Présen­ta­tion détaillée

La plate­forme Com­ment sont reçues les œuvres ? [1] s’inscrit dans une démarche de val­ori­sa­tion des recherch­es sur la récep­tion, tout par­ti­c­ulière­ment des enquêtes de ter­rain, et met à dis­po­si­tion des ressources pour la pro­duc­tion, l’analyse et l’enseignement des études de récep­tion. Elle pro­pose un cat­a­logue de cor­pus de réal­isés à par­tir d’enquêtes sur la récep­tion d’œuvres lit­téraires, scéniques et ciné­matographiques, selon des méth­odes qual­i­ta­tives ou quan­ti­ta­tives ain­si que des con­tenus méthodologiques et didac­tiques afin de favoris­er l’u­til­i­sa­tion de ces sources.  

On trou­vera sur ce site une syn­thèse pra­tique et détail­lée de quelques grands courants mar­quants dans l’his­toire des études de récep­tion (onglet « Per­spec­tives cri­tiques »). Dans l’his­toire de cette dis­ci­pline nais­sante, deux champs d’études appa­rais­sent comme essen­tiels  : d’une part les études de récep­tion com­para­tistes, décrivant notam­ment la cir­cu­la­tion des œuvres à tra­vers les con­textes cul­turels, et d’autre part les soci­olo­gies de la récep­tion, inscrites par­fois dans le pro­longe­ment des mod­èles de champ ou par­fois dans les audi­ence stud­ies anglo-sax­onnes, plus atten­tives au rôle act­if des récepteur.trices. Dans la recherche lit­téraire fran­coph­o­ne, la récep­tion se con­stitue en objet d’é­tude dès les années 70, essen­tielle­ment à la suite des travaux de l’école de Con­stance, dont les mem­bres sont soucieux d’une refonte tout à la fois théorique et con­tuex­tu­al­isée de la lec­ture comme activ­ité inter­pré­ta­tive. Depuis, nom­bre de courants se sont intéressés à la ques­tion, comme les gen­der stud­ies (s’in­ter­ro­geant notam­ment sur l’im­pact des rôles de genre dans l’in­ter­pré­ta­tion des œuvres ou les pra­tiques cul­turelles), les sci­ences cog­ni­tives (intriguées en autre par l’ac­tiv­ité cérébrale des sujets face à des pro­duc­tions artis­tiques), les nar­ra­tolo­gies post-clas­siques (curieuses par exem­ple des formes que prend l’im­mer­sion fic­tion­nelle) ou encore les nou­velles sémi­olo­gies qui refondent l’analyse des décodages sig­nifi­ants à par­tir d’en­quêtes de ter­rain. Le pro­jet du site open-data col­lab­o­ratif Com­ment sont reçues les œuvres ? s’inscrit dans la con­ti­nu­ité de ces per­spec­tives et entend les accueil­lir, les faire con­naitre et les ren­dre facile­ment util­is­ables à des fins de recherche et/ou d’enseignement.

Out­re la néces­sité d’une artic­u­la­tion inter­dis­ci­plinaire entre des per­spec­tives instal­lées et des approches plus inno­vantes de la récep­tion, le pro­jet Com­ment sont reçues les œuvres ? entend rassem­bler des ressources autour de deux prob­lé­ma­tiques com­plé­men­taires : 1) Com­ment col­lecter des sources de récep­tion ? 2) Com­ment traiter ces sources de réception ? 

La ques­tion des sources a tou­jours été essen­tielle dans les études de récep­tion, car la “source” au sens large (trace écrite, orale, audio­vi­suelle, gestuelle, jour­nal de lec­ture, tran­scrip­tion d’en­tre­tien, etc.) con­stitue une matéri­al­i­sa­tion de l’expérience effec­tive­ment vécue face à l’œuvre, mais surtout une trace que sa forme rend acces­si­ble aux per­spec­tives des sci­ences humaines et sociales. Longtemps, les études de récep­tion ont tra­vail­lé sur des sources pré-con­sti­tuées, car elles s’in­téres­saient aux récep­tions con­tem­po­raines d’œu­vres des siè­cles précé­dents. Puis, sous l’in­flu­ence de cer­tains courants évo­qués ci-dessus et d’un intérêt crois­sant pour les publics dans leur diver­sité, les chercheur·euses ont man­i­festé un intérêt crois­sant pour la mise en place d’en­quêtes inédites, por­tant prin­ci­pale­ment sur des récep­tions con­tem­po­raines, même si le tra­vail d’ex­huma­tion de sources ou l’analyse diachronique et com­par­a­tive des récep­tions con­stituent un aspect non nég­lige­able des études de réception.

Le développe­ment des soci­olo­gies de la récep­tion a pop­u­lar­isé des méth­odes d’enquête qui ont per­mis aux chercheureuses de con­stituer elleux-mêmes leur pro­pres cor­pus, via des ques­tion­naires, des entre­tiens com­préhen­sifs, des focus groups, des jour­naux de lec­ture ou même de l’observation par­tic­i­pante. Pour autant, nom­bre d’aspects essen­tiels de l’expérience de récep­tion sont encore aujourd’hui très peu étudiés via ces pro­to­coles empiriques, qui peinent à explor­er la com­plex­ité des récep­tions et des appro­pri­a­tions indi­vidu­elles pour main­tenir la focale sur des phénomènes struc­turels, abor­dés sou­vent sous l’angle quan­ti­tatif (en étu­di­ant par exem­ple les préférences de lec­ture sur le ratio généricité/identité de genre, etc.). De manière générale, étudi­er la récep­tion telle qu’elle s’est « libre­ment » man­i­festée dans l’interdiscours social est plus com­plexe que de tra­vailler sur des cor­pus de sources con­sti­tués par les chercheur·euses. 

C’est à cette inter­sec­tion que le pro­jet Com­ment sont reçues les œuvres ? envis­age sa pre­mière prob­lé­ma­tique – com­ment col­lecter les sources de récep­tion ? – con­sid­érant d’un côté l’é­tude de la diver­sité des expéri­ences indi­vidu­elles ou col­lec­tives et, de l’autre, les pro­to­coles de col­lecte empiriques. La plate­forme entend met­tre à dis­po­si­tion des chercheur·euses du matéri­au méthodologique pour con­stru­ire des enquêtes de récep­tion et un espace de réflex­ion et de dia­logue sur les enjeux de la mise en place des enquêtes. Ce tra­vail de col­lecte de don­nées est large­ment doc­u­men­té dans le cadre des appren­tis­sages en soci­olo­gie. Il s’ag­it toute­fois ici de le ren­dre acces­si­bles à des chercheur·euses issu·es de divers­es dis­ci­plines, notam­ment artis­tiques et lit­téraires, et qui s’in­téressent aux études de réception. 

La deux­ième prob­lé­ma­tique du pro­jet – com­ment traiter les sources de récep­tion ? – tend à soutenir le tra­vail des chercheur·euses, notam­ment novices, en rel­e­vant les ques­tion­nements qual­i­tat­ifs impliqués par les études de récep­tion : Com­ment étudi­er, dans le témoignage d’un lecteur ou d’une lec­trice, ses proces­sus d’identification à un per­son­nage de fic­tion ? à un pro­tag­o­niste factuel ? Com­ment observ­er, dans un jour­nal de lec­ture, les proces­sus qui con­duisent un.e enquêté.e à attribuer à l’auteurice des dis­cours ou des pro­pos pré­cis ? Peut-on trou­ver à décrire, dans un entre­tien de récep­tion, la manière dont cer­taines per­son­nes iden­ti­fient, approu­vent, détour­nent, cri­tiquent ou décon­stru­isent l’encodage idéologique d’une œuvre ? À quelles échelles se con­stru­it l’évaluation éthique d’une œuvre, perçue comme fic­tion, comme arte­fact cul­turel, comme assem­blage argu­men­tatif ? Com­ment la parole d’un.e lecteurice ou d’un.e spec­ta­teurice con­stru­it-elle des proces­sus de val­ori­sa­tion interne ou externe à l’œu­vre ?, etc.

L’analyse qual­i­ta­tive des récep­tions implique en out­re d’in­té­gr­er des ques­tion­nements sur les effets du par­cours et du posi­tion­nement du chercheur ou de la chercheuse dans le traite­ment des récep­tions d’ob­jets cul­turels, dans la mesure où la récep­tion et son analyse impliquent un rap­port vivant aux autres et aux objets. Dans le sil­lage des débats con­tem­po­rains sur la « neu­tral­ité axi­ologique », sur les critères de « sci­en­tificité » ou de « valid­ité » des enquêtes et recherch­es, la plate­forme invite à penser ce qu’est la recherche en études de récep­tion et la place que joue la rela­tion humaine, mar­quée par le posi­tion­nement social, les affects, les croy­ances, etc., non plus dans l’analyse des objets esthé­tiques mais dans l’analyse de la récep­tion des objets esthétiques.

Ces prob­lé­ma­tiques ne sont que des exem­ples soulig­nant la richesse d’une ren­con­tre entre les inter­ro­ga­tions théoriques rel­a­tives à l’expérience de récep­tion et les méth­odes de col­lecte de sources. Pour explor­er ces inter­sec­tions, et con­stru­ire dans ces ter­ri­toires une con­nais­sance col­lab­o­ra­tive, la plate­forme Com­ment sont reçues les œuvres se donne qua­tre objec­tifs, com­plé­men­taires et en aug­men­ta­tion per­ma­nente, représen­tés par les qua­tre onglets prin­ci­paux du site : 

A) Met­tre à dis­po­si­tion des cor­pus de sources de récep­tion dans une philoso­phie open-data (onglet “Sources de récep­tion”). La base de don­nées accueille tout cor­pus de sources de récep­tion, qu’il ait été con­sti­tué par une enquête ou qu’il lui préex­iste, dans l’intention de favoris­er la diver­sité et l’analyse de ces sources et de fournir des cor­pus de récep­tion à des chercheur·euses et enseignant·es qui souhait­eraient les exploiter dans leur travauxLe dis­posi­tif a aus­si l’intérêt de fournir aux chercheur.euses en études de récep­tion un espace de stock­age open­source, à taille humaine, intu­itif et facile­ment citable dans des travaux académiques. 

B) Recenser, partager et dis­cuter divers pro­to­coles util­isés par des chercheureuses pour procéder à des col­lectes de sources, en essayant d’en expliciter les fonde­ments théoriques et pra­tiques, les man­i­fes­ta­tions con­crètes (entre­tiens, ques­tion­naires, jour­naux, dis­cus­sion de groupe, etc.) ain­si que les objec­tifs ini­tiale­ment visés et le ren­de­ment opéra­toire pour une étude de récep­tion (onglet “Méthodolo­gies”). Partager ces pro­to­coles en fait égale­ment des ressources libre­ment mod­i­fi­ables pour être réu­til­isées dans d’autres objec­tifs sci­en­tifiques, ce qui per­met de met­tre en place des études de récep­tion plus intu­itive­ment et plus rapi­de­ment (voire même d’intégrer la pra­tique de l’enquête sur la récep­tion réelle dans des dis­posi­tifs péd­a­gogiques, en pro­posant aux étudiant.es des dis­ci­plines cul­turelles de s’essayer à des méth­odes empiriques).

C) Recenser des ressources théoriques sur les études de récep­tion, en étab­lis­sant une bib­li­ogra­phie et des notes de lec­ture sur des travaux (arti­cles, mono­gra­phies, etc.) qui s’intéressent à l’une ou l’autre des deux prob­lé­ma­tiques spé­ci­fiques du pro­jet Com­ment sont reçues les œuvres ? (onglet “Per­spec­tives cri­tiques”).

D) À moyen terme, le site aimerait aus­si pro­pos­er des études col­lab­o­ra­tives por­tant sur les cor­pus hébergés dans la base de don­nées (onglet “Études par­tic­i­pa­tives”). En effet, ce sont aus­si des pra­tiques de recherche nou­velles, hor­i­zon­tales et col­lab­o­ra­tives, que les études de récep­tion nous invi­tent à explor­er et que la plate­forme Com­ment sont reçues les oeu­vres ? vise à favoris­er. Le principe de la base de don­nées per­met de se saisir des sources disponibles pour appuy­er des travaux, pour en fournir des analy­ses nou­velles et pour lancer des appels à l’étude par­tic­i­pa­tive d’un cor­pus com­mun (dont la base de don­nées assure la cohérence). Un dossier d’articles, où tou­stes parta­gent le même cor­pus de sources de récep­tion, mais en pro­duisent des analy­ses dif­férentes, serait un objet sci­en­tifique rel­a­tive­ment inédit et instruc­tif pour les études de récep­tion en général.

[1] Le nom de la plate­forme reprend le titre d’un ouvrage dirigé par Isabelle Char­p­en­tier mais trans­forme la modal­ité assertive de ce dernier en modal­ité inter­rog­a­tive. Voir Char­p­en­tier, Isabelle (dir.), Com­ment sont reçues les œuvres, Paris, Créaphis, 2006.