez… c’est pas « mature », mais oui, si, peut-être pas assez mature pour lire, pour com­pren­dre le truc, quoi.

Et là, tu dirais que ça a changé quand t’as relu Madame Bovary ?

Ben, j’ai beau­coup appréhendé. Quand on m’a dit que y’avait Madame Bovary au pro­gramme, j’ai cru que j’allais… que j’allais pleur­er (rires) et puis, bon, ben on était obligé de le relire et du coup, je l’ai relu et bon, y’a des pas­sages un petit peu longuets, c’est un petit peu pénible mais je l’ai plus aimé que la pre­mière fois quand même… j’ai plus pris du plaisir à lire, que la pre­mière fois, c’était vrai­ment un cal­vaire, quoi.

Et par exem­ple, t’as des sou­venirs de pas­sages que t’a plus aimé ?

Euh… j’aime bien le pas­sage où elle part avec Rodolphe dans les bois. J’aime bien tous les pas­sages où il décrit la nuit, les trucs comme ça. Après je trou­ve que en l’étudiant, après quand on le relit, c’est mar­rant parce qu’on se met à rire sur des pas­sages que… quand on les a lus la pre­mière fois, ça nous a pas… par exem­ple Charles, quand on sait, quand on con­naît plus le per­son­nage, qu’on l’a étudié, et ben quand on relit les… on voit plein de… enfin, on voit que Flaubert depuis le début il met des sortes de… d’indices pour nous mon­tr­er un peu, et des trucs qui sont vrai­ment mar­rant en fait, et on se met à lire devant Madame Bovary alors qu’on pen­sait que c’était que les profs qui pou­vaient rire sur Madame Bovary (rires).

Et tu dis­ais, tu par­lais du fait qu’on lit peut-être moins au lycée avec la sen­sa­tion, mais peut-être plus avec l’analyse, si toi tu avais dû enseign­er Madame Bovary, com­ment tu l’aurais enseigné ?

Euh… ben, je sais pas mais la manière dont on me l’a enseigné cette année, ça m’a pas… ça m’a plu parce qu’on le fait aus­si par per­son­nages, par épisode, par chapitres, genre le chapitre des Comices qui est plus impor­tant , enfin c’est telle­ment une grande œuvre qu’on peut pas vrai­ment tout étudi­er quoi, mais euh… ouais, par per­son­nage, je trou­ve ça intéres­sant aussi.

Pourquoi ça te parait intéres­sant par personnages ?

Parce que y’a beau­coup beau­coup de per­son­nages et y’en a qui évolu­ent pas mais y’en a qui évolu­ent et quand on étudie par per­son­nage, on retrace un peu tout le livre alors que quand on fait par épisode, c’est plus par moments.

Et est-ce que tu t’es iden­ti­fiée ? Est-ce qu’il y a des pas­sages où t’as vrai­ment sen­ti des émo­tions par rap­port aux per­son­nages, par rap­port à ce qui se passe ?

Non, par con­tre, non, ça paraît un peu… ça paraît assez loin de nous en fait, enfin.

En quel sens ?

Je sais pas si des gens de ma classe se sont iden­ti­fiés à Madame Bovary mais euh… moi, pas vrai­ment en tout cas. Même pas du tout.

C’est, cette manière de… cet ennui, ça t’a pas par­lé du tout ?

Ben, si, un peu mais après, Madame Bovary elle est un peu dans l’excès aus­si quoi, moi, elle m’agace cette femme quand même parce que elle est tou­jours là, en train de gémir de se plain­dre, alors qu’au fond, elle a pas non plus…enfin, elle est jamais con­tente quoi. Après, oui, c’est aus­si intéres­sant, ça par­le d’un état d’âme qui existe et que voilà, qui mérite d’être… qu’on en entende par­ler, mais après, moi je me suis pas iden­ti­fiée à elle parce que je crois que je ressens pas vrai­ment ce genre de choses. Enfin, l’ennui, si, tout le monde ressent l’ennui mais à ce point-là, non.

Et est-ce qu’il y a des per­son­nages que t’as vrai­ment détestés pour le coup ?

Mmm… ben, Homais en soi, il est assez exécrable mais euh…mais en fait, il est assez rôle parce qu’il est ridicule, du coup il est… je le déteste pas parce qu’au final il est assez mar­rant par rap­port aux autres. Euh, « détestés », non, mais je pense que celle que j’ai le moins aimé au final, c’est peut-être Emma. Et d’un côté, on com­patis aus­si un peu avec elle parce que… voilà, mais… ah si, Mon­sieur Lheureux, lui je l’ai détesté Mon­sieur Lheureux, parce que il est vrai­ment, il est vrai­ment dégueu­lasse comme per­son­nage. On sent que plus il est présent, plus la spi­rale, elle se referme autour d’Emma et il revient, il revient, il revient, et puis moi en plus je com­pre­nais pas tout à fait les his­toires de coupons, de ché-pas-quoi, enfin, je com­pre­nais pas trop, du coup, à chaque fois qu’il était dans le chapitre, je com­pre­nais rien. Enfin…

Quand elle lui emprunte de l’argent, qu’elle signe des billets.

Oui, ça j’ai com­pris quand on a étudié le per­son­nage mais oui, on sent qu’il est vrai­ment… qu’il apporte vrai­ment de mau­vais augures, quoi.

Et est-ce que t’es con­tente d’avoir étudié Madame Bovary ?

Ben, au final, oui, beau­coup plus que Œdipe, en fait. Parce que Œdipe, j’ai du mal… euh, j’étais même triste qu’on passe à Œdipe  et qu’on quitte Madame Bovary, parce que je trou­ve que… oui, c’est un livre qui est vrai­ment intéressant.

T’as enten­du par­ler des réécri­t­ures de Madame Bovary ou tu t’es intéressée un peu à ça ?

Euh, non.

Comme, ben par exem­ple, y’a un film qui est sor­ti y’a pas longtemps qui s’appelle Gem­ma Bovery qui est l’adaptation d’une bande-dess­inée par Posy Sim­monds. Mais y’a eu énor­mé­ment énor­mé­ment de …

De films.

De films et de réécri­t­ures, du point de vue d’autres per­son­nages, par exem­ple du point de Charles, ou de la fille, de Berthe.

Du point de vue de Charles, ça doit être intéressant.

Oui, surtout qu’il y’en a deux. Y’en a deux Mon­sieur Bovary, deux réécritures.

D’accord.

J’avais une ques­tion à pos­er que je pose à tous les élèves en entre­tien. En fait je vais écrire un arti­cle dans la revue Flaubert et le thème, c’est « Flaubert et la pros­ti­tu­tion ». Et la ques­tion que je pose, c’est : « Peut-on lire Madame Bovary, Emma comme une pros­ti­tuée ? » et j’aimerais avoir ton opin­ion là-dessus. 

Moi je dirais que non, parce que pour moi la pros­ti­tu­tion c’est vrai­ment faire un com­merce de son corps et il y a la pros­ti­tu­tion for­cée et non for­cée, ça c’est un autre… c’est autre chose, mais moi, je dirais pas qu’Emma c’est une pros­ti­tuée, c’est juste une femme qui sait pas trop ce qu’elle veut et qui… qui veut vivre quelque chose de fort et du coup qui tâtonne en fait au final, un peu. Enfin, moi, je vois ça plus comme ça. « Pros­ti­tuée » ca me paraît assez… assez fort. Après c’est vrai que quand des fois j’en par­le avec des amis, que je dis que je lis Emma Bovary, on me fait sou­vent la réflex­ion « Ah, mais Emma Bovary » — bon c’est un peu grossier mais — « c’est une pute Emma Bovary », ou de trucs comme ça et… parce qu’elle couche un peu, bon, pas… mais en fait au final, elle couche pas… elle couche qu’avec trois hommes dif­férents, enfin. Moi je trou­ve que ça par­le oui, de l’adultère mais pas de la pros­ti­tu­tion. Après je vois, oui, qu’avec toute la ques­tion de l’argent et tout, je vois qu’on… que la ques­tion peut se pos­er, après moi, je vois pas ça comme ça.

Et au niveau de la sen­su­al­ité du per­son­nage. Est-ce que tu l’as vue comme un per­son­nage sensuel ?

Ben, à tra­vers les yeux des hommes du roman, c’est quelqu’un d’assez sen­suel, com­ment elle est décrite, surtout le pas­sage avec Justin, quand il la regarde à tra­vers la porte et qu’elle est en train de se coif­fer je crois, donc… c’est une descrip­tion qui est assez sen­suelle et je pense que Flaubert voulait la mon­tr­er comme une femme qui… qui est assez sen­suelle, qui attire les hommes. 

 

Entretien n°10

Yann, 16 ans,  admis au bac­calau­réat, men­tion très bien

Pro­fes­sion du père : enseignant-chercheur en lin­guis­tique ; pro­fes­sion de la mère : enseignante d’arts plas­tiques au collège-lycée

Est-ce qu’il y a déjà des remar­ques prélim­i­naires que tu voudrais faire sur Madame Bovary, des choses que tu voudrais … ?

Sur le livre… ou ?

Oui, ou par exem­ple quand tu imag­i­nais l’entretien, est-ce qu’il y a des choses que tu t’étais déjà dites … « Ah, tiens, il fau­dra que je dise ça » ?

Euh…Pas plus que ça.

Du coup… Est-ce que ça t’a pris longtemps de lire Madame Bovary ?

Ben, je l’ai lu assez vite en fait parce que c’était l’été… euh… j’étais dans ma mai­son de cam­pagne, j’avais pas grand chose à faire, et du coup, j’ai été quand même été assez finale­ment emporté par l’histoire et quand y’avait des pas­sages un peu longs, ben… enfin… je lisais sans… en faisant un peu moins atten­tion, c’est pour ça que j’ai raté pas mal de trucs que j’avais pas com­pris, quand on a par­lé du livre, avec Mon­sieur Lheureux notam­ment, que… les his­toires que… j’avais pas du tout fait gaffe. Et du coup j’ai… en fait j’ai assez bien aimé parce que j’ai quand même suivi l’action, etc. Et j’ai dû le lire en… peut-être… en moins d’une semaine.

Et t’es un grand lecteur d’habitude ?

Ben, quand je lis un livre, je le… sou­vent, je le finis assez vite mais je lis pas for­cé­ment tout le temps quoi, enfin c’est pas réguli­er… par exem­ple, cette année, j’ai… peut-être de décem­bre à févri­er-mars, là j’ai presque rien lu.

À part les livres de cours ?

C’est ça, oui. Enfin, j’avais lu un livre qui m’a mis vrai­ment deux mois je crois, c’est ça.

C’était quoi ?

C’était Cromwell de Vic­tor Hugo.

Et ça c’était pour ton plaisir ?

Oui. Ben c’était intéres­sant, parce que je m’intéresse aus­si pas mal à cette époque, au niveau de l’histoire. Du coup, c’était vache­ment intéres­sant mais c’était une pièce en alexan­drins et du coup, c’est vrai que c’est assez long,  enfin je lisais sou­vent petits bouts par petits bouts , du coup, ça m’a un peu ralen­ti quoi.

Et c’est toi qui a décidé de le lire ou c’est quelqu’un qui t’a dit : « Tu devrais le lire ».

Oui, c’est quelqu’un… c’est ma… enfin, non, pas « tu devrais le lire » mais… non, je crois que ma mère avait lu L’Homme qui rit de Vic­tor Hugo, parce que ça se passe aus­si à la même époque, enfin, un peu après, et elle avait dû con­fon­dre avec Cromwell du coup, j’ai lu ça finale­ment et du coup, c’est plus par rap­port à ça, elle m’avait dit que c’était vache­ment bien et du coup j’avais lu Cromwell mais c’est… c’était bien aus­si. Enfin, bon. Même si long, c’était intéressant.

Et t’étais con­tent quand t’as vu que t’avais Madame Bovary au programme ?

Non (rires). Enfin, d’après tout ce que j’en avais enten­du par­ler euh… non, parce que… tout le monde dit « oui », tout le monde dit « oui, c’est ter­ri­ble, c’est ennuyant, etc. » Et en fait, c’est pour ça que quand je l’ai lu, j’ai été ras­suré… enfin, j’ai eu plus une bonne impres­sion par rap­port à toutes les… tous les com­men­taires que j’avais eus avant, et du coup, c’est pas plus mal parce que ça m’a fait… à chaque fois, je cher­chais des… des élé­ments pour me con­va­in­cre que c’était bien, en dis­ant « oui, ça c’est bien, ça c’est bien ». Du coup, je pense que c’est ce qui m’a fait plus appréci­er le livre aussi.

Et tu trou­ves que… t’as bien aimé l’étudier en cours ?

Oui, c’est ça aus­si… enfin, tout ce qu’on… en fait, on l’a fait en deux ses­sions. On a fait, je crois, deux mois Madame Bovary, deux mois Œdipe-Roi, et donc le début, les deux pre­miers mois, c’était vache­ment intéres­sant, euh… parce que c’est ça, je décou­vrais plein de choses que j’avais pas for­cé­ment cap­tées, et puis même des… on a appris plein de choses avec Homais, Cather­ine Ler­oux, etc., et des pas­sages comme ça. Et après par con­tre, quand on est revenu deux mois, c’est vrai qu’au bout d’un moment , c’était… on est ren­tré dans des détails très pré­cis, c’était un peu redon­dant en fait, enfin, j’avais l’impression de faire un peu tou­jours la même chose…

Si… si toi t’étais prof de français, est-ce que… com­ment tu ferais étudi­er Madame Bovary ?

Mmm… ben… je pense que c’est peut-être impor­tant d’avoir d’abord une vision glob­ale, puis vrai c’est vrai­ment… enfin, ce qui m’a vrai­ment plu aus­si, c’est l’aspect… euh, le con­texte et com­ment l’œuvre a été faite, et tout, je pense que c’est bien d’insister là-dessus, de quoi il s’est inspiré etc. Et… je sais… sinon au niveau de…

Je me dis…enfin, je pense que vous vous en êtes ren­du compte en classe, Mme N. a dû vous dire : « Voilà, c’est ce qu’on attend de vous pour le bac, et on va étudi­er ça, ça et ça ». 

Oui.

Et est-ce que… du coup, je pense que, enfin je sais pas, mais est-ce que tu t’es à aucun moment imag­iné une autre manière de l’étudier ?

Un autre aspect, oui. Euh, je pense pas plus que ça. Je pense qu’on est… c’est vrai qu’avec ces… on est… enfin, on a un cours en début d’année de présen­ta­tion de l’objet d’étude, ce sur quoi il faut bien insis­ter, je pense du coup qu’on se focalise et qu’on se for­mate peut-être un peu dedans. Et oui, j’ai pas… et c’est peut-être pour ça que…

C’est impor­tant pour toi d’avoir une bonne note en français au bac ?

Ben, je dirais comme tout le monde, ça m’arrangerait d’avoir une bonne note mais… oui, oui.

T’aimes bien le français, c’est une de tes matières… ?

Oui. Je pense que c’est ce qui m’a… enfin, je préférais quand même, je préférais large­ment le français en 1ère avec l’étude de plein de textes que de rester… cette épreuve qu’on a cette année. 

Ah oui, tu préférais, pourquoi ?

Ben, parce que c’était beau­coup plus glob­al… enfin, on avait vrai­ment vu plein de choses, moi j’aimais bien, on avait des objets d’étude sur la Renais­sance, la décou­verte de l’homme… enfin, la décou­verte d’autres pop­u­la­tions avec Mon­taigne, des textes de Mon­taigne et tout ça, et on avait… Enfin, on a exploré plein de choses, le théâtre et la poésie, mais de manière beau­coup plus… enfin, vrai­ment dif­férente de ce qu’on fai­sait avant en français, je trou­ve, parce qu’en pre­mière, on a beau­coup plus de temps , on a beau­coup d’heures, et du coup c’est plus libre, ça per­met de faire plus de choses, on avait mon­té une pièce de théâtre aus­si, donc c’est pour ça que c’était plus…

Oui, c’est sûr. C’était quoi la pièce de théâtre ?

C’était en fait une pièce qu’on avait écrite par rap­port à un texte de Paul Auster qui s’appelle Brook­lyn Fol­lies, et donc là, on avait d’abord étudié le texte en lit­téra­ture anglaise, on avait étudié des extraits et puis après, on l’avait lu en français, et là on avait une pièce autour de… tu as lu le texte ?

Euh, je crois que je l’ai feuil­leté, il y a longtemps mais je ne m’en sou­viens pas.

Et donc il avait un per­son­nage dans le texte qui s’appelle Har­ry, qui est très par­ti­c­uli­er, il a un peu une dou­ble face, du coup on avait fait tout… toute la pièce autour de lui, en fait c’était plein de per­son­nages qui par­laient de lui mais lui n’apparaissait jamais en fait. Et … y’avait un inter­venant qui venait du théâtre de Célestins et qui nous a fait travailler.

Et c’était avec le ou la prof d’anglais et le ou la prof de français en même temps ?

Ben, finale­ment, non, la prof d’anglais n’est pas du tout inter­v­enue… elle est venue nous voir à la fin. On avait étudié ça plus dans l’objet… enfin, c’était pas dans … dans le même objec­tif à chaque fois.

D’accord. Et tu trou­vais pas ça frus­trant de lire juste des petits extraits comme ça et de ne pas lire tous les livres ?

Ben, pas plus que ça, parce que je sais que y’a des extraits… juste­ment, quand y’a des extraits qui sont vrai­ment euh… qui don­nent envie, enfin, j’ai pu aus­si lire… enfin, ça donne envie de lire le texte après donc j’avais lu le livre, je crois que c’était euh… oui, c’était un texte d’André Mal­raux, La … non c’est pas la comédie humaine. Quelque chose d’humaine, qui se passe en Chine. La Con­di­tion humaine. Et puis après, on a fait pas mal d’œuvres com­plètes, par exem­ple Gar­gan­tua, j’ai vrai­ment… aimé ça.

Ah, vous avez lu Gar­gan­tua ?

Oui, on avait six extraits je crois pour le bac en lec­ture ana­ly­tique très pré­cise et tout, mais on avait aus­si lu l’œuvre.

Et dans le texte d’origine ou est-ce qu’il y avait une traduction ?

Ben en fait, oui, on avait un texte avec à gauche la ver­sion d’origine et à droite, un français plus… actuel.

Et ça, t’as aimé quand même ?

Oui, parce que c’est pareil, c’est vrai­ment intéres­sant de l’étudier parce que, quand on le lit comme ça, on com­prend pas for­cé­ment grand chose et bon, y’a des… enfin, on com­prend pas en fait les enjeux qu’il y a der­rière, c’est surtout ça l’histoire de… enfin, c’est pareil c’est long, c’est assez long, du coup, on peut facile­ment se lass­er aus­si, et donc on voit pas toute la portée human­iste etc. et toute la recherche qu’il y a.

Et est-ce que t’as trou­vé ça drôle ?

Oui, oui, j’ai quand même assez ri… enfin, c’est vrai que c’est sou­vent, enfin, ça peut être peut être lourd, des fois c’est pas très malin mais y’a quand même des pas­sages qui m’ont fait rire.

Et est-ce que t’as été sur­pris qu’on puisse étudi­er ça en classe, Gar­gan­tua ?

Ben…

Par exem­ple, par rap­port à Madame Bovary, est-ce que tu trou­ves que…

C’est, c’est, c’est vrai que… ben, pas plus que ça parce que j’avais déjà enten­du des gens qui l’avaient étudié, même ma grand-mère l’avait étudié quand elle était en cours de français.  Donc, déjà, je m’y attendais plus ou moins. Et puis quand on l’a étudié et qu’on par­le du fait que Gar­gan­tua joue deux-cent soix­ante-dix je sais pas com­bi­en jeux et du coup, ça mon­tre que l’humanisme veut accentuer le sport et la cul­ture physique etc., à chaque fois qu’on voit les enjeux der­rière, on se dit « Ah ben oui, c’est logique, c’est vrai­ment intéressant ».

Est-ce qu’il y a des livres que t’aimerais bien étudi­er en classe et tu te dis : « Jamais on les étudiera » ? Est-ce qu’il y a des livres que tu as étudié en classe et que t’aurais vrai­ment voulu ne pas étudier ?

Ben, je pense que ce serait intéres­sant peut-être d’étudier des, c’est vrai, des… je sais pas si ça vaut le coup ou pas mais d’étudier des trucs moins clas­siques, plus con­tem­po­rains aus­si, je…

Par exem­ple ?

De sci­ence-fic­tion ou de fan­ta­sy, je sais pas, Har­ry Pot­ter, enfin… faut voir ce que ça donne, je sais pas si on peut en don­ner quelque chose.

Pourquoi tu pens­es qu’on pour­rait pas for­cé­ment en don­ner quelque chose ?

Parce que sou­vent quand on s’intéresse à une œuvre aus­si peut-être qu’on s’intéresse au… au con­texte, à la portée de l’œuvre etc., alors qu’ici c’est… je pense que le but quand même c’est plus de diver­tir et de … et de faire plaisir au lecteur. Mais bon, c’est très impor­tant aus­si dans la lit­téra­ture de… qu’il y avant.

Oui, en même temps Gar­gan­tua par exem­ple, c’était fait pour faire rire aussi. 

Oui.

Est-ce que tu te sou­viens de la manière dont tu fai­sais du français eu col­lège et est-ce que tu dirais que ça a changé en entrant au lycée ou pas ? Est-ce que t’as l’impression d’avoir… parce qu’au col­lège, on lit quand même plus des livres quand même plus diver­tis­sants, on lit quelque­fois même des livres très con­tem­po­rains, par exem­ple Odile Weulersse, des romans his­toriques con­tem­po­rains.

Oui, ben, au col­lège, déjà il y avait beau­coup de gram­maire, donc déjà ça pre­nait beau­coup de place, et après on est beau­coup plus… beau­coup plus guidé, on est un peu… on a des ques­tions à chaque fois, enfin c’est très guidé, on sait ce qu’il faut faire et je m’en rap­pelle que… c’est surtout même que, parce que en fait en sec­onde on pour­suit un peu dans ce rythme là, je me rap­pelle qu’au début de l’année, la prof avait vu que beau­coup de gens avaient beau­coup de mal avec l’orthographe, on a com­mencé à faire des dic­tées toutes les semaines donc c’était pas for­cé­ment… enfin on était encore un peu dans l’esprit col­lège, et c’est plus en pre­mière L, enfin, quand on ren­tre en L, on avait notre prof qui nous lisait un texte et puis qui… on lit le texte et puis il nous dit « bon, ben voilà, qu’est ce que vous pou­vez me dire dessus ? » et on part de rien. Et donc je pense que c’est là qu’il y a un change­ment… Après peut-être que ce serait intéres­sant d’étudier des BD ou des man­gas. Oui parce que quand on voit comme là on étudie Œdipe-Roi avec un film, je pense que on peut très bien étudi­er l’aspect graphique et tout.

Oui, et d’ailleurs il y a une BD qui a été faite à par­tir de Madame Bovary, je sais pas si tu con­nais, Gem­ma Bovary. Il y a eu un film qui est sor­ti il y a pas longtemps avec Fab­rice Luchi­ni, et c’est un film qui est adap­té d’une BD … et c’est vrai que c’est une BD très con­tem­po­raine, des dessins très con­tem­po­rains et l’histoire est remaniée donc c’est aus­si intéres­sant. Et tu lis des man­gas toi ?

Oui. Enfin, je m’y suis remis il y a pas très longtemps, j’en avais pas lu depuis… enfin, j’en lisais quand j’étais plus jeune, j’en ai lu plein. Et là oui, j’en ai trou­vé deux-trois qui étaient intéressants. 

Et pour toi, est-ce qu’il y a une dif­férence entre les livres que tu lis pour toi et les livres de l’école ou est-ce qu’il y a des ponts ? Par exem­ple, si tu lis un man­ga, c’est plus pour toi, tu vas pas l’étudier en classe mais en même temps, est-ce qu’il y a des livres que tu vas lire en classe que tu t’appropries, qui te font autant plaisir un lire qu’un man­ga, ou est-ce que pour toi, c’est bien séparé ?

Non, moi, il y a un peu des deux. Enfin, je pense que… le fait, enfin, je pense que je classe quand même les livres du type BD, man­gas dans un autre… enfin, c’est vrai­ment là dans une autre caté­gorie parce que c’est vrai­ment dans un but, pour se diver­tir, c’est comme regarder une série, enfin, je pense que c’est autre chose. Et, mais après, il y a beau­coup de livres plus clas­siques, plus anciens qui m’avaient pas mal plu. Et puis aus­si, enfin, en tout cas là c’était en phi­lo cette année on a eu des livres à lire, des livres con­seil­lés et qu’on n’a pas étudiés en cours mais juste qui allaient avec le pro­gramme, et donc, là, on avait un livre qui s’appelait Le Prob­lème Spin­oza, c’était écrit l’année dernière je crois, par quelqu’un qui retraçait com­ment Spin­oza aurait vécu et aus­si… et c’était mis en par­al­lèle avec l’histoire d’un dirigeant nazi Rosen­berg, Alfred Rosen­berg, qui finis­sait par décou­vrir la bib­lio­thèque de Spin­oza à la fin du livre, donc ça s’entrecroisait, et euh…

Et tu dis­ais que les man­gas c’est plus pour se diver­tir mais tu dirais pas que tu apprends quelque chose ? ou les séries ?

Si, si. Non, mais c’est vrai. En fait je pense que on… on… l’approche qu’on a quand on se dirige vers des man­gas ou des séries, c’est que c’est pour se diver­tir. Et je pense que c’est après qu’on voit que y’a pas que ça et que… bon après je… et puis bon, y’a des man­gas plus his­toriques, des séries plus his­toriques aus­si, je me rap­pelle j’avais vu une série sur les Tudors sur Arte, c’était vache­ment bien, c’était très bien fait, et j’ai regardé ensuite… c’est très fidèle à la réal­ité, parce que je me suis ren­seignée après. Bon même après quand on regarde Game of Thrones, c’est pareil, il y a beau­coup de points com­muns avec des… des his­toires réelles. Y’a des analy­ses qui nous mon­trent que c’est de la philoso­phie poli­tique qui s’intègre dans la série et donc après peut-être que c’est… y’a à la fois peut-être un clin d’œil du nar­ra­teur, du réal­isa­teur qui veut mon­tr­er quelque chose mais bon, c’est vrai que on… on apprend des choses aussi.

Est-ce que quand par exem­ple quand tu as lu Madame Bovary, tu as appliqué des sit­u­a­tions qui se passent dans Madame Bovary à ta pro­pre vie ? Enfin est-ce que tu t’es iden­ti­fié ou est-ce qu’il y a des choses qui t’ont vrai­ment touché ? Est-ce que voilà… quel était ton rap­port au livre de Madame Bovary par rap­port à ça. Parce que dans les man­gas, les séries, on a ten­dance à juste­ment s’identifier, voire même quelque fois à se dire « Ah oui, si moi ça m’arrivait, je ferais comme ça, ou je ferais pas comme ça ». Et est-ce que avec Madame Bovary, ça t’a fait ça ?

Ben, déjà, au bout d’un moment euh… c’est ma mère qui l’a lu après et on en a par­lé et on s’est dit que Madame Bovary, c’était vrai­ment le même per­son­nage qu’une anci­enne voi­sine qu’on avait…

Oui, je m’en rap­pelle dans ton journal.

Oui, c’est ça. Et c’est vrai­ment exacte­ment ça (rires) elle s’ennuyait à mourir, elle arrê­tait pas de faire de la cou­ture et puis… enfin, moi je l’avais con­nu au début quand j’étais petit, et elle s’occupait de nous et tout, mais après quand j’y repense, c’est vrai­ment ça. Et sinon pour l’aspect… ben après je me dis­ais, enfin je me dis sou­vent ça dans les livres, mais pas for­cé­ment en me met­tant à la place mais je me dis « Ah ! Ah non, c’est vrai­ment trop con ce qu’ils vien­nent de faire là ! » Alors que c’est fait exprès pour faire avancer l’histoire parce que si tout allait bien, il n’y aurait pas d’histoire et du coup, ben j’ai pas vrai­ment d’exemple en tête , mais de… de pou­voir influer sur l’histoire … « Ah non, ils auraient dû faire ça ! » 

T’as pas d’exemple pour Madame Bovary ?

Euh…

Est-ce qu’il y a des per­son­nages aux­quels tu t’es plus ou moins… que t’as plus ou moins aimés, que t’as plus ou moins détestés ?

Ben c’est sûr que Homais, je le sup­por­t­ais pas. Ah vrai­ment, à chaque fois qu’il entrait en action et qu’il… il était méprisant, méchant, et en fait, ben, je sen­tais… enfin, je me… je préférais plus le per­son­nage de… à la fois le per­son­nage de Charles, des fois, je le trou­vais vrai­ment… enfin c’est lui qui joue les… des fois, il à l’occasion de se rat­trap­er, par exem­ple l’histoire du pied-bot, il a l’occasion, on se dit au début, le début du chapitre est vrai­ment très opti­miste, « oui, il a l’occasion de devenir un super médecin dans la région, quelque chose de vrai­ment inno­vant et tout » et puis tout s’écroule. Et encore une fois, alors que… et donc à chaque fois, ce per­son­nage de Charles, j’avais tou­jours envie d’y croire, de dire « Ah tiens, il pou­vait se remon­ter » à chaque fois et puis finalement…

Oui, c’est vrai que c’est triste, Charles.

Oui. Parce que on sent que c’est pos­si­ble, enfin je sais pas, et puis finale­ment il est, il est raté jusqu’au bout, quoi.

Oui, c’est vrai.

Et je voulais te pos­er une ques­tion. En fait je vais la pos­er à tous tes cama­rades : Peut-on lire Emma Bovary comme une pros­ti­tuée ? » Et je voulais savoir si toi, à un moment tu t’es fait cette remar­que là ou est-ce que main­tenant que je le dis, tu te dis : « oui peut-être » ? Est-ce que pour toi, ça te paraît quelque chose de per­ti­nent ou pas du tout ? et si pas du tout, pourquoi ?

Moi, quand j’ai lu le… quand on voy­ait les cri­tiques, à chaque fois c’est « oui, l’œuvre qui a choqué son temps etc. » et moi ça m’a plus choqué que ça. Je la voy­ais plus comme une femme qui fai­sait ce qu’elle voulait, bon, elle a deux amants, mais pas… C’est pas comme si elle se tapait la terre entière, quoi, ça va (rires). Ben en fait, ça m’avait pas plus choqué que ça, je la trou­vais pas plus dévergondée…

La ques­tion de la pros­ti­tu­tion, c’est aus­si est-ce qu’il y a un lien entre l’argent et les faveurs sex­uelles, par exem­ple le pas­sage avec le notaire Guil­lau­min qui lui pro­pose de la sauver si elle devient son amante. 

Oui, c’est vrai que l’histoire du notaire, ça m’aurait pas choqué qu’elle dise « oui », enfin, elle est en dés­espoir de cause, tout lui échappe, enfin ça m’aurait pas choqué, c’est de la pros­ti­tu­tion, mais je veux dire pour le per­son­nage… mais alors que là elle réag­it forte­ment. Après avec Léon, elle a rien à gag­n­er, elle est pas…

C’est même plutôt l’inverse.

Oui, c’est ça, c’est elle qui se ruine.

Entretien n°11

Éva, enseignante de français

On peut com­mencer par ta lec­ture de Madame Bovary. Imag­i­nons une sorte de fic­tion, que tu n’aies pas été pro­fesseure de Ter­mi­nale L sur Madame Bovary. Com­ment est-ce que tu par­lerais du livre ?

Com­ment je par­lerais du livre ?

Oui, est-ce que tu te sou­viens de ta pre­mière lec­ture par exemple ?

Oui, c’était quand j’étais lycéenne, je crois que je devais être en sec­onde, ou peut-être en pre­mière mais plutôt le début du lycée, et comme ça fai­sait par­tie vrai­ment des grands livres, des clas­siques, je m’étais lancée mais, vrai­ment toute seule, dans le livre… euh… je me rap­pelle pas exacte­ment ce que j’avais ressen­ti à l’époque mais je ne m’étais pas ennuyée, ça c’est cer­tain, c’était quelque chose qui m’avait quand même plu… euh… même si ensuite, quand on a pu en repar­ler, que ce soit en pré­pa ou même à la fac, plus tard, j’avais oublié beau­coup de choses. C’est un ouvrage qui m’avait mar­quée et plus sur le moment mais je gar­dais quand même en tête cette idée un peu rebattue de la femme qui s’ennuie, qui est déçue, etc. Mais après, les épisodes qui sont devenus les épisodes un peu incon­tourn­ables du cours de lit­téra­ture, que ce soit en pré­pa ou à la fac, c’est vrai que je les avais pas for­cé­ment bien en mémoire. Mais ensuite en les retra­vail­lant, ils sont devenus plus fam­i­liers, mais ils demeu­raient des épisodes un peu indépen­dants parce que je n’avais jamais repris véri­ta­ble­ment inté­grale­ment et de façon appro­fondie la lec­ture. Je pense qu’en pré­pa ou à la fac, j’avais peut-être dû relire cer­taines par­ties mais jamais vrai­ment inté­grale­ment donc j’avais une lec­ture encore assez naïve, ou en tout cas, qui se fondait sur des sou­venirs assez anciens…

Une lec­ture finale­ment assez scolaire…

Oui, aus­si.

Cest-à-dire, le principe de la lec­ture cur­sive où tu lis quelques textes en profondeur…

Et je pense aus­si que c’était avant le film de Chabrol, que j’avais lu ça, parce que je sais pas s’il date de 95, le film, oui, voilà ça devait coïn­cider, mais ma lec­ture avait dû être antérieure au vision­nage du film mais elle avait dû coïn­cider un petit peu avec la sor­tie de Chabrol…

D’accord. Et quand tu le lisais, est-ce que tu te sou­viens dans quel cadre, dans quel cours tu as dû le lire ?

Là, c’était vrai­ment toute seule… c’était pas une lec­ture imposée.

Mais à la fac ?

Après la fac, je ne me rap­pelle pas trop, mais peut-être qu’on avait retra­vail­lé, je sais pas, l’attitude du per­son­nage-lecteur et qu’on avait dû retra­vailler les pas­sages où Emma lisait au cou­vent ou cer­tains moments peut-être avec Rodolphe, ou la scène du bal, mais plus des topoï…

D’accord, et donc en fait, la pre­mière fois où tu l’as relu vrai­ment inté­grale­ment, c’était pour le… l’objectif du bac ?

Oui, et en fait, c’est vrai que jusqu’à l’année où j’ai pris le cours, l’année dernière, des Ter­mi­nale L, j’avais jamais fait ce cours de lit­téra­ture en Ter­mi­nale et c’est vrai que ce qui m’a vrai­ment motivée et décidée, bon il se trou­vait que la place était vacante au lycée pour ce cours-là,  mais c’est que juste­ment j’avais jamais tra­vail­lé, moi, de façon très appro­fondie ce roman, qui était un roman que j’avais aimé ou alors cer­taines relec­tures très par­tielles m’avait beau­coup plu et j’avais vrai­ment envie de m’approprier et de con­naître bien mieux ce réc­it. Pour moi, c’était combler aus­si un manque dans ma cul­ture per­son­nelle et de pro­fesseure aussi.

Et donc, tu n’avais pas, dans ton tra­vail de pro­fesseure,  fait étudi­er des pas­sages du livre ?

Si, l’année qui précé­dait l’année où j’avais fait le cours, juste­ment, sur Madame Bovary, donc c’était l’année, ça devait être 2014–2015, on avait tra­vail­lé La Princesse de Clèves en œuvre inté­grale, c’était des pre­mières L, et donc j’avais tra­vail­lé une séquence sur le motif des réécri­t­ures autour de la scène de bal, dans le roman ou dans des films, et juste­ment, j’vais tra­vail­lé un extrait de la scène de bal dans Madame Bovary et donc j’avais relu la pre­mière par­tie du roman à ce moment-là mais j’en avais pas refait une lec­ture inté­grale, donc c’était plus des moments où je piochais dans le roman plus qu’une lec­ture globale.

Donc tu as été con­tente en fait quand ça a été mis au programme ?

Ah oui, vrai­ment, et c’est vrai­ment un des élé­ments qui m’a vrai­ment motivée pour pren­dre ce cours.

Le cours de Ter­mi­nale qui est quand même assez intense…

Et où, plus qu’en pre­mière… en pre­mière même si on étudie des œuvres inté­grales, c’est plutôt des arrêts sur lec­ture, assez ponctuels, même si on tra­vaille aus­si des syn­thès­es plus trans­ver­sales, c’est quand même plus léger que ce qu’on fait en Ter­mi­nale L, ça c’est cer­tain, parce que en pre­mière, il s’agit avant tout de faire acquérir aux élèves des élé­ments d’une cul­ture com­mune mais avec dif­férents objets d’étude et un cer­tain nom­bre de textes, et c’est plus des arrêts sur lec­ture, plus que des entrées trans­ver­sales qu’on va appro­fondir et qui néces­si­tent aus­si que nous-mêmes, en tant que pro­fesseurs, on ait apprivoisé bien mieux le réc­it en tant que tel.

Et donc tu l’as relu et quelle a été ta réac­tion, qu’est-ce que tu en as pensé ?

Ben donc, ce qui était assez drôle, c’était qu’il y avait des pas­sages que je con­nais­sais très bien, d’autres que j’avais com­plète­ment oubliés. J’étais très con­tente de le relire, ça m’a énor­mé­ment plu, et encore une fois, pen­dant ces années de for­ma­tion, que ce soit uni­ver­si­taires ou quand on avait repris cer­tains extraits pour la bac ou je ne sais quoi, il y avait cette langue de Flaubert à laque­lle j’étais sen­si­ble, et cette ironie, mais là c’était vrai­ment toute… enfin, la phrase de Flaubert, elle pre­nait vrai­ment beau­coup plus d’épaisseur à ma relec­ture déjà assez atten­tive et un peu plus mature aus­si, ou dis­tan­ciée, et c’est vrai que c’était plus une lec­ture jubilatoire.

Et donc, est-ce que tu peux expliciter, par exem­ple est-ce que tu peux don­ner des exem­ples de ce qui t’a plu,  donc tu par­les de la langue de Flaubert, donc l’aspect styl­is­tique en fait. Est-ce qu’il y a d’autres choses ou est-ce que c’est vrai­ment ça ?

Donc l’aspect styl­is­tique, c’est cer­tain. La con­struc­tion aus­si du réc­it, dans sa glob­al­ité, qui est quand même vrai­ment très… oui… très, très con­stru­ite, très fine. La pointe de Flaubert, ses per­son­nages aus­si, c’est quelque chose que je redé­cou­vrais mais vrai­ment plus dans son ampleur… enfin, autant je savais qu’elle existait…etc., mais là c’était vrai­ment plus en avoir con­science en fait du début jusqu’à la fin en tout cas… ou des per­son­nages aus­si que j’avais oubliés ou qui étaient pas vrai­ment con­sis­tants pour moi, comme le per­son­nage de Justin par exem­ple, qui allait pren­dre beau­coup plus d’épaisseur et par sa dis­cré­tion, une force à laque­lle j’avais pas été vrai­ment sen­si­ble et que là, je redécouvrais…

Du coup, est-ce que tu t’es iden­ti­fiée, ou est-ce que tu as lu les choses différemment ? 

Tu par­les de matu­rité… moi, bon, je peux te par­ler de moi, moi, quand je l’ai relu une troisième fois, dans mon sou­venir, j’ai décon­stru­it ça, je l’ai lu une pre­mière fois en sec­onde, bon pareil, parce que c’était cen­sé être un clas­sique, je me sou­viens que je ne m’étais pas trop osé me l’avouer mais ça avait été dif­fi­cile, j’avais pas trop trop accroché, après je l’ai relu dans le cadre de la pré­pa, où là, on rebat­tait du Barthes ou de la dis­tan­ci­a­tion par rap­port à la psy­cholo­gie des per­son­nages, donc on lisait Flaubert du point de vue styl­is­tique, le dis­cours indi­rect libre, le cynisme, la bêtise, voilà.. Et puis là quand je l’ai relu l’année dernière, j’ai vrai­ment, déjà j’ai eu des moments de… alors, c’est ponctuel, tu t’identifies jamais com­plète­ment à Emma, mais j’ai eu des moments d’identification très forts à Emma, j’ai eu des moments d’identification très forts à Charles, par exem­ple, j’ai trou­vé le début hyper cru­el, quoi, ça a vrai­ment réveil­lé chez moi des … c’est mar­rant parce que pour­tant, j’ai pas sou­venir d’avoir lu ça comme ça la pre­mière fois alors que c’était moins loin quand j’étais en sec­onde l’époque où j’étais un peu bouc émis­saire. Donc il y eu cet aspect-là qui m’a vrai­ment frap­pée, et puis il y a eu l’aspect… j’ai fait une lec­ture beau­coup plus fémin­iste, au sens où je suis beau­coup plus au fait main­tenant de ces ques­tions de con­di­tion de la femme, de ce que c’est que d’être une femme au XIXe siè­cle, et encore aujourd’hui, et donc je me le suis beau­coup plus appro­prié d’un point de vue per­son­nel, c’est une ques­tion d’expérience de vie. Est-ce que toi, tu as eu ces moments là, ou… ?

Oui, ben, plus je pense aus­si, parce que l’âge faisant, Emma qui est… je pense que quand je l’ai lu pour la pre­mière fois, même si j’ai pas tout perçu, j’étais plus cette Emma com­plète­ment naïve qui va s’identifier à cer­taines de ses héroïnes, que ce soit pour moi des héroïnes de films, de romans ou d’images qu’on voit aus­si à droite à gauche… et ben là, en ayant vieil­li aus­si, peut-être cette iden­ti­fi­ca­tion par­fois, à une forme de désil­lu­sion aus­si du per­son­nage sur ce qu’elle vivait dans un quo­ti­di­en qui ne cor­re­spondait pas for­cé­ment ou en tout cas, qu’elle souhait­erait beau­coup plus dynamique, etc. Et ça, c’est des choses qu’on con­state, ou en tout cas que j’ai pu con­stater par­fois, et même si, heureuse­ment, que c’en était pas au point d’Emma mais oui, ce sont des choses aux­quelles j’ai été peut-être plus sensible…

Et Emma pour toi, elle a quel âge ?

Alors, elle est plus jeune, ça c’est cer­tain, mais en même temps, elle est mar­iée, très jeune aus­si, enfin voilà, et donc, enfin moi je ne suis pas mar­iée mais en cou­ple, en famille, il y a tou­jours aus­si, même si on fait plein de choses et que je suis con­tente de ma vie, un quo­ti­di­en qui par­fois me rat­trape … oui , oilà. Et ça c’est quelque chose… alors, il y a cet aspect aus­si par rap­port la con­di­tion de la femme dont tu par­lais, et de cette femme qui a envie de vivre un peu selon ce qu’elle souhaite et qui est brimée finale­ment, à laque­lle, enfin, tout ça, j’y ai été sen­si­ble, mais là je par­lais vrai­ment aus­si de cette lec­ture plus… de moi plus vieille, qui a fait que j’ai pu aus­si m’identifier, par cer­tains moments, à ce qu’elle pou­vait ressen­tir par rap­port à son quotidien. 

Et quand tu par­lais de lec­ture jubi­la­toire, est-ce que tu as des exem­ples de moments, de phras­es, tu vois, de choses qui t’ont vrai­ment pour le coup touchée ou…

Ben, dis­ons que on pour­rait pren­dre vrai­ment de très nom­breux exem­ples où avec ces pointes de Flaubert toute en dis­cré­tion, mais que ce soit pour le mariage d’Emma, ou lors des Comices, l’épisode même du pied-bot ou vrai­ment per­son­ne n’est épargné, et quelque fois, c’est un tout petit détail… ou la pre­mière ren­con­tre de Charles et Emma, avec ces mouch­es qui sont là, et qui tout d’un coup exis­tent alors que j’y avais pas été atten­tive, et qui vont faire… ternir… cette ren­con­tre qui est si forte pour les per­son­nages… voilà, ces petits élé­ments qui…

Oui, c’est ça, on presque le sen­ti­ment à un moment d’être en dia­logue avec Flaubert, c’est-à-dire que per­son­ne n’est épargné et il y a que le lecteur… s’il com­prend ce qui est en train de… enfin en tout cas il essaye de com­pren­dre, peut-être qu’on se trompe mais… ce qui est en train de se dire en fait…

Oui, exacte­ment.

Et effec­tive­ment, il y a vrai­ment des moments de com­plic­ité, et ça c’est quelque chose que j’ai aus­si vécu… par exem­ple, j’ai lu beau­coup plus facile­ment que quand j’étais en pré­pa ou au lycée, c’est-à-dire avec presque quelque­fois une forme de… j’avais envie de lire… une forme de pré­cip­i­ta­tion - que va-t-il se pass­er ? - donc vrai­ment un plaisir, vrai­ment, de la lec­ture, comme ça, suiv­ie et puis aus­si, effec­tive­ment des moments comme ça de pur plaisir… mais ça, c’est quelque chose, c’est assez éton­nant parce que c’est à la fois quelque chose que j’ai pas le sen­ti­ment qu’on m’ait appris, du tout, en cours, je sais pas si c’est ton cas… c’est pas quelque chose sur lequel on a insisté, c’est-à-dire le fait d’acquérir une lec­ture jubi­la­toire, ou en tout cas de met­tre en avant ou de penser à son plaisir de lire, mais en même temps , j’ai l’impression que si j’avais pas fait tout ce détour par les études lit­téraires, j’y aurais pas accédé. Je sais pas si toi tu as ce rap­port-là à tes études ?

Ben alors, ça c’est cer­tain, parce que il y a quand même une lec­ture plus aigu­isée de par la bagage qu’on peut avoir… Mais c’est vrai que par rap­port aux élèves, cette dimen­sion et même l’ironie qu’on essaye de leur faire sen­tir, c’est quelque chose qu’ils n’avaient pas for­cé­ment sen­ti à la pre­mière lec­ture, ou même assez peu, et donc, quand on repre­nait des pas­sages, même si on ne fai­sait pas des lec­tures très fouil­lées, de chaque épisode ou quoi que ce soit, pas comme en pre­mière où on va pren­dre une trentaine de lignes, on va un petit peu regarder au scalpel… euh… vrai­ment sur cer­tains épisodes ou sur cer­tains pas­sages, je pre­nais du temps pour relire le texte, soit moi, ou leur faire relire, et sou­vent la lec­ture ou la mise en voix du texte don­naient de l’épaisseur à cer­taines phras­es, ou cer­taines fins de phrase en par­ti­c­uli­er, et là, on voy­ait que… les p’tits sourires en coin nais­saient, et qu’ils cap­taient des choses qu’ils n’avaient peut-être pas… enfin qu’ils avaient raté, eux, quand ils lisaient dans leur tête, ou de façon un petit peu plus naïve juste­ment. Et c’est vrai que ces pas­sages-là, ce qui était assez intéres­sant, que ce soit l’année dernière… parce que là, le cours, je l’ai expéri­men­té deux années, pas for­cé­ment de la même façon… mais de voir com­ment, alors parce qu’on insis­tait aus­si davan­tage, mais, com­ment quand on pre­nait des pas­sages, même à la lec­ture à voix haute, en début d’année, ils n’y étaient pas très sen­si­bles, ensuite, voilà, les sourires en coin com­mençaient à s’esquisser, et plutôt vers la fin de l’étude du réc­it, là, il y avait une attente parce que soit ils recon­nais­saient, ou tout de suite ils décryptaient, et que là il y avait cette con­nivence et cette com­plic­ité qui s’établissait, comme tu dis­ais, entre l’auteur et le lecteur, mais aus­si avec le tri­an­gle prof… euh… lecteur-prof, lecteur-élève, et texte …

Oui, oui. Et du coup quand tu as relu le livre, per­son­nelle­ment, ça a été une lec­ture agréable, après il y a sans doute eu, l’aspect tout de suite, enfin, en tout cas, la ques­tion que tu t’es posée : « com­ment je vais l’enseigner ? ». Et donc, quel a été ton rap­port à ça, c’est-à-dire, est-ce que tu étais con­tente de l’enseigner ? Est-ce que tu as eu de l’appréhension ?

Ben, il y a tou­jours cette… enfin, moi en plus j’avais peu de dis­tance par rap­port à… enfin, comme c’était la pre­mière fois que je me lançais dans ce cours de Ter­mi­nale, et c’est vrai que c’est assez dense, on a très peu d’heures de cours avec les élèves, c’est deux heures en classe entière et puis une troisième qui est dite d’ « accom­pa­g­ne­ment per­son­nal­isé », où on est cen­sé plus faire de la méthodolo­gie, ou là ce qu’on a fait, juste­ment, de tra­vailler sur les brouil­lons par­fois etc., mais qui a ten­dance par­fois en fin d’année à devenir juste une heure de cours parce que les pro­grammes sont telle­ment intens­es… et c’est juste­ment se dire, se sen­tir com­plète­ment débor­dée presque dès le début en se dis­ant « mais il y a trop de choses à évo­quer, à abor­der ». Enfin, une œuvre est jamais inépuis­able mais on a l’impression que là, c’était vrai­ment une masse, et com­ment faire pour… que choisir ? … que choisir ? et com­ment organ­is­er le tra­vail pour essay­er d’appréhender cer­taines prob­lé­ma­tiques qui seront atten­dues, ques­tion du réal­isme, la ques­tion de… juste­ment, dénon­ci­a­tion de la bêtise, enfin, des choses qui sont atten­dues avec une œuvre comme celle-ci, tout en rat­tachant ça au tra­vail de brouil­lons aus­si, et faire que les élèves soient poten­tielle­ment aptes à répon­dre au sujet sur lequel ils vont tomber à la fin de l’année.

Et donc, com­ment tu as entamé ce proces­sus de mise en forme d’un cours, et com­ment tu as procédé ? com­ment tu te l’es appro­prié… je sup­pose que tu con­nais­sais déjà le programme ?

Oui, alors, déjà les textes offi­ciels, le B.O., les choses comme ça qui don­nent quelques indi­ca­tions par rap­port à des entrées trans­ver­sales qui sont vrai­ment atten­dues. Après on a eu une for­ma­tion, je m’en suis beau­coup servi pour le tout début, une for­ma­tion de Stéphanie Dord-Crous­lé, elle tra­vaille à l’ENS de Lyon, en tout cas elle col­la­bore avec l’ENS de Lyon, et c’est elle qui avait aus­si tra­vail­lé sur la dernière édi­tion Pléi­ade de cer­tains vol­umes de Flaubert, elle a tra­vail­lé sur la cor­re­spon­dance de Flaubert et qui avait tra­vail­lé sur l’édition Pléi­ade de Madame Bovary, l’appendice…etc. Et cette for­ma­tion, elle était vrai­ment très éclairante parce que juste­ment, elle nous mon­trait com­ment… euh, elle nous don­nait déjà des élé­ments, elle nous mon­trait com­ment tra­vailler avec cer­tains sites de l’Université de Rouen où il y a beau­coup de sup­ports juste­ment pour tra­vailler sur la genèse du texte, et ça, ça avait été déjà une base très solide pour savoir dans quelle direc­tion par­tir. Ça m’avait beau­coup aidée. Donc j’avais lu juste­ment tout ce qui con­cer­nait l’appareil cri­tique de la dernière édi­tion Pléi­ade. Après fleuris­sent plein d’ouvrages para-sco­laires sur le pro­gramme des Ter­mi­nales, donc avec des choses plus ou moins bonnes, mais qui ten­dent aus­si à don­ner des pistes pour des travaux un peu atten­dus, ou en tout cas des pistes sur des ques­tions qui seront for­cé­ment abor­dées avec les élèves, donc avec tout ce matéri­au. Je tra­vaille aus­si avec une col­lègue d’un autre lycée, et puis, sou­vent on se pas­sait des sujets, ou autrement on met­tait en com­mun, ben, des pistes de cours, on a tra­vail­lé aus­si… on s’est fait des échanges de copies aus­si pour… voilà… et c’est vrai qu’on a tra­vail­lé ensem­ble sur cette œuvre, et c’était très très utile, d’autant plus qu’elle a été dans la même sit­u­a­tion que moi, à savoir qu’elle pre­nait le cours pour la pre­mière fois, donc on nav­iguait un peu à vue au départ euh, voilà.

Parce que, moi ce qui me frappe quand même… en fait, tu regardes le bul­letin offi­ciel, c’est très bien, c’est empreint de rhé­torique cri­tique, enfin, c’est inap­plic­a­ble comme ça.

Bien sûr, ça c’est certain…

Et je sup­pose que même la con­férence de Stéphanie Dord-Crous­lé, enfin, je n’en sais rien, elle devait être très intéres­sante mais pour vous professeur·e·s, et puis après, il y a un peu ce mys­tère du tra­vail que tu fais en tant que prof pour ren­dre ça acces­si­ble aux élèves…

Alors déjà, con­traire­ment à des con­férences qu’on a pu avoir cette année qui pou­vaient être très intéres­santes pour nous en tant que pro­fesseurs mais peu applic­a­bles en tant que telles avec les élèves, le par­ti-pris par Stéphanie Dord-Crous­lé, c’était de faire quelque chose d’assez sco­laire finale­ment, et vrai­ment tout le début de mon cours, c’était presque des élé­ments que je repre­nais tels quels. Elle s’était vrai­ment mise un petit peu… alors bien sûr tout ne pou­vait pas être util­isé comme cela… mais véri­ta­ble­ment, et en repar­lant après avec des col­lègues l’année dernière lors des exa­m­ens, quand on se retrou­vait entre profs de lit­téra­ture de Ter­mi­nale pour cor­riger des copies de bac ou quelque chose comme ça, c’est vrai­ment ce qui reve­nait, cette con­férence nous avait fait gag­n­er du temps, parce qu’elle était à la fois savante, et en même temps exploitable d’un point de vue péd­a­gogique assez facilement.

Et donc qu’est ‑ce que ça veut dire « exploitable péd­a­gogique­ment par­lant » ? Quels sont les attrib­uts, à quoi on reconnaît… ?

Ben, si tu veux, déjà, elle pre­nait vrai­ment les aspects du pro­gramme et cette dimen­sion géné­tique, en nous évo­quant les dif­férents états du texte, tout de suite en faisant le lien avec des brouil­lons pré­cis ou des feuil­lets pré­cis, sur l’atelier Bovary qu’on pou­vait exploiter plus ou moins facile­ment, mais si tu veux, c’était vrai­ment très bal­isé… elle fai­sait juste­ment le relais entre ces lignes assez générales et très vastes du B.O., et un matéri­au déjà exis­tant, et elle tendait des ponts, et elle nous con­stru­i­sait presque le pont vers les élèves…

Oui, et c’est un tra­vail que font pas mal les chercheurs de l’Université de Rouen parce qu’on regarde par exem­ple les petites vidéos d’Yvan Leclerc sur le bovarysme.

Oui, ça c’était très bien aussi

Il y a un vrai tra­vail de mise à dis­po­si­tion du matériel cri­tique pour des élèves, dans des ter­mes com­préhen­si­bles… donc voilà, tu as fait ce tra­vail-là…. Mais, j’avais des ques­tions… Qu’est-ce que tu pens­es, par exem­ple, de cet objet d’étude qu’est « Lire-écrire-pub­li­er » et de la ques­tion… bon, ben voilà, t’as Madame Bovary, et puis du coup t’as le B.O. donc il fal­lu faire des ponts…et qu’est ce que tu pens­es de ça, de ce pro­gramme qui est un pro­gramme récurrent ?

Ben déjà, c’est vrai­ment un pro­gramme, je pense, qui a été pen­sé pour que les élèves com­pren­nent… parce qu’une des ques­tions tou­jours qui revient, c’est « mais est-ce que vous êtes cer­tain ou cer­taine que l’auteur il a voulu dire ça ? » Enfin, quand on étudie les textes en analyse lit­téraire, même si on mon­tre qu’on se fonde sur des indices textuels, etc., il y a tou­jours un petit peu cette remar­que récur­rente de la part des élèves qui pensent qu’on voit des choses qui ne sont pas for­cé­ment dans les textes, et pré­cisé­ment, et notam­ment chez Flaubert avec la masse de brouil­lons, et de notes, ou de scé­nar­ios… et même le man­u­scrit qui devait être envoyé à l’éditeur, le man­u­scrit du copiste qui était retra­vail­lé par quelqu’un qui avait une écri­t­ure plus lis­i­ble que Flaubert, pour qu’il soit ensuite imprimé, Flaubert l’a encore annoté, donc il y a vrai­ment des strates infinies presque. Et donc là, on peut dire, ben oui, c’est ce tra­vail, la mod­i­fi­ca­tion sur cet extrait mon­tre bien que l’auteur souhaitait ou avait envie d’insister ou au con­traire d’effacer tel ou tel élé­ment, et ça, les élèves y sont quand même assez sen­si­bles, et c’est quelque chose qu’ils com­pren­nent. Ils com­pren­nent que ben, oui, Homais était chargé véri­ta­ble­ment, parce que Flaubert souhaitait le charg­er à ce point-là, et c’est pas juste le prof qui va com­plète­ment fab­uler sur ce per­son­nage ou sur ce pas­sage en particulier.

Ça donne un statut en fait à la parole, enfin au cours de lit­téra­ture, presque plus, pas sci­en­tifique mais… ?

Oui, un petit peu, et je pense qu’au départ, c’était vrai­ment ce qui a motivé cet objet d’étude.

Et pour l’objet d’étude, est ce qu’il est encad­rant, ras­sur­ant, agréable, ou est-ce que pour cer­tains textes, par exem­ple Madame Bovary, tu aurais préféré vrai­ment qu’il n’y ait pas d’objet d’étude, comme ça l’était il y a encore quelques années, ou que ce soit un autre objet d’étude ?

Euh… pffff… c’est pas for­cé­ment ras­sur­ant parce que, moi je sais que dans ma for­ma­tion, je n’ai jamais tra­vail­lé sur la dimen­sion géné­tique, ou vrai­ment très rarement… oui si, on nous avait mon­tré des brouil­lons d’écrivains, ou on avait vu cer­tains états du texte mais de façon assez anec­do­tique finale­ment, et c’est aus­si une cri­tique assez récente finale­ment, ou en tout cas qui s’est un peu démoc­ra­tisée plus récem­ment. Donc au début, c’est un petit peu désta­bil­isant parce que surtout sur l’atelier Bovary, les pre­mières fois, on est vrai­ment per­du, quoi, enfin, entre toutes les dif­férentes strates, vue la masse, et on sait pas, pour­tant le tra­vail est immense et on voit bien que tout a été bal­isé, mais , euh, on se dit : « Mais oui, et tel feuil­let, et qu’est-ce que je fais de ces dif­férentes couch­es, com­ment est-ce que je peux trans­pos­er ça pour que… moi déjà qui ai du mal à y voir clair, com­ment ren­dre ça lis­i­ble aux élèves. Donc on l’a fait de façon assez ponctuelle, par exem­ple sur la descrip­tion de la cas­quette, par exem­ple, je sais pas si je t’avais envoyé ça, et là il y avait cer­tains arrêts sur le texte où là, ils voy­aient un petit peu les états intérieurs du texte. Après on n’a pas le temps de le faire sur chaque épisode essen­tiel, ou quoi que ce soit, mais en tout cas, les élèves, ils tra­vail­laient, enfin, ils avaient vrai­ment tout le temps avec eux les deux pre­miers scé­nar­ios, et tu vois, par rap­port aux dif­férents per­son­nages on avait fait un repérage de… ben, Emma, com­ment est-ce qu’elle s’appelle dans le pre­mier scé­nario ? Est-ce que le phar­ma­cien a un nom ? Est-ce qu’il appa­raît ? les amants, quelle est l’évolution, et ça c’est vrai­ment des choses qu’on a tra­vail­lé… mais pour revenir à la ques­tion ini­tiale : Est-ce que c’est désta­bil­isant ? donc oui, par rap­port au fait que cette pra­tique, je ne l’avais pas, déjà, par rap­port aus­si à la masse de matière pour Flaubert en par­ti­c­uli­er, déjà avec un texte qui est très riche en tant que tel et en plus avec des strates qui devi­en­nent démesurées tout autour. Après, comme tu dis­ais aus­si tout à l’heure, c’est vrai que par rap­port à une approche plus tra­di­tion­nelle des œuvres avec la bal­is­age par per­son­nages ou quoi que ce soit, c’est vrai que ce sont des choses qui revi­en­nent à l’examen mais avec un lien plus ou moins arti­fi­ciel avec cette dimen­sion géné­tique : « dans le pre­mier état du texte, Léon ne s’appelait pas Léon mais… Pourquoi à votre avis, Flaubert a‑t-il don­né plus d’épaisseur à la fig­ure du clerc de notaire ? ». Des choses comme ça… donc c’est pas juste le per­son­nage dans le roman mais un petit peu voir ce qu’il a voulu en faire. Ça a un petit peu un aspect arti­fi­ciel quand même, on le sait, après, ça per­met de voir, encore une fois, comme on dis­ait tout à l’heure, quel était un peu l’objectif ou ce que Flaubert pou­vait avoir der­rière la tête en don­nant plus d’épaisseur à son personnage…

En étu­di­ant les pro­grammes, ça m’a quand même frap­pé, que c’était quand même, ce pro­gramme en par­ti­c­uli­er, une manière d’ancrer encore plus l’étude sur le texte, le texte, le sous-texte, le para­texte… le texte, et en fait de con­tin­uer d’évacuer ces ques­tions, qu’on pose plus au col­lège d’ailleurs, d’identification, de lien avec le monde con­tem­po­rain, en fait d’appropriation plus sub­jec­tive du texte. Je ne sais pas si toi c’est quelque chose que tu ressens, tu es pas d’accord, tu es d’accord ?

Ça je suis d’accord, c’est cer­tain. Après, c’est vrai que, nous on a aus­si le défaut de notre méti­er, qui est de voir en par­ti­c­uli­er pour cette épreuve qui est très dif­fi­cile, déjà au niveau du temps pour les élèves avec deux ques­tions à traiter en deux heures où ils doivent à la fois mobilis­er une con­nais­sance assez fine du texte et des états antérieurs du texte avec en plus une dis­tance pour bâtir un raison­nement. Donc essay­er de don­ner une euh… de bal­ay­er un cer­tain nom­bre d’entrées ou de sujets possibles…donc c’est vrai qu’on a un petit peu la tête dans le guidon avec cet objec­tif du bac, où cer­taines par­ties de l’année, c’est quand même une dimen­sion un peu de bachotage, faut pas se leur­rer, par rap­port à ça, à se dire : « bon ben, ah mince, j’ai pas traité tel per­son­nage qui est pour­tant essen­tiel » ou, euh, « j’ai pas encore abor­dé telle chose » etc…  Et donc finale­ment, nous-mêmes, en tout cas moi, c’est sûre­ment un défaut, on met peut-être pas assez de dis­tance par rap­port à ça.

Je ne sais pas si c’est un défaut, je pense que c’est une mis­sion, c’est-à-dire que vous êtes pris entre…

Oui

Le pro­fesseur est pris entre le désir peut-être aus­si lui-même d’enseigner à ses élèves une lec­ture autre, ou une lec­ture plus sub­jec­tive, ou une lec­ture dif­férente, de faire des choses très dif­férentes avec ce livre et en même temps l’exigence du pro­gramme et l’exigence de l’examen qui fait que vous vous devez quelque part de le faire, parce que c’est pas que… c’est pour les élèves aussi

Voilà, c’est pour les élèves. Mais après, de façon plus ponctuelle tu vois, je pense tou­jours à Homais, mais parce que c’est le plus par­lant, ou les élèves, eux ils pou­vaient faire le lien avec, quand on par­lait de ces per­son­nages qui veu­lent se met­tre en avant, ou ces bour­geois oppor­tunistes, ou la soif du pou­voir etc., là des liens, même si bien sûr c’est plus des allu­sions un peu masquées quoi, qu’on peut faire, donc une cer­taine con­nivence avec ceux qui entendraient des liens avec une actu­al­ité plus proche, mais c’est plus des petites pointes comme ça, ou des petites piques, qui sont un peu faites de façon ponctuelle. Ou même par rap­port, tu vois, les achats d’Emma …« vous quand vous êtes déprimés, vous êtes pas les pre­miers à aller dépenser de l’argent en paire de chaus­sures, ou en habits, ou des choses comme ça ».

On a eu un débat autour de ça avec mes élèves sur la ques­tion de « est-ce que c’est un cliché féminin que le shop­ping d’Emma » et puis en fait non, pour eux, c’était une atti­tude mas­cu­line aus­si, les achats compulsifs…

Oui, les achats com­pul­sifs. Et donc là des ponts ont pu être faits, mais c’était plus de façon anecdotique.

Et alors… moi ce qui m’a vrai­ment frap­pé quand même dans la lec­ture des jour­naux, et para­doxale­ment tes élèves sont plus à même de pos­er ces ques­tions-là, d’exprimer ces ques­tions-là dans leur jour­nal, que les étu­di­ants de fac, c’est l’évacuation de la ques­tion du corps, de la sen­su­al­ité, de la sexualité…c’est-à-dire qu’il y a des lycéennes qui dis­ent « au moment où ils font l’amour, j’ai été trou­blée par le verbe “s’abandonner” », c’est revenu deux fois, alors je sais pas si c’était en cours… ?

On a insisté là-dessus…

Oui voilà, parce qu’elles sont deux ou trois à dire, voilà, cette idée de « mais qu’est-ce que ça veut dire “s’abandonner” ? Est-ce qu’Emma se laisse faire ? Est-ce que c’est du viol ? » Enfin voilà, donc assez quand même, oui, s’exprimant assez libre­ment sur ces ques­tions là, alors que les étu­di­ants de l’université, pas du tout du tout, ils ont vrai­ment évac­ué ces ques­tions de sex­u­al­ité, de sen­su­al­ité du per­son­nage… n’allons pas jusqu’à la sex­u­al­ité mais même la sen­su­al­ité d’Emma. Et j’ai vrai­ment, je me suis posé la ques­tion de com­ment toi t’avais abor­dé ça, d’autant plus que dans les brouil­lons, il y a une présence beau­coup plus crue de la sexualité

Oui, c’est ça, c’est beau­coup plus cru.

Je me sou­viens, tu leur a mon­tré l’évolution du per­son­nage de Léon (et d’ailleurs ils n’en par­lent pas dans leur jour­nal), donc « pas de baise » et…donc voilà, com­ment toi déjà tu t’es appro­prié la matériel plus cru ? Qu’est ce que tu pens­es de l’enseigner et com­ment on l’enseigne ? Et puis qu’est-ce que tu pens­es de cette ques­tion de l’évacuation quand même assez forte de la sex­u­al­ité et de la sen­su­al­ité dans les journaux ?

Alors, c’est vrai que c’est tou­jours un peu sen­si­ble en tant que pro­fesseure d’aborder ça en classe avec des élèves, même si on sait que les élèves de pre­mière L, ils sont plutôt… ça va pas être des gros ricane­ments bien lourds. Enfin, il y a cer­taines class­es avec lesquelles tu ne te lancerais pas for­cé­ment sur cette pente-là… en même temps, dans le texte, c’est quelque chose qui est très présent, que Flaubert a volon­taire­ment gom­mé aus­si, on par­lait des brouil­lons beau­coup plus crus, par exem­ple pour cer­tains élé­ments, notam­ment ces pas­sages très très sen­suels quand Emma retrou­ve Léon à l’hôtel à Rouen, je leur ai lu cer­tains élé­ments des brouil­lons, tu vois, un peu des morceaux choi­sis, je leur ai pas dis­tribué tout quoi, parce qu’il y a tou­jours aus­si, finale­ment, quelque­fois, même si là surtout là, les élèves de Ter­mi­nale, cer­tains sont majeurs, et tout ça, il y a aus­si der­rière les par­ents, et les réac­tions der­rière des par­ents « com­ment ça, vous avez par­lé de « “il la baise” , de “il se bran­le avec son gant” », enfin, des choses comme ça, et tu sais jamais dans quelle mesure ça peut être inter­prété aus­si par cer­tains par­ents et… plus que par des élèves… mais en tout cas, on l’a évo­qué, quand il était ques­tion aus­si de Rodolphe, ou de Léon, pour cer­tains pas­sages. Encore une fois, par­fois c’est à la lec­ture à voix haute ou sur des petits… sur plus des phras­es comme « bon, je vais pas vous faire un dessin » ou des incis­es que je fai­sais, et com­pre­naient ceux qui com­pre­naient, et réagis­saient, ou, oui entendaient l’implicite ceux qui l’entendaient… par­fois, cer­tains com­pre­naient pas que d’autres rient ou qu’il y ait des regards un peu enten­dus par rap­port à cela. Par exem­ple, la scène du fiacre, au départ, ils ne com­pren­nent pas ce qui se passe dans le fiacre, ça c’est évi­dent, et je me rap­pelle, ben pré­cisé­ment, c’est sur le site aus­si de l’Atelier Bovary qu’il y a tout le par­cours du fiacre, et on leur mon­tre ça et ils voient bien que c’est pas juste un tour de la ville mais plus des détours et détours et qu’il y a sure­ment autre chose der­rière quoi. Mais c’est vrai que je ne l’ai jamais dit de façon très crue, et sou­vent c’était un petit peu implicite, alors est-ce que c’est aus­si par rap­port à ça que cer­tains n’osent pas, sachant que aus­si toi tu vas le lire, il y a ça aus­si, est-ce qu’ils n’osent pas parce qu’ils savent que ça va être lu par une per­son­ne tierce. Cer­tains aus­si par rap­port à la sex­u­al­ité ont une expéri­ence que d’autres n’ont pas encore ou pas au même point donc vont être plus dis­tants ou dis­tantes par rap­port à ça. Il y a une édu­ca­tion aus­si c’est vrai. Je sais qu’il y a des col­lègues qui tra­vail­lent notam­ment dans des lycées où il y a des jeunes femmes qui por­tent le, des jeunes filles qui por­tent le voile, ben, ça a été un peu dif­fi­cile d’aborder ces élé­ments-là, ou en tout cas, oui, ben « Emma c’était une salope » quoi, et donc ils sont gênés, c’est cer­tain, par rap­port à ça. Quel que soit leur … oui, il, il y a quand même…

C’est pas une indif­férence ? Parce que une des hypothès­es, ce serait de dire qu’en fait, puisque c’est un roman clas­sique, on se dit d’emblée que de toutes façons, il va pas y avoir de transgressif…

Peut-être c’est ça aus­si, oui

Je pense que c’est une hypothèse, mais effec­tive­ment, je pense qu’il y a une pudeur cer­taine. Mais c’est assez éton­nant, les lycéennes étaient plus artic­ulées sur ces choses-là que les étu­di­ants de la fac, alors je sais pas, peut-être aus­si que c’est parce que vous en avez par­lé en cours…

Oui, on en par­lé en cours, ça c’est certain.

Est-ce que tu pens­es que le cours de lit­téra­ture devrait être un espace où on devrait pou­voir évo­quer ces ques­tions-là, comme vous l’avez fait ? Est-ce que tu pens­es que ça devrait, parce que ça fait par­tie de leur ques­tions aussi ?

Oui, oui bien sûr. Après, je pense que c’est une ques­tion de dosage aus­si quoi, enfin, tu vois, parce qu’on a tous aus­si en tête des profs qui eux, ne rataient pas une occa­sion de voir une allu­sion sex­uelle, alors que sou­vent elles y étaient, mais je me rap­pelle que moi en tant que lycéenne, ah ben oui, tel prof il était con­nu pour voir du cul partout. Enfin tu vois, c’était un peu la car­i­ca­ture aussi…

Et puis le texte ne se réduit pas à ça.

Exacte­ment aus­si, mais sur des élé­ments qui sont vrai­ment bien là, pourquoi ne pas en par­ler. Mais encore une fois, on sait que c’est déli­cat, et il s’agit aus­si de savoir dos­er la… dos­er et d’oser… vrai­ment les deux choses.

J’entends bien ce que tu dis. Et même aus­si au niveau du ressen­ti par rap­port à, alors peut-être qu’effectivement la prise de con­science de la langue de Flaubert à l’oral aide, mais j’ai lu très peu de remar­ques sur le ressen­ti physique que peut provo­quer une descrip­tion par exem­ple… c’est comme si le corps du lecteur était un peu évacué.

Mais c’est vrai que ça, on l’aborde jamais en classe… jamais !

Jamais … on se pose jamais la question.

Non

Et alors, dans les jour­naux, cer­taines… une d’entre elles par exem­ple qui dit : « Je me réveille dans mon lit au moment où je lis cette prom­e­nade de Charles dans la cam­pagne » je sais plus « et là , ça me fait quelque chose , ça me fait fris­son­ner, parce que j’ai l’impression d’y être, que ça par­le de ce que moi je vis dans mon lit, en train de me réveiller un peu dans le froid », et c’est vrai que c’est une ques­tion qui est com­pléte­ment évacuée.

Oui…alors qu’on l’aborde peut-être plus facile­ment par rap­port à la poésie ou par rap­port au théâtre, au texte théâ­tral quelque­fois, tu vois ?

Oui,oui, mais je pense que la représen­ta­tion théâ­trale oblige à…

For­cé­ment. Mais le texte théâ­tral que tu lis chez toi, bien sûr que tu l’imagines etc. mais tu vois c’est vrai qu’il y aurait plus ce rap­port… à tout texte finale­ment. Mais c’est vrai que ce sont des ques­tions qu’on va peut-être plus sus­citer ou pos­er aux élèves sur le texte poé­tique ou le texte théâ­tral, et le texte romanesque, bien moins.

Et en fait, pour toi, c’est une ques­tion presque générique ?

Ben là, j’ai l’impression.  Enfin, en tout cas, pour moi dans la façon dont je les sol­licite par rap­port à ça et quelque soit le niveau… en seconde…

C’est d’autant plus para­dox­al qu’on retrou­ve dans les jour­naux une cri­tique d’Emma, une cri­tique morale, mais ça n’est jamais du point de vue de la sex­u­al­ité et de la sen­su­al­ité, c’est parce que elle s’ennuie, parce qu’elle se plaint tout le temps enfin voilà… alors que la cri­tique morale très vir­u­lente du pro­cureur, c’était parce qu’elle était « las­cive » en fait… et c’était à cause… et il a une lec­ture lui, juste­ment… il est com­plète­ment envahi par le texte et c’est ça qu’il ne sup­porte pas. On sent dans sa manière d’en par­ler que ça a provo­qué chez lui une lec­ture presque trop érotique.

Et alors, ça, on s’est appuyé sur des extraits du procès juste­ment, et eux ils trou­vent que, soit c’est parce qu’il l’ont pas perçu, je te dis, par­fois ils l’ont pas perçu en tant que tel, ou autrement que ben juste­ment, les mœurs ont évolué et que cette réac­tion était une réac­tion… enfin une réac­tion qui est main­tenant dépassée, alors que, para­doxale­ment, elle peut ressor­tir dans cer­tains milieux par rap­port à cer­taines élèves etc.

Oui, j’ai un élève qui a écrit un très beau texte sur la manière dont d’abord il a perçu Emma comme une salope et puis ensuite, comme il s’est ren­du compte que c’était une vision qu’il avait en tant que jeune homme venant d’un cer­tain milieu aus­si peut-être, et que en fait on posait rarement la ques­tion pour les hommes… enfin voilà, c’était assez intéres­sant ce proces­sus de… mais au delà de ça, il y a une ques­tion qui revient, c’est la ques­tion de la mater­nité chez Emma. Alors là, ça s’est vrai­ment quelque chose… elle est « mau­vaise mère », elle n’aime pas sa fille.

Alors c’est présent chez le pro­cureur, il le pointe aus­si à un moment

Qu’elle ne l’aime pas, ou alors, qu’elle est mau­vaise mère ?

Qu’elle est mau­vaise mère.

Oui, elle est mau­vaise mère parce qu’elle est adultère en fait…

Il l’évoque, et moi aus­si j’ai un sou­venir un peu flou, il dit que c’est une mau­vaise mère mais est-ce qu’il détaille plus…

Je ne sais plus s’il le jus­ti­fie au sens où elle est mau­vaise épouse, donc elle est bien sûr mau­vaise mère, ou est-ce qu’elle est mau­vaise mère, parce que là, la cri­tique morale qui revient chez cer­tains élèves c’est « elle est mau­vaise mère parce qu’elle n’aime pas sa fille, parce qu’elle n’a pas d’instinct mater­nel en fait ».

Et là je pense qu’il y a peut-être une iden­ti­fi­ca­tion aus­si qui joue, iden­ti­fi­ca­tion de, pas à Berthe, mais en tout cas, peut-être de eux ou elles, leur statut de fille aus­si, ça c’est certain.

Est-ce que toi, ça t’a frap­pé par exem­ple à la lecture ?

Et ben en le relisant, oui, enfin c’est vrai qu’il y a la scène très vio­lente où elle va heurter sa petite qui va se bless­er à la joue, c’est une scène qui est très très forte, et puis, plus effec­tive­ment par l’absence, même si à l’époque le fait d’être placée en nour­rice, c’était quelque chose qui était très, voilà, très courant, mais la façon dont Flaubert en par­le, c’est soit les effu­sions mais qui appa­rais­sent fauss­es quand elles sont là, ou autrement le rejet , qui est assez dur, effectivement

Mmm, j’ai une élève qui m’a dit « moi je trou­ve que c’est vrai, y a pas d’instinct mater­nel, Flaubert, il dit quelque chose de vrai », tu vois, une iden­ti­fi­ca­tion très forte à cet aspect-là du texte, c’était intéres­sant parce que je pense que c’est aus­si des ques­tions pour le coup qui sont plus con­tem­po­raines c’est-à-dire que à l’époque, la bonne épouse était néces­saire­ment la bonne mère, en tant que pili­er de la famille, alors qu’aujourd’hui, c’est plus des ques­tions de… en tant que rap­port per­son­nel à son enfant… et pour finir du coup, car tu vas devoir par­tir bien­tôt, en fait je voulais te pos­er une ques­tion que j’ai posée aus­si aux élèves. C’est en vue d’un arti­cle. En fait, je vais écrire un arti­cle dans la Revue Flaubert et le thème c’est « Flaubert et la pros­ti­tu­tion » et le titre de mon arti­cle, la ques­tion un peu choc, c’est « Peut-on lire Emma comme une pros­ti­tuée ? », et j’aimerais avoir ton avis.

Mmm, non. Moi, je dirais « non ».

Alors, est-ce que tu pour­rais justifier ?

Je dirais « non ». Déjà, elle refuse, avec Guil­lau­min, il y a un rap­port à l’argent finale­ment, une rela­tion qui est mon­nayée, et ben elle refuse. Alors que ses rela­tions avec Rodolphe et Léon sont con­sen­ties, et c’est plus elle qui paye en quelque sorte avec les cadeaux qu’elle fait. Donc, moi, je dirais que « non », enfin voilà. Après, c’est vrai que cer­tains… la dernière adap­ta­tion ciné­matographique par Sophie Barthes où elle appa­raît vrai­ment comme une salope, Emma.

Toi, tu as trou­vé ça ?

Dans le film, hein.

Moi, tu m’as dit ça, mais j’ai pas trou­vé. Je trou­ve qu’au début en tout cas on la voit vrai­ment comme une fille qui est pas heureuse quoi.

Ça c’est cer­tain mais…alors, bon, j’avoue que le film m’a plus déplu qu’autre chose, donc je l’ai vite évac­ué de mon esprit donc ça c’était un ressen­ti que j’avais, et qui me sem­blait beau­coup plus appuyé que la vision que moi j’en avais à par­tir de la lec­ture du texte.

Je peux t’expliquer pourquoi je pose cette question ?

Oui

Parce qu’en fait, effec­tive­ment, et c’est d’ailleurs une réac­tion que les lecteurs ont « ah ben non, parce que la pros­ti­tu­tion, c’est l’équivalence entre… enfin, c’est le mon­nayage des faveurs sex­uelles con­tre de l’argent », mais en fait, il y a dans le texte des pistes, vrai­ment, dans le regard mas­culin, c’est-à-dire qu’il y a un moment où Rodolphe la com­pare a une pros­ti­tuée et il dit « elle était plus lib­er­tine que les pros­ti­tuées qu’il avait vues » ou quelque chose comme ça donc, euh, dans les regards mas­culins… et puis il y a cette scène avec Blinet, je sais pas si tu te sou­viens, c’est juste après Guil­lau­min, pour moi elle était un peu passée à la trappe, et puis j’ai relu, où il y a deux com­mères, c’est une vraie scène ciné­matographique, qui regar­dent Emma et qui dis­ent « Ooh regarde, elle est train de mon­nay­er… » C’est le regard des autres sur Emma qui en fait une prostituée. 

Oui

Et après cette scène-là, Emma sort, et elle est com­plète­ment paniquée et elle se dit « elle aurait peut-être dû accepter ». Bon voilà, il y a un moment de doute, enfin les offres de Guil­lau­min, mais effec­tive­ment, le seul moment où Emma fait preuve d’une forme d’action héroïque, c’est le moment où Guil­lau­min lui propose…c’est le seul moment où elle prend vrai­ment une parole forte, donc là c’est sûr que il y a quelque chose qui est dit par rap­port au per­son­nage, voilà qui con­tred­it com­plète­ment l’hypothèse de la pros­ti­tuée mais en même temps , voilà il y a ce regard mas­culin, il y a la récep­tion du roman et des arti­cles là-dessus, sur la prostitution…

Et le fait qu’Emma est lue par des hommes aussi…

Et il y a la scène où elle vient voir Rodolphe pour lui deman­der de l’argent où là il y a quelque chose de…

D’ambigü…

Du minaudage…

C’est une piste qui est intéressante…

C’est une piste intéres­sante sur le rap­port qu’on entre­tient avec l’image de la femme qui est présent, qui en fait, est à la fois très ancrée dans la réal­ité du XIXe siè­cle du roman de Flaubert, c’est vrai­ment aus­si la con­di­tion fémi­nine de l’époque et le regard qu’a le pro­cureur, c’est le regard qu’avait les hommes à l’époque sur les femmes mais c’est à la fois intem­porel… associ­er la femme à la putain c’est quelque chose qui se fait encore…

Oui, oui, il n’y a qu’à voir les insultes qui fusent devant le lycée…