Entre­tien semi-dirigé mené avec un.e spectateur.trice du spec­ta­cle Orestes in Mosul de Milo Rau dans le cadre d’un pro­jet de recherche sur l’in­ter­pré­ta­tion poli­tique du théâtre contemporain.

Informations sur la source

Code d’i­den­ti­fi­ca­tion : #Orestes8

Date : Décem­bre 2019

Pro­to­cole : Entre­tien semi-dirigé

Pro­fil de l’enquêté.e :

Remar­ques : Entre­tien basé sur l’ac­cueil du spec­ta­cle au Théâtre de Vidy, Lau­sanne, décem­bre 2019.

En deux mots, est-ce que le spec­ta­cle vous a plu ?  

Je ne saurai pas dire, c’é­tait une expéri­ence bizarre. Les acteurs étaient bien, c’est sûr, mais j’ai des doutes.

Pourquoi une expéri­ence bizarre ? 

Parce que c’est for­cé­ment bizarre un spec­ta­cle sur le ter­ror­isme, c’est pas rien quand même. 

Selon vous, que dit le spec­ta­cle du terrorisme ? 

Eh bien juste­ment, je ne sais pas. D’un côté, il nous mon­tre nous, face à toutes ces images hor­ri­bles, ça j’ai bien com­pris, de l’autre, il mon­tre ces images comme si on pou­vait les utilis­er dans une his­toire plus grande. Et puis, ça m’a agacé cette his­toire de reven­di­ca­tion sociale à la fin. [NB : le spec­ta­cle ce soir-là se con­clu­ait par une dénon­ci­a­tion sur scène de récentes coupes budgé­taires ciblant les insti­tu­tions cul­turelles en Belgique]

Quand avez-vous eu l’im­pres­sion que le spec­ta­cle nous mon­trait nous, face aux images ?

Au début, quand le pre­mier acteur reçoit ces images et qu’il les regarde, j’avais l’im­pres­sion de me voir moi, j’en ai vu beau­coup aus­si. Mais aus­si quand les meurtres sont recon­sti­tués avec les balles dans la tête. Je me dis­ais, il y a des class­es de gym­nasiens [NB : lycéens], est-ce qu’on peut vrai­ment leur mon­tr­er ça ?

Le fait que ce soit util­isé en par­tie pour racon­ter l’his­toire d’Oreste, ça ne change pas quelque chose ? 

Non, franche­ment on ne voit pas l’his­toire d’Oreste, on voit l’é­tat islamique qui exé­cute des gens inno­cents. Alors vous allez me dire que dans l’his­toire le roi n’est pas inno­cent, mais c’est tout de même très sec­ondaire, je suis sûr que la plu­part des gens s’en fichent de l’his­toire, ou juste qu’ils ne la con­nais­sent pas et ne vont pas faire d’ef­fort. Moi je ne la con­nais­sais plus bien et ça m’est passé un peu au-dessus, ce n’est pas vrai­ment l’essen­tiel. Ou peut-être que c’est juste­ment cela qui est bizarre : si on retire l’his­toire qui est assez peu ficelée et dure à suiv­re, pourquoi le cou­ple se déchire ? le fils est vrai­ment juste fou pour faire tuer sa mère ? il avait plein d’autres solu­tions, bref, il reste des images de ter­ror­isme sans rien pour vrai­ment les expliquer.

Vous avez l’im­pres­sion que ces images man­quent de contexte ? 

Oui. Et aus­si de pudeur : à quoi bon repro­duire ça ? C’est vrai qu’il y a des choses belles, com­ment les per­son­nes en Irak sont filmées, com­ment elles vivent leur vie, on a accès à ça, mais aus­si on ne par­le jamais de leur rela­tion à ce ter­ror­isme, on ne peut pas savoir ce qu’elles pensent du ter­ror­isme. Tout est fait pour qu’on se dise qu’ils souf­frent et on se dit qu’ils sont comme nous et que donc for­cé­ment ils con­damnent etcetera etcetera, mais c’est pas sûr. On ne se pose la ques­tion de leur responsabilité.

Pourquoi exacte­ment ? Qu’au­rait-il fal­lu chang­er selon vous ? 

Par­ler de reli­gion déjà, le ter­ror­isme c’est tou­jours religieux et le fait que les gens aient la même reli­gion, atten­tion ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit hein, mais la ques­tion de la reli­gion n’est même pas abor­dée. A la fin, ça par­le de la démoc­ra­tie, il y a cette his­toire de vot­er ou non pour tuer les ter­ror­istes, et les gens ne se pronon­cent pas, mais là encore, pas de juge­ment défini­tif, ça mon­tre une respon­s­abil­ité qui n’est pas prise, c’est même le sym­bole total de la respon­s­abil­ité qui n’est pas prise.

Une autre per­son­ne m’a dit que cette scène du vote avait peut-être été écrite en amont par le met­teur en scène, qu’en pensez-vous ? 

Alors ça c’est pos­si­ble. Ça expli­querait même des choses, peut-être qu’il a juste envie de faire un por­trait idéal­iste de ces gens, comme s’ils étaient supérieurs parce qu’ils avaient con­nu la guerre. Je ne sais pas si ça rend sage. Moi, je ne pense pas, même après la guerre, l’homme reste un ani­mal qui a besoin de se venger. 

Qu’est-ce qui vous fait penser que le met­teur en scène aurait voulu faire un por­trait idéal­iste de ces per­son­nes ?

Bah, je veux dire que c’est peut-être traitre de sa part, en même temps c’est pos­si­ble, c’est pos­si­ble qu’il fasse tout pour qu’on pense que ce sont vrai­ment les gens qui déci­dent de ne pas choisir, alors qu’il ne les a juste pas écouté et qu’il ne leur a juste pas lais­sé le choix, c’est pos­si­ble qu’il les manip­ule pour con­stru­ire son dis­cours, pour nous dire à tous : voyez comme ces gens sont raisonnables et pro­fond, et en faisant cela, il nous manip­ule aus­si en fait, il nous fait pass­er la pilule.

Je n’ai pas dit que c’é­tait scrip­té, je n’en sais rien, sim­ple­ment que cer­taines per­son­nes avec qui j’ai dis­cuté ont émis des doutes. 

Ah bon d’ac­cord. Je com­prends ces doutes alors, parce que ça parait quand même invraisem­blable, c’est ça qui m’énervait. 

Invraisem­blable par rap­port à quoi ? 

En fait, c’est presque sûr qu’ils jouent parce que c’est invraisem­blable par rap­port à la vie réelle. Les choses ne se passent pas comme ça, dans la vie quand un petit groupe de ter­ror­iste s’en prend à nous et à tout ce qui nous est cher, on a envie que jus­tice soit faite.

Comme Oreste se fait justice ? 

Oui pourquoi pas. Ah mais je vois ce que tu veux dire, si c’est vrai que c’est pas réal­iste de mon­tr­er des habi­tants qui refusent de se venger, il faut aus­si dire que le meurtre d’Oreste en fait c’est le meurtre ter­ror­iste. Donc si on mon­tre les habi­tants se venger des ter­ror­istes, on vaut pas mieux que les ter­ror­iste. Bah tu vois, quand il tue ses par­ents avec tout l’attirail de Daesh là, c’est juste de la morale bien­pen­sante qui dit que le meurtre c’est mal. C’est pas réaliste.