Autobiographies de lecteur.ices
Classe de Master (2017)
Œuvre : Différentes oeuvres littéraires (exercice libre)
Type de sources : Autobiographies rédigé.es par les enquêté.es dans le cadre d’un cours de Master à l’Université de Lausanne
Projet de recherche :
Chercheur.euse : Chiara Bompard & Gaspard Turin — Université de Lausanne
Datation des sources : Textes rédigés en octobre 2017
Méthodologie et protocole détaillés :
Travaux mentionnant ce dossier :
Autobiographie n°1
Mon rapport à la lecture a beaucoup évolué au fil des années, allant de périodes de passion en périodes de rejet. Enfant, je lis tout ce que je peux, continuellement. Mon premier amour de lecture est, comme pour un grand nombre de lecteurs de ma génération, Harry Potter. Même si la saga n’est pas reconnue dans le milieu académique et malgré le fait que je ne suis plus une enfant, je relis encore les sept livres tous les hivers (je suis une grande partisane de la relecture). J’éprouve du plaisir à voir différemment un livre que je connais déjà, à déceler des détails manqués au cours de la première lecture et à lire une histoire en en sachant la fin.
Mon enthousiasme d’enfant pour la lecture s’est cependant évanoui durant mes années de gymnase. Autrefois lectrice avide, je deviens mécontente. Le professeur de français nous demande d’analyser Villon, Racine, Rimbaud, et l’inévitable Flaubert. Je ne prends aucun plaisir à ces lectures qui me paraissent alors ternes, voire hostiles. Le professeur n’accepte qu’une seule interprétation et nous reproche constamment de « lire faux ». Je ne comprends pas cette espèce de déférence devant les classiques ; lire en français devient une sorte d’angoisse et m’apparaît comme une activité aussi bien restreinte que restrictive. J’ai peur de lire les classiques, et je ne les lis jamais autrement qu’avec l’œil d’une étudiante qui doit comprendre, et ne surtout pas sentir. Je lis en français uniquement pour mes cours, sans joie, et avec la nostalgie de mes yeux de lectrice enfant.
Néanmoins, je découvre une autre littérature, qui devient elle une source énorme de plaisir : la littérature anglophone. Je délaisse complètement ma langue maternelle pour une langue avec laquelle je n’ai aucun lien (je l’ai simplement apprise à l’école). J’y trouve, tant dans les classiques que dans le reste, tout ce que je recherche, c’est-à-dire des personnages qui me paraissent proches et des histoires qui me parlent : The Catcher in the Rye (idéal pour des adolescents qui se sentent perdus dans le monde), 1984 (lu dans le cadre d’un cours et relu depuis dans le cadre privé), ou de la littérature contemporaine, comme Looking for Alaska (dont l’auteur très actif sur Internet me rappelle que la littérature est faite par des gens et pas seulement par des mots). Je n’y perçois pas la distance que je ressens avec la littérature française, qui n’est à ce moment-là pour moi qu’un objet d’étude froid et austère. Je retrouve le plaisir de lire, et surtout je découvre le plaisir d’analyser, ce qui me paraissait impossible.
Au moment de choisir mes branches pour l’université, je décide malgré mon écœurement de continuer le français : j’aimerais un jour l’enseigner mieux qu’on me l’a enseigné. Je continue l’anglais, et la séparation pour moi n’est pas tant entre lecture académique obligatoire et lecture privée choisie qu’entre lecture en français et lecture en anglais. Paradoxalement, c’est l’expérience qui traumatise normalement les étudiants de français qui me permet de lier plaisir et littérature française : l’examen redouté d’histoire littéraire. A travers sa préparation, je découvre les classiques par moi-même, sans pression, avec une première lecture où je ne prends aucune note : je veux d’abord les lire purement pour le plaisir. A ma surprise, j’aime autant lire qu’analyser et comparer, notamment les romans d’apprentissage. J’apprends à apprécier Flaubert, et même la littérature des XVIIe et XVIIIe siècles ; les méthodes de mon professeur de gymnase étaient discutables, mais le matériel source ne l’était pas. Je découvre aussi une littérature plus innovante qui me plait, tout particulièrement Perec, et l’Oulipo. Je comprends enfin que la littérature française n’est pas nécessairement obscure, prétentieuse ou élitiste, même si la manière dont on me l’a enseignée l’était.
Aujourd’hui, je suis une lectrice enthousiaste (et une relectrice plus enthousiaste encore). Je lis moins que ce que j’aimerais, faute de temps, et durant les semestres je me concentre sur les lectures à effectuer dans le cadre de mes cours en français comme en anglais. Quand le temps le permet, j’aime les lire sans prendre de notes, puis les relire en les analysant. Ainsi, je lie l’aspect de plaisir pur de la découverte et le plaisir de comprendre et d’interpréter sans qu’aucune lecture ne soit faite à moitié. Pour mes lectures privées, j’achète régulièrement des livres que je mets dans une boite pendant le semestre, des classiques comme des contemporains et des styles reconnus comme plus alternatifs, et pendant les intersemestres, je les lis. Ce rythme et cette alternance me conviennent parfaitement : désormais, j’éprouve du plaisir aux deux types de lecture, et surtout, dans les deux langues.
Autobiographie n°2
Lire, c’est un jeu
J’ étais fière de moi quand j’ai appris à lire. Je voulais impressionner mes parents en lisant les affiches partout pendant que l’on se promenait. Je savais lire les grandes lettres, mais quand il s’agissait des livres, quelqu’un s’en occupait de les lire pour moi. Je savais qu’à chaque fois que j’allais visiter ma grand-mère le dimanche, ma tante qui habitait à côté pouvait venir me lire un ou deux livres. Un jour, elle m’a offert un de mes livres préférés : celui du vers qui se transformait en papillon. J’étais prête pour la lecture solitaire dans l’intimité de mes pensées.
Fille-unique, je me trouvais souvent seule et la plupart de mes activités ont souvent étés centrées autour de la lecture. Aller à la bibliothèque de l’école et chercher moi-même de nouveaux livres. Finir le devoir avant toute la classe afin d’être la première à pouvoir chercher un livre dans le panier de la maitresse. Me cacher dans le kiosque de bandes-dessinées et (les lire tous avant de payer), d’ailleurs j’étais une collectionneuse assidue de la bande-dessinée brésilienne « Monica ». Tant de personnages qui sont restés imprégnés dans mon imaginaire.
L’adolescence : certains classiques, mais pas tous !
On grandit avec les livres et les livres grandissent avec nous. Les histoires ont commencé à changer des aventures de Harry Potter aux romances pour les filles. Pour l’école, la lecture n’était pas pour le pur plaisir : on devrait les analyser, nous s’enrichir de culture, connaitre des auteurs, présenter un travail sur l’œuvre : rien de drôle. Je découvrais à part un autre monde, d’autres classiques qui me correspondaient comme Jane Austen. Après, d’autres classiques ont commencé à m’intéresser aussi et j’admirais l’écrivain, l’écriture et l’objet du livre. Je voulais vivre de lire : je devrais poursuivre des études littéraires.
Comment j’ai aimé un classique
J’étais prête à lire et étudier tous ces livres que l’université nous fait disséquer. Guimarães Rosa était un grand écrivain brésilien, auteur des œuvres très dures à comprendre (j’imagine que c’est une mission détruisante de les traduire dans une autre langue). Pourtant, il était admiré par tous mes professeurs de littérature et les personnes de mon entourage. La tâche de le lire était beaucoup trop pénible. J’ai essayé. J’ai vite détesté et j’ai annoncé mon dégout à tout le monde. J’étais presque fière d’être une des seules à ne pas aimer cet auteur. Mais… deux ans plus tard, dans un cours de contes, je suis tombé sur un conte de Rosa. Je n’y croyais pas, j’étais amoureuse de ce conte et après d’un autre. J’aimais Guimarães Rosa, et tout d’un coup je comprenais ce qu’il voulait dire. Je revenais aux contes et je contemplais une beauté que je n’en avais jamais lu dans la littérature. Primeiras estórias (« Premiers estoires ») étaient les premières à me faire voir la littérature d’une manière si singulière, régionale, universellement humaine. La lecture, littéraire ou non, est humaine, fenêtre de l’homme dans différents parcours.
Autobiographie n°3
J’ai appris à lire seule, avant de commencer l’école, vers l’âge de cinq ou six ans (on commençait l’école à sept ans en Suède à cette époque) et j’ai rapidement pris goût à la lecture. Pour mon dixième ou onzième anniversaire, mes parents m’ont offert les cinq tomes de La Belgariade de David Eddings. Avec les romans de l’écrivain suédoise Maria Gripe, ils font partis des livres qui m’ont le plus marqués dans mon enfance.
Jeune adolescente, j’ai continué à beaucoup lire, des livres jeunesse et des livres « faciles » pour adultes comme les romans policiers d’Agatha Christie.
Un moment important qui a marqué mon parcours de lecteur au milieu de mon adolescence est celui où ma mère m’a parlé d’un roman jeunesse qu’elle lisait dans le cadre de ses études dans une haute école pédagogique : Janne min vän, de Peter Pohl. Elle me racontait que sa professeure l’avait lu une trentaine de fois sans arrêter de faire de nouvelles découvertes. Je l’ai lu deux ou trois fois de suite, et grâce aux explications de ma mère, j’ai pu voir la complexité de la trame du livre, ce qui m’a enchantée et a renforcé mon intérêt pour la littérature.
De l’école secondaire et du gymnase, je me rappelle surtout des travaux d’écriture qui faisaient partie de l’enseignement littéraire. Souvent, les professeurs nous laissaient choisir librement nos lectures en nous demandant de faire des comptes rendus sous différentes formes, ce que j’aimais beaucoup, d’autant plus que nous étions encouragés à dire notre ressenti par rapport aux livres.
Ma passion pour la lecture s’est quelque peu affaiblie vers la fin de mon adolescence — je ne savais plus très bien quoi lire, j’avais perdu le goût pour les lectures ardues auxquelles je m’étais adonnée et ne voulais plus d’une littérature qui s’empare de mes émotions. Je n’avais plus envie d’être captivée par la lecture au point de ne pas pouvoir m’arrêter, à lire le souffle coupé des heures durant.
Je continuais à lire, mais plus autant qu’avant et sans éprouver le même plaisir. Je lisais des romans pour apprendre des langues, notamment le français, ce qui est la langue dans laquelle je lis le plus maintenant.
Pour terminer en me définissant en tant que lecteur aujourd’hui, je dirais :
- que toutes sortes de lectures m’intéressent dans le cadre universitaire, quand le texte est un objet d’étude,
- que j’aime lire quand la lecture est liée à l’écriture (des travaux de validation, mon mémoire, un atelier d’écriture que j’anime occasionnellement en tant que remplaçante),
- que dans le cadre privé, je ne trouve pas facilement des livres que j’ai du plaisir à lire (je lis quand même, c’est une activité sans laquelle ma vie ne semble pas entière)
- que je lis souvent pour mes enfants, essentiellement en suédois, la seule langue dans laquelle je suis à l’aise pour lire à voix haute
Autobiographie n°4
Lire, c’est quelque chose qui va de soi. Cette assertion n’est de loin pas applicable à tous les adultes, encore moins à tous les enfants. Pourtant, lorsque je me remémore le début de ma relation à la lecture, c’est cette évidence qui me vient à l’esprit.
Je pense aux livres pour enfant bien sûr – Le Petit Nicolas, Charlie et la chocolaterie, L’Arbre aux souhaits – mais aussi à ceux que je lisais avec ma mère : de Sans Famille aux Aventures de Tom Sawyer.
Je pense bien sûr aux bandes dessinées, dont les titres remplissent un pan de mur entier de notre maison, et que j’ai relu des dizaines de fois sans jamais m’en lasser : Tintin, Spirou & Fantasio et Gaston d’abord, puis Thorgal, Buck Danny, XIII, et bien d’autres.
Je pense ensuite à mes premières grandes lectures individuelles : comme beaucoup d’enfants de ma génération, la saga des Harry Potter. Un peu plus tard, la découverte d’un auteur en particulier, Stephen King.
Je pense, enfin, à mes premières lectures littéraires en-dehors des bancs de l’école. L’Assommoir de Zola, lecture scolaire d’été qui n’avait rien d’une torture, contrairement à ce que les autres élèves déploraient. Les Contemplations de Hugo, et mon admiration devant le lyrisme et la beauté de son écriture. Cyrano de Bergerac, de Rostand. Nana, enfin, achetée à la fin de mes études secondaires par intérêt pour le cycle des Rougon-Macquart. Jamais terminé, à cause du début de mon cursus universitaire.
La lecture n’est devenue quelque chose de complexe, un « brouillard de mots », que lorsqu’il a fallu vraiment l’étudier. Les cours me mettent face à ma propre ignorance du monde et de l’histoire littéraire : la porte ouverte sur cet univers de connaissances me donne le vertige, j’ai l’impression d’être au pied d’une montagne imposante dont dont le sommet se perd dans les nuages. Dès lors, les textes semblent se fermer : je me sens incapable de les comprendre. Comment apprécier dignement Hugo sans même connaître l’esthétique romantique qui guide son œuvre ? Quelle légitimité ai-je à aimer Zola, alors que je passe à côté de sa profonde réflexion naturaliste ? C’est face au dévoilement de leur complexité que les œuvres s’obscursissent. Et les connaissances que je continue d’acquérir ne me font que prendre plus profondément la mesure de toutes celles qui me manquent encore.
Je finis par acquérir mon premier diplôme. Ce n’est que dans l’intervalle entre mon Bachelor et mon Master que, pour la première fois depuis cinq ans, je lis un livre non plus pour le travail, mais pour moi. À l’arrivée de l’automne, je me résous à retomber dans le gouffre de mes lacunes littéraires. Cependant, la dynamique est différente. En parallèle aux habituels classiques, je commence à étudier des oeuvres qui ne me regardent pas depuis un panthéon inaccessible : science-fiction, fantastique, horreur. Le fait de se pencher sur un texte qui ne porte pas sur le front la trace de sa perfection, mais dont la place dans ce milieu est au contraire discutée, me permet une distanciation salutaire. Si l’université est pour moi comme une bibliothèque exponentielle, dans laquelle chaque livre lu dévoile un nouveau rayon, beaucoup de pages sont cependant encore à écrire. Le concept de littérature, et donc l’appréciation de n’importe quel livre, n’est pas quelque chose d’absolu. Tandis que les bandes dessinées et les histoires fantastiques que j’ai aimées pendant mon adolescence transcendent à mes yeux leur statut méprisé de para-littérature, je retrouve la naïveté de ma posture de lectrice enfant, combinée aux connaissances acquises en tant que lectrice académique. Et les œuvres littéraires, dénuées de leur immortalité, ne semblent plus aussi inaccessibles.
Autobiographie n°5
Mon enfance est composée de nombreux mais épars souvenirs de lecture. Cette dernière ne fut pas le centre de mes intérêts jusqu’à un âge avancé. Comme la majorité des petits garçons de l’école publique des quartiers populaires, mes après-midi se voyaient consacrés au football. Les journées de vacances, au contraire du jeune Proust[1], se composaient, comme activités chronophages, du temps passé devant les pixels d’un ordinateur ou d’un jeu vidéo. Toutefois, grâce à mes parents, la lecture ne fut jamais négligée et, heureusement, toujours considérée comme essentielle à mon éducation.
Ma mère nous emmenait donc, mon petit frère et moi, chaque mercredi, après l’école, à la bibliothèque municipale de Chaudron, dans un bâtiment à l’architecture froide qui exprime bien son époque mais dont l’étage consacré aux livres pour la jeunesse cachait une atmosphère unique. Plus que l’acte de lecture en lui-même, c’était le processus qui m’amenait à la découverte du livre que je préférais. Ainsi, pendant des heures nous étions libres de parcourir ce labyrinthe fait d’étagères immenses. Une fois la pile de livres formée, nous comparions nos résultats respectifs et commencions la lecture. Encore aujourd’hui je ressens un plaisir immense à me perdre dans une bibliothèque ; à passer un temps à feuilleter et lire des bribes de pages dans une librairie d’occasion. L’espace qui m’entoure reste une composante essentielle à mon plaisir de lire.
Cette expérience initiatique ne trouva qu’un faible écho dans les années qui suivirent, mais elle n’était pas morte pour autant. Disons qu’elle avait besoin, comme le bon vin, de plusieurs années de fermentation dans les caves pour atteindre son plein potentiel. Il m’arriva cependant de rencontrer certains chefs d’œuvres au cours de mon parcours scolaire, grâce notamment à des professeurs consciencieux et inusables dans leur vocation. L’exemple qui m’a le plus marqué est L’écume des jours de Boris Vian. L’humour décapant, ainsi que son imagination débordante et légère furent un émerveillement qui perça cette barrière presque imperméable entre monde adulte et domaine de l’enfance. Une invention comme le « Pianocktail » ne pouvait que m’attirer dans ce monde onirique, comme Alice à la poursuite du lapin blanc.
Avec du recul, je me rends compte de la force que possède la littérature pour évoquer des sujets extrêmement sensibles. Le texte de Boris Vian, avec des métaphores élaborées, offre des solutions d’une beauté magnifique. Encore maintenant je garde un souvenir indéfectible, porteur d’une étrange mélancolie, rien que de penser au nénuphar de Chloé et au jazz de Duke Ellington.
Plus tard, lors de ma 23ème année, ma vie bascula totalement dans la littérature. D’abord orienté dans une formation professionnelle, je me décidais à retourner sur les bancs d’école afin de réussir les examens préalables de l’Université de Lausanne. C’est à ce moment précis que je devins bibliophage. En l’espace d’une année, je dévorais l’ensemble du programme de la maturité : Rabelais, Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Hugo, Rimbaud et tant d’autres. Tous ceux que je considérais alors comme un fruit défendu et inaccessible, se transformèrent en pur plaisir exquis et contribuèrent à mon émancipation tardive. C’est pourquoi il m’apparaît judicieux de revenir sur les interrogations de Roland Barthes, à savoir si « la littérature ne peut être pour nous autre chose qu’un souvenir d’enfance ? »[2].
Toujours fort pertinente, cette observation doit être nuancée de nos jours. En effet, un nombre grandissant d’adultes, pour des raisons diverses, conditionnés par le parcours de leur vie, décident de reprendre le chemin de l’école. Les femmes au foyer, les immigrants, ou, comme moi-même, les personnes qui décident de réorienter leur parcours. Peu importe les causes, cette minorité n’a pas eu l’occasion d’étudier les grands classiques de la littérature française durant le lycée/gymnase. Au contraire, c’est à l’âge adulte que ce fait cet apprentissage, qui de ce fait change la nature du rapport envers la littérature.
A titre personnel, bien plus que de me préparer à l’Université, ces journées de lectures sont devenues mon quotidien permanent. Elles me relient aussi bien à mon passé, qu’elles me permettent de profiter du moment présent et, je l’espère, d’anticiper l’avenir.
[1] Marcel Proust, « Journées de lecture », in Pastiches et mélanges, L’imaginaire No 285, p.14
[2] Roland Barthes, « Réflexions sur un manuel », in Œuvres complètes III, 1968–1971, Paris, Seuil, p.945
Autobiographie n°6
J’ai appris à lire tôt. Dès que j’eus compris que les lettres s’accolaient pour former des mots, je pris un malin plaisir à déchiffrer tout ce qui s’offrait à mes yeux : les affiches dans la rue, les panneaux de signalisation, les publicités dans le bus, les boîtes de céréales du petit-déjeuner, etc… tout y passait. Cette quasi obsession pour la lecture rendait mes parents fiers, mais me valut parfois le blâme, comme en école enfantine lorsque je préférais rester caché dans la petite bibliothèque du fond de la classe plutôt que de sortir jouer avec mes camarades durant la récréation.
Pourtant cet appétit pour la lecture diminua considérablement les années qui suivirent. Quelques bons souvenirs de lecture subsistent comme le Petit Nicolas ou des BDs, comme Tintin ou Corto Maltese, que je consultais chez ma maman de jour parfois sans y comprendre grand-chose. Jusqu’à mes 12 ans environ, c’est essentiellement durant les vacances que je renouais avec la lecture en éprouvant un certain plaisir. Comme lorsque je découvris cette série de livres pleins de suspense racontant l’histoire d’un jeune scribe, Garin Trousseboeuf, pérégrinant d’aventures en aventures dans le Bas Moyen Âge. D’où peut-être mon intérêt actuel pour l’histoire et plus particulièrement pour la période médiévale, qui sait ? Ce fut aussi l’occasion de découvrir, lors d’un séjour à Marseille en famille, alors que je voulais tuer l’ennui mais que je n’avais pas auparavant prévu de livres, les lectures de ma mère : la trilogie Marius, Fanny, César de Pagnol. Leur lecture me parut si simple et si prenante, le déchirement vécu par Marius et Fanny si réel, que lorsque je rentrai en Suisse, je demandai à ma mère quelques livres supplémentaires du même auteur et m’attaquai aux Souvenirs d’enfance.
Puis vinrent les dernières années d’école obligatoire durant lesquelles je voyais la lecture comme une activité scolaire, un devoir, parfois intéressant mais souvent pénible. Quels mauvais souvenirs je garde de la lecture de Vipère au poing d’Hervé Bazin… Dès que nous eûmes fini de l’étudier, ni une ni deux je le déchirai comme pour être certain de ne pas avoir à m’infliger une seconde lecture. Puis, il y eut le volumineux Germinal et les longues après-midis à noter les personnages et les résumés de chapitre dans lesquels il ne se passait rien à mes yeux. Mais ce fut aussi la découverte des jeux de mots et de l’écriture très imagée de Boris Vian à travers l’Ecume des jours, qui me plut beaucoup.
Plus tard au gymnase, je ressentis le même ennui qu’en lisant Germinal lorsque nous nous attaquâmes au début de La Recherche du temps perdu, qui me valut de m’endormir plusieurs fois en plein « devoir ». Toutefois, le gymnase m’ouvrit les yeux sur la lecture, m’apprenant qu’elle pouvait être à la fois ludique et enrichissante, qu’on pouvait rire à gorge déployée en lisant des livres comme Gargantua ou Jacques le fataliste. Ce fut aussi la découverte qu’un livre qui semblait plat à la première lecture pouvait se révéler génialissime après une seconde lecture analytique, comme ce fut le cas avec l’initiation à Perec que nous donna notre professeur en nous faisant lire Les choses. J’idolâtrais mon professeur dont l’intelligence, le sens de l’analyse littéraire mais aussi des faits sociaux me fascinait. C’est vrai qu’il avait un certain don pour utiliser les livres comme support de débat, actualisant les conflits intérieurs des personnages de Molière ou de Racine, questionnant notre morale et nos valeurs à travers ceux de Madame Bovary, sortant bien souvent des considérations purement esthétiques de la littérature.
Les mois qui suivirent le gymnase me firent découvrir que la lecture me manquait. Jamais je n’ai autant lu que lorsque je n’en eus plus l’obligation. Ce fut l’occasion de découvrir, en discutant avec des amis, des nouveaux horizons de lecture comme les nouvelles « trash » de Bukowski — mais aussi sa poésie –, des classiques qui ont laissé leurs traces dans le cinéma et la musique comme Voyage au bout de la nuit, des écrivains contemporains médiatiques comme Houellebecq, etc… Tout ça fit naître en moi la volonté d’en faire mes études, arrivant naïvement à l’université avec une image sacralisée de l’écrivain, détenteur de vérités qu’il exprimerait en filigrane dans ses œuvres, et avec la volonté de lire un maximum pour mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons.
L’université ça a été la découverte qu’avant l’auteur il y a le texte. Que celui-ci s’inscrit dans une histoire littéraire qui puise (enfin !) son matériau dans des travaux résultant de différentes approches du texte. Du point de vue des lectures, ça a été l’occasion de m’attaquer à certains textes que je n’aurais probablement jamais lus en dehors de ce cadre : des classiques comme Montaigne, des textes plus philosophiques comme Le Discours sur les fondements et l’origine de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau ou La lettre sur les aveugles de Diderot, mais aussi la découverte de textes méconnus et peu travaillés comme Le Cycle des Aléracs de Monique Saint-Hélier.
Si mes études influent parfois sur mes lectures de loisir, me poussant à lire tel classique, j’ai plutôt tendance à choisir des auteurs du XXe et XXIe siècles, essentiellement des romans, parfois des essais philosophiques, des romans historiques ou du théâtre, très rarement de la poésie et des polars. La frontière entre la lecture pour le plaisir et la lecture d’apprentissage n’est, pour moi, pas totalement imperméable. En dehors de mes lectures de cours, je lis le plus souvent des romans simples, un Chessex par exemple, pour m’évader. Mais je m’impose parfois aussi la lecture d’ouvrages plus abruptes comme Surveiller et punir de Foucault. Mes lectures dépendent de mon humeur du moment, bien qu’une fois un livre commencé, je m’interdis d’en entamer un autre sauf s’il s’agit de combiner une lecture légère et une lecture plus sérieuse. Et bien que je sois ouvert aux nouveautés, si j’apprécie un auteur, je m’y cramponne, épuisant volontiers ses écrits plutôt que de passer à ceux d’un autre. Mes choix se portant le plus souvent sur des auteurs connus, à quelques exceptions près.
Autobiographie n°7
Pourquoi lire ? Pour le plaisir ou pour souffrir ? Par choix ou par obligation ? Comme nécessité vitale ou comme éventualité mortelle ? Ces idées se côtoient, se bousculent et se déstructurent à l’aube d’une biographie en construction. En effet, lectrice je suis, considérant que toute lecture contient des aspects paradoxaux et antithétiques, créant l’expérience de lecture, en soi. Parler d’une lecture intégralement horrible ou totalement plaisante n’a, pour moi, aucun sens : régulé par un processus intentionnel cognitif et affectif, l’acte de lecture est un phénomène en évolution, comprenant différentes phases s’enchaînant dans l’espace et dans le temps, en tant que lecture composée d’une multitude de segments textuels, en tant que lecture cumulant des (re)lectures et, surtout, en tant que lecture en interaction constante avec la rencontre d’autres lecteurs, avis et perspectives.
Une lecture m’est tout d’abord rarement linéaire. En lisant, j’oscille, la plupart du temps, entre états plaisants et états déplaisants : ennui, enthousiasme, énervement, délectation, extase et sensation de vide se tutoient au sein de nombreux actes de lecture. Dans Au bonheur des dames d’E. Zola, l’exposition de l’opposition entre petit et grand magasins produit une joie intense quant au projet de l’auteur qui se réalise ; mais cet étalage dichotomique est parfois peint de manière si outrancière, qu’il m’exaspère au plus haut point. Un amour de Swann de M. Proust provoque aussi cette ambivalence, d’autant plus accentuée par les magistrales parties qu’il contient. Ce joyau a en effet pu « ouvrir mon âme au plus haut point », par l’idéalisation, la cristallisation et la désillusion de l’amour qu’il fige, notamment lors des passages de la sonate de Vinteuil ou ceux dépeignant les forces de l’imagination. Certaines descriptions du microcosme bourgeois induisent, au contraire, moins de plaisir, un léger désintérêt même, parfois…
Oscillant entre instants plaisants et déplaisants, ma lecture se transforme aussi selon les (re)lectures. C’est notamment le cas des textes de Kane, Brontë, Hikmet, Boileau, Lamartine et, surtout, Mallarmé. En effet, j’ai trouvé le projet mallarméen absurde au départ, puis prodigieux par la suite. Au fil des lectures, de l’avancement d’un séminaire, de l’intervention de multiples acteurs (professeur, élèves, critiques), je suis passée de la détestation de textes abscons à l’admiration d’une œuvre majestueuse. Au sein de celle-ci, le didactique Coup de dés m’a alors aidé à comprendre le projet, puis m’a paru moins savoureux par la suite ; les poèmes versifiés m’ont toujours semblés sublimes, mais ont gagné en force par des redécouvertes incessantes ; certains fragments se sont révélés comme de véritables chefs‑d’œuvres, à l’instar des poèmes en prose des Divagations…
De plus, de manière souhaitée ou subie, les lectures d’autrui envahissent, amplifient, atténuent mes propres lectures : loin d’être isolée et rapportée à mon unique moi, ma lecture est collective, par définition. Ainsi, j’ai détesté écouter mon professeur traiter, froidement, d’Un amour de Swann, alors que j’avais passionnément aimé le lire de mon côté ; j’ai aimé entendre ce même professeur parler de l’Education sentimentale, alors que je n’avais même pas réussi à le finir, par ennui profond. Ecouter ma mère me conter Le Petit Prince s’est érigé comme l’un de mes plus beaux souvenirs d’enfance ; le lire seule me rebuterait facilement. Pessoa me fascine aujourd’hui, après en avoir discuté avec une fidèle amie. J’ai davantage aimé l’Homme seul d’Aragon chanté en turc par Zülfü Livaneli que lors de ma lecture postérieure en français. Que dire, également, des adaptations d’Il n’y a pas d’amour heureux par G. Brassens, F. Hardy ou Y. Ndour, qui influencent toujours ma lecture du troublant poème d’Aragon.
Analogiquement, Au Château d’Argol de J. Gracq ne m’avait pas plu lors de la présentation d’un enseignant ; j’ai follement aimé le lire et le relire pour un examen ; j’ai d’autant plus aimé en discuter, plus tard, avec ce même professeur. La lecture du Roman comique de Scarron m’a été au départ épouvantable, puis j’ai eu beaucoup de plaisir à tenter de le rendre drôle lors d’un exposé oral. L’univers de la poésie turque me passionne, mais m’enthousiasme encore plus lorsque j’en parle avec des personnes ne la connaissant absolument pas…
Que dire, donc, de mon parcours de lectrice ? Il est divers, tout d’abord, par les dissemblables textes qui ont croisé ma route ; il est mouvementé, ensuite, par les incessantes transformations qui s’y sont produites ; il est intense, finalement, par l’infinité de ressentis, de forces, de dynamiques qui s’y croisent. Entremêlé de plaisir et de souffrance, de choix et de contraintes, de nécessités vitales ou d’efforts mortels, mon itinéraire de lecture se déploie, ainsi, comme expérience intime, à la fois individuelle et collective. Il me plaît alors de croire que la lecture est un lieu vertigineux, formé d’entrechoquements puis, finalement, d’unions…
Autobiographie n°8
Lire a toujours été — sauf lors de rares occasions que je préciserai — une activité difficile pour ne
pas dire pénible. J’ai d’ailleurs appris à (bien) lire tard, seulement en troisième primaire. A l’époque, les
devoirs de lecture étaient un calvaire : je me souviens lisant, avec ma mère agacée, quelques lignes de
littérature (que je sais maintenant être qualifiée avec le substantif « jeunesse ») ; je me souviens d’une
grande confusion, j’avais en effet la fâcheuse tendance à ne lire que le début des mots, ou des phrases,
pour en inventer la suite. Je me suis parfois demandé ce qui avait pu expliquer cette tardiveté dans
l’apprentissage. Peut-être avais-je été par contraste plus (voire trop) rapide dans l’investissement de la
parole, et ainsi, ayant toujours trouvé des interlocuteurs (dans une famille où l’on parlait beaucoup, et
ce, avec une forme d’exclusivité vis-à-vis des adultes dans mes premières années due à mon statut
d’ainé) toute mes interrogations portant sur le monde trouvaient des réponses qui faisaient l’économie
d’une recherche individuelle au moyen de la lecture.
Mais le déclic s’opéra en troisième primaire ; notre maitresse d’école nous avait lu en classe le
premier tome d’Harry Potter, et ce fut par la suite, porté par cet élan oral (encore), le premier livre que
je (re)lus dans son entièreté très rapidement. Plus tard, je dévorai bon nombre de romans policiers, que
j’avais d’ailleurs tendance à relire. Cependant très vite, s’est mis en place un rapport aux livres assez
binaire et très sélectif : soit je les lisais de manière très condensée et compulsive avec un plaisir intense
pendant une période courte, soit je ne dépassais pas les premières cinquante pages, et m’arrêtai1. La
plupart des livres subissaient ce sort. Dans l’ensemble, je garderai toujours (et aujourd’hui plus que
jamais) cette impression d’un effort pénible pour rentrer dans un univers romanesque ; une impatience
qui m’aura fait lâcher beaucoup de livres de fiction, concurrencée d’ailleurs depuis par la facilité d’accès,
d’immersion, à d’autres médiums comme les films. Impression qui m’aura aussi maintenu dans l’idée
que je lis peu.
De fait, je lisais avec bien plus d’assiduité des revues et autres encyclopédies portant sur les
sciences : l’astronomie d’abord, puis plus généralement la physique ensuite. C’est assez naturellement
d’ailleurs que je m’orientai dans des voies scientifiques depuis l’école secondaire — jusqu’à une première
année à l’EPFL volontairement interrompue — et ce malgré tous les signaux plus ou moins contrariants
(avec une intensité que j’aurai finalement intégré) d’une école et de professeurs qui m’avaient toujours
plutôt vu dans des filières littéraires. Rétrospectivement, je me rends compte que si l’objet avait toujours
porté sur les sciences (sur quelque chose que l’on pourrait qualifier très grossièrement de référentiel)
bien plus que sur la littérature, mon regard avait effectivement toujours été plutôt conceptuel,
problématique, (pour ne pas dire sans anachronisme autobiographique, « philosophique ») et non pas
formaliste — d’où par ailleurs, une résistance dans l’apprentissage des langues étrangères, de la technique
mathématique, mais aussi dans mes premières années, de la lecture et de l’écriture en français. Le signifié (ou le concept) aura toujours été prééminent et investi en décalage par rapport au signifiant, aux
règles contraignantes du code, si l’on peut dire.
Tout ceci n’a pas changé lors de mes études en Lettres. Je lis de la littérature de manière
parcimonieuse, discontinue, papillonnante et toujours lorsque je suis contraint par 2 mon travail (c’est-àdire
rarement). Je ne suis pas sûr d’avoir terminé la lecture d’un livre en entier lorsque je n’y étais pas
obligé, et n’y est-on jamais obligé ? Les aléas du quotidien me semblent ainsi faits qu’il y a toujours
quelque chose qui interrompt la longue plage de solitude et de concentration qu’il faudrait pour être en
mesure de lire vraiment, sans être distrait. Ce quelque chose est exogène, mais pas seulement ; le mot a
été écrit : « solitude ». Le livre m’a toujours paru, il me semble, au fond, comme le lieu d’un
enfermement, d’une solitude qui comme telle, ne répond pas, ne dialogue pas. A l’inverse des
discussions orales qui se font réellement à plusieurs, le livre ne ne me semble pas comme tel, en tant
que tel, être un lieu de partage — comment en effet parler de ses lectures avec des personnes qui n’ont
jamais lu le même livre ? Et plus grave, comment dialoguer avec une masse textuelle qui ne s’interrompt
pas dans son monologue ? Ma solution est simple : j’interromps ma lecture, et je ne lis qu’en vue de la
production d’un discours — chose commode lorsque l’on étudie la littérature de manière académique. Je
ne lis jamais de la littérature pour elle-même, mais toujours dans une forme d’instrumentalisation qui
me permet de parler après elle ; seul moyen de lutter contre son intransitivité : ne pas la respecter comme
un corps signifiant en soi, qui aurait une valeur en lui-même.
Certainement que cette conception de la littérature aura été renforcée par un enseignement
littéraire lui-même situé dans une crise. Jamais je n’aurai rencontré quelqu’un susceptible vraiment de
me faire goûter le plaisir esthétique en lui-même — ce qui me fait douter de sa transmissibilité -, mais
toujours la littérature aura servi de moyen pour une réflexion autre (et apparemment en cela, j’y prenais
goût et y trouvais reconnaissance); c’est semble-t-il sur ces bases que se construit l’enseignement du
littéraire aujourd’hui. Certes, chaque fois que l’on m’a obligé à lire un livre, j’en ai toujours retiré un
plaisir énorme, mais il y avait toujours à mon sens un effet d’après coup, de secondarité — puisque
l’entrée était difficile et l’origine une obligation. Voilà pour l’amont.
Mais en aval, ce plaisir généralement sans mots, s’est toujours retrouvé ressaisi à l’aulne d’autre chose que de lui-même, à savoir par un discours critique. Avec le temps donc, j’ai identifié (ou appris à superposer) le plaisir issu de la littérature au discours que je pouvais créer à partir d’elle ; le plaisir pur en lui-même étant toujours indicible et évanescent, c’est-à-dire à la longue inexistant. M’appliquer à le faire durer le temps d’une
lecture m’a toujours semblé théâtral et faux. Par exemple, lisant Mallarmé auquel je ne comprends rien
(je le lisais d’ailleurs pour une raison là aussi extérieure — son intérêt soi-disant « philosophique », sa
réputation hermétique, etc.), et donc duquel je ne pouvais extraire aucun discours, j’ai parfois tenté de
me convaincre de manière incantatoire par des « c’est beau » ou des « c’est vrai qu’il y a quelque
chose… », ou en essayant de relire de manière très profonde et inspirée (au sens propre comme au sens
figuré), parfois oralement — parce qu’il parait que lire oralement amène quelque chose de plus -, certains
poèmes ( « A la nuit accablante tu », « sonnet en ‑yx », etc. ) ; mais toujours avec ce sentiment de faire
semblant, d’adopter une posture d’esthète caricatural, sans conviction.
Finalement, dans cette optique, j’essaie en ce moment de trouver un moyen d’écrire un mémoire
à propos de la littérature (ou, serait-il plus juste de dire, au sein d’une institution académique traitant de
la littérature et de la littérature dite « française ») — ou quelque chose d’apparenté — mais sans en lire. Pari
risqué, peut-être intenable que je colmate et diffère grâce à la théorie (ou la critique). Jusqu’à quand
vais-je encore pouvoir tricher ? Autre forme de jeu.
Autobiographie n°9
La lecture a, depuis toujours, fait partie de ma vie. Elle me permet de découvrir le monde, de me découvrir aussi. Elle ouvre les possibles, au fil des lectures que je fais, allant de la littérature française, à la philosophie, passant par l’art et la psychologie pour ne citer que les domaines prépondérants. C’est un voyage personnel à travers l’histoire, mes émotions, mes envies, ma curiosité. Plus généralement, j’établis une correspondance entre mes expériences et l’expérience de la fiction romanesque. Ce sont deux imaginaires que je combine.
A l’âge de 13 ans à l’école, Aline de C.-F. Ramuz, m’a littéralement captivée ; c’est première fois de ma vie que je ressentais autant d’émotion en lisant un roman ; j’avais d’ailleurs tamisé la lumière afin de mieux ressentir ma lecture. Je n’avais pas encore conscience que les relations humaines m’intriguaient et, ce fut le début de mes lectures romanesques ; Boule de Suif et Bel-Ami ont suivi de près cette première découverte.
J’apprécie m’offrir ces moments d’intimité souvent dans des endroits calmes ; chez moi au salon, parfois dans des bars cosy à l’atmosphère chaleureuse et peu bruyante.
J’ai petit-à-petit développé un intérêt prononcé pour le monde du théâtre comique, qui est, à mon sens, un véritable miroir de la vie. Je relis régulièrement les pièces de Molière qui, au fil des années, m’accompagnent dans mes réflexions psychologiques et mes réflexions sur la retranscription scénique des textes de théâtre. Plus largement, j’apprécie les lectures dans lesquelles je retrouve des notes humoristiques, tantôt grinçantes tantôt exagérées tendant vers le grotesque. J’ai besoin que le texte me fasse ressentir quelque chose, parfois qu’il me bouleverse. À ce propos, la lecture qui m’a définitivement tournée dans le monde littéraire est celle des Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos. Une véritable révélation ! Au-delà d’avoir apprécié la forme épistolière, j’admirais l’auteur d’avoir élaboré et imbriqué si méticuleusement les stratégies amoureuses de son temps. J’étais impressionnée par les caractères fouillés de la Marquise de Merteuil et du Vicomte de Valmont et, appréciais particulièrement l’écriture – quel style ! C’est un livre que j’ai relu de nombreuses fois, étant toujours autant fascinée par les ruses et toujours immergée dans une représentation visuelle mentale très forte.
Plus globalement, je me définirais comme une lectrice curieuse, cherchant à aller à la rencontre constamment de nouvelles lectures, je suis tant intéressée par le théâtre absurde – ma dernière lecture à ce propos est Au bord de l’eau de Yves Hunstad et Eve Bontanfi, texte qui raconte le processus d’écriture d’un texte théâtral et de sa possible mise en scène –, que par les romans de Barjavel, par la science-fiction de William Gibson passant par le style de Fred Vargas au travers des enquêtes du commissaire Adamsberg.
Je constate que mes lectures épousent régulièrement mes états d’esprit et sont rythmées par mon emploi du temps. J’essaie de garder un équilibre entre mes lectures personnelles et mes lectures universitaires.
Autobiographie n°10
Je peux me désigner de la manière générale la personne passionnée de lecture car c’est l’activité laquelle j’aime beaucoup depuis mon enfance. Il s’agit d’intérêt profond et de plaisir en même temps. C’est en même temps une partie du processus obligatoire pendant mes études et cela se prolonge comme une des activités principales de mes losirs avec des lectures de mon choix. C’est donc l’activité qui joue le rôle très important dans ma vie.
Mes habitudes de lecture variaient pendant les périodes différentes de mon développement. Dans mon enfance je préférais toujours la lecture pour plaisir, généralement des contes où il y avait une intrigue, une description de plusieurs actions dans un contexte irréel et magique. Depuis mon adolescence j’ai commencé à m’intéresser par la littérature sérieuse, adulte, surtout par la littérature perçue comme ‘’bonne’’, classique. J’étais intéressée par la littérature écrite en ma langue maternelle et par la littérature étrangère laquelle je pouvais encore lire en traduction seulement. C’était le temps du mélange de deux types de lecture. D’une part, la lecture me donnait du plaisir comme toujours, mais cette fois c’était le plaisir plus sophistiqué, donné pas seulement par l’intérêt de l’intrigue et de l’action, mais aussi par la forme des oeuvres, le style des auteurs. J’approfondais ma compréhension d’instruments stylistiques littéraires par les cours de la littérature au gymnase desquels j’avais toujours beaucoup d’intérêt et par des recherches individuelles.
A part le plaisir, je pratiquais la lecture analytique car dans ma vie intérieure d’adolescente il y avait beaucoup de questions sur le monde qui m’entourait, notamment des questions de la religion, de la philosophie, du sens de la vie, du développement du monde dans des domaines divers et dans des époques différentes. Je lisais la littérature de genres différents comme des romans, soit fantastiques, soit réalistes ou de la poésie qui me donnait du plaisir esthétique et des réflexions. J’avais l’intérêt de la littérature des époques différentes : des classiques de XVIII-XIX siècles étant plus jeune et la littérature moderniste et postmoderniste comme par exemple, Franz Kafka, James Joyce ou Umberto Eco étant plus adulte, mais avant 20 ans. J’ai même l’impression que mes lectures différentes ont marqué mon développement ou juste coïncidaient avec lui : étant plus jeune j’étais intéressée par des lectures plus romantiques et plus ‘’classiques’’ comme par exemple, des pièces de William Shakespeare ou la littérature jusqu’au XX siècle et quand je suis devenue plus adulte j’ai commencé à avoir plus d’intérêt de la littérature plus moderne : sophistiquée moderniste ou ironique et ambiguë postmoderniste.
Maintenant j’ai assez de connaissances générales de la littérature des époques différentes et je juste approfondie mes lectures dans les domaines desquels je suis intéressée : soit dans la lecture des romans ou des poésies d’une époque particulière, soit dans la lecture philosophique, religieuse ou par exemple, de l’histoire de l’art. Maintenant, malheureusement, j’ai moins de temps pour lire la littérature de mon choix à part des situations par exemple, quand j’ai le droit de choisir des sujets de mes travaux à l’université moi-même. Des lectures obligatoires peuvent donc parfois avoir un effet négatif sur l’intérêt et la motivation de lecture.
Mes habitudes de lecture ont été formées dans le milieu de ma famille où cette activité a été appréciée et valorisée. Ma grand-mère était enseignante à l’institut pédagogique et elle a commencé à lire des livres avec moi ou me demandait de lire certaines choses. Au début, je n’avais pas assez de motivation dans les cas où j’étais forcé à lire, mais cela avait un effet positif plus tard quand j’ai commencé à lire moi-même pour plaisir avec des capacités de lecture déjà acquis. Mon père a influencé mes habitudes aussi plus tard : étant une personne bien éduquée, intelligente, intéressée par plusieurs choses et domaines de savoirs, il est devenu pour moi l’interlocuteur très intéressant et aussi pour la discussion et le partage des oeuvres littéraires. À l’école et à l’université j’étais toujours intéressée par les cours de la littérature : pendant ces cours des nombreux auteurs étaient proposés et présentés et je pouvais aussi choisir ceux qui m’intéressaient pour mes lectures personnelles. Ces cours étaient donc intéressants pour moi et utiles surtout quand ils étaient enseignés, presque toujours, par les personnes passionnées par la littérature.
Je choisissais dans la majorité des cas des livres qui avaient la bonne reputation, souvent la grande littérature. C’est la raison pourquoi presque toutes mes lectures m’impressionnaient beaucoup et il est difficile à dire, lesquelles le plus. Dans mon enfance j’ai lu Le Seigneur des Anneaux par Tolkien et c’était mon livre préféré pendant la periode assez longue. Il n’a pas seulement m’a donné les idéales moraux vers lesquels je voulais m’orienter, mais aussi de la patience et des capacités de la lecture longue. Après cela, j’ai commencé à lire des livres classiques plus adultes. L’auteur qui m’a impressionné aussi beaucoup était Mikhaïl Boulgakov, son roman Le maître et Marguerite reste encore mon livre préféré avec un de ses sujet principaux : comment garder l’âme et rester humain dans le monde ambiguë où le mal domine souvent. J’étais impressionnée aussi par la forme complexe de cette oeuvre qui contient plusieurs niveaux et qui est une fusion de formes et de canons littéraires différents, même de formes des littératures européennes diverses. Ces deux livres m’ont impressionné beaucoup dans les moments différents de ma vie, mais je suis intéressée généralement de tous mes lectures à part certaines lectures obligées.
Autobiographie n°11
La lecture a, pour moi, quelque chose de très personnel. J’ai toujours aimé lire seule, isolée, dans un lieu calme et confortable. La lecture est d’abord une échappatoire, un moyen de s’évader dans un autre monde, une autre époque, une autre vie. La lecture est liée aux souvenirs d’enfance et aux souvenirs de vacances. Comme je lis principalement durant les vacances, mes lectures sont imprégnées de mes voyages, et mes voyages sont eux aussi teintés de mes lectures. Je me revois en train de lire Anna Karénine autour de la piscine en Grèce, The Great Gatsby à l’abri du déluge dans le Maine, The Beautiful and Damned dans un hamac à Washington. Je me souviens avoir découvert Game of Thrones lors d’une escale à Londres, et de ramener ses suites de New York. La lecture, c’est aussi la matérialité du livre, son odeur, sa texture. Mes livres, je ne peux les abandonner. Alors ils m’entourent dans ma chambre, ils s’entassent et se côtoient.
Le goût pour la lecture m’a été transmis par mon père, qui a commencé à me lire les premiers tomes de Harry Potter, le soir, avant d’aller dormir. Fascinée par ce monde imaginaire, je ne perdais pas un mot de ce qu’il lisait, et le réprimandais lorsqu’il s’endormait en lisant. Je ne voulais pas qu’il s’arrête. Je voulais absolument savoir la suite. Alors, j’ai décidé de commencer à lire la suite moi-même et n’est plus arrêté. La littérature, essentiellement anglophone, m’est parvenue par le biais de traductions de littérature principalement fantastique ou dystopique. Dès que j’ai eu le niveau de langue nécessaire, je me suis mise à lire en langue originale des livres de tout genre littéraire. Le peu de lecture francophone que je consomme est constitué essentiellement de classiques du XIXe que j’ai toujours appréciés, bien avant de les avoir étudié, ou devrais-je dire « malgré » le fait que j’ai dû les étudier.
J’ai toujours fait une séparation entre lecture personnelle, associée au divertissement et au plaisir de la lecture, et lecture scolaire-académique, qui tend à être une source de stress et un sentiment de « corvée ». D’une nature assez méditative, j’aime prendre le temps d’apprécier ce que je lis. Etant donné que je lis lentement, j’ai toujours ressenti du stress vis-à-vis de mes lectures scolaires et la cadence académique n’a en rien amélioré ceci. Depuis le début de mes études supérieures, je lis beaucoup moins pour le plaisir. Arrivée aux vacances, je me sens « fatiguée » de la lecture et j’ai besoin de me ressourcer avant d’entamer une lecture personnelle. L’état d’esprit de la section de français que je trouve plutôt froide et élitiste a aussi contribué à mon appréhension de la littérature française et son enseignement. A l’inverse, la section d’anglais m’a toujours parue plus accueillante et qui tient compte de la personne de l’étudiant.
Ma première grande découverte littéraire fut celle de J.K. Rowling, mais de nombreuses autres ont suivi. Notamment celles de F. Scott Fitzgerald, Edgar Allan Poe ou encore de Jane Austen. Je citerai trois autres rencontres notoires dans le milieu scolaire et académique. La première fut celle de l’auteur Aude Seigne, que j’ai rencontrée dans le cadre du prix littéraire Le Roman des romands. Rencontrer une jeune écrivain qui écrit à propos de ses voyages m’a beaucoup inspiré. Le cours sur Les Misérables de Hugo, que j’aimais déjà, me fit admirer encore plus le génie de cet auteur. Enfin, c’est la découverte de l’œuvre de Margaret Atwood qui me marqua le plus. Cette auteur, à l’esprit fantasque, m’a convaincue de poursuivre mes études dans le domaine de la dystopie.
Autobiographie n°12
Sandra B. vous a ajoutée à la conversation « Apéro(s) Bookaholic »
Je suis repérée. Mes modestes partages de coups de cœur et de gueule littéraires sur Facebook ont fait mouche : cette « amie » (c’est-à-dire à peine une connaissance) m’a trouvée suffisamment crédible pour m’inviter à rejoindre son petit groupe de lectrices amatrices d’Aperol Spritz.
Je suis flattée. Excitée. Et inquiète. Moi qui ai toujours considérer l’acte de lecture comme un plaisir solitaire, condition sine qua none à mon immersion dans le récit ; moi qui n’ai jamais eu l’occasion de mettre en discussion mes choix et mes goûts éclectiques ; moi dont la consommation littéraire varie du simple au décuple selon les mois, les humeurs, les contraintes, j’allais partir à la rencontre de ces addictes du bouquin, de ces boulimiques du roman et, tel un nouveau membre d’un groupe d’AA, j’allais devoir dévoiler mes moindres petits travers littéraires, sous le regard bienveillant et compatissant de mes nouvelles compagnonnes.
Pour cette première rencontre, je devais apporter mes récents coups de cœur, à l’instar des autres membres qui convoquent à tout bout de champs de termes comme « actualité », « rentrée littéraire » ou « sérialités ». Premier réflexe donc, je vérifie mes dernières acquisitions (oui, je garde tous mes tickets, mon mari est comptable) :
- Courtin Thierry, Tchoupi va sur pot, Nathan, 2017. Bon. Pas sûre qu’on va l’emporter celui-là (bien que le suspens y soit insoutenable et que c’est bel et bien le livre que j’ai le plus lu cette année…). Premier travers : depuis quelques mois (32 pour être exacte), ma bibliothèque est comme parasitée par des collections colorées, cartonnées et à visée strictement pédagogique. Elles s’appellent Lisa et Pauline, et je veux leur donner le goût des livres.
- Deuxième achat, Homère, L’Odyssée, Belin/Gallimard, coll. Classicocollège, 2016. Une fois encore, pertinence zéro. Ou alors je prends le risque de passer pour l’helléniste de service en priant pour qu’on ne me pose pas de question. Car je ne connais strictement rien à Homère et c’est justement pour cela que j’ai acquis cette courte et légère édition façon Reader Digest afin de préparer la lecture suivie du Ulysse from Bagdad d’Eric-Emmanuel Schmitt avec ma classe de français. Deuxième travers : mon (récent) statut d’enseignante m’oblige à lire utile.
En revanche, j’ai là enfin ma première idée d’ouvrage à partager : un Eric-Emmanuel Schmitt, un écrivain que j’ai longtemps snobé en raison d’une aversion spontanée et générale pour les best sellers. Or, lors d’un séjour dans un chalet de location, la lecture accidentelle de La Femme au Miroir (seul ouvrage français de mes hôtes, hors livres de cuisine) m’a menée à libérer une place conséquente pour l’écrivain dans ma bibliothèque. Troisième travers : quand j’aime un écrivain, je lis (presque) tout de lui/elle.
Le reste du ticket étant noirci d’ouvrages purement scolaires sans aucun intérêt littéraire (Le Petit Grevisse – Grammaire française, SOS rédaction – 40 fiches pour apprendre à rédiger ou encore Le participe passé facile, palpitant n’est-ce pas ?), je me tourne vers ma fidèle BILLY© et me demande à nouveau : quelle lectrice suis-je ? Je ferme alors les yeux, active ma respiration ventrale et fais le vide. Exit les complexes, la frime, la pudeur, les critères académiques, la mode, l’envie de plaire ou d’être intégrée. Je sors pêle-mêle tous mes amants érudits, réguliers ou de passage et ma pile ainsi faite dépasse bientôt le dossier du canapé… Une tour de livres inébranlable car reposant sur un fond de « pavés » solide : Hugo et ses Misérables, Tolkien et son Seigneur des Anneaux, Shantaram de Gregory David Roberts, les romans graphiques de Bocquet et Catel et le plus important à mes yeux, Le Comte de Monte Cristo de Dumas, un pavé de 1280 pages qui m’accompagne depuis l’adolescence.
Sur ces robustes fondations (purement physiques, aucunement esthétiques) ont pu venir se poser des formats plus légers : un Amélie Nothomb (Peplum s’il ne fallait en choisir qu’un), Le Soleil des Scorta de Gaudé, offert par un être cher et qui provoqua un tsunami émotionnel dans ma carrière de lectrice, L’Oeuvre de Zola et Salammbô de Flaubert, les deux lectures scolaires qui ont façonné ma sensibilité aux classiques (et accessoirement convaincue d’entrer à l’université), Légère et court vêtue d’Antoine Jaquet (enfin un peu d’actualité !), rencontre récente et puissante avec un écrivain talentueux et concitoyen, Au revoir là-haut de Pierre Lemaître (tient, encore un Goncourt…), du théâtre avec Camus et son exceptionnel Caligula, meilleur souvenir de Bachelor, et ainsi de suite…
Voilà. Le salon est en pagaille. Ma tour ne contient presque rien de récent (est-ce un travers ?) car ces derniers temps, mes préoccupations ont changé. Et ces préoccupations sont précisément en train de démanteler mon joli édifice. L’une s’appelle Lisa, l’autre s’appelle Pauline. La première feuillette les ouvrages, l’autre, pour l’instant, se contente de les mordiller. Toutes deux ont la permission de toucher même le plus précieux de mes livres car la lecture est aussi matérielle et qu’un jour, cette bibliothèque sera à elles.
Je suis prête à partir, à aller boire un Aperol Spritz et à affronter mes choix, mes habitudes, mes goûts hétéroclites. Je garde à l’esprit que ces derniers sont forcément uniques, qu’ils représentent mon histoire, mon parcours. Dernier travers pourtant : je n’ai pas de sac assez grand pour contenir toute ma vie de lectrice.
Autobiographie n°13
Je pense à la lecture en tant que pratique qui m’a accompagnée pendant toute ma vie, même quand je ne lisais pas (de livres). Il y a quelques mois, j’ai trouvé une vidéo où j’étais très petite et, en voyant le vent feuilleter les pages d’un livre, j’ai exclamé « Maman, regarde, le vent lit ! ». Je disais « lire » avant même de savoir lire, mais là, j’ai eu l’impression que je lisais, moi aussi. La lecture était une activité que je voyais pratiquer par les grands, faite de gestes et de supports précis, par laquelle j’étais attirée. Moi aussi, je voulais faire cela. Pour penser la lecture, tel que le langage, je remonte aux débuts. Ce qui m’a amené à lire, me marque toujours. La lecture est liée pour moi à la capacité de dire. Ma phrase avait déclenché les rires et l’approbation des adultes autour de moi, et moi j’en ai été contente. Lire a toujours été lié au désir d’écrire et d’être lue.
Quelques années après cette vidéo a été prise, nous avons changé de maison, et dans notre jardin il y avait un cerisier. Cet arbre avait trois branches très confortables : une pour s’asseoir, une pour appuyer son dos et une pour ses pieds. Il y avait une ficelle où j’attachais le livre, puis je montais et je tirais la ficelle pour le soulever. Les romans de jeunesse étaient pleins de personnages qui vivait sur les arbres, donc je me sentais parfaitement à ma place. Je lisais chaque jour, même en hiver. J’allais loin, je me pensais autrement, je me cachais.
Quand j’allais à la bibliothèque, je ne choisissais pas moi-même les livres : le bibliothécaire le faisait pour moi avant, et moi je n’avais qu’à remercier et les faire disparaître dans mon sac. Chaque semaine il me préparait quelques livres. Je n’aimais pas ce jeu de la bibliothèque, où les gens voient qu’est-ce que tu veux lire, quels sont tes goûts. Le bibliothécaire savait ce que je lisais, mais pas ce que j’aurais choisi. À ce moment-là, pour moi, la lecture était une affaire secrète. Je n’aimais pas qu’on me voyait lire : j’avais l’impression que ceux qui me voyaient lire, savaient beaucoup trop de moi. Quand je parlais, je bégayais, et là aussi, j’avais l’impression de révéler beaucoup trop de moi, alors je parlais rarement.
J’écrivais souvent. Toutefois, je n’arrivais jamais à rien terminer. Les pages s’accumulaient dans mon chevet, sans qu’il n’y eût rien d’accompli que je pouvais montrer à quelqu’un. Je vois aujourd’hui mes mots coupés et mon écriture infructueuse comme deux symptômes relevant de cette mauvaise habitude de lire sur l’arbre.
Pendant presque tout le lycée, je n’ai pas lu. J’ai bien réussi le test sur I Promessi Sposi sans en lire même pas une page. J’avais lu beaucoup d’autre choses (dont des analyses approximatives sur internet) et cela était largement suffisant pour m’acheminer dans une œuvre quelconque. En classe, on en lisait des extraits, mais moi je faisais autre chose. D’ailleurs, on proposait des activités de lecture qui n’avaient presque rien en commun avec ce que j’étais habituée. Tous ces mots improbables du professeur autour de quelque chose que je connaissais très bien m’énervaient ; cet étrange usage de lire des extraits, alors que l’intérêt de la lecture résidait dans le fait qu’elle t’enveloppe pendant des heures et des heures…
Je n’avais jamais lu de la poésie. À l’école, avec la poésie, je me sentais à l’aise. C’était pour moi une sorte de langue étrangère qui demandait une lecture différente. J’ai fait un bachelor en Italien, après, et la philologie me convenait particulièrement. Aujourd’hui, j’aime bien lire en français, l’effort que cela requiert me donne l’impression de rester présente et cela m’apaise. Mais quand je lis, je me mets sur la terrasse, dans le métro, dans la cuisine pendant que mon colocataire cuisine et me parle. J’ai besoin d’un arrière-plan qui fourmille, je ne veux plus être seule, et j’ai remarqué que ce qu’il y a autour, les bruits, les odeurs, les rayons de soleil qui m’embêtent, me font ressentir l’attrait pour le mot écrit.
Autobiographie n°14
Toute petite, ma mère me lisait albums et romans pour enfants à voix haute. Cela allait de Plume le petit ours blanc, à la saga Harry Potter qu’elle a commencé à me lire. Puis, nous lisions à deux voix – elle et moi – en suivant mon avancée dans l’apprentissage de la lecture. Plus grande, seule, je me lovais dans les coussins placés au bas de mon armoire, une petite lampe accrochée à la tringle. Les mercredis après-midis, après une virée à la bibliothèque avec mon père, je dévore la pile de livres. Le temps s’arrête et je reprends contact avec la réalité qu’une fois le soleil couché, quand on m’appelle pour manger.
Petite, j’entretenais un rapport facile à la lecture.
Cette activité devient plus compliquée à partir de l’adolescence. Je n’arrive plus à me plonger dans un livre comme avant. La concentration que cela nécessite est brouillée par un nouveau flux de pensée, un éparpillement des émotions. Un certain ennui vient habiter mes moments de lecture et une professeure de français n’améliorera rien. Je me souviens avoir lu avec elle La Gloire de mon père de Marcel Pagnol et d’avoir dû répondre à un questionnaire détaillé sur la chasse aux hannetons. Elle m’a laissé une impression de littérature poussiéreuse et vide.
Heureusement, un tournant positif s’opère en fin de secondaire I. Je redécouvre le roman policier sous l’angle de l’analyse littéraire avec Piège pour Cendrillon et un nouveau genre, le fantastique avec Le Horla de Guy de Maupassant. Au Collège, un nouveau texte semble faire obstacle à mon aisance à lire lorsque je me retrouve face au Pantagruel de Rabelais. Obscure, illisible, « c’est pas du français ça ». Mais M. Clerc a su transformer l’opacité de cet ouvrage en un trésor de sens cachés que l’on découvrait par l’exercice de l’explication de texte. C’est à partir de cette année que mon intérêt pour la littérature est devenu pérenne.
A présent, j’aimerais retrouver cette avidité de lecture que j’avais si jeune. Lorsque je lis, je cherche cette sensation enivrante d’être totalement absorbée par les pages, cet instant où une bulle autour de moi filtre sons, mouvements et lumières.
Mais il y a aussi les lectures fastidieuses, obligatoires. Lire un paragraphe, puis abandonner. Recommencer le lendemain car il faut bien l’avoir lu. Parfois, l’effort paye et la satisfaction d’avoir terminé cet article si complexe de Metz compense le désagréable combat entre moi et ma concentration. D’autres fois, je laisse tomber et j’espère que, plus tard, j’y arriverai. Il y a aussi le livre sur lequel je m’endors, le livre qui me tient en haleine, le livre que j’oublie, le livre que je relis, la pile de livres que je veux lire.
Enfin, la lecture est également une affaire de toucher. Elle me permet d’éprouver corporellement une manière différente de voir les choses de la vie comme avec Risibles amours de Kundera, Nadja de Breton, L’Ecume des jours de Boris Vian et bien d’autres encore. Mais le toucher réside aussi dans les pages que je tourne, le grain du papier, le crayon (gris et un peu gras si possible) qui souligne un mot, une phrase, un passage qui me frappe.
Aujourd’hui, la lecture n’est plus un simple divertissement pour moi mais s’est transformée en un ensemble complexe. La lecture est un devoir, un impératif, un outil, une source de plaisir, de questionnement sur moi et sur les autres, d’information, de déchiffrage de la vie.
Autobiographie n°15
Il m’est difficile de parler de lecture sans évoquer mon tout premier livre. J’avoue ne pas me rappeler de l’histoire de Mimi la souris, en revanche je garde enraciné en moi le sentiment de victoire d’avoir achevé l’ouvrage et su dépasser les lettres muettes et traîtres à la fin de certains mots ainsi que les alambiquages difficiles de la langue française, ces « ch », « an » et autres « gu ».
Ce fut peut-être grâce à ce sentiment euphorique que la lecture s’ancra profondément en moi. Cela, mais également une enfance assez solitaire. Je ne comptai dès lors plus les heures à lire dans mon lit, à la lueur de ma veilleuse. Et, même lorsque je fermais les yeux, je revivais encore l’histoire des personnages derrière mes paupières closes.
Enfant, je dévorai la bibliothèque rose puis verte, Narnia, Entre Chiens et Loups dont le sujet — le racisme — me bouleversa. Je vécus l’attente insupportable de la sortie du prochain tome d’Harry Potter et je rêvai de m’envoler avec le Petit Prince — livre d’autant plus important à mes yeux que mon père l’adorait.
À l’âge de 11 ans, à force de passer mon temps à la bibliothèque de mon école, je rencontrai Pierre Bottero. Cela fut le choc que j’attendais depuis mon premier livre ; la découverte que les mots pouvaient, en plus de créer des Univers, créer une musique, une sonorité. Je me retrouvai ainsi, à l’aube de l’adolescence, à saisir ma propre plume pour écrire à mon tour.
Mon entrée dans la littérature classique, les « livres d’adultes » fut plus compliquée. Au collège nous nous vîmes imposer L’Assommoir de Zola et je n’avais pas la maturité d’appréhender l’écriture descriptive et les histoires sociales atrophiées de cet auteur. Il me fallu attendre mes années universitaires et, surtout, Au Bonheur des Dames pour me réconcilier avec la plume naturaliste.
Mon intérêt pour les classiques fut cependant réveillé avant cela, lors de mon gymnase. Je tombai admirative devant la psychologie complexe des libertins des Liaisons dangereuses et je restai perturbée par le débat autour du terrorisme dans Les Justes qui me donna envie de lire — pour moi et non pour un professeur — Les Mains sales, me permettant ainsi de découvrir Sartre.
Les lectures n’ont cessé depuis de s’enchaîner, entrelaçant des auteurs contemporains — Barbery, Werber — à d’autres plus anciens — Maupassant, Baudelaire — et certains moins connus — Potocki, de Charrière. J’en apprécie certains, d’autres un peu moins, mais peut-être qu’un jour cela changera ? Une chose demeure certaine ; ma vie de lectrice n’en est qu’à ses balbutiements.
Autobiographie n°16
Si je devais me caractériser en tant que lecteur, je commencerais par dire que j’aime lire en faisant corps avec le texte. En d’autres termes, je lis avec grande attention et dès qu’une idée de l’auteur résiste à mon interprétation, je la relis pour la saisir entièrement. Il m’arrive également à la fin d’un passage de m’arrêter pour mesurer les propos auxquels je viens d’être exposé. En somme, je caractérisais ma lecture comme une combinaison entre une lecture très proche du texte et une plus distanciée.
En tant que lecteur, je pourrais également dire que je suis impatient, pas forcément dans le sens où j’ai envie d’arriver rapidement au dénouement de l’intrigue, mais plutôt au niveau du nombre de livres qu’il y a à lire en général. Un autre mot qui me vient à l’esprit, et qui serait peut-être plus précis, est le terme frustré. Au sein d’une vie d’étudiant, — qui relève parfois de la schizophrénie entre les études et les petits boulots – la masse des œuvres écrites par des grands noms semble impossible à appréhender. On ne parle même pas des plus petits noms. Au moins, ça donne une raison de se réjouir de la retraite pour avoir plus le temps de lire. Finalement, je dirais que je suis un lecteur à la fois curieux et contemplatif, dans le sens où je lis pour agrandir mes perspectives de la réalité, et où il ne m’est pas rare d’être complètement soufflé par la justesse de certaines formules.
Du point de vue de mes habitudes de lecture, il me faut beaucoup de calme pour lire car je suis facilement déconcentré par des bruits extérieurs. Je me suis habitué à plutôt lire le soir, lorsque la journée active est terminée. Ce moment est pour moi un moment de détente, au sein duquel je sens que je peux être plus réceptif aux idées d’un auteur. Les livres que je lis le soir sont donc plutôt des lectures personnelles. En ce qui concerne les lectures académiques, je les fais plutôt à la bibliothèque, ou bien chez moi.
Il m’arrive aussi de lire dans le train comme j’effectue parfois des allers-retours avec Genève. En lien maintenant avec mes habitudes au sujet du texte, je n’annote généralement pas mes lectures personnelles. La seule chose que je fais est de corner le bas d’une page, lorsqu’une citation m’a vraiment marqué. Il m’arrive de la réécrire ailleurs par la suite, ou d’en parler avec un ami ou une amie. Pour mes lectures universitaires, j’aime imprimer mes textes afin d’avoir le texte matériel sous les yeux et je l’annote au stylo en faisant des liens, ou bien en écrivant des petites synthèses pour mieux m’approprier le texte.
Une rencontre littéraire marquante m’est arrivée avant de commencer l’université. Au cours d’un voyage en train, j’ai eu la chance d’avoir sous la main le livre d’Eric-Emmanuel Schmitt, Les perroquets de la place d’Arezzo. En quelques mots, l’auteur place son lecteur au milieu d’une constellation de plusieurs expériences de l’amour, qui sont toutes différentes dans leur contenu, et dans leurs perspectives, qui vont de la monogamie au sado-masochisme à plusieurs. Submergé par la précision des émotions (d)écrites, je me suis surpris à ressentir des frissons me traverser le corps. Peut-être que c’était un moment de ma vie, qui a fait que cette lecture m’ait autant touché. Mais ce qui est sûr, c’est que je me rappelle de ce moment comme l’instant où j’ai choisi d’étudier le français, afin de comprendre comment de l’encre sur du papier pouvait causer de telles émotions.